lundi 19 décembre 2022

Aude : Leucate, la face cachée de la presqu'île, côté ouest

Pour qui suivait mes pérégrinations en montagne, une descente à ras des eaux de la mer ou presque peut sembler spectaculaire, ennuyeuse, sans intérêt ou, au contraire,  un peu plus accessible à chacun. Plus à portée de main peut on dire, surtout lorsqu'on a un genou en vrac qui a décidé de prendre son temps. J'ai essayé de prendre mon mal en patience et de tirer parti de ce que je pouvais m'offrir. Je ne dirai pas "pas grand chose" car ce serait faire insulte à ce lieu où je suis, par le passé, venue rééduquer quelque infirmité.  Si dans mon précédent article j'ai porté un regard nouveau en ce secteur, la balade le long des falaises, très prisée et empruntée, j'ai voulu offrir à ma curiosité la façade opposée, en apparence d'un intérêt mineur. Aucun appel du large, aucun regard errant sur les eaux vertes et les cordons littoraux percés de "graus". Simplement une molle ondulation de terrain s'extirpant de la surface moirée des étangs et montant sur un plateau, nom un peu prétentieux pour les 30 m de dénivellation. Une morne colline couverte de pins, où se devine parfois un ancien rivage; une route ancienne parcourt la base de cette colline, près de l'eau et le regard se porte naturellement vers l'eau, la colline, on l'oublie. Ce que j'ai toujours fait. Sauf que...


La presqu'île se noie dans l'étang. Face ouest


Façade ouest de la presqu'île


Une douce colline
Quelques excentricités

Aux rivages marqués


Ce jour là, j'ai préparé ma sortie sur la vue aérienne de cette colline et quelque chose n'a pas échappé à mon regard affuté par des années de lecture de cartes et vues. Donc ma visite est très ciblée. Je n'en dirai pas davantage. J'ai fait une découverte qui n'a rien de majeur mais qui n'est pas mineure non plus. Confirmée par les archéologues. Sur le site je ne verrai rien, ne trouverai rien, ne ramènerai pour tout trophée que du bois pour ma cheminée mais mes yeux pleins de paillettes iront fureter dans les environs. 

Future vigne sur le plateau

Et des murs chargés d'histoire (s)


Les environs en ce dimanche  4 seront 6.5 km de marche chaotique dans des parcelles en friche entourées de murs de pierre, l'ensemble plat comme la main sauf les murs en relief qui sont la difficulté du jour pour mon genou. Sur ces parcelles je trouverai des vestiges de vignes, oliviers et amandiers, des ruines d'abris, casots et autres bâtiments plus hideux, moignons de la cabanisation aussi effrénée qu'elle fut réfrénée. Je gagnai rapidement la partie centrale de la presqu'île, cultivée en vignes, plaisante mais sans surprise. Sans vue sur mer ni étangs. 

Angle de parcelle 

Chemin creux


Amas d'épierrage

Un des nombreux chemins


Les murettes me fascinèrent, comme les chemins creux et je m'absorbai dans la contemplation d'une énigme que je n'ai pas résolue. L'imaginaire peut vite recouvrir ces landes rases et abandonnées; rares y sont les promeneurs, cela me convient. Je découvrirai quelques indices parlants, un chemin rocheux creusé d'ornières témoignant du passage fréquent d'engins lourds, une guérite incluse dans un mur, poste de garde du chemin ou du camp militaire.
Une des énigmes : étrange alignement

Une très belle ruine
Vue de près




Paysage de la presqu'île intérieure

Mur d'angle de parcelle, mur d'épierrage

Très ancien chemin avec ses ornières


Etrange casemate




Incluse dans un large mur tout près du 
chemin à ornières

Ma trouvaille soumise à un archéologue fut déterminante, coup de starter à ma curiosité que même un genou n'handicape pas. J'alliai quand même à cette sortie deux incontournables, un joli regard sur le coucher de soleil sur les étangs et une halte festin.

Dans l'or du soir qui tombe sur l'étang

Le plein d'iode, autrement


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J'avais la semaine pour potasser mon sujet. Car sujet à interrogations il y eut. J'avais mis le doigt, ou plutôt le regard, sur un vestige jusque là passé inaperçu, de la célèbre Bataille (ou Siège) de Leucate, 1637. Oui 385 ans plus tard, mon regard rencontrait le champ de bataille.

