mercredi 25 juin 2025

Piémont du Canigou : un sentier magnétique

 Cet article est la suite et fin du précédent récit concernant le sentier que j'avais perdu en cours de montée. Le sentier qui doit rejoindre les "Canals de Leca", secteur Batère.

Les Canals de Leca

Ce sentier a avec moi une drôle d'histoire de magnétisme, qui explique mon obstination à vouloir le  retrouver bien que ce soit stupide et inutile.

Le 17 juin 2024, nous allions avec Nicolas parcourir le sentier abandonné des Canals de Leca, à Batère , d'ouest en est. Sentier désaffecté pas toujours facile à suivre et à trouver notamment au départ.

D'entrée je vis un point rouge sur un arbre et je me dis "un sentier de chasseurs !" Avec une forte envie de le parcourir un jour. J'aime ces sentiers sauvages, loin du grand public et qui contiennent parfois de petits trésors si on sait les voir. Ils m'attirent comme des aimants. J'ai toujours gardé en mémoire ce point rouge comme un appel de la forêt dans laquelle il se jetait. 

17 juin 2024

Au terme de cette journée, raccompagnant une randonneuse épuisée à Arles s/ Tech, devant une boisson fraîche, un jeune homme nous parla et me dit qu'il était chasseur et que son groupe avait un sentier "très raide" pour monter aux Canals de Leca.

Deux signes dans la même journée et, depuis, ce sentier devint attirant comme un aimant. En octobre je trouvai le départ discret. Le 16 juin 2025, hasard du calendrier, j'ai grimpé une partie du sentier puis...je l'ai perdu ! Usée jusqu'aux genoux!

Donc une semaine après me voilà encore sur le site. Cette fois le départ se fait en douceur, par une longue oblique en forêt et très vite j'atteins la côte 1336 là où je l'avais perdu. Il n'y a plus qu'à chercher et immédiatement une belle flèche verte m'invite : "c'est par là !".


Le dernier : un point c'est tout

Et au suivant ! Une flèche













Et je vais monter, ah pour ça oui, ça monte. Chaque marque de peinture m'oblige à un temps d'arrêt pour trouver la suivante, le balisage est très discret et uniquement dans le sens montant. Donc les chasseurs ne redescendent pas par ici. Ils ont un ailleurs bien plus commode. Que j'envisage mais comme je connais la sortie sur le sentier des Canals, c'est fort aléatoire. Car le sentier des Canals est effacé. Ainsi au fur et à mesure je me fais mon propre balisage en vue de la descente. Long et fastidieux. J'oscille de part et d'autre d'une ligne de crêtes, toujours sous les arbres, sans visibilité, croisant d'énormes rocs immobiles, aux formes animales, gardiens de ce temple vert. Je suis à l'ombre mais la chaleur est dense. J'écoute la forêt, les oiseaux, le sanglier qui grogne tout près et me fait peur avant de disparaître. Au son de la musique de Verdi (Aïda). A moins que subjugué il ne se soit solidifié comme un roc ? 


Des rocs de temps en temps




Ils ont tous un aspect animal


De point vert en point vert, parfois double emploi



Et ça monte dans la hêtraie

Je poursuis ma montée, les chiffres défilent et soudain je sors de la forêt, pour me trouver dans une clairière encombrée de buissons ras, là c'est aux vipères que je pense. Je monte pourtant; j'ai perdu la trace du sentier mais je n'hésite pas à filer vers l'amont dans une sapinière, à la recherche du sentier des Canals. 

D'autres indices, la tronçonneuse



Fenêtre ouverte sur les Canals de Leca



Dans le creux à gauche, Col; de la Cirera

Là, émergeant de la sapinière, je crois reconnaître les lieux. ça y ressemble, une prairie douce, un bel arbre, je vois les prairies des Roquettes se profiler, le décor ne m'est pas inconnu, je cherche mais j'ai trop peu de certitudes pour me hasarder. Même avec le GPS puisque ce sentier n'est pas marqué.

Prairie de raisins d'ours

                                                                                   
Là ça me parle vraiment
Un air de déjà vu
J'entrevois les falaises des Canals




La forêt de fait discrète


Les rochers un peu moins

Les bâtiments miniers et gîte de Batère

Ma version de GPS cesse de fonctionner, je dois donc me fier à l'instinct. Une petite visite vers l'ouest sur un promontoire rocheux me montre une pense sévère, une esquisse de sentier (en fait c'était celui du Col d'en Cé), des maisons (celles près de mon parking), mais je ne suis sûre de rien, écrasée par le soleil.

