samedi 30 janvier 2021

Mantet -66- La vallée du Caret par le sentier forestier

 Peut être que pour mieux visualiser cette rando modeste, il faut se replonger un instant dans cet éblouissant matin de mai 2019, juste en un clic. Il n'y a pas à dire, le printemps ça change tout.

Donc ce matin d'hiver 2021, au lendemain du sentier de Nyer, article précédent, je vais dérouiller mes jambes sur ce sentier que je cherchai tant en mai 2019. Mais  cette fois, je sais ! Et ça change tout.

Mantet et son décor
D'abord il faut descendre : rallier le bas du village , 150 m de dénivelé à perdre, c'est le plus dur...pour la remontée. Mais là, ce sera dur à la descente : la longue ruelle est si verglacée qu'il serait suicidaire de la descendre sans crampons, pour le nombre respectable de décennies de mon corps. Donc, je cramponne! ça me rassure, un jeune homme sans crampons descend difficilement. 


Les armes du jour
GR 10 :ce n'est pas de la neige
C'est de la glace


Plus je descends et plus je marche sur du verre! Une traversée du Mantet, le GR10 bien glacé, je remonte, je traverse l'Alemany et je fausse compagnie à ce beau monde, je vais piquer pleine pente pour aller à la rencontre inévitable du sentier dont je n'ai pas envie d'aller chercher le départ caché sous la neige, il n'est pas balisé.

D'abord je traverse des champs de neige où la glace pure s'étale en grosses bulles bleu gris que mes crampons s'amusent à mordre, avant que je ne les enfourne dans le sac. 

Les gros yeux de la glace

J'attaque plus de 100m de pente raide, étoilée de plaques de neige souple griffée d'empreintes. Soudain, alors que je n'en vois jamais le bout, je bute sur le sentier, rencontre inévitable. Je n'ai plus qu'à me laisser conduire au petit col, 1651 m, où le sentier fonce allègrement en forêt. mais il est temps de savourer le paysage qui va disparaître : Mantet sagement tourné vers le sud, les vallées de l'Alemany, du Ressec, des Clots, les lointains de l'altiplano, tous ces lieux où j'ai tant "erré" avec cette ivresse que la montagne sait offrir. C'est beau, tout simplement.

Mantet





A présent j'entre en forêt comme en une cathédrale : arbres immenses, futs rectilignes, une voûte d'aiguilles, des sous bois jonchés de débris qui sont ceux de la vie des grands arbres, et en filigrane, parfois, un coin de ciel, de montagne ou de rochers, juste en face.


 En bas j'entends la rumeur sourde du Caret. Le sentier est large, confortable et glacé, je dois cramponner à nouveau. De petites empreintes sympathiques ont suivi le même chemin, ce serait une fouine. Mais d'animal, c'est tout ce que je verrai. Nulle présence, nul bruit, le vide.

Petite patte

            Le silence est tellement dense que je pourrais le toucher et la forêt si épaisse qu'elle pourrait m'avaler.

Personne ne s'en apercevrait.


A travers les arbres, un coin de Canigou

J'ai perdu cette crainte des forêts, je les aime, j'ai appris cela cet été. C'est une balade sans prétention, presque en courbe de niveau, mais d'une absolue sérénité. Ce sentier que j'avais cherché, en ce joli mois de mai, ne révèle rien de différent du printemps. Hormis le tapis de glace qui couvre le sentier et le saupoudrage de neige, une forêt de conifères est un décor immuable. Soudain, après 1.6 km et 120 m de dénivelé, une ouverture de ciel bleu, de champ de neige et de soleil étincelant annonce la sortie de forêt. Une vaste prairie de neige grimpe vers le ciel, et le paysage s'ouvre devant mes yeux qui reconnaissent le sentier d'en face, en bas, le long du Caret, le Pic de l'Orri et ses 2040 m, le Planell de l'Orri, surligné de sapins, et le Canigou ! mais est ce possible que je sois déjà arrivée ? Où sont la Jassa et ses ruines?


Le Madres au loin

Massif du Canigou

Pic de l'Orri et planell de l'Orri

Pic du Canigou

 Où suis-je donc ? Aucun repère; la carte y pourvoit, la rivière fait une boucle, oui je suis presque au terminus. C'est au flair, après avoir pris un en cas au soleil sur un rocher au préalable balayé par un rameau de genêt, que je retrouve le sentier. Ce paysage blanc, et vierge de traces, est muet.


