En ce jeudi 15, je refais pour la 3 eme fois près de 60 km de route (soit au total près de 500 km, les recherches n'ont pas de prix !) pour aller voir un site révélé par la photo aérienne, sur une épaisse muraille; il est impossible sur le terrain de voir quoi que ce soit, si on n'escalade pas la muraille.
Mais du terrain on a des vues imprenables, qu'aucune bataille ne saurait effacer...
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Vu du ciel, un curieux édifice circulaire dans un mur épais |
Et je trouve. Quelle belle surprise : la grande muraille, dont je reconnais l'architecture, et sa position bien à l'aplomb du plateau est élargie et loge, excentrée côté à pic, une excavation bien circulaire, sans ouverture, à laquelle on n'accédait que par le haut.
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Voilà l'orifice mystérieux |
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Poste de garde ? |
Le sol d'origine est peut être comblé mais quel poste de garde, face à l'immensité de la plaine où se trouvaient la France et ses armées, dominant un chemin dont je ne sais s'il existait mais je l'imagine et où j'ai failli engluer le kangoo dans une glaise jaune après la lourde averse du matin.
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face à l'immensité : les armées françaises étaient concentrées là dessous |
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Y a de la glaise au sol ! |
Ce que je nomme la Grande Muraille fut un ouvrage militaire qui encercla toute la partie nord de la presqu'île qui formait un talus abrupt de 30 m de hauteur environ. Cette muraille venait mourir à l'est sur le Fort du Marquis de Guardia, au dessus de La Franqui et de la mer, et à l'ouest, elle jouxtait le Fort de Cerbellon dominant un haut à pic et allait s'éteindre sur la côte ouest au dessus des étangs (article précédent).
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Les deux forts en bleu (Cerbellon en bas et de la Guardia en haut) En pointillés bleus la muraille En blanc, le site approximatif de ma recherche |
La partie comprise entre ces deux forts (en bleu), que je vais "explorer" ce jour, fut le théâtre de furieux assauts menés de nuit, le 28 septembre 1637, les français étant massés dans la plaine au bas du talus et les espagnols, tenant les murailles, munies de 18 canons, les attendaient ainsi que 6000 mousquets (armes à feu à mèche, fusil au canon long de 1.20 m). Les français escaladèrent ce talus, de nuit, en dépit de tout ce qui leur tirait dessus, aidés par la lune et surtout par le vent venu du nord, nommé "vent droit" qui rabattait sur les tireurs leur propre fumée. Les assauts furent terribles, les français arrivèrent à la muraille après escalade du talus exempt d'arbres ou de fossés pour se protéger, appuyèrent leurs échelles à la muraille pour la franchir, essayèrent d'en démonter des morceaux, arrachant pieux et pierres, pour faire des brèches, précipitèrent même des canons dans le vide et repoussèrent les espagnols dans de violents combats, dans des hurlements qui couvraient les ordres, dans des assauts sanglants qui finirent par envoyer les espagnols vers les forts lesquels furent pris d'assaut. Des espagnols se jetèrent même à la mer du haut des falaises et lorsque cessèrent les combats parce que la lune s'était couchée, c'est une armée espagnole exangue et en déroute qui déserta le plateau, laissant 4000 morts sur le terrain, s'ajoutant aux 1200 des français.
Et c'est là dessus que je vais passer mon après midi !!
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A droite le champ de bataille, à gauche le talus et les étangs Angle de la muraille |
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Pointe dans la muraille : place d'un canon ? |
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La muraille rétrécie dans une propriété privée |
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Au passage d'un chemin "moderne", fracture de la muraille |
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Entre champ de bataille et étangs |
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Ce qu'on ne voyait pas alors ! |
J'
ai mis au sec le kangoo pour me rassurer, afin qu'il ne suivit pas en glissade le chemin des canons, et je vais donc arpenter (ou dénicher) ces murailles entre La Franqui et le supposé "Fort de Cerbellon". Il faut se donner, entre des recherches, quelques jours de latence. Je ne suis ni historienne, ni archéologue, donc j'ai mes propres batteries : en un premier temps, je parcours le terrain et je cherche, en m'imprégnant de la facture des murs, de l'orientation et surtout, mot clé dans ma quête, de la cohérence. Cohérence historique, géographique mais surtout personnelle, mon propre ressenti et ma propre réflexion. Fondée sur le bon sens avant tout. J'ai travaillé des années sur un champ de bataille plus récent, je sais donc empiriquement comment procéder, sauf qu'ici je ne peux faire parler un détecteur.
Ainsi cette seconde intrusion sur le site me montrera des détails qui m'ont échappé, amènera des nouvelles réflexions et interrogations, me fera tourner en rond, ou accomplir des allées et venues qui pourraient paraître suspectes à un quidam; par chance les lieux ne regorgent pas de curieux.
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Les propriétés ont modifié le secteur |
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Ici elle garde son aspect |
Le haut du plateau est assez rectiligne et la muraille suit cette ligne. Parfois effectivement, elle fait un virage sec et je retrouve un angle, ou j'en devine un autre, car la cohérence est de rester en ligne de crête.
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Un autre angle de la muraille précédant un virage |
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Un virage |
Sur les plans d'époque, cette muraille n'est qu'une dentelle de festons et d'angles; sur le terrain, il n'en est rien. Mais la muraille est fragmentée.
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je suis sûre que c'est elle |
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Militaire ...ou pas.. |
Au droit des étangs et de la mer, les risques d'accès de l'ennemi (français) étaient sans doute réduits et en maint endroit, il est facile de confondre un mur avec un autre. Mais la muraille a une particularité que parfois un seul mètre fait retrouver : son assise extérieure, côté "vide" en grandes pierres taillées, son assise côté terres, en pierres taillées plus petites (moins de solidité exigée peut être) et surtout, l' épaisseur de comblement avec des petits cailloux est un message.
