Avoir une jambe peu valide quand on aime trotter, randonner, grimper, bouger, n'est pas le Paradis. Il faut savoir ne pas en faire un Enfer donc j'ai décidé en ce 3 eme dimanche de fermer la maison, quitter le canapé et les tâches domestiques et enfin faire du kilomètre en voiture et tant qu'à faire, à pied aussi. J'ai mes sites qui deviennent un rite : le Tarn pour les handicaps qui me permettent de conduire, Leucate quand l'univers doit être restreint. Leucate a des avantages : on peut déguster des fruits de mer arrosés à l'envi d'eau douce nommée vin, finir par un dessert nommé "Dame Noire" au bar restaurant "La Terrasse", (oups, il est fermé, saison oblige, calories en moins, c'est bénéfique). Et puis il y a les étangs, paysage lacustre entre terre et mer, toujours éclatants quelle que soit la lumière et ne garantissant jamais la monotonie ni l'ennui.
Enfin, la falaise de la presqu'île est le must: toute plate, dominant la mer de 60 m, offrant une vue jusqu'à perte de vue vers le large, puis sur la longue plage de sable fin menant à Port la Nouvelle, au Nord, vers les Albères, au Sud, bref, je vais vous y emmener sur cette falaise et même au delà, et aussi en deçà, tous azimuts, pour ce premier contact. Je connais bien le secteur : vous non ?
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Albères en fond |
C'est parti pour près de 7 km, un exploit, j'en ai fait 2 de trop.
Bon on va vite passer sur le trop plein de fruits de mer, le cordon littoral enrubanné d'asphalte, la montée en voiture jusqu'au sémaphore et enfin sitôt parquée, on va délier les pattes confinées depuis le 11 novembre.
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Au "Perit Bigorneau", un des nombreux "mas" d'ostréiculteurs |
Un violent vent de sud est, un ciel assombri, une mer houleuse à souhait tout en bas, deux vacarmes mêlés et assez similaires, une envie d'aller se baigner malgré pull et coupe vent matelassé, vite réfrénée (il faut désescalader, pour ce faire), un évitement radical du vrai chemin au profit du sentier à ras bord de la falaise, plus dangereux mais plus pittoresque et la magie saute au visage. Même si on connait on n'est jamais blasé. La falaise est souvent en surplomb, on ne doit pas l'oublier même si elle oublie de tomber; inutile de le lui rappeler.
Je perds mon regard sur les flots verts
où il y a quelques semaines je me perdais quand ils étaient bleus...
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Fin d'été |
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Octobre |
Je domine les grands blocs fossilifères que je caressais alors, je sais les grottes qui se cachent sous ces grands pavés effondrés, je sais les pas lourds dans le sable, je sais les prises abrasives dans les rocs de pâle calcaire, vrai musée de l'histoire géologique, je sais tout ça et je le ressens encore.
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Caverne |
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La falaise vue d'en bas |
Justement, parlons en des grands blocs fossilifères si surprenants, qui gisent, lavés et polis par la mer ou en attente d'un devenir identique le jour où ils glisseront à leur tour dans la mer. Combien de milliers d'années a t'il fallu pour faire de ces grands blocs aux aspérités corrosives, ce doux marbre joliment décoré?
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Poli comme marbre, joli comme marbre |
Mais, sont-ce ces mêmes fossiles qui donnèrent tout en haut ce socle aussi perforé ? Mon genou blessé m'empêche de me baisser pour inspecter, on verra ça un autre jour.
Au pied du sémaphore de la Marine Nationale, une petite plage dite "la plagette" recule inexorablement au fil des ans. Elle est un cas particulier, on la nomme "dune suspendue" parce que voilà quelques décennies, elle remontait jusqu'à mi falaise, comme un tobogan de sable. Erodée, non approvisionnée en sable, elle disparaît.
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Quelques décennies |
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Actuellement |
Je marche emmitouflée, abrasée par le vent âpre, sur ce plateau où les pins endémiques caressent les falaises et ont même colonisé leur base, où lentisques, buplèvres, et autres végétaux des zones calcaires et arides recouvrent les sols de roche.
