250 km et 5 h de route sont nécessaires pour rallier le lieu d'où je m'élancerai, en Catalogne sud. Tout au bout de la Vallferrera (la vallée du fer) , au terme de 11 km de piste de terre à parcourir en 1ere : moment de découragement, s'il en est....
La piste longe le torrent |
Très étroite et défoncée les 1ers km |
Pourtant en cette nuit du 15 au 16 août, ce ciel piqueté de millions d'étoiles me confirme que j'ai bien navigué : voilà 2 jours que j'use mon parapluie de villages en villages.
J'ai découvert dans le village de Ferrera, exilé au bout de sa route, cette plaque incongrue : elle est là pour moi, je le sais !
Dimanche 16 août : 7h05 du matin, 3° , je m'élance pour une épreuve d'endurance comme je n'en ai jamais connue, ce sera mon record de dénivelé. Mon sac est bien organisé sans poids superflu, mon alimentation (le point faible) bien ciblée, mes inévitables douleurs au doigt cassé seront à gérer, ma boisson est peu conséquente, il y a des ruisseaux, et mon énergie est bien armée.
Je marche, seule, bien sûr. mais je sais que le chemin est pavé de bonnes attentions : il y aura du monde. Le souci de la solitude, facteur d'échec l'an passé, ne sera pas au RDV.
Le refuge de Vallferrera à quelques minutes du parking a été le théâtre d'une violente scène d'hiver; il a eu beaucoup de chance, construit au bon endroit. L'avalanche a tout arraché : arbres, passerelle, sentier.
Refuge de Vallferrera 1905 m |
Je commence la montée en solo avec une bonne prise de dénivelé comme partout dans ces vallées ou celles de l'Ariège frontalière. Mise en forme rapide.
J'ai en mémoire plus ou moins le profil de la "promenade" ce sera de l'inédit, ici, les montées alternent avec des descentes : franchement je redoute, ça casse les jambes, je n'ai jamais fait. Ni de dénivelé aussi important mais j'essaie de ne pas me focaliser là dessus.
Je pars simplement avec l'idée de grimper le plus haut possible, une année m'a rendue modeste.
La montée sera d'abord longue et monotone, dans l'ombre et le vacarme de l'eau . Mais comment la montagne peut elle contenir tant d'eau ? Des cascades en enfilades, des vasques, des torrents, cela sourd et jaillit de partout.
Il en sera ainsi de 1800m à 2500m: de l'eau à écouter, à traverser, à consommer aussi...sans modération !
Dès que se calme l'eau, la montagne est silence. Pour l'heure il n'y a personne; les plus matinaux m'ont devancée, je ne m'en plains pas. Le soleil me tient compagnie, l'herbe glacée dégèle et des milliers de perles se mettent à luire comme par magie sur la prairie. Que c'est beau....
Plans de Sutllo, 8h50, 2206 m; vue vers l'aval |
C'est là que la magie opère, la montagne prend une nouvelle dimension; je ne sais pas encore que cette "colline" tout au fond, haut perchée et arrondie est mon but : La Pique d' Estats, 3143 m
C'est à l'étang de Sutllo 2350m que je rencontre mes futurs coéquipiers épisodiques, une famille de Valencia avec qui je converserai en espagnol.
Puis je rencontrerai au franchissement aléatoire d'un torrent mon photographe attitré, un Barcelonais qui marche avec un ami: leurs tee shirts m'amusent, pour la circonstance ils ont fait graver : "En me levant ce matin je ne savais pas que j'irai jusqu'à 3000", en catalan.
D'ailleurs je parlerai surtout catalan ce jour.
L'étang d' Estats est à peine un peu plus haut, il y a 100 m de dénivelé à gravir..Je marche depuis 3h. Il a une extraordinaire couleur qui deviendra de plus en plus belle au fur et à mesure que je monte, comme pour donner des regrets : non, tu ne me retiendras pas lui dis-je, après une rapide collation.
Etang d' Estats, 2465 m, 10h13 |
Parlons en de la collation : je ne mange presque pas en montagne mais là mes lois seront déjouées, par nécessité, et je passerai bien plus de temps à écouter mon corps : la faim n'est pas là, le vide à l'estomac, oui. Alors je grignote, à peine, avec dégoût. Je mets à profit les descentes pour que le carburant fasse effet à la montée ; les préceptes de Ludo sont là. ça marchera finalement, moi aussi !
A présent c'en est fini des longueurs de sentier un peu agaçantes. Les choses sérieuses s'affichent : le Port de Sutllo est mon angoisse majeure, suivie de sa raide descente de l'autre côté.
La photo ci dessous écrase la pente mais parfois elle s'apparente à un couloir : 50 ou 60° par places. Dans du caillou; il y a bien un sentier, vertical, mais détrempé et glissant. En Espagne, les rudes montées sont toujours en ligne droite alors qu'en France la ligne brisée est de rigueur. Savez vous pourquoi ? moi non mais je suppose....Les Espagnols randonnent jeunes avec de solides jambes; chez les français, la moyenne d'âge gagne une ou deux décennies...Telle est mon explication....