Je suis à l'altitude 1575, et je décide, par sécurité, le demi tour. Je n'ai rien mangé, j'ai bu et je n'ai vraiment pas faim. Une autre esquisse de sentier part d'un joli hêtre , dans la pelouse, mais je le laisse à son destin. Je me lance dans la descente, je retrouve mes repères, puis j'hésite un peu, alors je décide de les oublier, j'ai assez usé ma patience à chercher des marques en montant! Je me jette donc dans la pente, cette fois sur l'autre rive de la crête et c'est une descente très amusante, très raide, glissante , enfin je m'y régale. 


Un sentier part d'ici, vaguement tracé


Je me lance dans la descente


Je fausse compagnie au sentier


Il y a sur ce versant le vallon d'un petit ruisseau qui coule tout en bas, sur le chemin, je vais donc voir s'il a de l'eau ici, à plus de 1300 m et j'ai la surprise de le voir sortir de sous la roche, tel une source. C'est une forêt enchantée. Je fais le plein d'eau et, finalement, comme un animal, je m'y vautre, ce qui est appréciable sous ce cagnard ! Je ne vais pas le suivre car ces dames orties squattent sa berge et je vais donc louvoyer dans la forêt car j'aime cette forêt, elle m'attire comme un aimant et j'y cherche quelque chose...qui pourrait ou devrait s'y trouver. J'y trouve des tas de places charbonnières, j'y trouve même une source ravissante, aussi incongrue qu'un champ de courgettes,  mais point de cabane charbonnière. Je les connais les cabanes, je sais leur facture mais ici, rien. Certains murets y ressemblent, mais rien de bien précis.


Le ruisseau


L'émergence du ruisseau



La source dans les racines de hêtre

Une belle et bonne eau limpide













La sapinière


Une des ses charbonnières


Mur de charbonnière

De toute façon je sais que je reviendrai. A l'automne.

Je louvoie entre sapins et hêtres, à vrai dire, je ne parviens pas à m'arracher à ce site. Je suis à jeun, j'ai fourni un effort considérable et je me nourris d'enchantement.

Enfin je regagne mon camion, la chaleur est écrasante, malgré les 950 m d'altitude. Et je me prépare un petit festin bien mérité. Que j'irai compléter au refuge de Batère. L'eau du ruisseau n'a pas suffi.

Bière locale

J'ai gagné mon pari, ou mon paradis, même si je n'ai pas trouvé parfaitement la sortie. L'arbre au point rouge garde donc toujours son secret....

Le périple (en partie) en image  :

En blanc la montée, en jaune la variante en descente


En chiffres

Distance : 7 km

Dénivelé : environ 650 m

Temps de marche : 3 h 08





vendredi 20 juin 2025

Piémont du Canigou : charmes de la forêt de hêtres


 Quand un chasseur me dit un jour "on a un sentier direct pour les Canals de Leca mais il est très raide", cela peut signifier deux choses. Soit le chasseur n'a pas envie de voir un quidam se balader sur "ses terres", soit cela grimpe effectivement très fort. Parce que, par définition, un sentier de chasseurs ignore la pente douce.

L'histoire se déroule au piémont du massif du Canigou, secteur minier de Batère, mines de fer abandonnées et une partie du bâtiment ( altitude 1470 m ) a été reconvertie en gîte et refuge sur le GRP Tour du Canigou / Tour du Vallespir.

(Les "Canals de Leca" est un site de falaises très escarpé, sur lequel le 23 mars 1938 un avion de l'aéropostale avec 8 personnes à bord s'est écrasé. Dans des conditions météo épouvantables.)


Les falaises des Canals de Leca (archives juin 2024)


Après une nuit sereine dans mon refuge personnel à 947 m d'altitude, je m'en vais tâter de ce sentier !

Le départ se fait au pont de la Ribereta, là où j'ai planté mon bivouac, sans aucune mention de sentier. Je le sais parce que je le connais. Comment ? Juste ma curiosité.

Départ

Le sentier encore visible




Ensuite, lecture du terrain



Le GR

Le GR













Il remonte la Ribereta sur sa rive droite, dans un fouillis végétal, alors que sur la rive opposée une ancienne piste autrefois balisée est un ...taudis végétal.