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Le maquis sur la falaise |
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Chemin, socle rocheux |
Oui mon regard se noie au fond des falaises que je longe au plus près. Je vois les grands blocs basculés qui attendent le signal, dans un an, dans cent ans, pour s'effondrer; je devine un sentier qui descend , escarpé puis rôde entre ciel et mer, et qui m'est interdit.
Entre les deux cordons littoraux côté nord et côté sud, la presqu'île de Leucate fut jadis une île qui émergeait très peu de la mer originelle; lorsqu'elle se souleva jusqu'à atteindre 60 m, ces anciens rivages marins se retrouvèrent tout en haut, ce sont eux que l'on voit, sur lesquels on marche et dont on peut admirer les strates. Ce sont eux qui s'effondrent ou sont prêts à s'effondrer, qui sont en surplomb et dont on doit se méfier.
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Une falaise stratifiée |
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Grand basculement |
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Surplomb |
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Faille |
Ainsi, cheminant au vent mauvais, croisant parfois des promeneurs, j'arrive à la Redoute de 1711, érigée sous Louis XIV, classé, restaurée.
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La redoute restaurée au bord de la falaise |
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Ancien pied de vigne |
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Un jour , une artiste |
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Murs de vignes en bord de chemin
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De là on voit La Franqui, à une encâblure, où l'on peut descendre en suivant le sentier, je vois le cordon littoral, les étangs s'immisçant dans la mer, les sportifs rois des flots, Port La Nouvelle au bout de la plage, tous ces lieux que je connais si bien. J'en sais les étendues entre mer et étangs, les marécages, les salins, la voie ferrée posée sur l'eau, les îlots rocheux qui émergent, et puis la suite, jusqu'à Gruissan, Narbonne, jusqu'à St Pierre, jusqu'à l'infini...Ce fut mon univers jadis au seuil de ma 3 eme vie..
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La Franqui |
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Poste de surveillance |
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Littoral sud, côté Barcarès |
Aujourd'hui on sera modeste. La Redoute sera le terminus, je vais revenir par les terres de cette façade est. Les terres sont d'anciennes vignes abandonnées, cernées de leurs cordons d'épierrage, vraies murailles qui ne soutiennent rien, vraies murailles de débris arrachés au sol ingrat, et soigneusement empilés, alignés, emmurés pour libérer ce qu'il fut bien forcé de nommer "terres" plutôt avare de terre.
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Murs d'épierrage et de séparation |
Autrefois y paissaient les moutons, y fleurissaient les cabanons, s'y cloitraient les chemins creux. Les allemands repoussèrent les vignes pour ériger des abris défensifs et de surveillance, la nature reprit ses droits. Des vignes y subsistent, rares dans le secteur que j'arpente, plus conséquentes et épanouies un peu plus à l'ouest. Ici je vais de parcelle en parcelle en suivant des sentiers qui serpentent entre les murs reptiliens que je parviens à escalader. Ils sont beaux. Si différents de ceux de Villefranche. Mais la pierre elle même est si différente. Comme là bas, chacune de ces pierres fut caressée par des mains, empoignée, déposée, empilée dans un ordre certain, chacune pourrait parler. Mais ici, chacune pourrait aussi renvoyer l'écho de la mer, du temps où ce plateau était au ras de l'eau, avant le grand soulèvement, le grand empilement. L'Histoire des Pyrénées est inscrite dans ces coeurs de pierre qui battent pour qui sait encore les écouter. Mais c'est une autre Histoire que je ne conterai pas, laissons là dormir depuis des millions d'années, c'est elle qui parle des fossiles.
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Ancienne vigne |
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Un sol pauvre |
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Survivance des ceps |
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Anciennes vignes ou pâtures? |
Et pourtant aujourd'hui les vignes nouvellement créées ont un sol de terre moelleux, d'où sort il ?
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Chemin d'exploitation du temps passé, et chemin de bergers |
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Coeurs de pierres |
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Chemin |
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Ancien chemin ou draille pour moutons |
Rares sont les vignes, dans ce secteur est, elles émergent timidement du fouillis végétal, propres, lisses, colorées.
