lundi 30 mai 2016

Ils ont perdu leur âme...

Je les ai rencontrés, il y a trois ans.
Deux honorables vieillards immobiles et silencieux, décatis, ridés, blessés et meurtris par le poids des ans et des saisons.
Immobiles et silencieux : se parlaient-ils entre eux, loin du regard des gens, dans ce silence des vieillards fait de paroles muettes ? Adossés à leur ruisseau comme d'autres à un mur ?


J'ai voulu les revoir trois ans après : immobiles, à leur place, silencieux mais méconnaissables. Un peeling, un lifting et une chirurgie esthétique plus tard pour leur rendre la jeunesse perdue sans leur demander leur avis. Et ma déception fut grande , même s'ils ont repris -je ne sais- leur visage originel.
Les "chirurgiens" ont tout pouvoir, eux ils savent.
J'affichai ouvertement ma déception, les deux vieillards se turent. Immobiles.

Alors je partageai cette déception sur Facebook et les langues se délièrent, photos et souvenirs à l'appui.

Un lecteur belge raviva même les miens de souvenirs, je ne me rappelai plus avoir publié un billet dans ce blog voilà trois ans. Billet qui franchit les frontières. Preuve en est .
Retrouvez cette balade ici  (clic)

Ce parcours vous y est conté avec à l'appui, un merveilleux petit chemin creux...

Remontons sinon dans le temps, du moins dans les vallées. Dans mon département des Pyrénées Orientales, en montagne, se trouve une région nommée Capcir, très belle et très rude au niveau climat. Je l'aime et je m'y rends parfois.
Il existe (entre autres) deux vallées qui se rejoignent, confluent et vont déposer leurs eaux dans le barrage de Puyvalador qui offre ses eaux au fleuve Aude, donc hors de "nos frontières".
Ces vallées sont celles du Galbe et celle du Rec de Cirérol, arrosant respectivement Espousouille et Rieutort. Ces deux charmantes rivières proviennent des montagnes et ont un caractère très marqué par leur beauté et les sites qu'elles empruntent surtout.
Vallée du Rec de Cirérol

Vallée du Galbe
Cependant c'est vers leur confluence que chacune a son vieillard débonnaire.
Que je découvris ainsi en 2013
Et que je revis ainsi en 2016, hier. Avec tristesse.

Vallée du Galbe au bout de la piste forestière
La vallée du Galbe naît à 1793 m de l'union de plusieurs ruisseaux dont celui de La Pedra Escrita, que je ne connais pas, rocher gravé au néolithique et revu et corrigé, dit on, au fil des âges.


La vallée du Rec de Cirérol nait à 1517 m  et traverse l'unique village , Rieutort (la rivière tortueuse), à n'en pas douter lorsqu'on voit son tracé !
Rieutort, son église











Entre les deux, Fontrabiouse, la fontaine rageuse.





Tous ces coins bénéficient d'une histoire disparue, contée par Adolphe Joanne, en 1858, dans son "Itinéraire descriptif des Pyrénées", p 590 où il explique que à Fontrabiouse, "une fontaine, près de là, jaillit en si grande abondance qu'elle alimentait deux moulins" et  aussi  que "la Galbe  traverse des pâturages désolés et alimente quelques usines au niveau des hameaux de Galba et Espesoule".

Espousouille (ou Espesoule jadis)
Un passé révolu dont il ne reste que peu de traces sauf ce chemin que j'avais emprunté (cf le "Chemin de brume") et ces deux ponts. Les vénérables vieillards !


Alors ces ponts ?
On a coutume, en notre Catalogne de voir ces petits ponts médiévaux qui ont gardé seulement leur arche, un peu de leur muret et leur pavage originel. Voûtés, arqués, à une arche quand ils sont tout petits, ils ont un je ne sais quoi d'attirant. Je fus séduite par ces deux, en Capcir (66).


