samedi 14 septembre 2024

Garrotxa catalane, quelques "trésors" d' Albanyà, "chez la Muga"


Avant d'arriver à Albanyà, depuis une longue ligne droite, la silhouette massive du Bassegoda se profile en cette après midi voilée, comme une estampe japonaise. C'est magnifique.


 Albanyà est un petit village catalan, au bout d'une route qui se termine là et ouvre ensuite sur une série de pistes parcourant des reliefs très boisés, escarpés et ornés de hautes falaises calcaires. La Garrotxa. Une sorte de jungle. La rivière emblématique de ce secteur est la Muga (58 km), tantôt calme, tantôt mugissante, jamais muette, un torrent aux eaux singulièrement limpides, vert émeraude sur fond de dépôts rouges, qui se promène en cascades, vasques, bassins, gorges, toujours sur un lit de dalles rocheuses lisses ou creusées, bref la Muga, au hasard des balades est LE paysage majeur.

Il est un seul chemin qui remonte la Muga. J'en ai parcouru une petite partie et si je crois qu'on ne peut se lasser de ce secteur, c'est à cause d'elle.

Le but de ce jour est le pont médiéval del Bertran, un drôle de pont, immense pour l'époque, et logé au bout du monde, on pourrait bien se demander ce qu'il fait là !

La route qui part d' Albanyà et rejoint les environs du Pic de Bassegoda, 1373 m, balade somptueuse à faire, est barrée en période estivale. 


En piste pour le Bassegoda

Je me gare au parking de la barrière et je continue à pied quelques centaines de mètres avant que de partir sur la piste de droite qui, elle aussi, grimpe dans les montagnes. Je lui fausse compagnie au niveau du passage à gué.

Croisée de chemins




La Muga













Entre le parking et ce gué, la Muga coule en dessous de la route en une gorge étroite, en cherchant bien on trouve un ou autre accès assez scabreux ! Paradis du canyoning.



Le gué a une histoire que je décode rapidement en observant le lit du fleuve. Ce gué est le vestige d'une ancienne prise d'eau qui alimentait un moulin. L'eau était alors canalisée en suivant la cascade, deux murs parallèles sont la source de mon hypothèse alors que le site se nomme "La Molina".

La Molina est une solide bâtisse de pierres barricadée de partout, entourée de champs et de cultures en terrasse quasi désaffectées. L'ancien chemin qui remontait la vallée est cadenassé et il faut un peu jongler avec des passages escarpés avant de le retrouver.


La Molina
La Molina a barré ses accès


La Molina

Il n'y aura plus ensuite qu'à suivre ce chemin, assez plat, assez large, qui suit le cours de la rivière au plus près.


Le contournement malaisé

Le vrai chemin













Après la pluie de la nuit, les sous bois embaument, j'ai enfin retrouvé mon odorat, c'est une explosion de senteurs et de joie.

Chênes verts, romarins, lentisques, salse pareille et autres délices touffus m'emprisonnent. Alors que la mélodie de l'eau m'accompagne gracieusement.

Voilà que je rencontre le cours d'un canal désaffecté, rongé par le temps, et sa prise d'eau lancée en biais sur la rivière. Il devait donc y avoir un moulin par ici. Au retour, je me pencherai sur la question, je débroussaillerai un fouillis de salse pareille dont je sortirai en sang mais point de moulin ! Est ce possible ? Alors je comprendrai le fin mot de l'histoire, ce canal n'est pas celui d'un moulin c'est le canal d'arrosage qui desservait les terrasses de La Molina.

Ancien barrage sur la Muga


L'entrée du canal


Le chemin; le canal est à gauche



Le chemin et le canal


Je ne peux pas m'empêcher de faire parler les sous bois ! Même au prix du sang...

Bien sûr il n'y a personne sur mon trajet et bientôt le chemin, dont on voit bien la facture ancienne, s'élève, franchit des falaises, taillé dans le roc, modelé par l'humain, avant que de rejoindre une piste résolument récente, qui l'a englouti.



Le chemin dans la falaise













Je suis cette piste, passant au pied de belles falaises percées d'une ou autre grotte. Le matin est gris mais serein, des panneaux indiquent à renfort de textes et photos la survivance de ruines du 11 eme siècle, le "casal del serrat", sur l'autre rive. Je choisis la piste, le retour se fera en boucle.


Décor ambiant


Sur la piste

La Muga dévoile son visage dallé et ses yeux d'eau verte.


J'ai hâte de voir le pont qui paraît aussi monumental qu'incongru. La piste se détourne vers un mas haut perché, mas et moulin Bertran, où je n'irai pas, de féroces aboiements ne peuvent qu'inciter à fuir. 

Le mas d'el Bertran

Le chemin retrouvé, étroit, débouche soudain sur le pont dont on ne voit que le dos d'âne, mais quel dos ! Et quelle hauteur, et quelle envergure ...Instant de contemplation et de fascination. Je vais l'étudier sous toutes ses coutures, de son architecture à son élégance, de son enduit à sa structure de pierres, de bas en haut car je descends me loger à ses pieds. 


