lundi 14 juillet 2025

Aude, (la Pierrelys) : l'ancêtre de la route

 En 1781, l'Abbé Armand avait gagné son pari, la route entre Saint Martin Lys et Belvianes était enfin totalement ouverte (percement du Trou du Curé) et le chemin qui avait permis jusque là, à travers les falaises, de relier les villages, fut désaffecté. 

Ce chemin serpentait entre les falaises de la rive gauche du fleuve Aude, au-dessus de la route actuelle, jusqu'à frôler la rivière pour mieux remonter ensuite sur Belvianes, haut perché. 


Le site dans lequel je "randonne", enfin, je cherche plutôt


Ce chemin court dans la partie droite de la photo

A noter que cette route, la D 117 est l'axe Perpignan Quillan.

Il manquait à mes "explorations" un tronçon essentiel, porté sur les anciens plans et cartes, un improbable tronçon, vu le relief et l'érosion, voire les éboulements de ce terrain très vertical. Y loger un chemin fut exploit, le conserver au bout des siècles, une gageure.

Essayer de le retrouver, une folie.


Oui il est dans mon dos ce chemin et le brin de folie
 me suit partout !

Ce tracé me mobilise par vagues depuis trois ans. Depuis qu'un document extrait du riche site d' Eric Teulière (clic), a attiré mon attention.

Sur cet extrait on voit un chemin descendre en lacets près de Gourg Bouillidou, une ancienne résurgence bien cachée dans le Défilé de Pierrelys . Inutile de dire qu'il ne reste nulle trace sur le terrain, que j'ai essayé de remonter un couloir instable au possible et abandonné. La carte d'Etat Major est très explicite, mais le terrain très hostile. Bref j'avais renoncé à jamais.


Et je reçus un plan, envoyé par Eric, ce qui ranima la machine. L'évidence s'imposa, devant une vue aérienne des années 60 où le chemin était encore visible. J'entamai un travail de recherche sur écran, le plus précis possible et filai sur site, 80 km.



Photo années 60

                                                            ---------------------------------------------

                               

Depuis l' Abbé Armand, le départ a bien changé. La ligne de chemin de fer, désaffectée elle aussi, vit le jour en toute fin du 19 eme; pour ce faire, on détourna l' Aude, on changea la route de place et entre elles deux, se logea la voie.

Les cicatrices sont refermées, une végétation impénétrable recouvre le départ du sentier, ce sera donc en mode sanglier débroussailleur que je vais essayer de trouver.  Je profite du tracé d'une ligne électrique pour rallier le site, c'est un parcours épuisant.  Mon travail de préparation porte ses fruits quant au repérage, le GPS ajoute de la précision mais le chemin n'étant pas sur les cartes, il n'a qu'un petit rôle, ainsi il m'invite juste à perdre de l'altitude. 

J'utilise la ligne électrique

Puis de l'herbe jusqu'au ventre, je rame



Quelle surprise, une source !


Et soudain, dans l'enchevêtrement végétal, je rencontre un ruban lisse bordé d'un mur ! le chemin....je crois rêver...


Bordé d'un mur pendant un moment, le chemin ! 

Le chemin est relativement propre et a été entretenu voilà quelques années. Immédiatement il évoque le chemin de Barbaillexa, à Py (66). Et c'est parti pour un voyage hors du temps, sous le couvert végétal. En suivant les replis de terrain, traversant des ravins, esquivant des falaises ou traversant des barres rocheuses, ce somptueux chemin, somme colossale de travail en ces siècles anciens,  va m'offrir 2.04 km au lieu des 790 m de la route.

Petit col



La falaise à gauche a été tranchée
















Il devait être assez large autrefois

Dans la falaise














La route, elle est omniprésente en dessous de moi, presque à la verticale. J'entends la circulation qui rivalise avec le cours torrentueux de l' Aude au niveau vacarme. Moi, toute petite dans ce décor figé et rébarbatif, j'écoute les rossignols et je veille avant tout à ce que pas le moindre caillou ne roule sous mes pieds : atterrissage immédiat sur un pare brise ! Ce sera l'unique stress du jour. Certes moi aussi je peux dévaler mais les passages délicats sont rares.

(Deux jours après, avec un ami, Eric P, nous irons parcourir le chemin des bûchreons sur la rive opposée et je pourrai ainsi mieux visualiser le site.)

