mardi 15 janvier 2019

Le Puig de Pel de ca: 2105 m, par Batère (66)

C'est une sourde angoisse qui me réveille à 5 h du matin, bien avant l'heure prévue .
La même angoisse qui a accompagné mon coucher et qui me suit depuis que j'ai décidé cette rando.
Je me lève, incapable de me rendormir, l'angoisse ne me lâchera pas. Je prends la route nuit noire, le ciel est peu étoilé, peut être que la rando sera compromise ?
Mais non, dans la nuit sans lune, le Canigou profile ses blancs sommets, sans un nuage. Donc j'y vais.
Oui j'ai l'angoisse de ce massif que j'admire tous les jours, que je photographie souvent et où je n'arrive jamais à aller randonner, pourtant je n'ai que 45 km de route pour débuter quelques circuits sympas.
D'où me vient donc cette angoisse du Canigou alors que je randonne sereinement partout?
Je ne sais pas répondre...je trouve bien dans mon conscient deux ou trois raisons, mais que doit penser mon inconscient ?
Bref j'ai décidé d'aller (ou d'essayer d'aller) à ce Pel de Ca (Poil de Chien), 2105 m,  qui m'interpella l'an passé, un jour de fin janvier où j'allai me balader dans la neige au dessus de Batère. Le lieu m'est pourtant familier à présent !

Minute rare et éphémère...A Corsavy

Batère : je démarre la rando à 8 h 55, altitude 1393 m, il n'y a personne, ni sur le parking, ni au refuge qui est aussi l'ancien bâtiment minier, ni, évidemment, sur le sentier.

Mine de Batère : une partie du bâtiment est devenue refuge

 Je me suis copieusement habillée, nous sommes en des jours de violente tramontane, j'imagine même ma balade compromise. Il n'y a pas un souffle ici mais j'entends un mugissement sur les crêtes, brrr.

Très vite je me déleste de ma carapace; je reste en tee shirt sous ma fine et chaude doudoune, et le pantalon kway regagne le sac. J'ai un chaud pantalon offert par Ana, idéal en hiver. Et je marche, plutôt bien; j'ai devant moi, et je l'aurai tout le temps, le Pic de Pel de Ca, mon trajet sera quasi une ligne droite.




Je sais que "ça monte très fort", Ludo me l'a dit un jour.
Tranquillement j'arrive aux limites de mon périmètre connu : le Col de la Cirera, 1729 m. J'ai parcouru un peu plus de 3 km pour 336 m de D+, cela reste très raisonnable pour une mise en jambes.
je prends le temps de savourer le paysage, mais le plus beau reste derrière moi, ce qui m'oblige à me retourner souvent.  La Méditerranée est bleue côté France, orangée côté Espagne, des tonalités de bleus à l'infini et en dégradés habillent montagnes et collines, sauf le ciel qui reste assez gris.


Ancienne tour à signaux : Batère
Plaine du Roussillon en fond et la mer


Côté Espagne ...et la mer, aussi

Malheureusement cette journée grise s'avèrera encadrée par deux journées grand bleu, pas de chance. Toutefois cela ajoute à l'atmosphère un peu sinistre et quelque peu angoissante, car l'angoisse bien que ténue puisque je marche, reste bien collée à mes basques.
Au Col de la Cirera la tramontane me saute au visage, violente, rageuse: les lointains, côté nord, sont tristes et diffus, les premières plaques de neige sont bétonnées par le gel, cela augure bien pour la suite du parcours

Maussade au nord
Col de la Cirera 1729 m

Maussade au sud
Hyper glissant, tout est pétrifié de gel







Je poursuis ma route, droit devant, c'est assez abrité du vent que j'entends rugir comme un moteur; ça monte doucement mais je commence à avoir un aperçu de mon parcours: le sentier, à peine enneigé, est un filet de glace dure, à éviter en louvoyant,sinon c'est chute assurée. Le sentier n'est pas balisé mais bien tracé.



Altitude 1828 m : en fond, la mer

Enfin , à l'altitude 1828 m, brutalement la pente se redresse, des cairns apparaissent et le sentier emprunte la crête, le pierrier, le sous bois, en un parcours qui va s'avérer assez compliqué.



