jeudi 29 décembre 2022

Noël au Mont Aigoual

 Après un périple qui m'a menée à travers les Cévennes, du Gard à la Lozère, me voici au Mont Aigoual. Il n'est pas très haut, 1567 m, il est mieux ou pire que cela, selon les moments.


Le Mont Aigoual


 C'est un mythe, c'est une entité climatique, c'est ...c'est l' Aigoual, il ne se raconte pas, il se vit, à pied, en voiture ou à vélo. J'y suis montée à pied, par les "4000 marches", un souvenir ébloui. En voiture ? Plusieurs fois. J'y ai dormi, j'ai déménagé en pleine nuit, terrifiée par la tempête. 


En montant à l' Aigoual par Cabrillac




Oui l' Aigoual se vit tout simplement et ce n'est jamais si simple. J'ai grelotté un jour d'août, je n'y ai pas froid en ce jour de Noël où je me devais de venir le saluer encore une fois; je ne m'en lasse pas.





 Ce fut le jour le plus clément que j'y connus. Oui, on y perd les pédales...J'y suis avec mon vieux camion, un vintage de 36 ans qui me mène, toujours vaillant, là haut. Ce sont les lieux paumés que je privilégie. Et toujours seule, un peu le Stevenson et sa Modestine d'ânesse, mais soyons modeste, je n'ai qu'à parcourir des routes et pas les chemins de Stevenson (1850 / 1894). Il est né juste 100 ans avant moi. Ma route croise souvent la sienne, en Cévennes, en Aubrac ou ailleurs. Est il monté à l' Aigoual, pour y disperser son chagrin d' amour pour une dame de 10 ans son aînée et de surcroit mariée? Il a 28 ans. Non il n'alla pas à "l'Aigoal", il cite juste le profil du mont se découpant sur le couchant. En guise de profil le Mont est tout rond et le seul relief est la forteresse de pierre de l'observatoire, (1888/1894), terminée quand mourut Stevenson. Le seul point commun à mes yeux est que cet observatoire a un air écossais et que Stevenson était écossais.





L'observatoire météo: 7 ans de construction à raison de quelques dizaines de jours par an...
à cause de la météo !

J'aime les Cévennes, je n'y guéris rien du tout ou peut-être tout s'y guérit, les maux de cette éprouvante année 2022, mais sa nature encore très sauvage m'attire. En ce matin de Noël, je "monte" à l' Aigoual sous un ciel qui oscille entre bleu et gris des voiles de brume épaisse. Ainsi l' Aigoual désert aura des visages changeants. 


A l'horizon la pointe fine du Canigou








Mon proche voisin

Tantôt je verrai la tour crénelée, tantôt je ne verrai que des fantômes . C'est l' Ecosse n'est ce pas ? Je verrai une mer de brume blanche sur laquelle flotte le lointain Canigou, je verrai émerger des îlots bleu sombre sur des vagues blanches quasi figées, ou bien je ne verrai rien du tout, ensevelie dans la ouate humide. 

Le Canigou, au fond


Des îlots
Et des vagues

Le vent est caresse glacée,  mais il sait être violent et caustique: l' Aigoual sans vent existe t'il ? . Les pins démentent cette éventualité. 


Martyrisé mais vaillant

Parallélisme: le profil de la prise au vent

Tout est fermé bien sûr, il n'y a que quelques promeneurs emmitouflés qui filent vite entre deux agapes; par moments j'y suis entièrement seule et un tel Noël, je ne l'échangerais pour rien au monde. Après 12 Noëls désespérants seule en ma demeure, un jour, j'ai décidé de partir, pour les Cévennes. Ce fut un vrai cadeau. Depuis je vais chaque année fêter Noël ailleurs, avec un ou deux chats (je n'ai plus que Nina), ailleurs étant loin de chez moi et dans un lieu perdu, par choix. C'est un cadeau à chaque fois. Une randonnée couronne en général ce jour là. Pas cette année. Me voilà revenue au camion où m'attend Nina; le soleil joue avec la brume, la brume joue avec les reliefs et les reliefs jouent à s'aplatir au sol. 