Le chemin passe juste au-dessus




Il surplombe ces "dents de scie" (vues d'en face)













Même chose en plan large (vue de la rive opposée)



Et vue prise d'en haut
Un petit coup de zoom


La route et l' Aude

Mon sac est équipé de cordes, cisailles et sécateurs, lampe et même un substitut de piolet ! La cisaille sera parfois au travail.

Ce chemin désaffecté depuis 250 ans, de combien est il vieux ? Je ne le saurai jamais. Il doit sa conservation à l'électricité qui a utilisé son assise pour installer une ligne, il y a quelques décennies, (années 60 ?) et pour l'entretien de cette ligne aujourd'hui mise à terre. Donc l'élagage n'est plus assuré. Eric et moi nous allons y remédier.

Ligne électrique


Au niveau morphologie, les virages à angle droit sont larges, avec plate forme et il y a seulement trois murs de soutien très hauts, là où il a fallu construire sur le vide. Un ou deux passages taillés dans le roc sont larges et confortables, le chemin devait avoir une bonne assiette.

Un des virages


Un des 3 murs bâtis sur le vide

Partout, de la roche calcaire : en tas, en éboulis, en barres, en falaises, montant parfois au ciel. Le chemin les franchit ou les contourne en douceur. Les ravins ne sont pas devenus obstacles malgré le côté effarant des deux derniers et finalement le chemin est peu dégradé. Un coup de balai, à condition de fermer la route, et ce serait reparti !

Des rochers partout


Ravin


Le même vu depuis la rive opposée

Une branche d'un ravin





Passage approximatif du chemin


Ravin

Ravin














Je réfléchis sur mon perchoir, dos au vide


Je me repais du bonheur de ma trouvaille, du calme des lieux et surtout de savoir que tant de gens, voyageurs ou pas, ont marché dans ce décor aujourd'hui englouti dans la végétation. Les points de vue, rares, sont remarquables, les à pic, vertigineux, et les falaises d'en face ne sont plus des inconnues puisque j'y ai laissé mon empreinte.


Au dessus de moi

Rive droite




Rive droite, en face


Rive gauche

Rive droite (Murailles du Diable)














Vue sur la vallée direction Quillan


Quand la ligne électrique disparaît d'un coup (il me faudra savoir où elle est allée; deux jours après je le sais)), le chemin devient plus chaotique et sauvage. Un sérieux nettoyage s'imposera!

Des allures de jungle

Si je ne finis pas le parcours, c'est pour raison de sécurité : le chemin bute sur une falaise et descend alors un couloir par de classiques lacets. Sauf qu'au 3 eme, le terrain a glissé et que pour continuer je vais expédier des rocs sur la route; déjà trois me faussent compagnie et je me fige, attendant le choc. Avec une précaution de Sioux, je quitte le lieu et refais le chemin à l'envers, ce qui va avoir un inestimable avantage : je sais maintenant le départ qui n'est autre que celui porté l' ancienne carte postale (voir plus loin). Absolument invisible de nos jours.

Deux jours après, depuis la rive opposée, je pourrai visualiser ce final, très escarpé; il eut effectivement été dangereux de s'y aventurer, la route étant juste au dessous, sans protection aucune.

En pointillés la partie que j'ai laissée à la postérité

Le sentiment qui m'habite est celui du travail fini, de l'aboutissement, ce qui peut s'assimiler à de la plénitude.

Je reviendrai avec Eric, l'enfant du coin, devenu grand et passionné. Ensemble nous remonterons une dérivation qui conduit aux rocs de Brouyère que je connais. dans cette grand pente s'étagent d'anciennes parcelles. Seuls quelques murs m'ont fait un clin d'oeil, un sentier semble se faufiler et un abri sous roche m'a montré son antre. 

Le chemin que j'ai exploré venait de st Martin Lys, mais une branche adjacente , à retrouver descendait de Quirbajou.

Le chemin que j'ai exploré finissait sa course martinlyssoise sur la route, là où j'ai stoppé, au Gourg Bouillidou, mais continuait en direction de Belvianes . Cette suite du chemin, je l'ai retrouvée aussi, bien moins facilement. Aux confins des deux communes le chemin prenait un envol aérien dans les falaises, avant le trou du Curé (voir carte ci dessous) il est et restera introuvable car la falaise a été détruite pour la construction de la route : bref tronçon à jamais perdu.