Vers l'aval : j'ai gravi cette pente,
depuis les arbres, en 11 minutes

Vers l'amont
Ce qui complique c'est la neige gelée, bétonnée, où je ne peux mettre les crampons car elle est par plaques, la glace est en verre poli sur le sentier et ce sera sur les 335 m de trajet à 35° un véritable gymkhana pour éviter au mieux ces obstacles redoutables. Où je suis parfois obligée de m'aventurer. Et j'adore ce crissement sous mes pas ! Je reste au plus près du sentier, contournant les plaques, marchant sur le pierrier, sur le gispet ou m'accrochant aux branches. Bousculée par le vent dès que je passe face nord. Le tracé suit la crête au plus près et je m'adapte. Je reconnais que je monte avec aisance, avec plaisir et mon angoisse s'est envolée. J'aime bien ces montées franches et efficaces. Une rampe. Ce qui est fascinant dans ce paysage c'est le décor inhabituel : on est sans cesse comme sur un balcon, dominant la plaine quelques 2000 m plus bas et la mer. Aucune de mes randonnées en montagne n'a jamais atteint cette exception ! Ce sera mon décor plein les yeux au retour.


Où qu'on soit c'est balcon 
En 34 minutes, j'arrive au col 2015 m, qui signe la fin de la grimpe.



Arrivée au col, 2015 m, je vais marcher maintenant versant sud

2015 m le col: vue vers le nord, pas plus gai !

A ce moment, le sentier passe en face sud, le vide est assez impressionnant, le décor sinistre et l'angoisse remonte. Que fais-je ici, dans ce paysage désolé, sous ce ciel désolé, avec face à moi, un pic arrondi aussi désolé que le reste ? Je marche ainsi un court instant sur sol sec mais très vite je retrouve la neige durcie, le gel, la progression difficile peu propice aux évitements.

"Sinistre ? Vous avez dit sinistre ? C'est pas peu dire"
Vue versant sud
J'ai presque atteint mon but initial car entre temps l'idée d'aller au Pic de Gallinasse, 2461m, me taraude. Je le vois, il est tout proche, peu enneigé, accessible.
Mais me voilà à un 2 ème col, 2108 m, et là, sous les coups de boutoir du vent retrouvé, je recule. Et je renonce. Il me reste seulement 1.3 km et 250 m de dénivelé, même pas une heure de trajet, pour le Gallinasse décoiffé. Mais dans quelles conditions ??


Sous un regard de pierre, le Pic de Gallinasse, 2461 m

Alors, sagement je me rends au proche pic de Pèl de ca ce qui n'est pas une mince affaire, somme toute. J'emprunte une crête rocheuse et l'équilibre est précaire bien que je m'accroche avec les mains.



En haut de ces rochers, le Puig de Pel de Ca








Dernière montée


L'envol du cormoran
Equilibre précaire

Les bourrasques de neige arrivent sur le Puig Sec, en arrière plan
Une rapide photo au sommet où je manque m'envoler et je file, tournant résolument le dos au Gallinasse et au voisin Cincreus, à portée de main. Je refais le chemin à l'envers, angoisse dissipée au vent furieux et la descente sera bien plus ardue que la montée!

Un balcon et son tapis, en équilibre sur le vide

La mer ? c'est au bout du cairn !

Bleus pyrénéens
En contrebas (côté nord) , site minier en ruines de la Pinouse

Là je re découvre la pente plus prononcée que ce que j'avais ressenti et aussi la plus grande difficulté à évoluer sur les rares morceaux de neige et glace incontournables.


Plongée vers le bas : chemin malaisé, pente d'un vrai couloir


Le chemin en crête : pente 35 degrés

Toutefois, en 45 minutes j'arrive au Col de la Cirera où je rencontre les deux premiers humains, quelque peu malmenés par le vent qui a bien forci. Il ne me reste plus qu'à trouver un site abrité pour prendre mon repas: j'ai fait tous ces efforts avec du thé sucré et deux dattes. Même dans le site minier le vent va se déchaîner.

Dans le site minier

Un en cas vite avalé et je redescends au parking qui s'est quelque peu peuplé : des courageux cela va sans dire !

La suite ? Une escale chez André...dans son vieux mas de montagne...c'est ça : sous l'oeil du chat derrière les carreaux.



En chiffres : une rando courte et efficace 
Distance AR : 8 km
Dénivelé (D+) : 715 m


Le Pel de Ca dans le Massif



4 commentaires:

  1. De belles photos malgré un temps gris, tu es courageuse de randonner avec cette tramontane ! Pourquoi le massif du Canigou t’angoisse-t-il ? As-tu peur du loup-garou ? Pour ma part j’y randonne sereinement c’est un belvédère remarquable. Sympa ton escale chez André, les boudins grillés sont appétissants... Encore une belle rando bien escarpée et givrée..... Apolit de ne pas t’envoler la prochaine fois... bon vent et grosses bises !

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  2. perso j'adore le chat et les saucisses , MDR ! pour ton reportage du gris mais du bleu de la mer superbe , toujours de fantastiques photos , bon c'est bien j'étais bien au chaud calée dans mon fauteuil , sinon ton récit m'a glacé hihihi! bises

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  3. Merci pour vos "récits de voyage" qui nous aident à préparer les notres. Serge

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