Pont des Moulines , vallée du Galbe 2013


Pont sur le Rec de Cirérol, 2013

Je les retrouvai ainsi, atterrée, même si le travail est splendidement bien fait.



Pont des Moulines
Rec de Cirérol

Le même


Pont des Moulines (Galbe) Avant


Après





Pont des Moulines (Galbe ) Avant




Après 



Avant , Pont des Moulines (Galbe)


Après 
Ph Patricia Vincent 2014
Pendant : Photo Patricia Vincent 2014
Tout près demeure un troisième vieillard, qui enjambe un ruisselet, discret et oublié : jusqu'à quand ? 
Une bergerie ? Un petit moulin ? Oh que je le trouve beau....


Quelques ponts catalans...

Photo Dorres la Commune  : sur le Belvis (catalogne)



Ph Dorres la commune: Bellver (catalunya)


 Sans doute d'anciens documents ou la connaissance de l'architecture de jadis
 permirent-ils cette reconstruction.

Mon regard ne reconnaît plus rien de ce qui faisait leur charme, leur âme.

Oui ils ont perdu leur âme...



jeudi 26 mai 2016

Vu du ciel : le Lanoux

Non je n'ai pas repris l'avion : pas tous les jours quand même !

Je suis partie pour LE voir

C'est par la route que j'ai rallié , la veille au soir, mon havre de Porté Puymorens

En Cerdagne
En ce matin du 22 mai, il y a deux mois que je n'ai pas mis les pieds dans "la grande montagne".


J'ai repris mon sac à dos, mes bâtons, emmené le piolet et les crampons  et de grandes envies de retourner sur les cimes délaissées depuis deux mois.
 Mon dos a dit "Je veux bien", ma hanche a riposté "Ah non, pas tout de suite !", le pied a grogné dès le départ mais évidemment je n'en ai fait qu'à ma tête comme toujours. Cette fois on a signé un compromis en cours de route et les projets ont été revus à la baisse.


Je voulais aller voir le Lanoux  qui "perd ses eaux" une fois tous les dix ans. Quel événement ! On retrouve alors le Lanoux originel, celui qui était fait de deux lacs de taille égale séparés par une barre rocheuse et réunis ensuite par un barrage qui expédia la barre basse  à 24 m sous le niveau de l'eau.

J'ai choisi, parmi de nombreux trajets, pour mon retour à la montagne, d'aller le revoir du haut du Pic de la Coume d'Or. Plus de 2800m.

Sur la route d' Andorre, déserte , en ce petit jour, il y avait quand même du monde. Une manif, dira t'on, c'est de saison.
Nous avons pris le temps de nous observer.




Puis j'ai posé mon camion au col, à 1915 m d'altitude et j'ai pris le chemin; c'est une longue piste forestière, à flanc de montagne, qui ouvre sur de beaux panoramas.




torrent de Cortal Rousso

Cortal Rousso

J'ai bien aimé ce trajet nouveau en ce petit matin calme et désert, sous un ciel étincelant et dans le mugissement du Rec de l'Orri, en bas là bas. On se croirait au bord d'une autoroute ! Je compte une soixantaine de mouflons en famille. La montagne leur appartient. On s'observe et puis ils détalent comme des flèches pour se poser un peu plus loin et me regarder. Un jeu de saute mouton où je serais la grande perdante...
La montagne, la vraie , me saute au visage quand le Torrent de Cortal Rosso jaillit et saute en hurlant vers Porté Puymorens . J'ai dormi près de lui, maintenant je sais son visage.

Une marmotte rondouillarde détale et se pose dans un buisson; on s'observe longuement. Elle n'a jamais vu un humain ? Ce matin j'ai l'impression que l'animal c'est moi tant je suis scrutée. Heureusement ils n'ont pas d'appareil photo !


Curieuse


Curieux et intrigués

J'entre dans l'antre de la montagne : je savoure profondément.

vers l'ouest et le Puymorens : Rec de Querforc

Cette piste routière désaffectée a servi pour la construction d'ouvrages de captage des eaux. Captées en différents points de montagne, elles sont distribuées par un réseau souterrain.