Avant la montée au Port de Sutllo, dernière "plaine". |
La montée au Port (Col) sur près de 400m de dénivelé, une épreuve. |
Toutefois je me plais à aimer cette forte pente. Je préfère ces prises rapides d'altitude à ces molles tergiversations précédentes.
Je me retourne pour la beauté du site.
Ses couleurs, son relief,
Ce n'est pas tous les jours que pareil décor illumine notre quotidien.
A quoi pensai-je pendant cette longue approche ?
Pas à grand chose, en vérité, j'étais comme au spectacle, avec cette avancée mécanique , attentive à ma posture, à la faim, à l'effort, à la respiration.
Qu'est ce que j'ai pu progresser ces derniers temps en matière d'endurance et de forme physique !
2874 m : le Port de Sutllo, et la vue qui bascule sur l' Ariège, les lacs, les névés du versant nord. dans une débauche de couleurs. La roche est ferrique, des deux côtés, sanglante parfois, réveillant le vert, le bleu, le blanc. Une extraordinaire polychromie.
Je ne m'attarde pas, l'élan me pousse vers cette Pique que j'observe depuis longtemps, où je vois plein de silhouettes. Il y a le chemin des crêtes, direct, attirant, pas pour moi en étant seule. Sinon....,
Port de Sutllo, étroit et tourmenté |
Ariège dénudée |
le sentier descend très fort vers l'Ariège, étang de la Cometa d' Estats (2750 m) |
Je franchis un grand névé avec précaution...les souvenirs affluent...mon pied se porte plutôt bien , merci le névé.
Et du col de Riufred, 2783m ( c'est dire si de l'altitude a été perdue après celui de Sutllo !) je peux contempler mon rendez vous ! "J'ai rendez vous avec vous...La Pique...mais....pas qu'avec vous !" Vais je laisser le tout voisin Verdaguer (3133 m) vierge de ma présence ? Le soleil est brillant, le ciel étincelant, ma forme parfaite ...c'est dit, je vais venir, attendez moi !
Bon d'abord la Pique ! Je franchis la barre des 3000 sans le savoir, peut être est ce ce grand cairn posé sur ce replat ? je suis seule, les quelques marcheurs ont pris la voie rapide et "mes coéquipiers" de fortune sont loin derrière.
Vue d'ici elle n'est pas vraiment belle, je m'attendais à de l'aigu et c'est de l'arrondi.
Toutefois, quelques 260 m plus haut, lorsque je débouche sr le toit de la Catalogne, j'ai les larmes aux yeux d'émotion (intacte en écrivant). J'ai réussi mon rêve, encore un....
Certes j'ai mis longtemps; il est 13h30, j'ai marché près de 6 heures, mais qu'importe ....Je suis là, au milieu de gens que je ne vois pas mais je bois un paysage plus pétillant que du Champagne...
Je contemple le Canigou, les Besiberris, la Maladetta et j'en passe que je ne sais identifier.
Je vous les offre:
Le Canigou, 2784 m, au fond |
La Maladetta et l'Aneto |
Les Besiberri (haut gauche, ma tentative 2014) |
Au pied de la croix, sous une pierre, bien enveloppé dans une pochette plastique, j'ai laissé un petit message pour mes êtres chers, mes amis, vivants ou morts.
Un jour peut être y retournerai-je...
Etangs d' Estats , de Sutllo et Pic de Monteixo |
La Pique apparaît dans tous ses E(s)tats, rocheuse et encombrée, bruyante. Et un peu moins arrondie, sous cet angle.
La Pique vue du Verdaguer |
Subrepticement, une idée a fait son chemin en moi, et devient lancinante. Je regarde l'heure, je mesure l'état de mon pied et je fonce, en courant, dans la descente, comme si je devais prendre mon élan pour.....le Moncalm tout proche, 3077m. Je ne vais pas passer à côté, il suffit de tendre les bras...Enfin pas tout à fait.
Nu et blond, tout rond, le Moncalm, sommet ariégeois. |
Et m'y voilà, il est 14h 35, c'est calme à souhait, je vais me sustanter, j'ai quand même fait un bel effort, je peux respirer.
Tiens, au fait, je respire aussi bien -j'ai cette chance- dans mes escaliers que à 3000m . Il y a longtemps que je me suis aperçue que je ne ressens pas les effets de la raréfaction de l'oxygène. Sans doute plus haut le sentirais je.
Les 4000 ne sont pas prévus :-)))...pas encore...
Je regrimpe sans trop de mal le Sutllo, j'ai encore de l'énergie à revendre mais le Pic de Sutllo et ses 3073m me laissent de glace,Courte escale au Port pour un brin de conversation en français -enfin!- et je refais en courant le chemin à l'envers, descente des 300m du Port de Sutllo.
En doublant mes coéquipiers du jour (pour l'anecdote, ils finiront leur périple alors que je savoure mon repas du soir au bivouac).