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Rouge de joie |
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Taille effectuée |
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Jeune plantation protégée des animaux |
Plus vers l'intérieur de la presqu'île, les vignes sont nombreuses.
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2021 |
J'arpente les sentiers déserts, je vois se profiler la ligne bleue de la mer au bout de la terre, je vois les silhouettes emmitouflées glisser dans le bruit du vent, alors qu'on ne me voit pas, le regard est tourné vers le large, c'est normal. Le mien le fut tout à l'heure.
Dans ce retour entre murs et maquis, le vent est mon guide, il me permet de ne pas perdre le sud.
Je connais cet "intérieur des terres", ces chemins bordés de murs hauts, pas plus larges qu'une voiture, bordés d'amandiers, ces vignes clôturées de grillage anti lapins, ces petits "casots" transformés en villégiature alors que d'autres se défont doucement.
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Ancien petit cabanon ruiné, vu d'en haut |
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Vraiment petits ces cabanons |
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Bien protégé |
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Manque le toit |
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Manque un courageux pour le restaurer
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Bien restauré |
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Bien gardé : figuier |
La Presqu'île, qui fut île, se rattacha à la terre, se cultiva dès le 12 eme siècle, s'abandonna dès la 2nde guerre mondiale, et se crée ou se défait au gré des crises viticoles, mais se repaît du vent salé, de la lumière changeante des étangs, paysage de terre et d'eau qui ne laisse personne indifférent.
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Carte de Cassini, 18 eme |
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Début 19 éme |
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Actuellement
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Je reviens en ce soir qui tombe, avec un genou qui enrage, en suivant à nouveau la falaise; les rouleaux se déroulent, le soleil se couche derrière le phare, le restaurant gastronomique ferme ses portes, les promeneurs reprennent la route, je vais faire comme eux, je reviendrai, je reviens toujours, d'ici, je ne me lasserai jamais.
En chiffres :
Distance: 7 km
je ne suis allé qu'une seule fois sur cette falaise, au départ de Leucate. Un matin de Juin trop chaud et trop ensoleillé, l'apn mal réglé qui ne m'a proposé que des photos jaunâtres. Je crois que le sentier s'appelait circuit des Pêcheurs. Je ne suis pas descendu vers La Franqui. J'y reviendrai au printemps, tu m'en as donné envie. Merci Amedine
RépondreSupprimerJe t'encourage vivement à revenir arpenter ce plateau battu des vents à n'importe quel moment, en plus tu as un APN performant...Je me suis promis d'y revenir par tempête pluvieuse de sud est. et si tu aimes les fruits de mer, la halte s'impose. bises GV, je sais que c'est toi
SupprimerUne belle leçon de géologie et d’histoire, tu nous régales avec un récit intéressant et précis. Ces falaises sont magnifiques, nous y allons régulièrement avec plaisir, un dépaysement assuré. J’espère que ton genou n’aura pas trop souffert…. Les huîtres et le vin qui va avec l’auront peut-être consolidé… bises, Josy.
RépondreSupprimerEt passer la nuit avec le van sur le promontoire parking ne doit pas être mal non plus, si la Marine Nationale ne met pas en fuite les squatteurs ! Ce site est magnifique c'est vrai , mais même pour les amoureux de la montagne, ce type de bord de mer ne peut laisser indifférent. Bises
SupprimerNous y avons déjà passé la nuit, un régal, personne ne nous a délogés.
SupprimerDu vent à décoiffer les cabanons, des murets à user des forçats, des chemins à rebuter caprins et ovins, de l'iode à profusion et.... des verbes pour nous donner envie !! Tout y est, une fois de plus ; l'idéal, bien entendu, c'est d'aller s'y balader hors saison touristique ! P.D.S
RépondreSupprimerLe verbe est toujours riche dans tes commentaires et bien posé sur le virtuel papier du blog, il ne s'envolera pas aux vents mauvais. La saison touristique affecte surtout la "plagette" qui y perd ses grains de sable, le plateau garde sa nudité sauvage et les étangs font le plein en surface de surfeurs en tous genres. C'est un site coloré finalement
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