Arrivée sur le pont

Architecture du pont
















Bain bouillonnant



Le site est tellement beau que je ne résiste pas à la baignade, bains de bulles garanti; l'eau est fraîche car très vive, mais j'y plonge aisément. 


Je comprendrai mieux ce pont un peu plus tard : à son débouché un sentier file vers le Col de Pincaró. Mais le pont n'était pas là pour ça, il desservait, après le Mas et le moulin Bertran, l'ensemble médiéval de Casal Serrat. Quand on regarde les anciennes cartes du lieu, ou les nouvelles, nulle mention n'est faite de ce site qui fut abandonné dès le 13 eme siècle. 

Le site de nos jours, aucune mention



Carte ancienne, aucune mention

Il tomba complètement dans l'oubli, la végétation le recouvrit et ce n'est qu'en 2017 que les premières fouilles le délivrèrent de sa chappe végétale. 

Le site voisine avec un ancien méandre de la Muga. Ce méandre, dans lequel se loge le sentier est évident sur les vues aériennes ci-dessous, et très favorable, par son sol, aux cultures.

Le site en 2016



Le site en 2017



Le site tel qu'il fut découvert

Depuis, des campagnes de réhabilitation se poursuivent et cet ensemble donne un aperçu de sa splendeur passée : splendeur architecturale et splendeur économique. Deux pigeonniers servaient à la fois de garde manger puisque les pigeons, c'était de la viande pour les humains mais aussi d'engrais pour les champs. On élevait du bétail ici, des enclos ont émergé du sol, et on cultivait des champs dans le méandre abandonné de la Muga. Aujourd'hui des chevaux y pâturent. Un champ de rochers servit de carrière pour la construction et une citerne y est accolée, partie haute du village, pour la distribution de l'eau. On a retrouvé un bénitier sur le site, des meules de grès très grossier, sans doute une grande partie du "casal" a t'elle disparu : une chapelle ? un cimetière ? un moulin aussi. la Muga est toute proche.

En images:


Le pigeonnier à l'écart du site


Intérieur








Porte d'entrée


Construction en opus spicatum







L'intérieur du site


Joli assemblage de pierres


Fragments de meules 


Le bénitier


Vue d'ensemble dans son décor



La carrière de pierres et la citerne


La citerne




Le 2nd pigeonnier













Plus tard on sait qu'au 19 eme siècle, les charbonniers utilisèrent le site pour leur travail. On sait aussi qu'un incendie ravagea le lieu, mais quand ? 

Vers la rivière, quelques murs attestent de bâtiments plus modestes. Les ruines ne sont même pas portées sur les cartes actuelles.

L'enclos à bétail


Construction près de la rivière


Je reviens sur mes pas, le calme règne dans les sous bois, deux visiteurs seront ma seule rencontre, en général les curieux ne dépassent pas la Molina.

Bien sûr je suis allée en des lieux sauvages mais je sais que sous ces couvertures végétales aussi denses que celles du Vallespir, se cachent des trésors et qu'il faudrait plus d'une vie pour les admirer.

Je sais aussi que je reviendrai car le cours supérieur de la Muga et ses environs a encore quelques trésors à m'offrir.

Avant de revenir à Albanyà où m'attend un petit festin, je voudrais parler du "Pont nou" (le pont neuf). Il n'est pas très récent c'est sûr, il est surprenant : très haut sur le fleuve ici enserré entre de hautes falaises calcaires. A ma première visite, je suis allée sous ce pont où l'eau est très profonde. Autrefois, de ce pont partait un chemin qui rejoignait la Molina. Disparu à présent.

Mais au pied de ce pont j'ai trouvé les ruines cylindriques d'un ancien four à chaux.

Ruines du four à chaux

Le Pont neuf














 Bien sûr j'ai cherché où était la carrière, mais n'ai rien trouvé de convaincant sur les falaises. Une carte ancienne m'a fourni le précieux sésame "galerie de mine". Alors je l'ai cherchée et trouvée. Logée dans une très haute falaise, noyée dans la jungle, la galerie s'enfonce par un étroit tunnel qui vire soudain à angle droit et me ramène à une autre ouverture à l'aplomb du fleuve où l'on descend avec une corde installée à demeure (sans grande utilité).


Entrée de la galerie

La galerie, peu large




Arrivée au dessus de la muga



Ouverture sur la Muga







Ouverture sur la jungle


Les mineurs extrayaient le calcaire qui cuisait dans le four : comment allait il au four ? Peut être sur des radeaux car l'eau est assez profonde et forme un petit lac paisible...Faudra que je regarde cela de plus près...


Les falaises de calcaire

Albanyà n'a pas fini de m'étonner. Des trésors vous dis-je. 


Le trajet  aller / retour, environ 6 km : excursion très facile