Je les connaissais déjà, les avais suivis jusqu'au bout de leur chemin, m'étais interrogée mais...j'avais passé mon chemin.
Cette fois, ce petit pont aussi injustifié que la route devaient tout changer. Pour qui furent-ils construits?
Le pont sur le Riu Roig (ruisseau rouge) |
Mon précieux compagnon "Google" fut longuement interrogé et je fis avec lui un merveilleux voyage dans le passé.
Que je vais essayer de vous conter en abrégé.
On remonte le temps ?
En l'an 840, à l'emplacement de l'actuel Thuès les Bains, une poignée de moines créa le monastère d' Eixalada ( ethym : pentes abruptes, ravinées , éboulis) , monastère qui fut emporté en 878 par une crue phénoménale de la Têt et reconstruit à St Michel de Cuixa.. Ces monastères étaient extrêmement puissants et la Carança ainsi que Thuès entre Valls leur appartenaient .Villages, hameaux et "richesses".
Thuès entre Valls, au débouché des gorges n'avait pas la physionomie d'aujourd'hui. C'était deux villages distincts, Thuès (ou Toes) était au bord de la rivière Têt et Tresvalls (trois vallons) au débouché des gorges. Tresvalls et Toes s'unirent au 16 eme siècle pour donner le Thues entre valls actuel. Il existe au long de la Têt d'autres villages disparus. (Au pont Séjourné notamment).
Donc cette abbaye puissante, Cuixa, recevait des subsides importants de la Carança , et le Royaume également, français d'abord puis de Majorque et ensuite d' Aragon puisque en 1258, la Catalogne fut rattachée à l' Aragon. (Jusqu'en 1659 où elle redevint française).
Je ne pouvais vous parler des richesses de la Carança sans évoquer cette page d'histoire car ce n'étaient pas les habitants du cru qui profitaient des "largesses" de la nature. Il leur restait quelques droits. et surtout des devoirs : la prospérité des lieux.
Quand on se promène de ponts "de singe" en passerelles accrochées aux falaises, dans ce paysage agressif, torrent, murailles, on se demande quelles richesses !
Il faut arriver là pour les rencontrer , ou les imaginer : le bois.
Là c'est le Ras de Carança où trône le refuge géré par "Les chemins de Pyrène" (Fontpédrouse).
Altitude 1750 m : forêts et zones d'estives. |
Mais en ce 14 eme siècle et sans doute avant, le bois est exploité, envoyé vers Barcelone, et pourvoit Roi et Abbaye en revenus.
Toutes ces forêts , rive droite de la rivière, jusque très haut sur les pentes, jusqu'aux crêtes, grouillaient alors d'une extraordinaire vie, séparés des villages par le vertigineux défilé des gorges.
Des nuées d'hommes coupaient les troncs, on peut imaginer à la hache ou à la scie à main, ces scies qui nécessitent 2 hommes. Les troncs de conifères ainsi abattus, et ébranchés, étaient précipités par la pente vers la rivière, ou traînés par des animaux de trait, boeufs ou mulets. Le lieu dit "La descargue"( le déchargement) au bord de la rivière peut en attester. Quant aux branchages ils n'étaient certes pas perdus mais avaient aussi leur usage.
Dans ces forêts circulait, infatigable, un homme, le "foraster" (le forestier) dont la seule tâche au fil de l'année était de surveiller la forêt...et ce qui s'y passait ou pouvait s'y passer d'illicite. Cette forêt avait une telle importance qu'elle avait un garde pour elle seule alors qu'ailleurs, le même garde surveillait plusieurs sites ou vallées.
Là où aujourd'hui règnent solitude, silence, chant d'oiseaux et d'eau, c'était un branle bas de combat au milieu de vacarme, cris et grognements d'animaux.
A la Descargue, les troncs, entassés étaient alors acheminés vers la vallée et Thuès.
Murs de soutènement dans la partie montagneuse et sujette à éboulis |
C'est ici que notre petite "route de la Carança" entre en service. Liés et tirés par des animaux, les troncs descendaient sagement vers "en bas", vers l'entrée sauvage et vertigineuse des gorges qu'ils devaient ensuite franchir.