Une manière de voir

Et une autre

(Et 10 jours plus tard, encore une autre, d'en face.... du Planell de l'Orry))
 
Je me trouvais aux 2 sapins du 1er étage


Je fonce en forêt, en descente et ce sont encore les vieilles coupes à la tronçonneuse qui me guident. Le bruit de la rivière enfle et gonfle, j'y suis! Ce serait un jeu d'enfant de rejoindre le sentier d'en bas, celui que je connais. Je m'aperçois avec stupéfaction que ce jour de mai j'étais à quelques mètres de ce sentier que je cherchais et d'où je proviens aujourd'hui. Je n'avais pas de carte.

Une semaine plus tard, ce terminus vu d'en haut, du Planell de l'Orry


Le défi serait de rejoindre mes anciennes traces. Pour ce faire, il faut traverser ce champ de neige épaisse où je m'enfonce jusqu'aux genoux, et franchir la rivière d'un bond. Un bond qui, au mieux peut me promettre un bain de pieds, au pire, un os en pièces détachées: que cachent ces boules blanches et lisses ? Je renonce, frustrée mais (très, trop) prudente. Qu'importe, c'est beau, paysage en noir et blanc, où coule un torrent frileux et non furieux. Un autre ruisseau serait à franchir, le Soula de la Serp, je sais le site accidenté mais l'autre rive est au soleil et vide de neige. Tant pis. 



Le Caret







Le Caret

Je reviendrai par le même chemin, d'un bon pas cette fois. De tout petits oiseaux emplissent le silence de leurs chants printaniers et en un rien de temps je retrouve mon perchoir au delà de la forêt, dominant Mantet et son beau décor. Un petit repas, les crampons filent dans le sac mais je les rechausserai en bas, la glace m'attend. 



Je regarde la route qui mène au village, celle faite en 1964, aucune n'avait pris le relais de celle engloutie dans les gorges de Nyer. Mantet, un singulier village longtemps enclavé et qui fut le dernier village de France à accueillir Dame Electricité , en 1983. 

Mantet où j'arrive à 13 h 30, au terme de 8.67 km, les pieds bien cramponnés à la glace féroce de la ruelle. Mantet qui m'offre ce décor que j'aime par dessus tout, Mantet où l'on se sent si bien, comme protégé de la vie d'en bas, épargné de ses périls. Mantet où je reviens toujours...



Vallée de l'Alemany


Une partie de mon trajet


En chiffres:
Distance: 8.7 km
Dénivelé: 490 m






jeudi 28 janvier 2021

Mantet- 66- Le sentier de Nyer

 Couvre feu oblige, il faut changer ses habitudes et arriver à ce bout du monde qu'est Mantet avant 18 h. Mais quelle maréchaussée irait faire 23 km (aller) de route de montagne abondamment équipée de virages et d'étroitesse pour aller contrôler? Contrôler qui des 32 habitants confinés par la nuit glacée alors que luisent les plaques de verglas ? Mais je joue le jeu, c'est une question de chance plus que de logique.

Et puis c'est si beau que de faire la route; regarder les magnifiques paysages est un cadeau. Mantet et ses vallées qui grimpent tous azimuts est un enchantement. De Mantet je ne vois rien: il faut s'arrêter au parking, le village s'étage en contrebas; seul le clocher jette son oeil curieux et ses cloches muettes sur le voyageur.

Dans mon habitacle chauffé je retrouve le sel de la vie, celle "d'avant",  celle qui me manque tant.

J'écris et je dessine, je dessine les sentiers et leurs possibilités, le long des vallées ou  les sentiers transversaux: pour demain c'est décidé, je veux du nouveau, ce sera celui que j'ai numéroté 8.

Une balade nocturne dans le village pendant le couvre feu, 10% de la population est dehors, et moi en plus. Nous sommes 4.

Pendant la nuit, la neige tombe, puis la tempête de vent sévit, tout est blanc au petit matin, le chasse neige déblaie à toute vitesse et sale dans la foulée. Un matin voilé et éblouissant m'accueille, et fait fourmiller mes jambes, j'ai besoin de marcher, pas de faire un "exploit", je suis très rouillée.

Départ au petit matin

Le sentier (dit d'interprétation) de Mantet à Nyer est très long, et inenvisageable à cette saison: 6 h de marche, 1000 m de dénivelé et 10 km. Pour un aller simple.  D'autant que c'est une rando inversée, les 1000m sont en dénivelé négatif, il faut les remonter au retour. Qu'importe je pars!  Dès le départ, ça glisse terriblement, tout est blanc et verglacé; je ne chausse pas les crampons, je réduis donc la vitesse. Il est 9 h, le sentier est agréable, le paysage me plait, je vais surplomber mes bien aimées Gorges de Nyer. 

