mardi 17 juin 2025

Cerdagne (66) : Eyne, le jour féérique d'après

 Eyne, petit village cerdan des Pyrénées Orientales, a vu en 1972 la création d' Eyne station de ski affiliée au domaine skiable Cambre d' Aze.

C'est du parking de la station, 1750 m, que je prends le départ à pied pour une rando inédite allant vers les crêtes- que je contemplais la veille depuis la vallée - par un "chemin noir", en pointillés sur la carte,  dont j'imagine ne trouver nulle trace.



Le paysage de la vallée d' Eyne tout en jaune

Le matin est resplendissant alors que je me trouve à la croisée de chemins bien verts, j'ai pris mes repères et j'y suis. C'est une jolie piste qui s'enfonce en forêt, dans la verdure et la lumière tamisée des grands sapins. Je ne loupe pas le départ du "chemin noir", même s'il n'en reste rien. Un étroit passage en creux, je devine un ancien chemin muletier de débardage. Il va être vite encombré d'arbres morts, signe qu'il "n'existe plus" dans la réalité.

Départ d' Eyne

Le chemin noir désaffecté













Juste à côté






Je vais donc le suivre un grand moment au GPS dans la pénombre et le silence de la forêt. J'adore. Soudain, m'approchant de la ligne de crêtes je rencontre une clôture sous laquelle je me glisse et là, premier regard aérien sur la vallée d' Eyne à ses débuts : quel dénivelé !

1 er contact  aérien avec la vallée

1er appel des crêtes













Je découvre avec surprise que ces crêtes dentées et crochues que je voyais la veille sont,  sur le terrain, une ligne herbeuse et douce donnant sur le vide brutal: ce sont les barres rocheuses en gradins qui donnent cet aspect d'arête déchiquetée, illusion d'optique parfaite depuis la vallée.

Vu d'en bas, la veille

Même chose, l'eau en plus














Je vais ensuite suivre la clôture, doublée d'un sentier pour son entretien, ce sera très facile, toujours dans une forêt épaisse, déserte et silencieuse. Les insectes bruissent dans les rais lumineux et les oiseaux rivalisent de gaîté. Le chant de l'Eyna tout en bas se faufile dans la pente, c'est grandiose.

Petite piste veloutée

Suivre la clôture



Dans l'air bleuté la valse des insectes
 et des graines


La clôture rencontre la piste de ski, puis une jolie piste toute en pelouse et genêts avant que de devenir le sentier humain des raquettistes et me voilà au débouché du chemin noir : le roc de las Fades (des fées), j'apprendrai son nom plus tard, merci Frédéric.

                                                                                     
La civilisation s'est invitée



Oh la belle vue! Plaine cerdane et ligne des hauts sommets


Ce roc, à 2063 m, est double, séparé par une petite plate forme emmurée, une ancienne pâture. Je me juche sur le roc et je contemple. Inutile de rêver à descendre, comme la veille inutile était de rêver à grimper là haut. C'est vraiment étonnant.

Pas carrossable la pente

Et ici non plus



Depuis le Roc de la Fades. 2063 m




Petite plate forme pastorale



Au zoom, la vallée d'Eyne



Même chose


La plate forme pastorale

 Mur pastoral sur les crêtes




Résultat d'épierrage sans doute


Il n'y a pas de cabane pastorale, le sentier raquettes finit brutalement, il doit, en hiver bifurquer vers la forêt et les pistes de ski., tout en haut. Je continue donc pour le fun et je parviens à un autre roc, rouge, se découpant sur les genêts d'or. Pour gagner le suivant il me faut traverser une mer de genêts par une sente peu évidente et je crains non plus les tiques qui m'ont dévorée à Py mais la vipère qui pourrait parfaire l'oeuvre des 94 morsures .

Prudence donc car je suis en short.


Déclivité

Contraste




Tout en bas la vallée



La montagne habillée d'or au parfum puissant

Et pourtant, cette sente peu lisible porte des traces de pas humains, récentes, grosses chaussures, il semble que cela ait été fort fréquenté. Mais bien sûr ! me dis je, c'est à l'évidence des "chasseurs de Molopospernum Peloponnesiacum", qui n'ont rien d'un molosse, ni venus du Péloponèse, mais les très recherchés "coscolls" catalans !

Qu'es aixo ?? Un végétal fort prisé des catalans qui peut vous expédier paraît-il au Paradis tant c'est bon et plein de vertus (je n'ai jamais voulu y goûter) mais aussi bien en Enfer si vous vous trompez de végétal et allez cueillir son presque sosie mortel, Aconitum Napellus. Le coscoll (couscouill) se récolte en juin et pousse à plus de 1000 m d'altitude, pour certains catalans c'est une vraie institution. Evidemment j'en vois quelques beaux exemplaires que je ne touche pas.

Les crêtes frontalières

Et me voilà arrivée sur un perchoir grandiose, à 2103 m, qui s'escalade un peu et offre une mini terrasse sur vide avec point de vue imprenable. Sans balustrade et très vertigineux ou du moins très exposé. Le regard portant loin vers la frontière, 30 m de vide en surplomb sous mes pieds, 350 m de dénivelé avec la Vallée d'Eyne, 150 m à gravir si je voulais arriver sur les cimes, mais c'est la descente sur la vallée qui me tente.


Décor, plan large



Depuis mon perchoir à 2103 m, une idée de la déclivité


Et je n'ai pas fait exprès de mettre du jaune ! Même mes chaussettes sont jaunes...mdr



Plongée vers la rivière



Le perchoir de mes rêves et les deux rives de la vallée


Je savoure longuement une immense paix, ce sentiment d'avoir pour un instant la montagne pour moi seule, l'envers du décor d'hier mais pas seulement, l'envers de la vie aussi.

les dentelles de roche que l'on voit d'en bas


La falaise où j'étais perchée et une idée de la plongée vers la vallée

C'est une longue langue de terre et rocs bien inclinée qui descend vers le torrent, un tapis velouté de vert amande et de jaune d'or, avec au final une forêt, un pierrier et la rivière enfin.

Le trajet pour aller en bas



J'étudie le parcours idyllique mais...et les "mais" sont multiples; je suis en short, c'est à proscrire. Au cas où la vipère... Mais également les tapis verts et or veloutés ne sont qu'horribles buissons vus de près , de près de 1 m de hauteur, infranchissables ou du moins éreintants, et pas à faire en short.

Pas facile de marcher là dedans


J'ai du en traverser une partie : pas rassurée quand même

Quant au pierrier, il indique gentiment, si on sait lire, que sans doute des barres rocheuses habitent sous les arbres.

Au zoom, les arbres du bord du torrent


Donc la sagesse veut qu'on reste en haut et qu'on étudie de près cartes et vues aériennes à la maison. Et bien m'en aura pris. Il y a bien des barres .Toutefois, un tracé assez aisé sur le côté permet la descente.

Je reviendrai.

Je me dore au soleil qui semble être le premier de l'été.

Bien sûr il n'y a personne et bien sûr cela me plait. Je scrute le défilé des chenilles processionnaires que sont les humains en bas sur le sentier, dont je faisais partie hier...quelle horreur me dis-je alors que la vallée était pourtant enchanteresse.



Cependant cet envers du décor m'était indispensable et a autant de valeur. C'est sublime.

C'est juste un apéritif pour de prochaines escapades estivales.

Je reprends sans hâte le chemin du retour, m'offrant la visite d'un tronçon de "la voie blanche" et enfin suivant la clôture d'un bout à l'autre qui va, surprise ! me ramener presque au parking. Et dire que j'ai navigué au GPS ! Oui mais...le charme désuet du "chemin noir ", n'est ce pas ? 



Forêt décimée



Retour par le sentier de la clôture



La forêt est décimée par la mortalité



Retour velouté


En chiffres :

Distance : 7.6 km

Dénivelé : environ 400  m

Temps de marche : 2 h 24


Le trajet (aller en  rouge et retour en jaune)




samedi 14 juin 2025

Cerdagne (66) : la vallée d'Eyne

 La vallée d' Eyne, classée Réserve Naturelle depuis 1993, est également appelée "vallée des fleurs".


 Plus de 800 espèces y ont été répertoriées et depuis le 17 eme siècle, elle est terrain de recherches des botanistes.

 C'est un fleuron du département des Pyrénées Orientales; il m'a été donné de la parcourir une fois en partie et dans le sens descendant, en 2016, parce que, revenant d'une randonnée à la Tour d' Eyne (2831 m), j'y étais parvenue au terme d'une descente merveilleuse dans la pente depuis les crêtes.

Cette fois j'ai décidé de renouer avec la civilisation après quelques épisodes printaniers plutôt hors sentier, et j'avoue être impatiente de revenir sur le droit chemin. Ce n'est pas une vaine expression car la vallée quasi rectiligne offre au fond de son profil en V une rivière bondissante (l' Eyna), un chemin ancien, le Cami de Nuria, Nuria étant un sanctuaire de l'autre côté de la frontière, oui la vallée d' Eyne se termine dans une cuvette surmontée de cimes de plus de 2700m, voire plus de 2800, avant de plonger côté espagnol.

Départ matinal, 1567 m

La vallée est longue et fréquentée, je n'imagine pas à quel point. C'est dimanche de Pentecôte en ce jour clair et ensoleillé, je quitte mon parking à 7 h35 du matin. A Eyne. 1567 m d'altitude. 

Le chemin va suivre la rivière : celle ci, longue de 11 km est affluent d'un autre torrent qui se jette dans le Sègre, fleuve catalan. L'ancien chemin de Nuria, sur le cadastre de 1827, passait en partie sur l'autre rive.

Je sais la vallée longue, et je sais aussi mon manque d'entraînement pour ...les sentiers humains !

Le départ est beau, chemin pavé, qui s'enfonce en forêt sur une longue distance; je ne reconnais pas les lieux, je comprends qu'à mon dernier passage il ne faisait pas partie du parcours. Un canal longe le chemin, en forêt, un peu au dessus, je l'entends et vais le saluer.


En forêt

Le canal rive gauche 
(il en est un autre rive droite)













Les chants d'oiseaux font vibrer les sous bois et percent le chant de l'eau mais les fleurs sont timides en sous bois. Les promeneurs ne sont pas légion et j'avance dans la paix du matin, à l'ombre. Dans le parfum des résineux. Je laisse filer un groupe, il me faut le calme et la solitude. J'ai rejoint la rivière, torrent blanc d'écume et bondissant, joyeux dans le matin saupoudré de nuages et de vent.


Je rencontre la rivière

Par les trouées de la forêt j'entrevois les crêtes rocheuses tourmentées, sur ma gauche, hérissées de crocs et tourelles. L'air mauvais. Je n'imagine pas me promener sur cette dentelle. Mais je la scrute.



Les pentes et leur dentelle de roche













Le chemin émerge de la forêt à plus de 2000 m d'altitude et l'ancienne vie pastorale esquisse ses ruines. Des cabanes ou orris, une jaça (pâture) , la Jaça dels anyells, avec son enclos et sa cabane en pierres, je traverserais bien la rivière pour aller voir mais je joue la discrétion, la présence humaine me gêne. 






Jaça dels Anyells


Et sa cabane de pierres toute ronde au pied des éboulis

Je n'ai aucun but, aucun sommet, aucun col, juste avancer et regarder. Le regard se perd sur le trajet de l'eau mais surtout sur les fleurs; la période de floraison n'est pas à son maximum, mais des tapis bleus, mauves, roses jaunes et blancs, de fleurs discrètes et lumineuses sont un vrai plaisir.



Ajoutons à cela le vert intense et les coussins jaune d'or des genêts purgatifs qui recouvrent les pentes de leur parfum âcre et capiteux, le tableau est dressé. Surmonté d'un ciel bleu et de rocs noirs ou rougeâtres. Au loin, les névés de haute altitude zèbrent les pentes . C'est simplement beau.

En fond la chaîne des Puigmal, Péric et autres hauts sommets

Les promeneurs s'intensifient, tous partis après moi et montant à grandes enjambées, même en courant. Rares sont ceux qui prennent le temps. Je commence à ressentir le stress que me procure "le monde" ; oui, il y a trop de monde. 

Heureusement la rivière est une partenaire de rando joyeuse, fraîche, omniprésente dans tous ses états, un vrai plaisir de la contempler.



Un des sites majeurs est cette cascade ; un petit sentier discret y conduit. Elle se jette des très haut, grandiose, superbe. C'est par elle que j'avais découvert en 2016 cette vallée: venant des cimes à travers pente, j'étais arrivée là dans un grand craquement de genêts, hors sentier, sous le regard médusé des badauds.

Mon arrivée là bas en 2016


La cascade aujourd'hui

Versant ouest la pente est raide et inhospitalière. Versant est, elle est moins rude, et je la connais, je me souviens de cette pente, des barres rocheuses et d'une cabane de pierres.

Photo 2016 pendant ma descente vers la vallée tout au fond


Et la cabane solitaire que j'avais rencontrée


Le décor accompagne mes sensations et, arrivée à la côte 2320 m, au Pla de Beguda, dépourvu de végétation, je n'ai plus envie de continuer, d'aborder la lourde pente terminale menant au col à 2683 m. Je suis fatiguée, jambes lourdes, le monde me lasse, le sentier me lasse. 

Le Pla de Beguda. 2300 m

Une des particularités de ces montagnes sont les "Aiguaneix" (l'eau qui naît), une série de sources dans les pentes, petits ou grands affluents des rivières. On trouve ces sources de part et d'autre de la frontière



Auguaneix














Alors ici, je fais peut être l'interdit, on est en Réserve Naturelle, et je file sur ma droite, je grimpe vers une cascade attirante, issue de névés. Il n'y a pas de sentier et cela me plait. Je suis "chez moi"! Je grimpe dans un site nu, escarpé, dans lequel coulent deux ruisseaux bondissant en une blanche écume et se rejoignant. Ils seront faciles à traverser, car étroits. Une horde d'isards m'observe sans crainte, des marmottes courent sur les pentes, on dirait qu'ils m'invitent chez eux. Je reste discrète, fondue au paysage, paisible. Admirative.



J'ai adoré ce décor













J'ai envie de me baigner, de patauger, de me poser, mais je n'ose pas. En bas je vois s'agiter la foule des marcheurs, ils sont dans la légalité. Moi pas. 


Vers le nord : les Péric 



Confluence de cascades







En bas le pla de Beguda





Finalement je cesse ma montée tout en haut de cette cascade.



Altitude 2450, 10 km, je vais entamer le retour. Aller plus haut ne me dérangerait pas puisque je suis loin des humains. Alors je choisis tranquillement de suivre le petit ruisseau dont la profonde vallée me dissimule. Mais tout a une fin. Le flot coloré de chapeaux et tee shirts est de retour, les rares salutations sont catalanes ou espagnoles, les autres sont de véritables robots dont  l'impolitesse est la plus flagrante des dotations.

Je croise finalement peu de monde, ils sont assis par troupeaux entiers broutant leur gamelle. Au premier troupeau j'ai la même angoisse que si c'était un troupeau de vaches. Mais ils sont si immobiles, si absents de leur environnement que finalement tout se passant bien, j'affronterai les troupeaux suivants avec un peu moins d'appréhension : et oui je deviens agoraphobe.

Restaurant d'altitude : on ne contemple que les gamelles.
Je passe à côté d'eux, personne ne me verra.

Je me concentre sur le paysage. 

La pente sur ma droite offre au regard quelques rondes cabanes de pierre nommées orris, attenantes parfois à un enclos pour bétail. Je sais que beaucoup plus haut, s'en trouve une autre que j'avais rencontrée en 2016 lors de ma descente sauvage. Mais ce que j'ignore encore c'est qu'un ancien chemin, doublant le "Cami de Nuria", à flanc de pente,  allait d'un orri à l'autre, chemin de bergers passant par la Font de l'Orri, la source indispensable, à l'écart de LA voie de communication, perdu aujourd'hui et qui me donne très fort envie depuis....oh on ne va pas recommencer quand même !

Heureusement je l'ignore et pour deux jours encore !


En bleu la rivière
En jaune le chemin actuel
En rouge, le chemin en 1827
En vert, le chemin passant dans la pente, desservant les pâtures, cabanes et la Font de l'Orry, (sources)


Chemin faisant, parmi les fleurs, je parviens, solitaire, à mon gîte sur roues, au terme d'une jolie, magnifique, "échappée florale".




Est ce la pleine saison, ou est elle déjà dépassée ? Ce n'est pas le moment optimal, c'est certain. Où sont les lys martagon et les rhododendrons ? 


En chiffres : 

Distance AR : 19 km

Dénivelé positif : 900 m

Temps de "promenade" : 5 h 54


La vallée d' Eyne, Pyrénées Orientales