Ces grandes pierres taillées proviennent des blocs laissés par les anciens rivages, c'est la mer qui les a façonnés, le talus les rend visibles donc faciles à utiliser, on le voit bien sur le terrain.
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Facture de la muraille , comblement de petites pierres
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Le rivage sous la muraille |
Les angles sont remarquables, parfois en longue pointe, ils supportaient des canons, j'ai pu en retrouver 3 de bien évidents. D'après le dessin il y en aurait 9. D'après le texte, 18.
Par contre aucun en façade ouest ni est.
Je vais juste me contenter de la portion entre le fort disparu de La Franqui, là où la muraille "vient s'échouer, accrochée au fort de la Franqui nommé par les espagnols Fort de la Guardia". Et le Fort de Cerbellon. Un peu plus de 2 km.
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La Franqui, |
C'est un parcours qui vaut par la beauté du décor, surtout en ce jour de météo instable. Des éclats de lumière se déplacent entre ciel, terre, mer et étangs, allumant des lueurs là où on ne les attend pas et les espérant là où elles n'arrivent pas.
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L'étang et le littoral |
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Poste de secours |
Hormis le bruit des moteurs, on n'entend pas le ronflement des vagues qui se fracassent sur la grève, c'est dommage. Ces rouleaux verts invitent à s'en approcher, certains l'ont fait. Haut perchée en haut des 25 m de dénivelé, je dévore ce paysage et la longue plaine étroite entre montagne et étangs me dit par moments "ne m'oublie pas, c'est là que les soldats étaient". 385 ans ont passé, et même si je peux un peu les imaginer, le présent avec son image paisible est bien plus prégnant.
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Je ne me lasse pas...de ce présent |
De ce présent je vais faire une petite errance, je suis là pour la muraille et, avant de retrouver ma voiture sagement posée sur un sol empierré, je vais remonter le long des murs démolis, pas toujours lisibles, en pointillés, entre mystères et hypothèses jusqu' au site qui fut sans doute Fort de Cerbellon. La grande route trancha la muraille lors de sa construction. Entre désescalade et grimpe, j'arrive à voir les deux morceaux qui furent tranchés par la modernité.
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La route a tranché la muraille dans le vif |
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Et ça continue de l'autre côté, je n'ai plus qu'à franchir le pas |
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Et je retrouve cela en pointillés |
Je poursuis mon chemin délabré jusqu'au fort de Cerbellon et je découvre ce qui pourrait être une plate forme pour canon, au vu de sa forme triangulaire. Le "bartas " ou la "bardissa", soit le fouillis végétal, est payant, pour qui ose s'y déchiqueter !
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Sur le terrain c'est très évident. |
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Avec toujours un superbe décor |
Sur le plateau quelques vignes disputent le sol aux friches bien tondues et aux pinèdes bien enchevêtrées. Tout cet ensemble est encadré par des murettes, sillonné de sentiers. Et de rares routes mais si étroites !
Les forts de La Guardia et de Cerbellon, magnifiques, furent le théâtre d'assauts furieux raconte le récit; aujourd'hui je cherche leurs traces et ne trouve rien. Le Fort de la Guardia n'est qu'un souvenir que seules les roches pourraient conter. Le récit conte aussi que les bouteilles de vin s'échangeaient parfois entre français et espagnols histoire de démontrer que le bruit des canons ne le gâtait pas. Mais c'était bien des jours avant la bataille! Le vin d'aujourd'hui ne gâte en rien la dégustation des fruits de mer! Je ne saurai sacrifier ce rite avant de quitter pour longtemps Leucate, à la nuit tombante.
A présent, forte de plus de 20 km à pied sur ce plateau, qui auront un peu satisfait ma curiosité et beaucoup contribué à ma rééducation, je peux tourner la page d'un livre dont beaucoup de chapitres demeurent vierges ou illisibles. Je me contenterai de quelques signes à la manière de graphismes de roches sur un tout petit territoire paisible qui fut bien bruyant et agité voilà 385 années.
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Et dire que je suis venue pour ça ... |
Et le chemin de la montagne me tend à nouveau les bras....je piaffe d'impatience !
Additif : le commentaire de Guillaume Eppe, archéologue, sur ma publication (Facebook), qui est fort intéressant
Plan du siège par le capitaine Ratheau. En fait, Ratheau avait choisi deux emplacements pour mettre un fort d'arrêt : le fort de Leucate ou une plateforme avec casemates construite ex-nihilo entre le village de Leucate et le Barcarès de Leucate (Leucate-Plage)
En chiffres
Distance totale parcourue sur le plateau en quatre fois :
A pied : plus de 20 km
En voiture, pour m'y rendre : près de 500 km
Toujours agréable à lire. Et dire que certains ignares n'allaient à Leucate que pour quelques coquilles !
RépondreSupprimerMDR ! je souhaite qu'ils restent dans leur coquille et n'aillent pas démonter les murailles histoire d'en ramener un souvenir ! Bon Noël à toi, avec huîtres ?
SupprimerClaude recherche sur ce plateau des vestiges de la 2ième guerre mondiiale et toi de celle de 1636 vous devriez chercher ensemble dans ce paysage sublime. Magnifiques photos de ce lieu, tu sais faire parler les pierres avec talent. Bises, Josy.
RépondreSupprimerEt bien pourquoi ne chercherions nous pas ensemble un jour de 2023, ce serait une belle occasion aussi de partager un moment tous les quatre, comme on en a connus d'autres
SupprimerExcellente vidée, on est partants.
SupprimerIdée…
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