dimanche 25 novembre 2018

2040 m : El Taga, un sommet catalan

Préambule : Comme j'ai été invitée à modifier ce texte, je mets en pointillés tout ce que j'ai coupé et je livre donc la version épurée, ce qui ne change rien aux images et à la belle randonnée que j'ai vécue.
Je retournerai au Taga en solo et en été, c'est un sommet captivant.

                                           ................................................................

Un sommet catalan et une rando en mode catalan.
J'avais beaucoup entendu parler du Taga, un sommet mythique sur lequel je ne m'étais pas "penchée", façon de parler, plutôt fascinée par ses voisins d'en face, ceux que j'ai fréquentés, Puigmal, Pic d' Eyne, Neufonts, Pics de la Vaca et même d'Enfer. Je n'ai pas encore à mon compteur le Torreneules ni le Ballandrau, ni d'autres, moins connus. Même pas le Finestrelles que j'ai frôlé.
Mais le Taga ne m'avait pas appelée.

Le Taga : 2040 m

En ce jeudi 22 novembre, quand je rejoins Ana à Ribes de Freser (137 km de la maison) je ne sais pas ce qui m'attend. Il est 11 h 30 et connaissant les habitudes autant Catalanes qu'Espagnoles j'ai pris soin de prendre un solide en cas à 9 h 30. Bien m'en prit !

Ana et ses chiens me rejoignent et voilà qu'elle me dit "On part au Taga, 4 km, 1000 m de dénivelé, 3 h de marche". Stupéfaction française face aux (............) souhaits catalans !
Je ne suis pas au bout de mes surprises, moi qui imaginais après midi farniente, conversations, repas ......
Pas avec Ana, ça ne marche pas; avec Ana on marche. Ana est une grande sportive.
Vite vite on se prépare et on démarre à midi et demie passée. (..........)
(...............)  Ana balaye mes habitudes et certitudes : on démarre à l'heure où j'ai l'habitude de négocier mon retour de rando. Oui je sais , j'ai lu des blogs, ils sont capables de partir faire des 3000 m en démarrant à point d'heure. Et de revenir à la frontale; mais ça je sais pas faire !
On démarre, elle le mini sac vide, moi, avec plein d'affaires, comme d'hab'. Altitude 932 m.
(...............). Ana, je le précise, a un genou en "confiture",  et randonne (pour le mo..........ment)"en muletas" soit en béquilles ! Ana est dure, très dure, pour elle même(...)

Ana et ses chiens
En forêt : on évite la piste, le sentier la coupe en tout droit bien ardu
 Alors, (............)  j'écoute le silence des bois, je respire leur parfum glacé. Les chiens nous accompagnent, Gina au plus près , la blonde qui minaude pour la photo et le dur Blacky, cassé de partout, merveilleux chien aussi dur, libre et indépendant que sa maîtresse.




On marche, l'horizon se dégage des bois, les buis exhalent leur parfum et le décor des Puigmal, Torreneules et Ballandrau est un bijou. Le Taga ? Il demeure invisible.




Nous voilà à la neige. Couche fine, altitude 1740 m. Des nuées rampent tandis qu'on aborde une rude rampe, celle qui va nous conduire au sommet.




Vaillante, Ana pousse sur ses béquilles, et moi je ne souffle ni ne m'étouffe. (..........). Les brumes se densifient, se transforment en épais brouillard, du coton, de la ouate qui filtre ou cache le soleil, lumière blonde, lumière blanche.

Vers l'invisible sommet







Pardines, au fond de la vallée



Le Puigmal en pointillés
 Les derniers arbres sont fantômes; le vent froid, glacé, s'est levé, il a soulevé des congères et c'est dans un univers blême, vivifiant, glacé et fantasmagorique que se devine l'immense croix sommitale peinte en jaune en hommage aux prisonniers politiques.

Brouillard et (presque) blizzard



2040 m


Les 3 h prévues sont tenues à la minute près. Du paysage à 360° je ne verrai que quelques mètres diffus. Ana enrage de cette brume, c'est si beau dit-elle. Raison de plus pour revenir...un matin ! (...........).

Soudain un coin de ciel bleu
Pourtant quelle félicité cette expérience que je n'eusse jamais tentée seule : quelle magie de l'instant.
Et quelle admiration pour cette femme qui, il y a peu, se déplaçait fort mal, et vient d'accomplir son premier 1000 m D+, sans faiblir.
Faut pas s'attarder dit Ana, on va rentrer de nuit ...et on n'a pas d'éclairage. Oh elle a l'habitude, mais cette fois elle a oublié la lumière et comme moi, plus que jamais "je ne l'ai pas à tous les étages", je ne serai d'aucun secours, mais il y a les chiens, infaillibles pisteurs, habitués à ce personnage hors du commun.. Et puis il y a la piste forestière qu'on a évitée à la montée et qu'on suivra à la descente.