Tenue grand froid



Tenue très grand froid : le masque anti covid
reprend du service




La neige crisse sous mes pas en une jolie chanson, la glace aussi , c'est une autre chanson.

Les animaux du jour :



Sentier d'interprétation



La randonnée est simple : des montées et des descentes, un froid vif, des bourrasques glacées, un sol incertain, des espaces dénudés découpés en terrasses épaulées de jolis murets, des forêts de conifères, des passages rocheux à franchir par de courtes et efficaces cheminées, un décor attrayant, de larges points de vue aussi rares que beaux, des rochers de taille et formes impressionnantes, un saupoudrage de neige vierge sur laquelle je fais ma trace, un ciel bleu et un soleil froid, un silence et une solitude parfaits, le chant de la rivière 400 m en contrebas, que demander de mieux pour un retour à la montagne ? Je bois à pleins poumons cet air sain, cette Liberté intense et ce retour à la vie d'avant alors que pèse la menace du 3 eme confinement. Mais c'est où ça ? Dans quelle vie, dans quel pays ? Dans quel mauvais rêve ?

Quelques pierriers


Anciennes terrasses


Murettes vers le ciel, jusqu'en haut des pentes


Tout était jadis cultivé


Ruines

Tiens voilà une belle rencontre...de loin on dirait une forteresse. Un chaos de rochers ceinturé de murs : un vaste orri et son corral attenant, un ancien site de bergers. Je visite de fond en comble, attendez moi, je reviens!


Forteresse de pierre : l'orri et son corral

L'orri ou cabane du berger



Je continue,  je reste prudente , ça glisse, j'essaie de me repérer par rapport à mes anciennes randos, je reconnais presque tout, vues d'en haut, vues d'en bas, j'ai les images dans les yeux. 



Une marmotte pétrifiée tient son bébé
entre ses griffes...imaginaire...

Passage en roches
Au fond coule une rivière : le Mantet
Sur la rive en face, mes rêves d'exploration
Sur les crêtes le Trespassats, 2039 m


En forêt, au loin le Madres enneigé

Soleil d'hiver

Un chêne à deux troncs, énorme














Le temps passe, je choisirai mon terminus: justement une très longue courbe de niveau signera l'arrêt, et un joli corral le point final. Je suis à la Pregonella, 1520 m,  mais je n'ai fait que monter et descendre même si je suis 35 m d'altitude en dessous de mon camion! 5.30 km plus loin, quand même, mais on n'est plus en été.


Le roc de la Pregonella

Vue sur le canal de Nyer


Le retour sera rondement mené, je prends des notes, dessine le parcours précis et scrute la montagne en face, très tourmentée, où un "chantier" m'attend, d'ailleurs un bref sentier s'y dessine, perdu au milieu de terrasses perdues, ce sera pour l'été.



Roc des Trespassats, entre les forteresses de pierre

Le retour a perdu son silence, le vent est violent, sa rumeur enfle, rugit, recouvre la rivière, fait vrombir et se tordre les branches des sapins et craquer la montagne, la vie d'ici s'installe. Telle que je l'aime.

Je prends un grand temps de pause dans le joli corral où, ce jour, le seul animal est un bipède heureux.

Amusement, j'escalade le corral

Vue d'ensemble du corral ou enclos

Casse croûte bien à l'abri du vent

Tout en haut des gros blocs de granit

Vue aérienne du corral

Je reprends le chemin. La neige du matin a fondu, la glace s'écoule en fins ruisseaux, un petit air de printemps glacé, fugace et coloré accompagne mon chemin, je scrute déjà un improbable sentier, en face, mais s'il ne va nulle part, il n'en est que plus attirant. Glacé, enneigé, il m'attendra quelques mois.


La vallée du Mantet, entre ombre et soleil, le Madres, 2465 m, à l'horizon



Me voilà presque de retour, je regrette finalement d'avoir fait demi tour si tôt. 

 La Prudence est mère de sûreté dit-on, mais j'aurais pu mieux faire. 11 km, rien n'est perdu. C'est une bonne mise en jambes.

Derrière ces terrasses se cache Mantet


La neige du matin a fondu, les chevaux sont toujours là


 Une nouvelle soirée à Mantet m'attend, je verrai tomber la nuit et s'éteindre la montagne, je verrai s'allumer le ciel. Belle la vue, belle la vie.



En chiffres : 

Distance 11 km

Dénivelé positif cumulé : 500 m environ


Le trajet en pointillés bleus
En rouge, le joli cortal
En jaune, terminus, à la Pregonella