En ce temps là, le Traité de Corbeil, 1258, définissait la frontière France Espagne  entre Leucate et Le Barcarès, en suivant la ligne des Corbières.


Ancienne frontière (1258)


La nouvelle frontière (1659) est tout en bas

La description de la presqu'île de Leucate en 1637 est un peu différente de celle qu'on pourrait faire aujourd'hui. Côté nord, la presqu'île, nommée alors "Montagne de Leucate" regarde la France du haut de son promontoire d'une 30 aine de mètres, "une pièce détachée de la France par son étang qui la sépare du grand chemin", soit la grand route Perpignan Narbonne (jadis la Via Domitia). L'autre extrémité, côté sud est décrite alors comme "communique avec l' Espagne par une plage qui est entre la mer et l'étang de Leucate, laquelle est appelée en langage du pays Grau". Aujourd'hui, ce cordon littoral est nanti d'une grand route et de la station balnéaire du Barcarès. Il n'y avait en cette année 1637 aucun accès sinon par mer et étang entre Roussillon et Leucate. Donc l'essentiel des armées, des défenses et des combats se situèrent sur le nord, hautement fortifié. 


                                                                                          
La face nord où se déroula le siège



Ce siège de Leucate fut un des moments de la Guerre de Trente Ans, en septembre 1637. Sous le règne de Louis 13. Voilà deux ans que la France est en guerre sur plusieurs points contre l' Espagne et l' Empire de Habsbourg. Je n'entrerai pas dans la page d'Histoire mais je savourerai avec délice le récit qu'il en fut fait au soir de la bataille, en vieux français (plutôt facile à lire, ebook sur internet). 

On trouve d'ailleurs la traduction en français.




Forte de ma lecture et re lecture, en ce dimanche 11,  grisâtre je retourne sur le site, anciennement en France. L'ouvrage contenait une carte, je cherche donc des vestiges de muraille (2. 5 km de murailles érigées par les espagnols sur ce site qui était quand même en France) . 

Le champ de bataille : sur la gauche, la partie nord

Ces murailles sont  décrites avec détails dans ce récit : 8 à 9 pieds soit 2.40m à 2.70 m de hauteur, fossés sur l'avant, banquettes (de tir) sur l'arrière, le tout en pierre sèche, terre, fascines (fagots), pieux, d'une merveilleuse beauté paraît il. Longue de 2500 m, cette muraille qui suivait les contours du terrain, de la colline, fut très vite édifiée par 4000 hommes en plus des soldats. Le texte vante aussi la merveilleuse beauté des forts dressés sur les éminences, assujettis au relief irrégulier mais le génie des bâtisseurs n'est pas boudé dans ce récit. Récit qui, sur 110 pages ne fait grâce d'aucun détail, armements, combats, effectifs, jour après jour, et quelques anecdotes aussi savoureuses qu'effrayantes. Ni sur ce que les espagnols laissèrent sur le terrain en munitions et argenterie, suite à leur débâcle. Même la météo et la lune y sont évoquées. Cet ouvrage est l'un des 25 tomes du Mercure François (17 eme siècle), la première revue française à être publiée en français (ancien) et non en latin. Ce document décrit aussi le site, lequel a peu changé en 385 ans, sinon que la France et l' Espagne se disputaient les environs. Et si en ces deux dimanche il y a invasion espagnole, c'est uniquement pour les fruits de mer et le vin blanc !

Je garde en tête cette description et le but de ce dernier dimanche est de retrouver un fragment des murailles, leur tracé approximatif, l'emplacement du Fort de Cerbellon et ma foi, pourquoi pas ? le parc à canons auquel les français mirent "imprudemment le feu à quantité de poudre dont l'embrasement fut si soudain que 100 soldats furent brûlés " et d'autres, "embrasés des pieds jusqu'à la tête couraient  tous en feu par le champ de bataille" ...(p70). J'imagine tout cela au cours de ma balade.

Pour les murailles, il me faut traverser la route à grande circulation et aller me jucher sur la ligne de crêtes, là où la vue est belle sur les étangs, et la pente brutale. 

La façade ouest sur les étangs

Sont ce les murailles ou pas ? Une ligne de superbes pierres bien taillées et agencées, surmontées de plus petites couronne le plateau, je pourrais suivre jusqu'à La Franqui, (ce que je fis quelques jours après, (le 15) en devinant plus qu'en voyant. 