Côté St Martin Lys, le départ du chemin au dessus du tunnel routier (ancien sentier)
Plus rien de ces éléments ne subsiste sinon les deux tunnels  (à gauche celui que
nous empruntons en voiture)

Je suis émerveillée de voir comment cet obstacle si difficile fut franchi, mais aussi je suis heureuse de lui avoir redonné vie l'espace d'un instant, avant que le linceul de l'oubli ne retombe sur lui, sauf si...un farfelu, un jour...


Le trajet du jour (4.2 km AR)



La totalité du chemin entre St Martin Lys et Belvianes : 

En pointillés rouges la partie que j'ai retrouvée et parcourue
En bleu, la partie inaccessible et manquante car les travaux de la route l'ont détruite





dimanche 6 juillet 2025

Ariège : Soulcem, vallon et étang du Riufret

Lac du Soulcem et vallée du Riufret (droite)

 Le Soulcem, en Ariège est un lac de barrage de vastes proportions, construit dans les années 80. On y accède par Tarascon, Vicdessos, Auzat et, ensuite, une petite route de 13 km  conduit au Pla de Soulcem, après le barrage, vallée glaciaire au fond plat, vouée depuis toujours au pastoralisme et ouvrant par des cols, sur l' Andorre et l' Espagne, à plus de 2500 m d'altitude. Soulcem est le point de départ de belles et solides randonnées, en Ariège la déclivité est ardue.

Le Riufret, torrent d'altitude descend du Col du Riufret, à plus de 2900 m, qui ouvre sur les 3000 environnants dont le Montcalm et la pique d'Estats.

La vallée du Riufret


Inutile de dire que les paysages y sont grandioses et qu'on les admire d'autant que l'effort fourni est important.

Cet accès au Montcalm (3077 m) est sans conteste le plus ardu d' Ariège, la voie normale étant par le refuge du Pinet, avec escale nocturne. 

Ce vallon du Riufret est à présent doté d'un sentier balisé car il s'y tient en aout différents challenges allant jusqu'aux plus de 100 km, dont la Pic à Pica (109 km, 11500 D+).

Grimper les 809 m de ce vallon en une pente soutenue est déjà un exploit sportif!

Une partie du vallon, il monte encore plus haut

Il y a deux ans, j'étais partie pour monter jusqu'au niveau de l'étang et j'avais finalement atteint les 3077 m du Montcalm.

Cette année, je veux juste aller saluer l'étang. Quand on monte cette pharamineuse pente, on se dit "c'est la première et la dernière fois". Me l'étais je dit ? 

Autrefois c'était un lieu d'estives, on y trouve des ruines de cabanes pastorales, mais le sentier était tombé en désuétude. Remis au goût du jour par les sportifs, c'est un site magnifique et bien tracé quoique extrêmement escarpé du style "on monte le nez dans le guidon et le guidon dans les fleurs".

D'abord, depuis le vaste parking où gisent pêle mêle tentes, voitures, vans et camping cars, le sentier descend et longe le lac. Il est peu prisé, on le comprend.

Je traverse une paire de ruisseaux dont le Riufret avec de l'eau aux genoux et un câble pour se sécuriser. Et , brusquement, la montée s'annonce, 809 m de dénivelé à 33 % de pente moyenne, c'est peu dire !

Départ au petit matin



Le 1 er ruisseau

Le Riufret


Ses cascades



Le spectacle, car c'en est un est partout sauf droit devant, hormis la partie escalade d'une falaise où il faut poser les mains. Devant c'est une pente verte, très très pentue dont on ne voit jamais la fin.

Mais c'est plus haut que le haut  !

Le sentier est logé entre deux crêtes de montagnes, à gauche  la Serre Pleinière avec le pic de la Madelon que j'aimerais bien saluer un jour, à droite l'arête déchiquetée du Madron et, dans le dos, le must du spectacle, la pente qu'on a déjà entamée et le barrage devenu une symphonie de bleus au fur et à mesure que l'ombre recule et que le soleil y darde ses rayons.


