jeudi 30 mai 2024

Aude: Pierrelys, le chemin perdu de Belvianes, 243 ans après.


 L'an passé, j'avais essayé de retrouver ce chemin, je l'avais conté en un récit nommé "l'os de la Pierrelys". Je serai plus nuancée aujourd'hui en contant ce même voyage, car ce n'est plus tout à fait "un os", j'en ai rongé jusqu'à "la substantifique moelle", comme l'écrivait Rabelais en 1534. Je suis allée au plus profond du sujet, ou presque.

Vue sur le Défilé depuis ce chemin perdu

                                                 ..........................................................................

Revenons en arrière, soit avant 1781, oui je dis bien 1781.

L'abbé Felix Armand avait ouvert cette route désenclavant complètement un axe routier devenu majeur. Il y avait oeuvré sans relâche. Du haut des falaises en des passages improbables, le chemin s'était mué en un axe routier presque au ras de la rivière Aude, celui que vous empruntez maintenant.

Quand vous roulez sur ces 1.7 km du Défilé de la Pierrelys, vous regardez où vous mettez les roues et la carrosserie. Vous voyez une route sinueuse et pas très large, des falaises immenses arrivant en encorbellement, vous croisez avec précaution des véhicules, vous devinez la rivière tumultueuse, vous pouvez ignorer que dans les redoutables falaises court une voie ferrée désaffectée, que du rafting dévale le torrent et que même des vautours vous observent de haut. Vous ne prêtez pas attention à la route suspendue presque entièrement sur le vide et vous trouvez beau ce bref passage.


L'Aude, la route, les falaises













Moi je le connais par coeur, à pied, et vu d'en haut aussi, de très haut, là où le bruit du vent supplante celui de l'eau et des autos ou des motos, je le connais dans le silence épais et noir du long tunnel ferroviaire et de ses  galeries sous terre. Je le connais depuis les falaises que j'ai osé grimper, et je le connais depuis ce chemin que je suis allée chercher, le fameux "os".


Vue depuis le tunnel ferroviaire


Cet os, c'est un chemin qui partait des gorges et rejoignait le village de Belvianes par les hauteurs car le Défilé était fermé par deux puissantes falaises, face aux Murailles du Diable, si puissantes qu'il fallut attendre mai 1781 pour le percement du petit tunnel dit "le Trou du Curé" que ce diable d' Abbé Armand parvint à percer grâce à son obstination. Alors le chemin des hauteurs fut abandonné, il y a 243 ans exactement. Et que je vais une nouvelle fois essayer d'exhumer.



Le tracé du jour, excepté dans le cercle










Cette fois j'ai les mêmes outils que l'an passé, gros ciseaux de taille de vigne, rubalise, GPS, cadastre, seul document où figure le chemin, mais j'ai un "truc en plus", le GPS peut lire le cadastre, argument majeur.

L'indispensable du jour


L'an passé, boussole, altimètre, cadastre et vue aérienne, n'avaient servi à rien . Seule mon obstination et la cohérence du terrain avaient porté leurs fruits. Mais rien n'était sûr.

De Belvianes au Belvédère du Diable, cet ancien chemin est devenu de randonnée, large, bordé de quelques murs, ouvrant sur d'anciennes parcelles, du classique.

Chemin du belvédère



Au Belvédère, site grandiose et touristique, il continuait alors dans un passage taillé dans le roc, suivi d'un mur de soutien intact, au delà, il fait une boucle de trail, le vrai chemin se perd au ravin. 


La falaise fut tranchée
Le pavage fut posé




Le mur de soutien

La falaise entaillée














C'est là que tout commence. Je vais traverser le ravin dans les taillis, retrouver un muret, unique vestige et, là, je vais sortir mon arme fatale, le GPS et le cadastre qui vont s'épouser dans la broussaille, les épines, les rochers, les falaises, le pierrier.


Dans quoi je vais m'aventurer

La pente suit un ravin qui aboutit
à la route en bas

Un des délices du jour




Le Petit Poucet en rouge et blanc

Je suis agréablement surprise : ce trajet, précis cette fois, coïncide amplement avec mon chemin de l'an passé sur une grande longueur, mes balisages sont encore là, tout est bien.