On peut encore voir, dans le parcours sur la pente , l'actuel sentier de randonnée les murs de soutènement qui longeaient le chemin.
Et l'ancrage du chemin ainsi que son pavage.
Sur lequel le randonneur a plaisir à marcher en forêt.
Une forêt où les conifères sont absents pour cause d'altitude.
On est passés de 1700m à 1300m
Un chemin long de5,5km, qui passe de 1700 m à 1150 m, au terminus juste après le petit pont de pierre.
Un chemin guère plus large de 1.30 m qui était la mesure des chemins de l'époque.
Il faut imaginer qu'autrefois les ruisseaux étaient bien plus torrentueux car fournis en eau : davantage de pluies et de neige . D'où la nécessité de ce pont pour franchir le torrent. Ensuite pour traîner des troncs il fallait le moins d'obstacles possibles.
C'est là que l'extraordinaire relaie l' Histoire.
Alors , les hommes du 14 ème siècle ont créé un canal. Un canal aérien, suspendu au long de la falaise, un canal qui franchissait la rivière d'une rive à l'autre pour être au plus près de la falaise adéquate, un canal haut perché , solidement ancré dans le roc, Un canal en bois !!
Sur plus de 2 km. Un canal qui empruntait le parcours "Indiana Jones" qui nous amuse tant.
Cependant ce canal ne pouvait admettre de grands troncs : qu'à cela ne tienne : un "moli serrador", un moulin de sciage fut créé avec la force des eaux au terminus du chemin, à l'entrée des gorges, là où la rivière atteint sa puissance maximum. Enfin j'imagine en ce lieu car rien ne l'atteste, seule ma logique. Toutefois il est mentionné en 1350.
L'ancien canal courait là, chargé de bois flottant |
Le canal aussi était suspendu ici. |
Un canal qui disparut à jamais avec la phénoménale crue du siècle en 1940..
Je vous avoue que je fus subjuguée en lisant dans les vieux grimoires numérisée cette extraordinaire épopée!
Plus tard, après 1940, ce furent les pêcheurs qui construisirent des passages "de bric et de broc" pour s'aventurer dans les gorges poissonneuses.D'où fut exportée la Truite Fario pour donner ses gênes et son label vers d'autres lacs, rivières et contrées.
Points d'ancrage dans la roche |
Ancienne passerelle Le canal pouvait s'y apparenter, avec des rebords |
Ce bois qui allait vers son nouveau destin : constructions navales, charpentes, etc...il y avait tant d'usages du bois, jadis...C'était avec la pierre LE matériau.
La sortie des gorges, à l'ancien Tresvalls |
Cette fois je vous conduirai presque en haut des falaises, à 1000 m au dessus du niveau des eaux qu'on entend parfois mugir. en un voyage assez extraordinaire aussi...Hors du temps en tous les cas. On fera parler la pierre...
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Avant de clore ce billet je me dois de vous parler du cuivre : oui, des mines de cuivre de la Carança.
Bien plus haut dans la montagne puisque à plus de 2200 m d'altitude, entre l'Etang Bleu et l' Etang de Carança. Je les ai vues il y a plus de 30 ans mais je n'ai aucune photo. Quelques galeries, un lieu nommé "Cabane des Ingénieurs". C'est tout ce qu'il reste des prospections faites en 1815, et mentionnées dans "Géographie des Pyrénées Orientales dédiée à la jeunesse", 1819 (pages 155 & 156). l'une d'elles contient un petit filon d'argent. elles ne furent cependant pas exploitées, après prospection, car pas rentables.
Voici : ici se termine ce petit voyage au plus près des eaux torrentueuses
qui vécurent jadis une étonnante épopée dans un cadre grandiose ,
dont seules les falaises et les vieux grimoires se souviennent encore...
A suivre....
"Les troupeaux et le charbon"
Bonjour,
RépondreSupprimerLes passerelles/ponts suspendus ont été construit (et sont entretenus) par la SHEM (du groupe ENGIE, ancienne filiale de la SNCF). Rien avoir avec les pêcheurs.