Alors on descend.







 Pour Ana c'est plus difficile que la montée; sa jambe proteste, (...).. On descend. Le ciel se déchire et devient magique de lumière. Plus rapide, je m'attarde pour saisir lumières, teintes, toute une palette que j'engrange faute de pouvoir la traduire.




Les ombres se font longues, les teintes se font chaudes, alors que l'air se glace et que la neige durcit sous le gel.


Village de Bruguera au fond





Montserrat, frange de dentelle, très loin

Nos ombres sur un pin

Les chiens tracent notre route, le ciel s'embrase d'or, les sommets de cuivre, les lointains de mauve,  puis tout s'éteint alors que la lune presque ronde et étonnée surgit des pins.

Ballandrau 2585 m

Puigmal 2910 m

Torreneules : 2737 & 2712 m


 Nous on entre dans l'ombre noire des sous bois. Pas de lampe, pas de frontale, on descend, je passe en tête pour préserver les béquilles et leur pilote, les chiens sont nos yeux . On rencontre les vaches pas vraiment bonasses, on ne sait si on marche dans la glaise ou la bouse, ce qui est sûr c'est qu'on s'est trompées de piste ce qui va nous rallonger et enfin brillent les lumières de la ville tout en bas. La lune crée des décors et des couleurs et des velours que l'appareil photo n'a pas le temps de saisir, on va plus vite que lui.





Ribes de Freser, un sommet enneigé et un ciel moucheté d'étoiles


Nous arrivons à nos camions dans le froid, la nuit et je bénis Ana de m'avoir permis ce dépaysement . Le Taga n'y est pour rien, mais commencer par lui n'est pas une pénitence même si c'est le fruit du hasard. Et de la rencontre avec une femme des moins ordinaires qui soit (.....)

En chiffres
Dénivelé : 1108 m
Temps de marche : 6 h AR
Distance : env 10 km AR




lundi 12 novembre 2018

Un coeur en plein ciel

Un petit coeur en plein ciel, cela se mérite.
Fut-il de pierre et de ciel bleu.
Cela se conquiert posément, lentement, en douceur.
Avec délicatesse.
Alors j'ai laissé le temps, pour ce faire.
Je l'ai rencontré au printemps, j'ai essayé de l'aborder en automne. Trop brusquement.
Il m'a dit "non, ce n'est pas la bonne manière".

Coeur de ciel

Alors j'ai cherché comment aller le cueillir, un peu par ruse, par diplomatie, avec prudence.
Un pas d'escalade trop osé m'avait fait rebrousser chemin.
Du regard j'avais caressé la montagne à la recherche du passage qui m'y conduirait. Face sud, la seule accessible aux non oiseaux.





Ainsi en cet après midi ensoleillé, je pars à sa rencontre.
Pour y arriver je prends une petite piste, en conduisant d'un oeil, l'autre rivé sur la montagnette
Sur laquelle il veille.






Entre la piste et la montagnette, il y a le maquis épais, sombre, agressif. Il me faut donc le franchir en son point le plus étroit, son point de faiblesse.
Je gare la voiture et je pars, mais mon oeil exercé aux sentiers et montagnes aperçoit une trouée dans le maquis : un imperceptible sentier qui s'avère confortable et à son débouché sur le flanc de la montagnette, il est même cairné et, comble de luxe, marqué de traces de peinture. Un luxe pour chasseurs ?

La montée au travers du maquis puis de la roche






J'aurai l'explication sur la crête : des voies d'escalade face nord doivent arriver là.


Sur la crête : la brutale face nord, percée de l'arche (balade du 30 juin)



Me voici donc sur la crête à un petit col sans nom, rien n'a de nom en ce modeste décor.
Face à moi, le vide, brutal, d'où monte de l'air frais, la rumeur sourde de la grand route et où se profile un panorama grandiose malgré la faible altitude. 410 m. Il fait chaud, ce jour.
C'est avec ce grandiose décor sous le regard, 240 m plus bas, que je vais me promener. A regarder avec modération quand on marche tout en haut.

Un paysage magnifique


Les vins de Maury


Habituée aux cimes, j'ai devant moi une arête effilée et tourmentée, c'est du calcaire : un calcaire abrasif, pour les mains, mais qui au moins ne glisse pas, avec de nombreuses prises. Cela va rendre le parcours confortable.