Côté sud


Côté nord

Côté Noël

Je lève mon verre et ses bulles au Bonheur d'être ici. Je n'envie pas les repas, les agapes, le bruit et les cris d'enfants surexcités des Noëls "d'en bas". Certains peut être m'envieraient s'ils savaient. S'ils savaient ce qu'est un tel Noël, simple, heureux, solitaire, calme, paisible, silencieux, même brumeux, s'ils savaient, ils me l'envieraient. Il suffit de se détacher du monde, et d'aller à la rencontre du temps suspendu, ou retrouvé, du temps flou et élastique, du temps fluide, du temps d'avant la folie festive où Noël n'est plus le temps des cadeaux mais celui d'un dû...Ce monde ne me plait plus, alors je le quitte, à ma façon, loin, ou en haut, en solo. Je ne suis ni triste, ni seule, je suis en harmonie avec la vie, celle que j'ai choisie. Qui peut comprendre cela ? Ceux qui le peuvent ne me regardent pas d'un air attristé, ou curieux, peut être est ce là la source de leur regard envieux. Il faut un caractère particulier, un tempérament spécial, il faut savoir réinventer la vie, savoir inventer sa vie. Et cela je sais faire...


Le soleil va et vient, puis s'enfuit; décidément, il me confie à un bain de mousse blanche, il me convie à mon repas de Noël dans la ouate, bien au chaud; je ne vois plus que le fantôme des pins. 

Le plus étonnant ? C'est le silence. S'il n'était qu'un cadeau que put me faire l' Aigoual, c'est ce silence, le vent est absent. S'il est un cadeau que pourrait me faire l'Aigoual, c'est le retour du vent, cette cacophonie endiablée que rien n'arrête.



Plus tard, je reprendrai la route vers les vallées, celle du Tarnon et son canyon, et puis, un ailleurs, les Causses et leurs mystères, Nîmes le Vieux, Montpellier le Vieux, des ruines dolomitiques, des avens, des antres souterrains à faire dresser les cheveux sur la tête, et cette brume, toujours, qui a fait de ce Noël un  Noël d'exception, peut être parce qu'elle m'a permis de ne voir que des contours, des silhouettes floues, en effaçant les rides du temps, les accidents de la vie, ou en murmurant que tous les rêves sont permis. La Magie de Noël...


Meyrueis : Lozère; café "Chez le chat"


Quelques chiffres

Durée : 3 jours
Distance parcourue : 670 km
Balade à pied : environ 12 km

Par curiosité pour ce mont d'exception : quelques anciens articles en un clic


Au Mont Aigoual : octobre 2016

L'Aigoual raconté par Nina et Mathurin (dialogue félin) : décembre 2016

Mon Noël cévenol : décembre 2016

Les 4000 marches : avril 2017, montée à l' Aigoual à pied




mardi 27 décembre 2022

Conflent : Py ou "pyaffer" d'impatience.


 Enfin je regagne la montagne. Dimanche 18 décembre. 5 semaines de pénitence (dorée certes, gorgée d'huîtres, moules et vin blanc), mais la montagne, même moyenne, me manquait. Je me suis rationnée, dans le temps, dans l'espace, dans l'altitude, dans l'effort, pour pouvoir espérer aller plus haut, plus loin, bientôt. Py sera le dernier test, et si je choisis Py, c'est que j'ai un petit compte à y régler : comment ai je pu ne pas trouver mon chemin la dernière fois?

Ainsi, ce jour, je vais faire le chemin à l'envers, commencer par ce qui devait être l'arrivée et remonter à la source. N'anticipons pas.

L'aube est loin derrière quand je démarre à 8 h 48, 1000 m, dans l'ombre, le froid, la glace, la gelée blanche d'un matin d'hiver, on est aux jours les plus courts, ceux que j'aime par dessus tout.





Je laisse Nina dans le camion et, sac à dos léger, peu vêtue, sous un ciel pur et des crêtes déjà dorées de soleil, je m'élance vers la rivière, La Rotja. Il me faudra attendre longtemps avant que le soleil ne me rattrape.

J'ai les mains gelées comme les herbes quand je franchis la Rotja et dès que j'aborde la montée sur  le sentier pavé, je vois que j'ai loupé une partie de l'histoire du temps. J'ai quitté le secteur sous des arbres dorés et je retrouve un paysage nu, qui dévoile un tas de nouveautés. Dans la transparence des dentelles je devine bien le village, les piques acérées des Agullas, la rivière plus proche qu'il n'y paraissait, des terrasses insoupçonnées, plongeant dans une pente redoutable et même des ruines proches du sentier qui étaient bien dissimulées; d'ailleurs je ferai une entorse à mon règlement : ne pas sortir du sentier. Et bien je vais visiter et "je fais gaffe!". Mais ça passe bien. Et je réitérerai à l'envi. La prudence reste primordiale. Je me suis octroyé 12 km, faut être vigilante. Ma chute m'a traumatisée.