Quant aux galeries (à 2200m), je me suis posé la question : Est-ce simplement d'anciennes mines ou alors des galeries d'ancrage (ou d'étude d'ancrage) et/ou des débuts de dérivation réalisées dans les années 1930 ???
bonjour, pour ce qui est des passerelles, j'ai trouvé ce renseignement dans des écrits, comme tout ce dont je parle. L'histoire des pêcheurs me paraissait crédible puisque les passerelles (actuelles) débutent en amont du barrage et des galeries d'eau. Peut être l'écrit parlait de passerelles entre Thuès et le barrage ? La corniche ai je lu a été creusée en 1943 par la SNCF , pour ce travail de captage des eaux. travail de creusement énorme ! merci pour vos renseignements. Les mines j'ai trouvé plusieurs écrits parlant de cuivre et donnant la teneur, la densité des filons.
SupprimerMerci Amedine pour ces cours d histoire que je ne connaissais pas ?on ne peu pas tout savoir Vivement la suite bises
RépondreSupprimerMerci cher Barthélémy : tu l'auras bientôt, elle nous emmènera avant le 12 eme siècle cette fois
SupprimerCoucou ... Grand MERCI pour ces passionnants récits et ces superbes photos !!!
RépondreSupprimerDoux w-e, Bisous, sans oublier les Caresses aux Félins
Un peu morose le week end mais pas les félins ! Bisous
SupprimerMerci Amédine de Nous offrir un peu des Souvenirs des Falaises & des Vieux Grimoires :)
RépondreSupprimerBonne fin de semaine avec Les Minous A Bientôt :)
Comme les falaises parlaient le vieux catalan, je n'ai pas pu tout savoir...Bisous
SupprimerBravo Amedine. Comme d'habitude de belles histoires, bien racontées, bien écrites. On en redemande.
RépondreSupprimerMerci Guy, j'aime beaucoup raconter parce que j'aime apprendre peut être , que je suis curieuse et que c'est notre patrimoine
SupprimerPassionnant ! J'aime ces petites histoires locales qui font la grande Histoire. Je viens de faire une recherche sur Google Earth, beaucoup de photos qui confirment l'impression de ton premier texte. Des photos, mais grâce à toi nous avons le texte, ce qui manque souvent aux publications actuelles. Merci et j'attends la suite...
RépondreSupprimerBientôt Pierre, j'ai commencé à rédiger. J'ai fait de très intéressantes trouvailles en faisant parler la montagne. Elle est secrète il faut lui demander avec diplomatie, n'est ce pas ? Et aller la chercher parfois hors des sentiers
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce voyage éducatif et surtout plaisant.
J'aime beaucoup l'histoire, mais surement encore plus la "petite" histoire.
Douce soirée
Natacha
Je suis loin d'être passionnée par l'histoire en général, mais rattachée à des lieux que j'aime ça me parle. bonne soirée. Amédine
SupprimerOn en apprend des choses chez toi, Amédine. Merci ! :-)
RépondreSupprimerJe vais vite lire la suite. Bisous.
Bonjour,
RépondreSupprimerIl y a quelques années, à l'occasion d'un week-end et par hasard, nous nous sommes arrêtés à ces gorges de la Carança, mais un gros orage nous a contraint à faire demi-tour au niveau de la première passerelle. Nous nous étions dit alors qu'il faudrait que l'on revienne et puis le temps et la distance .... Et là, ce chemin , cette histoire me donne trop envie de les parcourir ! Maintenant nous avons une maison dans l'Aude et il va être beaucoup plus facile de se faire plaisir dans cette superbe nature ! Merci pour votre récit .
Que vous dire sinon allez y à l'occasion vous ne serez pas déçus le passage est folklorique !
SupprimerC'est passionnant ! Merci.
RépondreSupprimerJe réponds pour tes trois commentaires : tu vois les Gorges de la Carança ont une passionnante épopée à jamais engloutie. je me suis plu à la faire revivre. Et si cette drôle de balade t'a plu et bien ...j'espère pouvoir en conter d'autres au gré de mon cours de vie torrentueux.
SupprimerJe lis ce récit aujourd'hui seulement grâce a Jean qui l'a publié, nous l'avons faites 3 fois dont une en refuge pour monter aux lacs, il est certain que nous retournerons un jour à la Carança c'est un endroit que j'adore mais je ferais ce trajet différemment surtout dans un autre état d'esprit. Merci Amédine Christelle L.
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