mardi 31 octobre 2023

Cerbère l'originale.

 Cerbère est un village côtier, le tout dernier des Pyrénées Orientales avant  la frontière espagnole. J'affectionne ce village un peu isolé, après la prestigieuse Collioure, le vivant Port Vendres et le savoureux pays du vin réputé,  Banyuls sur Mer. Dernier bastion de la côte Vermeille, Cerbère n'a à présent rien de particulier à offrir mais fut un village immensément vivant avec sa gare internationale et le métier d'exception qui s'y pratiquait, c'était le pays des "transbordeuses d'oranges".

Cerbère by night

Cerbère partagé en deux par les rails

"Mais qu'es aixo ?? "

Les voies ferrées espagnoles sont d'un écartement différent des françaises; aujourd'hui le passage entre les deux pays se fait automatiquement par élargissement automatique des essieux, autrefois il fallait transborder les marchandises des trains espagnols aux trains français et vice versa. Comme il y avait un très grand arrivage d'oranges de la côte est espagnole, des femmes devaient transvaser ces fruits à destination de l'Europe, à la main, en gare de Cerbère.


Témoignage du passé

Un wagon témoin est exposé.

Cerbère a vu mourir peu à peu ses activités terrestres et maritimes, ses vignes, et les touristes lui préfèrent les côtes du pays voisin.

J'ai apprécié et découvert Cerbère en automne 2017 alors que je relevais d'un handicap momentané et que j'y faisais ma rééducation en arpentant le village de nuit, pour "réapprendre à marcher".

Là j'y suis en cette douce soirée d'octobre balayée de vent du sud, par pur hasard, un quart d'heure auparavant j'ignorais que j'irais, c'est ça le semi nomadisme !

Les yeux de cerbère grand ouverts sur la nuit

Je quitte ma chambre sur roues idéalement placée, au plus près de la mer et je m'en vais au coeur de ville. Cerbère est bâti sur les flancs de collines  donc c'est un vrai amphithéâtre partagé par la voie ferrée; en amont de la voie sont les lotissements et les anciens bâtiments ferroviaires, en aval, en dessous de l'immense mur de soutènement, le village côtier et la mer.


Vue aérienne Géoportail


Cerbère s'articule autour d'une voie submersible qui récolte, en temps de fortes pluies, les ravins issus des collines escarpées plantées de vignes; le village offre le paradoxe d'une rue où sont garées les voitures et dont les trottoirs sont plus hauts que les véhicules ! Ces trottoirs sont accessibles par des escaliers et de solides barrières de béton les protègent des crues qui peuvent envahir la rue. Pour traverser cette rue, on le fait à pied sec ou au moyen de très hautes passerelles qui enjambent cette rue / rivière.

Rue principale, réceptacle des ravins

Le trottoir sur les toits des voitures

Quand il pleut fort, on passe par là



Et on isole les trottoirs de la rue cours d'eau



Elle se termine par un immense tunnel traversant la vaste gare, ou se poursuit par une autre ruelle prolongée par un petit tunnel.


Le grand tunnel

Cette ruelle est longée par le très haut mur de la voie ferrée d'un côté et par des falaises surmontées de maisons de l'autre. 

Paquebot dans la nuit : ruelle et murs de la voie ferrée



Des escaliers permettent d'accéder aux maisons, les anciens monte charges se devinent encore, à demi ruinés.

Monte personnes 

Et ancien monte charge


Justement...les escaliers...
Voilà que je reviens tout juste d'un voyage sur la côte atlantique espagnole, du côté de Bilbao, je suis allée chercher mes jolis souvenirs de petits ports au pied de falaises  et dont les maisons accrochées aux murailles de roches sont accessibles par des escaliers. Si on veut tout visiter, on peut cumuler les marches par milliers. J'en suis sortie les mollets usés.
J'ai cherché loin la rumeur de la mer, les eaux mouvantes et les ruelles escaliers, oubliant qu'à 40 km de chez moi, j'ai la même chose !
Et dans la nuit douce de Cerbère, je grimpe et je compte, car je ne peux voir un escalier sans en compter les marches.



 Il n'y a personne à cette heure de la nuit, que les lumières blondes, les trous d'ombre, les arbres qui pleurent leurs feuilles, et mes pas. Un rare passant regarde avec curiosité cette femme qui mitraille les escaliers de son objectif.