Une idée de la déclivité

Même chose, du 35 %


Il fait très chaud ce jour, la canicule qui n'a plus rien d'exceptionnel, s'essaie férocement à la randonnée en montagne. Tout resplendit : les ruisseaux, les fleurs, l'herbe grasse et verte, ma sueur dans les yeux,  et je monte...les rochers font le gros dos au soleil, le torrent se jette en vacarme dans ce dénivelé fait de cascades, peu visible mais si on se penche, quel spectacle !





Pour le torrent aussi c'est déclivité


Le haut se rapproche


Reflet sur le Soulcem et Pic de la Madelon


Le Soulcem en bas


Symphonie de bleus


Oui la montée du Riufret est spectaculaire, comme l'effort fourni. Je monte lentement mais sûrement, courts et fréquents arrêts pour reprendre souffle et contempler. 

Rhododendrons, fleur de saison


Lorsque le sentier longe la falaise sur la droite, le balisage a été soigneusement refait, gardant ses multiples couleurs d'origine. Au moins la descente dans la brume y serait plus confortable qu'il y a deux ans.


Harmonies de teintes 


La fin se profile , la pente s'adoucit à 2410 m et le paysage minéral et ocre se dessine, c'est le royaume d'un ancien glacier disparu qui a laissé ses graphismes et sculptures sur la roche, je me plais à imaginer sa forme et son mouvement, sa reptation dirais-je.


Le décor vers les Canalbonne et la Pique d'Estats


Vestiges morainiques


Lissé par le glacier, tel un serpent  de roche


Détails

Direction  l'étang, tout en bas, qui est la dernière trace de ce glacier disparu.

Ce sera tout droit dans l'ancien chemin de glace

Un très bel étang aux eaux de cristal bleu, où se baignent les névés plus réduits qu'il y a deux ans et où se mirent les sommets. Je vais donc suivre le trajet du serpent de glace pour descendre rejoindre les 2350 m de la surface de l'eau. Bien sûr je ne résisterai pas à la baignade rapide, c'est glacé. Le lac est paisible, partagé entre couleurs rouge et bleue, selon les reflets de la roche ou du ciel. N'oublions pas le blanc des névés et on a les couleurs de la France qui éclatent en surface.


Altitude 2350


Les couleurs du Riufret

C'est un étang enchâssé au fond d'une cuvette, il est impossible d'en faire le tour à cause des falaises. Je reste perchée sur mon rocher et mon petit carré d'éponge ravit les insectes qui s'y étalent comme sur une plage. Je sauve de la noyade quelques buveurs d'eau trop goulus et je profite du calme, de la solitude, de l'isolement de ce lac à l'écart du sentier et presque invisible. J'ai tout ça pour moi et presque le silence car l'eau se fait discrète avant ses 800 m de chute.

                                                                                         

Le torrent va s'échapper de l'étang
Ce nageur qui est venu par curiosité
est un morceau de névé














Cette salle de restaurant déserte a son charme mais l'inaction ne me va pas et je reprends la route. Je remonte jusqu'au sentier en faisant un peu de tourisme et en saluant à haute voix un défunt .

Inconnu souriant. J'ai rencontré
3 vivants et un défunt

Et puis c'est parti pour les 809 m D-, plus rapides qu'à la montée je ne m'essouffle pas, le pas est rapide mais prudent car c'est instable. Une descente heureuse, le point de vue est omniprésent sous le regard émerveillé; je ne me lasse ni des couleurs, ni des reliefs.  Et toujours le désert humain .                                   

Plongée vers l'aval

Le Riufret vers l'amont



Et le beau décor d'en bas


Je crois savoir déjà que je reviendrai me colleter à ce relief. Il y a du Canalbonne à tout va, Pics, Port (col) et étang, ma préférence. L'autre, l'inconnu, car ils sont deux, les Canalbonne : quel est le meilleur ? Je connais l'un, pas l'autre. Mes jambes ne sont plus assez solides pour du solide mais assez vaillantes pour du liquide...comme à mes débuts, voilà 19 ans.

                                            -----------------------------------------------------

Souvenirs d'ici: en un clic

Le Montcalm par le Riufret (Juillet 2023)

Le coeur battant du Riufret 5juillet 2023, la remontée d'un tronçon du torrent)

                                            
En chiffres
Dénivelé positif cumulé : 1000 m
Distance  aller retour : 10.5 km
Temps de marche : 4 h 43

Le trajet (aller retour)