mardi 25 février 2020

Gra de Fajol : un couloir, une arête, deux sommets

Dimanche : Vallter 2000
Je me réveille avec une envie obstinée de rester au lit.
Je me lève avec une envie obstinée de rentrer chez moi, à 100 km.
Pourtant je me sais en pleine forme !
J'entreprends quand même une balade avec l'envie obstinée de m'asseoir et de contempler les couloirs du Gra de Fajol.

Les deux Gra de Fajol et l'arête les séparant, plus les couloirs
Photo de la semaine passée; ce jour il y a bien moins de neige
La veille j'ai préparé mon sac, comme pour une expédition!
Je ne vide rien et je pars, en musardant. Chaussée de crampons, pour ne pas glisser.
Et j'avance tant et si bien que naît l'envie de continuer.
C'est ainsi que dans un blanc paysage, au pied d'une montagne striée de couloirs où l'on s'affaire fort, je me retrouve presque à ce qui fut mon objectif et que j'abandonnai dès la veille, pour cause de fonte des neiges.
C'était mon projet, canal du Gran Gra  de Fajol
Mais ce passage en roche dans le cercle ne me dit rien qui vaille
Donc je laisse tomber.
Magnifique décor du "Canal de l'Estreta"
Mais je les regarde quand même ces "canals".
En m'approchant assez près. Ils me font rêver
Et le rêve, pour l'humain, c'est la porte ouverte vers  l'avenir.
"Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas vos rêves" Antoine de St Exupéry.



Entrée de l'Estreta


















Je me retrouve au pied d'une face plate et inclinée, où je pourrais...mais oui...Bien sûr !



Et c'est parti ! Toutes envies revenues, je grimpe allègrement un cône de déjection pentu à 40 ° en écoutant un guide conseiller ses clients; je prends note, je suis autodidacte. Et je vise un couloir à l'allure très débonnaire !

Dans le cône de déjection
A mi pente, altitude 2290, par sécurité  je sors les piolets, mets le casque  et je continue jusqu'à l'entrée du couloir. Le couloir est entre deux parois rocheuses, pas très hautes; il n'est pas très large et ne présente aucune difficulté. Juste un peu plus raide que mes "murs" de neige. Et méritant le nom de couloir, puisque enserré. Ici on dit "una canal".

Entrée du couloir

Un guide et ses clients s'y trouvent; il pose les cordes et les clients sont statiques. Je double le monde, enjambe les cordes, interroge le guide, les clients et je trace ma route en évitant d'envoyer le moindre débris à la tête des clients. Je suis sûre d'être très surveillée !


Au travail !

Pensez donc une femme seule et pas de la première fraîcheur !



Je m'amuse fort : d'abord c'est beau, les environs veux-je dire car un couloir est une langue de neige qu'on monte avec un coin de ciel bleu pour horizon : la sortie.

La neige est ferme, pas glacée, au top pour grimper !
Et il a pour nom Canal Occidental


ça se redresse

Ensuite je réfléchis : pourquoi le fait qu'il y ait du monde me rassure tant ? Alors que ce n'est pas plus difficile vide qu'habité...C'est là que mon sempiternel manque de confiance en moi s'exprime si bien.
Je m'arrête souvent pour prendre des photos, creuser la petite terrasse pour l'appareil, la pente oscille entre 40 et 55°.







Je me sens à l'aise comme poisson dans l'eau ou piolet sur glace.
                                                                                                       
Images : vers le haut et vers le bas



Mon seul regret, devoir me loger dans des traces, c'est tellement étroit, si j'en sors, c'est poudreuse. Toutefois j'arrive à m'offrir un tronçon vierge où je fais ma trace et ça, j'aime !
Le paysage à droite me fascine, c'est d'une remarquable beauté. A gauche, rien à voir. La pente fluctue puis se redresse et je vais pointer mon nez à l'air libre, instant toujours magique : qu'est ce qui va me sauter aux yeux ?




La sortie au soleil

Et bien cela me saute aux yeux ...2503 m je suis sur le fil de l'arête de ce tranquille couloir d'initiation de 260 m.


Sortie du couloir et Cinglera de les Arbretes : ça saute aux yeux


Sortie du couloir (donnée pour 55°)

Sur ma gauche se trouve le Petit Gra de Fajol, 2567 m. Une fine arête enneigée m'y conduit mais je ne regarde que le paysage alentour, tout est nouveau ce matin. Le temps est splendide, pas une brume, la mer scintille, les sommets resplendissent, les lointains bleus sont une symphonie et j'orchestre une partition d'émotions. Seule au sommet, une aubaine....
La sortie de l'Estreta me fascine : quelle pente de neige !