Py gelé


Les Agullas, les aiguilles



Je ne l'avais jamais vu


Flanqué de son orri


Les pierres destinées à arrimer le toit
étaient déjà prévues dans la construction


Et celui ci, abrité par son grand rocher, en contrebas du chemin, jamais vu non plus


Il est accompagné d'un enclos à bétail

Des pentes abruptes striées de terrasses

Je bois des yeux ce paysage révélé par la nudité. Il ne fait pas froid, ma marche est confortable et surtout, c'est une telle joie retrouvée. La solitude des lieux, ce désert humain, ce corbeau qui tournoie avec un cri disharmonieux, la rivière qui gronde, et le soleil qui boude, tout me va. Je crois que même la pluie m'irait ! Je bois la montagne retrouvée. Je me gorge des saveurs émotionnelles de la montagne.

Je suis vite en tee shirt sous un ciel lumineux, presque un printemps. Quel calme et quel silence ! Je vais lentement, par la force des choses. Sur mon chemin j'ai déjà ressenti l'appel du large, rien qu'en regardant plonger ces terrasses vers une Rotja impatiente, rien qu'en visitant des ruines insoupçonnées, puis en croisant ce canal incongru qui me dit "puisque chaque fois tu te demandes d'où je viens et où je vais, suis moi !!". Promis, le canal.




C'est bien un canal qui passe sous le sentier


Mais il ne prenait pas son eau à la Rotja





Me voici à la confluence des sentiers, je laisse Cantapoc chanter dans les bois et je m'élève sur un sentier qui ressemble à tous ceux d'ici, mais pas balisé: il est propre, il court dans les bois, il franchit de petits cols, il ne rencontre aucun cortal et moi je rencontre le soleil. 


Le nouveau sentier





Les vallées sont creusées d'ombre











A cache cache

Je viens du bout de mon doigt, un bout de chemin déjà
Alt 1409

D'ailleurs je perds mon sentier et je suis un moment le cours d'un autre canal: cette montagne aride était zébrée de cours d'eau miniatures.


Il fut canal


Les paysages se ressemblent là bas : au détour du chemin (et du canal), on plonge plein sud et on trouve une lande rase, balayée de genêts où poussent des ruines, un ancien site d'élevage. Il y a bien les petits cortals, les cabanons des bergers, de l'eau bien sûr, pour les fromages, la trilogie est bien en place, il suffit de fouiller le site. 

La cabane de l'Histoire (voir ci dessous)
Une triste page de l'exode de la Guerre Civile Espagnole (1936 / 1939)


La cabane telle qu'elle était


Et ce qu'il en reste

Un peu plus loin sur le site

Le décor

Je poursuis mon chemin, il est beau et bien tracé et je commence à reconnaître le secteur, je vais atteindre le "lieu où je m'étais perdue". Je devine le ravin de Roca Traucada, dans la forêt; il y a de l'eau, un cortal, une cabane, je commence à comprendre en lisant le paysage, et lorsque je débouche sur la zone d'estives toute proche, c'est clair comme du cristal, ce chemin je ne pouvais en aucun cas le trouver ! 

Au ravin de Roca Traucada



L'inévitable orri au toit enherbé

Et l'indispensable point d'eau

Non balisé, non marqué sur le terrain, invisible, il est bien différent de celui que le GPS d' Iphigénie portait et que je cherchais. Je m'empresse de baliser et de visiter ce cortal que j'avais traversé à fond de train, mettant en fuite une vache affolée. 





1420 m



Décor enneigé



Très belle façade, austère


 A présent, sur le lieu de mon erreur et de mon errance, la visibilité est nette et je peux m'octroyer une balade. Cette balade je la fais par un sentier de chasseurs. Elle me conduit en direction du ravin de Salètes où deux superbes ruines imposantes,  bien campées sur une pente rocheuse évoquent ces ksours marocains qui me furent si chers.


Les deux cortals comme des ksours marocains
Vallée du Salètes

Et je marche; je ne les visite pas, je veux aller jusqu'au ravin, où un air glacé m'accueille, je visiterai au retour.

Le premier : 1424 m


Le second : 1424 m

Je traverse des ruisseaux, et le froid vif de la "glacière" me prend au corps.

Gel

                                                                                         


Le sentier de noisetiers

Féérie de glace sur mon chemin, dans les ruisseaux .





 Me voilà en tee shirt dans l'ombre, la gelée blanche, les petites cascades et leurs guirlandes de glace aux formes séduisantes ou amusantes, et j'ai parcouru 6, 07 km, je suis exactement dans "ma" norme imposée, à 1478 m d'altitude. Je tremperais bien mon genou dans l'eau glacée, mais faut que le pied suive, puisque je ne peux encore m'agenouiller. Je reste donc au sec . 




1478 m, mon terminus gelé



Facéties dans l'ombre



Cristal

Drôle d'animal

Demi tour vers le soleil. Je regrette de n'avoir pas continué le sentier, une jolie cabane m'y aurait accueillie.