Ce ne peut être qu'elles




Un angle de la muraille

Taillé en plan incliné



Tracé au cordeau

De l'autre côté du chemin une sorte de guérite

Un chemin qui longe la muraille

Le fort de Cerbellon  est peut être cette pointe nord qui domine tout le paysage et dont on voit quelques boursouflures, creux et une pointe en pierres taillées. Rien ne sera preuve, tout sera hypothèses, tout sera plausible.

Ce pourrait être les ruines du Fort de Cerbellon

Je longe toujours la crête ce qui me vaudra quelques acrobaties à l'aplomb de la grand route que je franchis en tranchée. 

Le plateau est vraiment tabulaire, plat, peu cultivé mais souvent très propre, défriché, parsemé de murettes dans lesquelles se logeait un ou autre cabanon, une vie paysanne éteinte au dessus d'un champ de bataille en filigrane.


Le plateau et la descente sur les étangs

Où semblent flotter les trains


Je vais faire, toujours en longeant la supposée muraille, à l'aplomb du haut talus conduisant à la route et aux étangs une rencontre : une sorte de guérite lovée dans le mur épais : poste de garde, poste militaire ?



Très étroite



Si les murs pouvaient parler. On dit qu'ils ont des oreilles, mais la voix ? 

A présent, je sais où je vais, un site m'a parlé, je viens lui tirer les vers du nez autant que faire se peut. Pour ce faire j'emprunte la minuscule route et je me rends sur ce que la carte 17 eme m'a dit, langage complété par la vue aérienne : des murs épais percés d'orifices qui ressemblent à des puits dans un pays dont l'eau est absente.

Une des petites routes

  Pas très bavard le bougre, fait de parcelles assez petites, au sol pavé de galets sans terre, imbriquées les unes dans les autres, cernées d'épaisses murailles. Des squelettes de vigne et des oliviers redevenus sauvages racontent la vie agricole; des tessons multicolores pourraient parler combats mais je penche, hypothèse vérifiée auprès d'un archéologue, en bonne paysanne, que c'est le fruit d'anciens amendements du sol à base d'ordures ménagères. Je ne ferai pas la trouvaille du siècle, je me contente de lire et cette lecture me plait, langage des signes. Je me rapproche de la guérite trouvée dimanche dernier, je suppose, d'après les cartes, que les parcs à canons et campements étaient là et le paysage va se montrer bavard, très bavard, sur un espace concentré.


Dans les cercles, des orifices que je suis allée visiter, des sortes de guérites

Après avoir beaucoup étudié cartes, sites, vues aériennes et essayé de trouver des éléments concordants, j'émets l'hypothèse, non vérifiée, que cela peut correspondre à ce site.



J'avance, photo aérienne en main sur mon smartphone et géolocalisation, c'est à ce prix que je trouverai; les murs sont plus hauts que moi et il me faut les escalader pour trouver les petites guérites qui s'y logent. Excellente rééducation pour mon genou qui daigne accompagner ma quête.

Dans un espace très restreint je vais trouver murailles épaisses et hautes, chemins encombrés, cabanons engloutis (ou postes de sentinelles), quelques soubassements sous les taillis semblant provenir de petits bâtiments. Dès que je m'éloigne de ce tout petit site, la morphologie agricole reprend ses droits, celle qui va d'un bout à l'autre du plateau et s'écroule en pente douce jusqu'à l'étang.

En images. 




Esquisse de bâti



Adossée au mur et habitée par un pistachier lentisque

Incluse dans un mur fait exprès pour elle, celle ci est dotée d'une petite niche




ce mur est percé d'orifices semi circulaires



et doté d'une banquette




Autre petite cabane

La guérite dotée d'une porte et d'un linteau

Sus le couvert végétal contigu à ces petits abris, on peut voir les soubassements de petits bâtiments
ou d'enclos, je ne sais

L'ancienne vie agricole tout autour : les sols pauvres sont tapissés de petits cailloux calcaires sur lesquels on trouve de nombreux vestiges de tessons qui n'ont rien d'archéologique malgré leur aspect "musée", ce sont les restes d'amendements à partir d'ordures ménagères, pratique courante il y a quelques décennie. Sur ces toutes petites parcelles se côtoient des ceps de vigne morts et des reste d'oliviers.