La piste se mue en un canal sur lequel on marche, l'eau sous les pieds, jusqu'à la dernière prise d'eau dans le torrent bondissant.

















Alors on quitte le faux plat et on attaque : de la neige, du schiste noir qui resplendit au soleil, du terrain qui glisse sous les pieds et c'est enfin la Porteille de Lanoux.

Blanc & noir : de neige et de schistes

Je n'ai plus de forces, de jambes, de souffle, d'énergie. alors que me reste t'il ? Des douleurs bien sûr  et une somme de colère.


ça luit, ça brille et ça cascade


A la Porteille

 Mais...la vue valait d'arriver ici, je ne verrai pas mieux plus haut.

L'étang de Lanoux depuis la Porteille 2468 m et le long névé de plus de 200 m 

Je suis à 2468 m d'altitude, sous un ciel bleu cobalt et un soleil brûlant : tenue estivale de rigueur mais tête protégée. Et j'évite les glissades.

C'est l'été là haut ! 2500 m



Le Lanoux, dans son cadre de montagnes quittant leurs fourrures d'hermine n'a jamais été aussi vert de gris : je ne l'ai vu que bleu ou glacé. Le voilà à moitié plein, uniforme, sa barre rocheuse engloutie, j'ai raté le rendez vous. Le prochain ? 10 ans de plus ? Rdv dans dix ans..

Le Lanoux dont j'ai conté l'histoire un jour (clic)

Le Lanoux à demi plein
Je ne verrai pas mieux d'en haut , pourtant je prends le sentier de l'étang de Coume d'Or, juste pour le suivre un peu.  Derrière moi, la vue est somptueuse, j'apprécie la solitude. Comme un recueillement.

Carlit (gauche) et les deux Puigs de Coll Roig

Le sentier de Coma d'Or et les fleurs naissantes

Je vais vite  perdre le sentier dans un vaste névé et lorsque je le retrouve c'est trop tard, je n'ai plus envie de monter.
Par contre descendre en "tout droit" hors sentier me tente. J'étudie le terrain et je me lance sûre de moi. Vers ce fond de vallée où bat le coeur du Rec de Querforc (ruisseau du roc fourchu).

Mon havre tout en bas


La pente rocheuse descendue en tout droit

Détail de la descente

200 m plus bas, après rocs, herbes, forêt éparse et odorante,  je retrouve mon canal "les pieds sur l'eau" ,



Mais le printemps a poussé la porte et la couleur s'installe.


Ruisseau encombré de blocs de neige

J'ai le temps de me poser, de manger, de rêvasser, d'écrire, de regarder arriver les nuages suivis d'une ombre sombre puis de lumière étincelante; d'écouter dévaler le torrent, de voir les oiseaux , les nuages, le paysage , enfin ce pour quoi je suis là aussi. Aucun humain sinon quelques silhouettes aperçues au loin sur la Porteille.
Pas d'animaux non plus.

D'ombre et de lumière, en alternance

Juste la course des nuages dans le ciel et le silence immense des montagnes.


Peut on parler de bruit à propos des torrents ? Ils font partie du paysage et du silence des montagnes







Le torrent de Cortal Rousso va accompagner mon long et fastidieux retour avant que de plonger vertigineusement vers Porté où je le retrouverai une nuit, pour un prochain bivouac là où m'attendent des chats dont un de très très sourd.
 Mais je n'en suis pas là : j'arrive harassée au col , je m'étends dans l'herbe, bercée par le pic de la Mine chapeauté de blanc et je m'endors. Percluse de douleurs. Le pied droit furibond depuis le départ, la hanche grinçante et le dos goguenard : il ne fait pas mal, mais tout est de sa faute !



Pic de la Mine


Plus tard, plus loin, plus bas dans la vallée, à Sauto. 



En chiffres 
Dénivelé positif : environ 600m
Distance : 17 km