Elégante arête sommitale
Et sortie de l'Estreta  là haut

Au sommet, 2667 m


En images, le paysage : 
Pyramides : Gra de Fajol Gran et au fond, Bastiments, 2883 m
1er plan, à droite, une des sorties de l'Estreta

Pyramide sommitale Gra de Fajol Petit

Côté mer, au loin

Là où j'étais dimanche dernier
Le Canigou

Et là d'où je ne voulais pas bouger ce matin ! Vallter
(je vois mon camion minuscule)

  
Grand Gra de Fajol en haut


Je vais donc revenir, regagner mon couloir et me lancer un peu plus loin, dans la pente .






Rentrer ?? Si vite ? Ah je voulais rentrer chez moi et voilà que j'ai envie de rester...la nature humaine est bien fantasque, la mienne en tout cas.
De toute façon j'ai le retour sur cette crête pour réfléchir.
Et, revenue à la sortie de "mon couloir" où le groupe n'a progressé que de quelques mètres, ma décision est prise, je continue.


 Je continue par l'arête du Grand Gra de Fajol, et je vais revenir par la boucle du Col de la Marrane. Une belle perspective.
Et là va commencer un des beaux parcours de ma vie.
Ces Gra de Fajol sont comme un vaisseau à 2 mâts fendant les flots. Leur élégance et leur allure les rendent aussi esthétiques d'en bas comme d'en haut. Je vais naviguer sur le pont, soit une mince arête qui court de l'un à l'autre comme une nageoire dorsale.
En image, l'arête que j'ai suivie
Parcours en crête dorsale; petit Gra de Fajol en fond
Entre neige et rochers.
Je serai seule, absolument seule et je vais profiter du décor. Le temps ne me presse pas, j'ignore l'heure, je m'imprègne.
Un petit passage en dévers pourrait être le seul point un peu risqué, mais il est bien tracé, une petite cheminée enneigée conduit à l'arête rocheuse, sortie entre deux beaux blocs de roches, je quitte les crampons, enfourne les piolets, extirpe les bâtons et je pars pour 500m de chemin en arête et 200m de dénivelé, un parcours court et raide. Surchauffé surtout.

Le petit passage en dévers et la cheminée

En images, la petite cheminée, vers le haut et vers le bas




Alors, pause...boisson, repas,; changement de pantalons, oui tout est prévu.
Je meurs de chaud et n'ai presque rien mangé.


Côté sud, Coma de l'Orri

Quel décor de restau !


Mes dernières randos au loin, Montseny
 Mais que le paysage est beau! Sur l'arête de neige il y a du monde. Je suis seule.
Voyage en crêtes et Col du Pas de l'Isard

Chemin faisant je grimpe une pente de neige stable et me retrouve au sommet que je connais bien. Il est peuplé: normal. Je discute, je flâne, ce sont mes boulevards et vitrines ces endroits là...Je fais shopping d'images et sensations.


Au pied de la falaise, la sortie du couloir que je briguais
(mais un jour, je le ferai)
En haut sommet du Grand Gra de Fajol

Il y est en plein dedans !
Canal du Gra de Fajol Gran

Contraste rocheux ; beaucoup de quartz laiteux dans ce secteur

Aérienne Montserrat
2 nd sommet, 2712 m



La descente est une formalité à la pente sévère mais je cramponne.


















Sans crainte, voilà un mauvais esprit que j'ai maté.



Ce type de pente ne me fait plus peur : ouf
ça c'est fait ! Vaincre la peur
200 m en dessous et 480 m plus loin se trouve le col de la Marrane, 2529 m, qui va aussi s'accompagner d'une sévère descente. Il fait étouffant, des "touristes " en raquettes, suants, soufflants et emmitouflés montent péniblement, moi, je vole...car je pense au refuge et à une bonne bière fraîche. Un coup d'oeil au couloir défendu, où se presse encore une poignée de grimpeurs et la partie "la plus difficile" du parcours m'attend : j'ai ôté les crampons et je glisse pas possible !!
La bière n'y est pour rien !

Mon couloir

Celui que je voulais faire



Un luxe !
Mais ça y est j'arrive au camion : quoi ? Il n'est même pas 14 h ?

J'aurais pu m'attarder encore, ce n'était que du tourisme sportif.