Un aperçu des sols

Et des vestiges d'amendements

C'est la faim qui m'arrache à mes recherches devenues vaines et je fonce à tours de roue vers le festin.


C'est un bienfait que la frontière ait changé de place !


Mais ce n'est pas le mot fin, je retourne sur site visiter les magnifiques ruines du fort de Leucate, où se déroulèrent deux batailles, celle de 1637, sanglante et celle, plus ancienne, de 1589, sous Henri IV, où Françoise de Cezelly défend valeureusement Leucate en lieu et place de son mari Jean de Boursiez, assassiné quelques jours auparavant par l'ennemi espagnol.

Le village et le fort

Le village vu depuis le fort







Une belle statue de la Dame trône à l'entrée du fort dont il reste de très belles ruines, premier fort en Europe en forme d'étoile, style repris par Vauban. Après le Traité des Pyrénées (1659) le fort fut détruit (1665) sous le règne de Louis 14, parce qu'il coûtait trop cher à entretenir. Le site est classé MH depuis 2006
Les ruines du fort


Il y avait une citerne que l'on remplissait avec l('eau de la fontaine du village,
unique point d'eau de toute la presqu'île


Avant de regagner mon Roussillon devenu français depuis 1659, je tiens à retrouver un site mentionné par l'archéologue, une ancienne mine de fer. Je n'ai pas noté avec précision le lieu , j'ai un doute et je lis sur mon "Sésame" qu'une carrière d'ocre, comblée se trouve dans le secteur des Counillères. Dans l'or du soir qui tombe, j'arpente le secteur en vain, autant chercher l'impossible, pourtant, après une escapade de terrasses en murettes, entre château et étang, je vais faire une découverte : près de mon camion se trouvent des éclats de roche d'une belle teinte ocre. A vingt mètres du véhicule, ironie du non hasard, un figuier jailli d'un grand trou inonde le sol d'une belle lumière dorée : mais je la tiens ma carrière, enfouie sous terre. je n'ai plus qu'à me laisser glisser accrochée aux branches, à allumer la frontale et me voici à l'entrée d'un boyau comblé, aux couleurs jaunes, ocres et mauves, la carrière exploitée dans des temps très anciens ferma ses portes début 20 eme  puis les réouvrit un court laps de temps (1946 / 1948), trois employés et de petites quantités . Ces argiles mêlées aux oxydes ferriques partaient sur Marseille pour y être traitées, afin d'obtenir des pigments naturels. Pour les mines de fer, un peu plus proches de l'étang...je repasserai. Evidemment.

Un puits de lumière, vu d'en haut

Vu d'en bas; il est comblé

Je ne cache pas que c'est angoissant

De l'ocre













Ainsi ne s'achève pas ma visite à cette façade ouest baignée par le scintillement des étangs, la vie qui leur est propre, très discrète sous l'eau, très agitée en surface à cause des sports nautiques et de glisse.

Un dernier parcours s'est imposé à moi, retrouver des ruines de la Grande Muraille et si elle n'est pas de Chine, je vais aller chiner dans la moindre anfractuosité du terrain clôturant le plateau, là où les terres semblent se jeter dans le vide, d'escalier en escalier. 

Un parcours digne d'intérêt pour moi.                                                         A bientôt ! 


A Guillaume Eppe, Archéologue, merci



4 commentaires:

  1. Les écrits en parallèle avec la mémoire des pierres et l'imagination fait le reste, on se transporte sans difficulté quatre siècles jadis ! Encore une belle expérience de terrain vécue par une Amédine insatiable qui en oublie (presque) les petites tracasseries physiques ! Longue vie au genou et de belles futures découvertes à venir ! Merci "Lison" ! PDS

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    1. Merci pour ce chaleureux commentaire. Allez il va y avoir la chute...(euh ne tentons pas le diable), je veux dire la fin de l'Histoire. Et puis je conterai la montagne qui m'a si bien accueillie. Tu auras encore de la lecture, si Deu ho vol.

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  2. Toujours très intéressant à lire avec les photos qui correspondent, du beau travail de documentation, bonne suite avec un genou qui se renforcera à chaque sortie!

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    1. Coucou, ravie de te retrouver, j'au repris ma 1ere sortie, sur Py, là où je l'avais suspendue (en me perdant), j'ai tout compris sur le terrain et j'ai un renseignement à te demander sur le Cortal Llopet. Amitiés. Merci pour ta visite "marine"

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