Mon outil 

Ensuite, le trajet va m'expédier pleine pente; il eut été facile alors de suivre le ravin et la pente jusqu'à la route, la logique imparable, mais n'oublions pas qu'une redoutable falaise barrait le passage. 

La grande falaise à l'arrivée qui empêcha 
la route autrefois

Alors le chemin a courageusement viré et attaqué l'ingratitude du relief : le long et croulant pierrier et enfin les barres rocheuses où j'avais tant sué : cette fois ma petite flèche verte me conduit dans les lignes de faiblesse, dans un couloir oblique allant chercher une autre faille, couloir que les anciens ont peut être façonné. Aucun danger sinon le végétal agressif qui fait saigner mes bras nus, activer mes mains et épaules avec les lourds ciseaux, pour frayer mon passage, le trajet est facile, le végétal, une jungle verte, le rend infernal. Je coupe, je range, je déblaie, je balise, je m'épuise à ce jeu inutile mais je me régale; dans le silence, les chants d'oiseaux et la rumeur de la route.


Le trajet du jour



L'envers du décor, les falaises d'où j'ai pris la photo précédente, la semaine passée

Le débroussaillage me conduit sur une plate forme dans la longue falaise en arête remontant vers le ciel : une vraie plate forme où aboutissait le chemin terrestre avant que de plonger dans le vide.


Vue plongeante sur le ravin, on ne voit rien
Terminus et on ne descend pas !!














J'ai à peine fait mieux que l'an passé, la cohérence seule avait parlé, le cadastre marié au GPS a confirmé : j'y suis. J'y étais alors aussi...mes photos en attesteront. Incroyable.


Arrivée à l'aplomb de la falaise
le petit cercle vert est bien sur le chemin


Oui mais là ? Je me penche sur un vide effarant, le ravin creuse sa gorge rectiligne en bas, et cette jonction entre la crête et le ravin, je ne la ferai pas . Par où descendrais je ? comment ? Où est la ligne de faille qui supporta le chemin ? Fut ce des marches ? Un sentier en zigzag ? Un plan incliné ? Seule l'incursion dans le ravin me permettrait de le déterminer. 

Le ravin vu d'en bas, d'en haut on ne voit RIEN

Plus tard, vu d'en bas, le ravin sera un peu plus bavard; je connais le point de départ de l'ancien chemin, il a été tranché avec la roche, on y voit encore quelques traces de pavage; le GPS me confirmera ce départ.

La rampe de départ du chemin de Belvianes

Le petit cercle vert confirme















Le départ, vu autrement, peut être la preuve irréfutable


Dans le ravin, au dessous de mon perchoir, si, d'en haut , rien n'était visible, d'en bas, je peux émettre une hypothèse, le chemin aurait pu suivre cette ligne de faille dans la falaise, colonisée par les arbres, ce serait la cohérence du chemin, pourquoi pas ? 


Le cercle rouge : mon perchoir


En attendant, je grignote, je savoure le vaste espace tourmenté qui n'appartient toujours qu'à moi seule : personne n'y va, aucune trace de chasseur, aucun débroussaillage hormis le mien, aucun vestige humain, la sensation de mettre les pieds ici après 2 siècles et demi. Il doit bien rire, l' abbé Armand, peut être voudrait il venir m'aider, le Diable doit bien ricaner, tapi dans les plis de ses murailles...et je m'amuse de mon éphémère folie, et je suis fière de ma téméraire obstination, je suis même prête pour une fois à vénérer la modernité qui m'a permis ce parcours sans faute.


Quel panorama ! Le Trou du Curé et la route
La vallée de l'Aude, les murailles

Je reviens sur mes pas : j'avoue que le parcours est éreintant, mais que s'arracher à ce panorama qui n'appartient qu'à soi, qu'on a fait sien un instant au prix fort, est comme un sevrage. 


Depuis la traversée du pierrier



Site d'escalade

Depuis le Belvédère














Au retour, après avoir rajouté des griffures aux traces sanglantes, et des trous à mon pantalon, je garde ostensiblement ma cisaille en main pour ne pas effaroucher les quelques promeneurs toujours choqués de mes retours d'expédition. Je le vois au regard effaré sur la sauvage des bois en laquelle je me suis transformée.