La nuit sur Cebère

Les façades sont belles, les noms de rues sont souvent hommage à des personnages fusillés pendant une guerre, l'impasse Boileau presque accolée à la plage est elle le fruit du hasard ou d'une ironie subtile ? 
Des cris perçants trouent la nuit ; un couple qui se dispute ou un film télé ? 








J'adore l'atmosphère des villages lorsque la vie a déserté les rues et troue les façades de rais de lumière, de dentelles de balcons ou de petites indiscrétions.




Des trains glissent en silence sur les rails luisants, des jeunes font vibrer un étroit trottoir devant une pizzeria, et soudain des cris d'oiseaux trouent la nuit, non  loin d'un chat impassible tapi dans l'ombre. Les oiseaux sont devenus fous ? Et j'éclate de rire : un habitant, smartphone en main distille des cris de prédateurs à des pigeons qui n'en ont "rien à cirer". On échange quelques plaisanteries.

Du haut d'un escalier, la gare, le train, la nuit


La gare


Et je file à l'hôtel...ah, le Belvédère du Rayon Vert...sans rayon vert si ce n'est les rails luisant dans la nuit, sous ses fenêtres. Un hôtel paquebot construit entre 1928 et 1932, style art déco, à l'histoire passionnante, réhabilité aujourd'hui (appartements, spectacles, évènements) , et qui a repris extérieurement le lustre d'antan.

La "proue" de l'hôtel




Façon paquebot

On ne peut plus ignorer

L'hôtel paquebot 

La structure de cet établissement bercé par la mer qui s'écrase sur les falaises en contrebas a du enchanter tous ceux qui l'ont fréquenté, célébrités et simples voyageurs, même vu de l'extérieur, le charme opère. N'oublions pas, à Cerbère les trains devaient changer d'essieux pour poursuivre leur route vers l'Europe ou l' Espagne; alors l'attente était longue et l'hébergement indispensable. Les heures sombres de la guerre Civile espagnole et de l'Occupation allemande en France ont eu raison de la prospérité de cet hôtel.

Figure emblématique de Cerbère


Ensuite, je reviens à mon modeste hôtel sur roues, de loin ma préférence, avec le chant discret de la mer et les ronrons assidus de Nina. 




Demain sera un autre jour. Demain, c'est à présent, la mer enfle et grossit lentement sous l'effet du vent. La balade sera aquatique, pieds dans l'eau, embruns sur le visage, soleil dans les yeux et les gifles du "trou souffleur" que je suis allée chercher discrètement, ce n'est pas très licite...
Ce n'est autre, sur un ancien sentier littoral au pied des falaise, qu'une faille étroite dans la roche : la mer puissante s'y engouffre et ressort sous pression avec hauteur, violence, vacarme et beauté. Et originalité. 

Parcours illicite et dangereux

Même lieu, même danger : 91 marches d'escalier...chut ...sans chute



Un dernier clin d'oeil à l'originalité de Cerbère, enfin celle que j'ai pu voir car le village garde des secrets, assurément. Cette originalité se trouve au milieu du long tunnel. Un espace est vide et si on a la curiosité de lever la tête, c'est une immense lune bleue qui accueille le regard. L'ouverture  a été cernée d'un mur tout rond sur lequel se penchent des constructions et qu'un drôle d'escalier, interdit, ourle de manière bizarre; à ses pieds se trouvait la station de pompage de la ville et c'était si simple de s'y rendre par voie aérienne, sous ce tunnel ferroviaire !


Lune de bleu

L'étonnant escalier


Et encore l'escalier surprenant


Une dernière originalité ? Gustative, je ne puis m'en empêcher...Allez y c'est au "Restaurant de la Plage", que vous trouverez face à la plage...A consommer sans modération et avec les doigts !


Sans légende...


A bientôt !






mardi 17 octobre 2023

Py (66) : non invitation au voyage


 Vous, lecteurs, qui me suivez depuis longtemps ou non, virtuellement sur mes balades, rarement sur le terrain, je ne vous invite surtout pas à aller sur mon chemin de ce dimanche 15 octobre, parce qu'il n'est pas balisé, presque pas emprunté, pas très lisible sur le sol et parce qu'il est si beau que je ne veux pas le partager ! On m'a récemment traitée de grosse égocentrique et bien je le serai, mais comme je ne suis pas tout à fait égoïste, je vais vous le présenter.