Au bout de 950 m je rencontre le GRP, superbe, que je remonte sur 500 m, entre rivière et forêt. Je lui fausse compagnie avant la traversée de la rivière et la poursuite vers Batère et je m'enfonce sur la rive, guidée par une flèche rose.


Après ce n'est qu'une histoire de points colorés. je n'ai jamais compris pourquoi les chasseurs utilisent une large palette de couleurs, partout. Fonds de pots de peinture de leur vie "civile" ? Il y a ici comme ailleurs du vert, du rose, de l'orange et du rouge. Mais si le sentier suit un court moment la rivière, voilà qu'il tourne sec, pleine pente et je mesure la véracité des propos de l'homme. Et moi qui voyais un sentier bucolique remontant le cours d'eau, envahi d'herbes et de fleurs comme celui que nous avions parcouru avec Nicolas dans notre balade aux Canals de Leca.






Corne de chevreuil


Un sol sec et propre


En guise de fleurs, c'est un sol sec, couvert de feuilles de hêtres, glissant, escarpé au possible, où j'ai du mal à grimper sans piolet, je me contente de suivre les points verts, pas faciles à trouver. Les photos ne rendent jamais la déclivité.


Mais que ça monte ! Et les pentes ça me connaît, en plus, j'aime. Le sentier n'en est pas un, mais une ligne droite qui longe une barre rocheuse .

La forêt est grandiose; les hêtres sont de belle taille bien qu'ils aient été exploités, des places charbonnières en témoignent, terrasses dans la pente. La forêt me fait un cadeau : un joli bois de chevreuil. Quelle chance. La rumeur du ruisseau monte à moi et ne me lâchera jamais, c'est un précieux repère.


Place charbonnière et son mur 

La hêtraie est bordée sans transition par une sapinière horrible, emplie de troncs enchevêtrés. Alors on ne risque pas de s'y égarer.




Je franchis la barre rocheuse en sa partie haute, petit col, qui bascule sur l'autre versant. Une pente immense, en couloir, plonge vers la rivière mais le sentier continue à s'élever. Je fatigue très fort, j'ai atteint l'étage où les rocs gisent sous les hêtres dans une vraie débâcle, comme murs écroulés et je perds le balisage. Impossible de le retrouver. Parce que j'en ai marre de m'user et que, suivant mon parcours sur la carte, les Canals de Leca, c'est pas la porte à côté.









Un des bâtiments de Batère


Alors à l'altitude 1336, je fais demi tour, la descente est coriace ! Un bain dans la rivière va me revigorer et je file à mon camion pour un après midi de farniente en me disant " jamais plus !".



L'histoire pourrait s'arrêter là mais...quand la curiosité s'en mêle...

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Cette forêt de hêtres est sublime. Et j'ai envie de la visiter, tranquillement, et différemment.

Ainsi au petit matin suivant, je suis à pied d'oeuvre après le 1.5 km d'approche et là, je grimpe un talus en oblique,  puis, utilisant des sentes animales, je vais parcourir la forêt en zigzags amples et reposants, d'une place charbonnière à une autre, d'un muret à l'autre, et la forêt me fera un autre cadeau : un unique cèpe, un peu déshydraté mais très parfumé.


Limite hêtres et sapins



Mur charbonnier



Vestige de charbonnière



Les charmes des hêtres

Ou être sous le charme









Mur de charbonnière



Le veilleur de pierre

Une plate forme charbonnière au sol noirci


Charbon de bois

Altitude 1336, le chaos rocheux est là on ne passe plus





Décidément on s'aime avec cette forêt ! Peu à peu je parviens à la zone des éparpillements rocheux et en consultant mon altimètre, je suis arrivée sans fatigue aucune à la même altitude que la veille : 1336 m.

Il me suffirait de faire une traversée latérale pour aller chercher le balisage perdu.

Mais pour quoi faire, Seigneur ? 

Redescendre tout droit dans la pente en mode chasseurs de Leca n'est pas un jeu d'enfant, cependant c'est sans encombre que je rentre au bercail, ravie de mon escapade.


Un jour peut être quand la forêt aura plein de couleurs et plein de cèpes, je reviendrai.

En chiffres

Total des deux randos : 9.5 km

Les trajets 

Jour 1, sentier des chasseurs


Jour 2, les charbonnières



Carte générale des lieux : 

En jaune le secteur d'investigations, en rouge le trajet depuis le bivouac. Blanc, le site de Batère