Vue prise au Pic de la Dona : mon tourisme sportif du jour
Rouge, aller; jaune, retour
En chiffres 
Dénivelé positif cumulé : 715 m
Distance parcourue : 7 km
Temps d'absence : (et non de marche) 6 h
Route : 200 km AR




mercredi 19 février 2020

Le Pic de la Dona (femme) 2702 m par "voie de Femme"



Pourquoi par "voie de femme" ? Parce que je choisis un parcours inédit, que personne n'emprunte pour cette destination là. Une voie qui va nécessiter crampons et piolets.


A gauche mon chemin
A droite , en action

8 h 05: je quitte le parking de la station de ski de Vallter 2000, de l'autre côté de la frontière à juste 100 km de chez moi. Je suis trop chargée mais comme souffle le vent, je sais que sur les crêtes ce sera violent, insupportable. Pourtant,  raquettes, cagoule, doudoune, gros gants et donc grand sac...seront tous en trop mais un litre de liquide supplémentaire eut été le bienvenu !

Sur la piste  rouge

Prise rapide de dénivelé

La station se peuple, les machines vont entamer leur long ronron et je marche, me délestant très vite du pull et des gants. Personne sur les pistes, le soleil intense a enflammé les rochers et la neige, un instant, magie des cimes....

Pour eux c'est perte rapide de dénivelé

Une harde d'isards batifole dans la neige et prend tout son temps sur le chemin que je ferai mien. Au lieu de continuer et de grimper au fond du cirque (un joli mur quand même) arrivée au bout du tire-fesses de cette piste rouge à l'écart, je bifurque vers un de mes sites de choix, le Trident. C'est un amas de rochers à l'opposé des Ximeneas de Bacivers. L'an passé je m'y étais aventurée, l'avais traversé et avais rejoint les cimes.

Le secteur du Trident, avant mon départ
Je fais mon choix de "voie de femme"

Depuis un moment je scrute, à la recherche de ma voie; je traverserais bien l'amas rocheux mais je suis fatiguée, une vilaine morsure de chat "sauvage" tourmente mon poignet et je prends un traitement costaud.
Ainsi je choisis la voie qui m'offrira le plus de commodités, elle est à vue, donc sans surprises en théorie.

J'ai fait mon choix 
Oh ce n'est pas de l'alpinisme ! Juste un petit mur de neige bien incliné. Qui débute vers 35° et atteindra un bon 50°, avec plus de 150 m de dénivelé
J'entame la montée avec les piolets à 2454 m. La neige est excellente, pas glacée mais assez dure pour que les piolets mordent bien et m'assurent, mes crampons se logent bien. Sans fatigue ce serait un jeu d'enfant, la cadence comme je l'aime, c'est un exercice que je découvre tardivement et qui me va comme un gant. Ce matin je manque d'énergie...Pourtant lorsque je me retourne, les skieurs sont tout petits en bas.

Secteur du Trident : début de la montée


C'est parti !
Et je me régale !!


Là bas, dans mon dos, vers l'est, c'est la mer
Mais on ne voit que celle de nuages

Dès que j'arrive aux rochers, je me faufile et m'installe sur un perchoir, j'y resterais des heures. A contempler, à observer, que c'est beau...Et quelle lumière...Je renoue avec la neige de bien belle façon. Le vent est tombé.


Pause sur un roc

Le paysage dans mon dos

Je reprends ma route de neige, la pente se redresse sensiblement, je pose les piolets le temps de quelques photos, exercice pas recommandé. Je savoure cette montée pour laquelle je n'ai aucune appréhension, il n'y a aucune difficulté, la prudence et la concentration sont de mise.


Derrière moi
je viens d'en bas (milieu image)


Pause sur pelouse, c'est prudent
Une idée de la pente


Je fais la pause !

La pente s'adoucit; en fond, Gra de Fajol Gran


La sortie est proche
Je suis presque en haut et un peu trop fatiguée bien que la partie sommitale s'adoucisse; je bifurque sur une langue de pelouse pour sortir, par prudence. J'ai parcouru 150 m de dénivelé, j'hésite à repartir sur la neige de peur que la lassitude ne me joue un tour au final. Je m'en veux de ne pas terminer mais je range mon orgueil, je n'ai rien à me prouver. Un dernier moment de contemplation au milieu de ce nulle part bien incliné et je débouche sur la crête sous le regard étonné de deux skieurs français (rareté ici), qui cherchent leur voie de descente. Un bref dialogue en catalan et on s'aperçoit qu'on est tous français !