Cela se passe à Py, dont j'ai fait un de mes sites de prédilection depuis quelques mois, par ci, par là. J'y regarde monter l'automne comme jadis le printemps en Ariège ou dans le Larzac. L'automne c'est joli aussi; sera t'il beau cette année, où la sécheresse est dramatique même ici, même à 1500 m? 



La Rotja est peu fournie en eau et ses affluents également. La campagne s'est desséchée pendant mes 15 jours d'absence.

Partie tôt, je suis mon chemin habituel, embaumant l'herbe sèche, voici Cantapoc et sa source non tarie, les ruines un peu plus visibles car les arbres un peu plus nus, et enfin j'arrive au départ de ce nouveau chemin, après une visite de 5 ruines que j'avais ignorées, leurs terrasses et même j'ai poussé jusqu'au torrent et la confluence de son affluent, le Salètes.


Du côté de la passerelle des Salettes, juste en dessous du chemin





Belle façade grimaçante


Une série de prairies encore fréquentées

Le Salettes

Le départ de ce sentier (1254 m, 4.5 km) marqué sur la carte IGN est un point rouge sur un arbre : je cherche donc les autres points et il n'y en a point. Je dégaine alors l'arme dont je fais très peu usage : le GPS. J'aime mieux mon flair, la logique du terrain, les marques lisibles mais là, le départ est essentiel, et même si je sais lire la carte en 3D, sans lui je n'y serais pas arrivée. Ensuite ce ne sera pas un "jeu d'enfant" et il me faudra faire quelques vérifications; le sentier est si peu utilisé qu'il n'est qu'une fine trace; je ne le perdrai qu'une fois, attirée par les sources. 


Le départ du sentier et son point rouge


Le chemin 


Ce sera un parcours qui va me mener à travers bois, en limite de crête, en belles forêts, en terrasses, avec quelques ruines marquées nulle part et fort belles. Le soleil joue avec les arbres, quelques prairies d'altitude surprennent en ce site si perdu, une cabane dont un mur entier est rocher sera le coup de coeur du jour. Et puis je bascule dans la vraie forêt, épaisse et sombre, creusée de torrents où chante une eau pure juste jaillie du sol, comme si Merlin l'Enchanteur m'avait précédée.

Peu lisible le sentier



Le cortal et...


Cabane de Baix de Pujado de Cobertorat ( Claude Pideil)




En descente, de terrasse en terrasse




En montant les feux de la rampe

C'est juste mon décor


Chemin faisant



Un corral



Le coup de coeur de face : Barraque de Dalt del Pujado de Cobertorat ( par Claude Pideil)



Et de profil : le mur du fond est rocher triangulaire,
bien vu le bâtisseur




Et les prairies d'altitude devant l'ensemble




Elles chantent au milieu des bois, les sources


C'est le Royaume du Silence, de la lumière et de l'ombre, des parfums d'herbe sèche et d'automne et de la voix du Salètes qui chatouille mon oreille par vagues.

C'est le Royaume de la Grande Solitude, tous mes sens en éveil surtout celui de l'orientation, ah mon cerveau n'est pas sous le bras ce jour là.

Si mince le sentier


Sur la rive d'en face : j'ignore que le sentier passe juste derrière ce roc

Au loin, en face, à la faveur d'une trouée j'aperçois du terrain familier, si proche, si loin, il faut aller loin dans la vallée chercher le retour. 


 Et de l'autre côté mes vieilles connaissances

J'ai rencontré quelques isards dont un affolé qui s'est enfui en hurlant dans les bois !!

Je franchis un petit ruisseau joliment nommé Du Vent (1407 m, 6.7 km) , un premier balisage délavé se montre, discret, le GPS devra le relayer pour grimper un mur de roche et m'extirper du site.


Ruisseau du vent venu du secteur de la Secallosa


Un très joli corral m'appelle au dessus du sentier, long couloir de 30 m, dans quelques terrasses, et mon sentier, enfin un peu balisé, vieilles taches jaunes et mini cairns m'amène au ruisseau de Salètes (7.9 km 1410 m) où je vais perdre toute trace. Géoportail et son GPS me quittent, Iphigénie est muet car ce sentier n'y est pas marqué, donc ce sera en mode "flair de sanglier" que je vais progresser, après un moment d'inquiétude.