(Soyons modestes, quand je dis courir je fais rire les jeunes...je cours de la vitesse de mes petites jambes sexa ...non, pas sexy)!
L'arrivée en bas des éboulis sera le point de départ du fastidieux retour, malgré la beauté du paysage que quelques nuées revêtent : ce sera long, très long car très douloureux. Ah il va m'invectiver tout au long du trajet ce pied victime de maltraitance. Je cède à la fatigue quand même ;, je me force à me nourrir sans faim, pour tenir, j'ébauche des projets pour tuer le temps au rythme soutenu de mes pas.
Et je finis, après 12 heures d'absence, par retrouver mon petit camion sagement posé au bout de la piste, dans l'attente de nouvelles aventures
Que vous suivrez avec moi.
Si vous le voulez bien....
Finalement....même s'il fut long et ardu, je l'ai vraiment trouvé , le
En chiffres :
Temps de marche : 10 heures
Dénivelé positif cumulé: environ 1530 m
Distance parcourue : un peu plus de 19 km
pffiou....quelle pêche, quel exploit, faut le faire, bravo, les images sont bien belle dans ce parcours du bonheur. bisous
RépondreSupprimerla pêche oui, l'exploit non mais il est vrai que c'est un magnifique parcours et que je suis très "fière" d'avoir pu le réaliser. Bisous
SupprimerBonjour Lison,
RépondreSupprimer"10 heures de marche, 1530 mètres de dénivelé, 19 km.." Ouf ! je suis épuisé...
Bon, je plaisante, pour moi qui n'est jamais été sportif, je le vis grâce surtout à tes textes et aussi à tes photos. En plus, je découvre une montagne où je n'ai connue que le Tourmalet et, en plus, en vespa.
Continue à nous régaler, mais surtout prend soin de toi...
Bonjour, Pierre, beaucoup de personnes font ces parcours sur 2 jours avec nuit en refuge; je suis trop indépendante pour cela, encore, et j'ai suffisamment de résistance; bien sûr après ça, j'ai eu mal aux cuisses 3 jours mais c'est la descente un peu folle. Le Tourmalet en vespa ? superbe...tu l'avais pas fait en ccar ? Une petite vidéo me l'a raconté. je l'ai fait aussi en fourgon, ce fut mon 1er accident de montagne. Je suis tombée tête le 1ere...dans mon fourgon. Jamais su si c'était trébuché ou petit malaise, j'en ai eu quelques séquelles au niveau équilibre. Les Pyrénées sont belles. Il faudra un jour que j'aille voir les Alpes . Je T'embrasse
SupprimerPour le Tourmalet, la vidéo que j'ai publiée n'était pas de moi. Je l'ai fait en vespa en août 1960, j'avais 19 ans. Bises...
SupprimerGénial ! Moi ce que j'aime par ce versant c'est l'approche, les cascades, les prairies, les étangs et enfin la Piqua se dévoile. Le versant Nord ressemble à la planète Mars, alors que le Sud est plein de vie.
RépondreSupprimerFranchement c'est comme un film documentaire qui se déroule au fur et à mesure que tu avances ; c'est tout beau...
SupprimerUne fois de plus ton reportage est génial. Rien qu'à te suivre,
RépondreSupprimerje suis totalement épuisée ( tu pense... j'ai 81 ans !!). Tu nous
fais vivre tes ballades qui sont plus belles les unes que les
autres. Merci à toi Lison. Je t'embrasse. ELZA
Une fois de plus ton reportage est génial. Rien qu'à te suivre,
RépondreSupprimerje suis totalement épuisée ( tu pense... j'ai 81 ans !!). Tu nous
fais vivre tes ballades qui sont plus belles les unes que les
autres. Merci à toi Lison. Je t'embrasse. ELZA
Elza, quand j'aurai ton âge, il ne me restera plus qu'à relire mes souvenirs, mon blog et marcher dans ma tête...Ou peut être encore un peu sur les sentiers ? allons savoir...Je te le dirai, alors.....Bisous chaleureux
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerA suivre les précepte de Ludo, tu vas au bout de ton rêve.
RépondreSupprimerA propos, la crête directe du port de Sutllò au Pic de Verdaguer n'est pas à conseiller, c'est croulant, rien de tien en place.
C'était osé d'aller jusqu'au Montcalm, ce terril Ariegeois, mais tu l'as fait. A propos, je te confirme qu'il manque de l'oxygène à 3000 mètres. Pour s'en rendre compte, il suffit d'essayer de monter à vive allure et là ce n'est plus comme à la maison.
Je viens de me régaler à la relecture et revisite de cette si belle vallée. Après le Canigou, ce massif a ma préférence.
Rien à ajouter à pareil commentaire si ce n'est que je dois y retourner absolument....pour essayer de grimper en courant ...MDR. parce que tu vois, chez moi, à l'altitude 150 quand je monte l'escalier en courant et bien je m'étouffe déjà... Bon le Moncalm c'était pas osé , juste "una anada" car c'était super facile.
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