Effilée parfois

Le parcours ? Je vais plein ouest, sur une arête fine, exposée côté nord avec un grand vide où il ne ferait pas bon aller planer, et côté sud, un tout petit dénivelé qui permet de se déplacer sans poser ses pieds sur l'arête, si on veut. Je ne veux pas.
L'arête et ses habitants


Mon choix reste l'arête, il n'y a que les buissons invasifs qui "me font poser pied à terre" et contourner.. Et encore : souvent je passe malgré eux.

Penchés au balcon, ils profitent du paysage

Mon parcours facile au début devient un peu plus aérien, un peu plus exposé au vide mais a le mérite d'un sol stable et je marche avec aisance. Les mains se frottent davantage à la roche.
Un peu plus loin cela devient plus aérien, on dirait un parcours étudié pour des difficultés croissantes, une sorte d'école. Un "gendarme" à contourner côté nord, au dessus du vide puis une désescalade; je redouble de prudence, qui viendrait me chercher là, personne ne sait où je suis.
Je vais attaquer de la désescalade, qui pour mes courtes jambes reste un bon II sans plus.

Dans mon dos : contournement de gendarme et désescalade.
(au retour ce sera même chemin , à l'envers)
Malgré la sauvagerie et la solitude des lieux je me sens bien, sur ce toit du monde qui ouvre sur de belles lumières et couleurs. Un livre de botanique aussi avec les spécimens du calcaire et leur habitat compliqué qui ne manque pas d'étonner l'humain. Quel inconfort !

Tourmenté et pas tout jeune

Il vit de quoi ?




















Chemin faisant je me rapproche du petit coeur invisible. Comme l'arête descend, il est assez facile de choisir le parcours, plus visible; mais je veux au plus près rester perchée.
Soudain, un vide me stoppe net : l'arête s'arrête. Je n'ai pas le choix que de trouver un passage dans ce gros bloc de roche. Je me souviens....vu d'en bas, cela m'avait paru infranchissable, ça l'est : donc je ne suis pas loin du petit coeur.

A droite le grand mur infranchissable (vu d'en bas au zoom)
Je vais  me glisser partout où je trouve un passage et ainsi, sans peine, je contourne le mur pour remonter de l'autre côté, saluant au passage (de loin car ça m'angoisse ) une grotte bien logée dans cette roche ocre.
Même lieu vu du haut
La grotte derrière le bouquet d'arbres
Je remonte , je franchis encore quelques passages accidentés, en grimpe cette fois et soudain !!!
Sans prévenir, le voilà : heureusement que je n'étais pas sur le fil de l'arête! Non c'était impraticable ici.

Alors le petit coeur m'a accueillie à son balcon et m'a murmuré à l'oreille : "Tu as fait bien du chemin, tu as été obstinée et vaillante, je suis désolé pour toi mais je ne te suivrai pas". Et je lui ai répondu que même si c'était un joli coeur, il n'avait pas un coeur de pierre, juste la peau dure et que je le laissais à sa précieuse solitude. Juste quand il me manquerait, je reviendrais le voir...et me pencher à sa fenêtre.
Alors j'ai passé mon chemin, tentée d'aller plus loin et de redescendre par un autre chemin.

J'ai continué mon chemin
Je l'ai bien trouvé le chemin, un joli couloir entre deux murailles , rejoignant une jolie aiguille blondie par le soleil, mais un chemin impossible pour moi, toute seule dans ce sombre boyau si peu carrossable.



J'ai encore cherché une autre voie de descente dans ces dédales rocheux qui m'entouraient, comme s'ils eussent voulu m'absorber. Là encore impossible. Les pas n'étaient plus du II.

Pourtant elle est à portée de mains ma voiture
Mais quel vide !

J'ai refait le chemin à l'envers, regrimpant dans ce dédale et finalement, le chemin de l'arête est tellement plus beau, au soleil déclinant qui dore tout ce qu'il touche.

Non ce ne fut pas pénitence.

Jardin suspendu

Chemin à l'envers, sans regret, trop beau
En face; la Serre de Maury que parcourt un sentier

Le soir tombant nimbait le Canigou d'une poudre d'or, je regrettai déjà, du haut de mon perchoir que la balade fut finie, mais elle m'a laissé un puissant goût de "revenez-y". Le petit coeur y est sans doute pour quelque chose, abandonné à son destin solitaire.



Pendant ce temps....

Sur les parois dorées par le couchant, un funambule s'amusait. Nous étions donc deux.