Un exceptionnel corral



30 m de long





Un sentier là ? et oui, balisé chasseurs même



3
Traversée du Salettes


Je reprends mes moyens, et ce sera grimpe d'un talus rocheux et croulant, nage libre dans les genêts et autre "bartas", direction une ruine portée sur la carte en terre connue. Je fais la halte repas, au milieu des fougères blondes.


En mode sanglier



Un sentier, là ? Avec un peu d'imagination...

Très vite je me trouve sur un tracé, quelques dizaines de mètres, des terrasses ourlées de cerisiers, et je salue respectueusement la ruine que j'ai déjà visitée : retour sur Terre après un voyage de rêve. 


Quand reviendra le temps des cerises...


Je salue de vive voix ma vieille connaissance

La ruine est flanquée d'une prairie de fougères hérissées d'orties, je franchis l'ensemble sur la pointe des pieds en démarche de canard pour atteindre un pommier chargé de Coquettes, ces pommes disparues encore vertes et acides. 


Les Coquettes

Très rafraichissantes, alors que mes jambes brûlent. Je sais qu'en dessous de cette belle ruine se trouvent d'autres ruines et cette fois je veux les voir . Ah c'est vite dit, le chemin est introuvable sur le terrain. Alors je vais dégainer l'arme suprême, le cadastre. Sur mon site Iphigénie, en agrandissant au maximum, le cadastre s'affiche, et les chemins même anciens, leur emprise au sol, se teintent d'une jolie double ligne mauve. Je n'ai plus qu'à suivre. Le chemin a disparu, même oublié des chasseurs, mais les animaux ne sont pas bêtes, et pendant qu'un cerf brâme immensément, je suis les traces animales mince filet sur un chemin jadis large.

Le chemin 

La ruine
La petite flèche suit ma position; ensuite je peux afficher les coordonnées et l'altitude : 1417 m

La ruine est à l'écart du chemin mais l'animal savait que je viendrais et il m'a tracé la voie, entre fougères caressantes et orties vivifiantes . Insensible je poursuis mon avance...ce que Femme veut dit-on...

L'accès...faut pas s'en priver !

Et les voilà mes ruines; j'adore cette cabane monoplace où un animal a mis un lit de fougères odorantes pour ses nuits; il aura mon odeur dorénavant. Mille excuses.

Et la ruine apparaît, avec ses portes et fenêtres










Sa cabane monoplace


La seconde cabane défend son entrée par un massif opulent d'orties, et ce que je devine à l'intérieur, n'est autre qu'un camping gaz et sa recharge, rouillés. Le zoom de mon APN me l'a révélé, mais je ne verrai rien de plus. J'ai toujours une appréhension à entrer dans ces cabanes.

Cabane de Saletes del Cebes ( G Rabat)


Je pousse jusqu'à la Rotja, tant qu'à faire, tandis que le cerf brâme au fond des bois d'où je viens mais si loin déjà.


Eau de Rotja

Le ciel intensément bleu s'habille de gris, il est temps de revenir, à présent je n'ai plus à me guider, je peux reposer ma tête, et surtout profiter du paysage enfin découvert. Les montagnes perdent de leur relief, de leurs couleurs, sous ce ciel délavé.

Le paysage dans lequel j'ai marché et, dans le cercle, un lieu sans accès, mais j'irai !


Ceci !


La descente, par un chemin connu mais peu emprunté va être rude, mon pied droit me fait de plus en plus souffrir et pour le rassurer le gauche se joint à lui dans la douleur. Vais je bientôt ne plus vous convier, chers lecteurs, à ne pas me suivre sur mes sentiers cachés ? Pendant que je claudique en douleur et en douceur, un cerf me tient compagnie par sa voix rauque et puissante et un troupeau de chèvres soyeuses me croise avec prudence. 

Le patou qui vient à ma rencontre est peu amène mais je fais comme la grenouille de La Fontaine, j'enfle et me gonfle, je lève les bras et je pousse un cri rauque; l'animal, de peur ou de colère s'enfuit, me contournant en filant sous les rochers, décidément aujourd'hui les montagnes auront résonné de cris aussi sauvages que le décor. Ne le dites pas, on me chasserait !


Les noms entre parenthèses sont ceux des personnes qui ont recensé les cabanes (site Wikipedra) : il s'agit de Claude Pideil, Gérard Rabat et Michel Prats, qui ont fait un travail remarquable sur Py et autres secteurs.

En chiffres
Distance : 14. 99 km
Dénivelé  estimé : 700 m 

Le trajet