                                                           ------------------------------------------

Plus tard, "lavée et repassée", je repartirai sur d'autres vestiges. 

Il existe quelques murs ne faisant pas partie du chemin, que j'observe toujours en passant : je prends le temps de me garer, m'assoir sur le parapet et étudier ces murs. J'ai essayé l'an passé de les trouver, un parcours encore plus dantesque dans le végétal. Aujourd'hui je ferai mieux, sans GPS, mais avec un peu plus d'observation, d'obstination et d'application. Et je trouverai !

Le site



Vu depuis les falaises en rive opposée

Au zoom



Depuis la route


Bien lové dans les falaises




Incurvé


Etage supérieur


Non je n'irai pas au pied des murs, l'accès est trop difficile en solo, mais la falaise va me parler. Si autrefois l' Aude l'avait érodée en belles courbes lisses, les humains y ont planté une belle main courante en métal, des sortes de marche pied, peut être pour y amener du matériel. Intacts ces vestiges sont envahis par un gros chêne qui m'entravera  mais j'arriverai encore sur cette longue crête où j'étais le matin ; de là je verrai sans être vue, et je comprendrai . Les murs n'étaient ni parcelles cultivées, ni chemin en lacets, mais, élémentaire ! Des murs pare éboulis. Comment n'y ai je pas pensé ? 

En images, en m'approchant :



L'ancien cours de l'Aude


Bienvenue main courante




L'outil fétiche du jour



Là dedans sont érigés les murs

                     
                                                          ............................................................

Pierrelys m'a encore livré un mystère, un trésor, pas très loin de celui de l'abbé Saunière, à Rennes le Château, mais plus tangible.

Allez, si l'os a rendu sa moelle, il reste encore un tout petit morceau à ronger, pas le plus facile ni le moins dangereux. Trouverai je quelqu'un pour m'y accompagner? Rien n'est moins sûr. Alors, que vais je faire ? Renoncer ? Rien n'est moins sûr....


Article juin 2023 : "L'os de la Pierrelys"https://balades-lison.blogspot.com/2023/06/aude-los-de-la-pierrelys.html



4 commentaires:

  1. Un vrai périple de caprin dans cet univers austère ! Il faut vraiment avoir la fibre pour aller se confronter à ces éléments aussi hostiles et, en plus, tu l'as si bien dit..... "243 ans !!" Même l'abbé Saunières ne s'y est aventuré (ah ah...) !! Quelques vestiges "surnaturels" témoins d'une activité très ancienne dont il reste peut-être à percer l'utilité dans ces zones si escarpées et si loin de tout ! Seul rattachement au vivant, peut-être, le bruit sourd de l'Aude qui court tout en contrebas ! Bon, tu imagines aisément que je ne serai pas celui qui t'accompagnera..... si haut !! (ih ih !!). P.D.S

    RépondreSupprimer
  2. Dommage, tu eusses fait un bon accompagnateur, mais si ! Parce que tu saisis l'atmosphère des lieux...et tu n'as même pas l'excuse de l'âge, non mais ! Vois tu je suis dans mon univers déjanté. Le pire ? je me sens déjantée sur un sentier balisé auquel je n'ai qu'une idée, faire une ou autre infidélité. Ohhh ça se dit pas ça. Trêve de plaisanterie, merci de me suivre en mode caprin virtuel

    RépondreSupprimer
  3. toujours aussi tenace dans tes découvertes et tu nous en mets plein les yeux, un peu d'histoire et beaucoup de nature. Couvres toi bien c'est le temps des tiques , j'en ai attrapé 10 en une petite journée aux berges de la Têt alors toi dans les broussailles !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il faut en plus être coriace comme tu l'es aussi (je parlais de toi hier vers le Pic de Gallinas, Massif du Canigou) pour s'aventurer là dedans. Personne ne comprendrait cet acharnement, toi oui. Les tiques ne m'aiment pas, j'ai cette chance là !! 10 pour toi ? C'est fou...

      Supprimer

Votre commentaire: