vendredi 15 août 2025

Aragon (Esp) : Le Pic de Vallivierna, 3067 m

 La frontière entre val d' Aran (Catalogne) et l'Aragon est un fil ténu que nous traversons de nuit avec mon vieil (jeune) ami Didier dans la nuit noire. On prend la route du village d' Aneto, qui devient piste. Dans les phares du 4x4 de Didier et les miens, Max  le camion avale la route puis la piste dans un nuage de poussière, les reliefs de la piste sont nets comme toujours en pleine nuit et on arrive aux bâtiments ruinés d'El Campament où ce sera bivouac sous les étoiles "exactement" comme disait une vieille chanson...euh le soleil disait elle. Le soleil, ce sera demain pour Nina la chatte mais elle a trouvé le coin ne plus frais du camion. Je ne risque pas de lui piquer, un bébé n'y tiendrait pas.

Pic principal, 3062 m

Matin : on part en 4x4, pour les 2 km restants et ça commence par un exceptionnel tunnel datant des années 80, à cause de la construction du barrage de Llauset, lac naturel surélevé.  De là on part à pied pour ce qui n'était pas prévu à mon programme, et Didier m'a fait la surprise de m'offrir un 3000 facile. Facile ? alors je veux bien, car j'ai renoncé aux 3000.

Il s'agit du Pic de Vallivierna (3067 m) gravi pour la première fois en 1865, puis 2nde ascension en 1873 et, en hivernale, en 1880

Magnifique tunnel de 1 km

On quitte le parking, direction la remontée du lac, et la couleur du jour s'annonce : rose, bleue, rouge, mauve et j'en passe, les fleurs sont partout, l'eau aussi, et la roche bien sûr ! La balade sera colorée. Je ne le sais pas. J'ai retenu facile : 900 m de dénivelé. On finira à 1200 mais ce sera notre choix.

Le lac de Llauset, on est partis de l'extrémité tout au bout (parking)



Chemin dallé



Dans un jardin coloré



Reflets




Reflets : hormis les fleurs, tout est reflets (trompeurs) : le ciel bleu et les montagnes si nettes
qu'on ne dirait pas la surface d'un lac !





Chemin d'eau en surface

Chemin d'eau sur fond de rouille

C'est du sentier, c'est des retrouvailles entre deux passionnés bavards. On s'est connus sur un 3000 en 2018, on a refait ensemble des sorties d'exception pour moi, car il est un montagnard chevronné qui en a vu d'autres, et n'a pas fini...Ces retrouvailles non programmées sont un régal.


Le sentier est beau, facile, on quitte les fleurs, on gagne roches et couleurs, puis désert minéral . Je fatigue, n'ai pas l'impression que ça monte, mais un regard dans le rétro nie cette sensation, j'ai hâte d'arriver à ce qui me défatigue : le roc !


De fantastiques couleurs



De belles glissades aussi




Montée vers le col



Vue vers l'est , les Besiberri et autres hauts sommets

D'abord le col et la vue sur l'autre versant, et les lointains....c'est nu, c'est ocre et pâle, c'est à perte de vue, tout sauf du vert. Les pistes de la station de Cerler, à 7 km. Et le meilleur qui reste à venir. Déjà je sens pousser mes ailes et Didier me pousse à prendre la tête de convoi. ça monte, je ne le sens pas. Je n'ai aucun entraînement, nous franchissons les 2900 et "je suis chez moi" ! Le caillou, les dévers, les vides, les "à perte de vue", c'est mon monde. J'ai 20 ans de moins, j'ai 20 kg de moins...



Le col se profile : Col de Llauset 2869 m


La montée est assez rude ce que ne montre pas la photo



Le site vu d'en haut avec les coulées de rocs ayant glissé avec la neige
L'unique névé du jour à plus de 2600 m


Cela crée de curieux ravins




Vue vers l'ouest,  depuis le col

Didier : cinq ans que nous ne nous sommes vus. C'était hier semble t'il. Depuis il y a eu la pandémie, mes trois covid, les soucis dus à ma mère, d'autres mauvais moments que j'ai surmontés, moins de montagne, moins d'altitude, un 3000 presque chaque année, en solo ou avec Ludo, la barre des 70 ans largement dépassée, une vie, ça vous marque. seule la montagne ne change pas, même si elle prend des rides, les rochers qui glissent, les glaciers qui fondent, les rocs qui s'effondrent. 

J'ai "20 ans de moins", j'ai 5 ans de plus, j'ai...la forme malgré tout.

Après le col, on bascule en versant ouest : des pavots de montagne jalonnent le sol, on en voit rarement. Le sentier serpente un petit moment en dévers avant que de faire un sec virage à droite et c'est parti pour le voyage en roche, bâtons dans le sac.

Pavot des montagnes

Au dessous de nous, la vallée de Vallivierna, suivie par le GR 11, qui relie l' Atlantique à la Méditerranée, à travers les Pyrénées, mais côté espagnol, à l'inverse du GR 10 côté français. Ici, 1400 m  au-dessus se trouve le prestigieux massif de la Maladetta avec l' Aneto, 3404 m.

Vall ou Canal de Vallivierna, issue des environs de Benasque


Et là commence le "vrai" parcours : un couple catalano / italien avec un vaillant petit chien, font route avec nous. 
Enfin !  Je peux empoigner la roche avec les mains; elle est pâle, c'est du calcaire, elle est solide, elle est rêche, sans doute a t'elle une odeur... Ludo qualifierait ce relief sans pic, sans aspect grandiose, sans visage escarpé, de "bouse molle". Et bien la bouse me va, je la pétris, la malaxe, j'essaie de suivre au plus près sa ligne de crête et les 3000 sont là sur mon GPS, tout me va. Couleur, mollesse, vue éblouissante, complicité avec Didier, jeunesse retrouvée, je peux mourir ! Euh attendons quand même, il y a Nina en bas !! Face à nous le massif de la Maladetta et ses prestigieux sommets (Aneto etc...) sont le faire valoir direct de cette "bouse molle", les Vallivierna. Pourquoi les ? 


Sur fond d' Aneto & Cie


Une idée de la grimpe

                                                                                                                        
Le pas le plus difficile, un bon II sup
La montée et son décor



L'écrin du Massif, en fond. Premier plan, l'arête



Au pied du massif
Au coeur du massif

                                                                                   

 Pourquoi les  Vallivierna ? 

En fait, ils sont deux, séparés par une longue arête que tout le monde ne franchit pas car il y a "el paso del caballo", source de difficultés, de cotation du parcours, et de coup d'arrêt pour certains.

Un paso del caballo est un fil d'arête (20 m ici), effilé, ouvrant sur un vide immense de part et d'autre. Les téméraires le passent debout, sur le fil (Didier autrefois). Les semi téméraires, le passent sur une face en progression latérale (moi), les moins le passent...à cheval !

El paso

Vu de loin : 

Le "paso del caballo"

Un humain en train de le franchir latéralement 
sur la face la plus exposée au vide













Je le passe sans difficulté, faisant fi des 100 ou 200 m de vide. Il ne faut surtout pas s'arrêter, ce que je fais, car on prend conscience du vide et le petit pincement anxieux s'invite au voyage. Mais je le chasse ! Et c'est derrière moi; je précise qu'il y a un contournement.

Ensuite c'est le sommet, le vrai. Beaucoup de personnes arrivent en sens inverse, ce qui permet l'évitement du Paso. 

Joie au sommet : l'italienne


Une partie de l'arête parcourue


Nous deux et le petit chien des voisins; derrière nous l'arête à parcourir

On ea fait connaissance d'un couple de catalans, très sympathiques et atypiques, ainsi on recevra au sommet une leçon de prises de vue par cet ancien étudiant en image aujourd'hui reconverti. Un moment de grâce non pour l'image mais pour leur charisme ! Même le petit chien nous a adoptés !

Merci Jordi pour ce panorama avec la Maladetta

Ensuite après une collation au sommet et surtout un émerveillement pour les prestigieux voisins d'en face au dessus d'une vallée, les Aneto, Russel, Tempêtes, Coronas, Maudits et autres, où Didier me montre ses insensés périples, nous entamons le retour en boucle. C'est long ? je m'en fiche...C'est pierreux? Et alors ? Escarpé ? Pas de problème, je suis "chez moi". Et à Didier ça lui va. Alors commence le vrai délire / délice. Mon âge s'est enfui, ma vitalité est intacte, ma fantaisie aussi et on dévale : ils sont là, en chapelets , en massifs, en tas, en fleuves, en barrières, en tailles S ou XXXl, les rocs !! C'est du beau granite pâle . Ainsi on dévalera près de 2 km épiques et sportifs en lecture de paysage, en désescalades musclées, en re grimpettes casse pattes, jusqu'au lac en dessous du refuge. Bien sûr c'est un chemin inédit, sans cairn, au flair uniquement. Ce qu'on aime évidemment !

La descente en images: 


Arête descendante

Après le sommet




Isard des 3000
Que dalles !




Vers la chaîne des Bessiberi



Barrage du Llauset , 900 m en contrebas



Le coeur des pierriers

Une trace de neige



Et on va descendre là dedans, grimper, descendre, louvoyer jusque loin...et profond...



C'est parti pour le voyage

On s'offre un couloir: descente puis remontée, la dalle finale était trop escarpée, sans assurage (pour moi). Je voulais tenter mais ce n'eut pas été prudent. Didier me l'interdit. Il a raison même si je râle un peu.











Le couloir descendu : la dalle paraît facile
mais la photo écrase la pente, elle était très
inclinée


Descente on the "rocs"

On est bien surveillés

A présent, ce sera nouveauté : descente tout droit dans la pente de gispet et de myrtilles savoureuses, que c'est doux aux pieds ! Et bon au goût, mais les myrtilles c'est insupportable à récolter.


Promesse de l'arrivée (presque)
Estany de Botornas

Et ça va descendre : gispet et myrtilles



Etang de Botornas



Alors au bout de cette descente on retrouve l'autoroute! Le GR 11. Qui va nous conduire au Llauset. On retrouve les couleurs vives, l'eau; les fleurs, ce par quoi on a commencé.

Llauset en linaigrettes (2200 m)



Rivière de sang venue dels Estanyes (2400m)



Pic de Llauset, 2904 m














Là je sens qu'une pause s'imposerait mais...Nina est esseulée, isolée, le soleil s'est retiré, voilé, mais comme à tous les retours, Nina a ma priorité. A la montée je ne peux pas me presser, mais en descente oui. On file sur l'autoroute du GR; je ne suis pas particulièrement fatiguée malgré le hors sentier, le relief ingrat et le manque d'entraînement en montagne. Je mesure ma chance, avoir une bonne santé.

Oh, la Nina, elle est tranquille, comme toujours. Presque elle nous accuserait de la déranger. Ah ces chats...

 Didier file le premier, retenir une table pour boisson fraîche à Vielha. Max avale la piste plus cool que hier dans la nuit, la route, le long tunnel de plus de 5 km et voici enfin Vielha où une soirée conviviale nous attend, on l'a bien méritée : moi pour le 3000 et Didier pour m'avoir accompagnée .


La piste est très belle, le décor aussi

Combien de fois dirai-je encore  : "Merci à toi Didier" pour ces instants plus sacrés que les vaches indiennes !

Mimétisme ? Non Nina regarde le troupeau
 qui nous cerne
En chiffres: 

 Dénivelé positif cumulé, environ 1200 m 
Trajet très rocheux et escarpé, en majorité hors sentier
Distance : 13.7 km


Le trajet : 


En blanc la piste, en jaune le bivouac, en rouge le trajet