Le demi tour impose la visite des trois ruines rencontrées, les  plus belles : silence; en images!

La 3 eme, la plus éloignée





Et son orri


La seconde, altière et imposante : 




Avec une inscription en façade



C'est un ensemble de 3 bâtiments décalés et un orri

Le toit par deux fois effondré : la lauze puis la tôle


La mangeoire du cheval



Jolie arcature

L'orri ou cabanon pastoral



La première : 





Le cabanon (vaste) et le "musée" intérieur

Fabrication très artisanale









Jolie arcature aussi

L'étroitesse des ouvertures est un excellent indicateur
de la rudesse du climat autrefois

Je songe au repas, il serait temps, allongée au soleil, devant la porte, ou sur la pierre du cantou...Mais je suis plus bête que tout ça! Quand je pense au site où j'ai enfin pris mon repas !!

C'est la curiosité qui me pousse: il me faut à tout prix trouver ce sentier que j'ai tant cherché dans la noire forêt et que je n'ai pas vu. Je reviens donc sur mes pas, traverse l'estive et, mettant Iphigénie au boulot, je retrouve sans peine le lieu de mes errances. 

Les estives toujours en service

Iphigénie : au boulot !

Cette fois je sais que je ne me "perdrai" pas puisque un vrai sentier, bien cairné par mes soins, m'attend, et, GPS en main, comme un bréviaire, je trace mon chemin. C'est clair, dans ce site je ne pouvais pas trouver ce soir là. J'avance dans une sapinière austère et enchevêtrée, j'accroche de la rubalise aux moignons de branches et soudain le sentier donne signe de vie : une assise, des murs, un tracé qui se devine de plus en plus, les pièces du puzzle qui s'emboitent, le passage du ravin de Roca Traucada, je n'avance pas, je rame dans les branchages, à grand fracas. C'est sombre, glauque, laid à souhait et envoûtant comme un trésor trouvé. 







Et le voilà le trésor ! Un cortal magnifique est traversé par le sentier, environné d'anciennes parcelles, des murs partout, la cabane doit y être sans doute, mais je ne la vois pas dans cette sombre forêt : dire que jadis le site était ouvert, ensoleillé, cultivé, vivant...c'est un tombeau et c'est en cet endroit là, assise sur la pierre du cantou, voisinant avec un fémur de vache, que je vais prendre mon repas ! Je me plais à redonner vie à ce sépulcre, cette crypte. Si je dois garder une seule image d'un site sinistre en cette montagne c'est bien de celui ci....


Euh...un trésor ?





Il y a plus gai comme restau !!
Celui ci est de l'autre côté du chemin


Le sentier comme un chemin de crypte ! Quel lieu sinsistre...


Peu après, quand je sors de ce vaste secteur de murs et terrasses, de sapins en désordre, je débouche en plein soleil, sur le sentier retrouvé, le vrai.


Cela s'apprécie, c'est certain...

On peut commencer d'autres rêves



Au pied de ce mur de roches coulait un canal



Dont on voit le tracé: il sera à explorer un jour

Une petite - ou grande - constatation s'impose en visitant ces montagnes et ces sites à l'abandon : le changement climatique est d'une parfaite évidence; l'habitat révèle un climat rude, violemment contrasté, des étés brûlants, des hivers glaciaux, de la neige en abondance, des vents violents puisqu'il fallait arrimer les pourtant lourdes toitures. De l'eau courait partout, il suffisait de tracer des canaux pour la récolter et arroser les lointaines terrasses, la montagne bruissait de vie et d'activités; des terrasses s'étageaient au flanc des pentes, tout ce qui était cultivable servait, une véritable ruche que la désertification des montagnes et la Grande Guerre ont tuée.



Un reste d'automne comme une lampe allumée

 J'ai bouclé la boucle, trouvé l'erreur, répondu à cette énigme qui me taraude depuis 5 semaines, je peux à présent renter en paix, calmer mon genou dans l'eau glacée d'un torrent en trempant mon pantalon et avec cette glacière improvisée collée à la peau revenir à Py, déjà noyé dans l'ombre gelée d'une splendide journée, retrouver une Nina ensommeillée et m'offrir une collation bien au chaud. J'ai rempli mon contrat : retrouver la montagne, 12.5 km, un genou en forme, et si je reste prudente, les chemins et canaux me tendent leurs bras ramifiés.





Encore un qui s'était dérobé à mon regard


 En chiffres 

Distance : 12.6 km

Dénivelé positif cumulé : environ 600 m

Temps de marche : 4 h 40

La route : 110 km AR



Le trajet