Tout au bout, les Bastiments ou Géant, 2883m
Désormais le Pic de la Dona est en vue, l'atteindre sera une formalité.
Mais une merveille de formalité : quel panorama à 360°! Et quelles couleurs! Sans parler de la ligne fine de l'arête qui ondoie. Toute la plaine des  deux côtés de la frontière est baignée d'une mer de nuages. Car je suis sur la ligne frontière.


Tout au bout le Pic de la Dona. Crête frontalière




Oui bien chargée !

Il y a du monde, il fait très chaud, c'est l'été au grand soleil.


2702 m le sommet frontalier est sous mes pieds, très peuplé. Je ne reconnais pas les lieux de mon passage en plein coeur de l'été.  Des skieurs, des chapelets de raquettistes, un monde coloré , bruyant, qui s'installe en terrasse comme sur les boulevards et devise allègrement. Nous toussons tous, c'est l'air trop sec et brûlant qui nous irrite. Je reprends des forces. Midi est encore loin et je n'ai pas faim. Mais j'ai tant dévoré d'énergie que les crampes m'obligent à manger debout.

Sommet : 2702 m
A gauche de la croix, les GRa de Fajol, à droite les Bastiments (2883m)


Face à moi, plein sud, je reconnais le Turó de l'Home, les Agudes, le Matagalls. Les Bufadors se cachent derrière les Gra de Fajol dont les couloirs d'alpinisme, dans l'ombre, sont magnifiques.
La mer est invisible, noyée sous les nuages. On a une chance extraordinaire ici...Je musarde tranquillement, état de contemplation soutenu.


Col Mitja, Gallinas 2624 m) à droite
et pente du Pic Rodon (2677 m) à gauche

Mes dernières et récentes randos catalanes


Vallée de Mantet 

Les Gra de Fajol et leurs couloirs fascinants

Côté Capcir
 Je réfléchis à mon trajet de descente.Je pourrais m'offrir en dévers cette belle pente sous mes pieds qui me conduirait à mon départ du mur mais j'opte pour un parcours "neuf", la voie normale d'accès .
En fait cette rando sera un chemin à l'envers.

J'ai choisi, ce sera Porteille de Mantet (après les plaques dénudées)
et "à droite toute" direct sur le parking

J'ai gardé mes crampons aux pieds, plus commodes que les raquettes, à mon goût; je pourrais les ôter tant ils sont inutiles, mais ils m'assurent contre la glissade. Et la descente raide en neige n'est certes pas ma prédilection.
Car cela descend bien pour gagner la Porteille de Mantet : 300 m de dénivelé. Et encore plus après elle. Je passe à l'écart des gens, je suis des traces de crampons. Mais je crée ma propre trace, en appliquant un conseil reçu un jour de peur, et cela fonctionne très bien.

Je m'amuse bien


Une belle pente aussi !
 Une belle descente, ludique, bien inclinée, pas trop peuplée, de la lumière plein les yeux, avec pour seul décor à présent les rides du Gra de Fajol. Et un joli torrent qui va prendre quelques goulées d'air, j'en profite pour lui chiper quelques goulées d'eau. Mentalement, je prépare ma prochaine sortie dans le coin. Une curiosité m'attire...Grrr


Couloir "l'estreta"
Gra de Fajol


Porteille de Mantet 2412 m, la dernière lige droite: un bel entonnoir

J'entre en forêt, joli spectacle qu'une forêt enneigée, j'atteins le parking surpeuplé, par la porte étroite et discrète . Il est 13 h, la chaleur est intense, je peux me reposer.
2150 m d'altitude, 22° à l'ombre, 44 ° au soleil , qui dit mieux ?



Plus tard...à Setcases...
Je l'ai bien mérité !

Une anecdote qui pose question:
De la crête je vois soudain dévaler un amas rouge qui s'écrase contre un rocher et quelque chose (un casque ?) qui s'envole. Pétrifiée j'observe le corps immobile. Et je prends une photo . Que faire ? Appeler le 112 ? Attendre un peu pour en parler avec cet homme qui approche ? Le Trident cache ce corps et l'homme n'a rien vu. Enfin, lorsque revient la vue, le corps est revenu à la vie. Il y a d'autres personnes Tout est bien , je suis soulagée. Plus tard, chez moi, j'observerai la photo et...c'était juste un gros sac à dos qui avait joué les skieurs. C'eut été malin d'appeler les secours !
Mais la question reste en l'air : que faire en cas de doute ?...


En Chiffres
Dénivelé cumulé: près de 600 m
Distance : 6.3 km
Mur de neige : 150 m D+
Temps : 40 mn
La route :200 km AR