jeudi 15 octobre 2020

La boucle du Mas Baret, secteur Carança

 Je voulais de la marche, j'ai eu de la marche, pas autant que prévu.

Je voulais de la haute montagne et des sommets, j'ai eu des sentiers et de la moyenne montagne. A cause de cette fichue météo qui a sabordé l'automne et ne lâche rien, pas une miette.

Je voulais de la solitude, j'ai eu de la Solitude. 

Je voulais de la nouveauté et j'en ai eu, belle de surcroît.

Je voulais du beau temps, il était prévu quelques heures, j'ai eu l'hiver en automne.

Finalement, il ne faut rien vouloir et savourer ce qui nous est donné, c'est encore meilleur...

Je n'étais pas partie pour philosopher et cela a occupé la moitié de mon trajet. Mais c'est une autre histoire.



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Je suis arrivée au parking de la Carança sous la tourmente, ciel noir, vent violent, pluie imminente et je me suis dit que pluie ou pas, demain j'irai marcher. La varappe c'est bien mais il y manque la marche.

Une nuit étoilée, un petit matin embroussaillé de nuages noirs et de lueurs blafardes, je pars, vêtue d'automne, soit...peu.

Mon sentier sera grandement de la nouveauté : partir par le Mas Baret, direction un autre sentier à découvrir pour le Pla de Campilles, c'est le dernier volet de mes recherches là bas. Je compte bien boucler la boucle .





L'ancien chemin muletier qui mène à la centrale d'eau est escarpé et le froid incisif mais je marche bon train. je me demande si l'usine électrique fonctionne, j'entends son sifflement discret et soudain le bouillonnement des eaux dans la conduite forcée répond à ma question. Car le train jaune est à l'arrêt.
L'eau de la Carança  et l'usine de Thuès



Désormais je marche à plat sur le chemin de Fontpédrouse jusqu'au moment où je franchis le ruisseau asséché de Ramonalls. Là un autre chemin d'eau se rue dans un ouvrage, je l'imagine venant de la capture du ruisseau mais il provient de la Carança par un savant et mystérieux percement des montagnes. Dans ces Pyrénées, des réseaux de galeries sont un vrai éventail de répartition des eaux. Quel travail ont accompli nos ancêtres et à quel prix, je suis toujours admirative...

Le sentier du Mas Baret se détache de celui de Fontpédrouse, l'air a l'immobilité d'avant la pluie, silence figé, le versant où trône Llar est noyé d'un rideau pâle...



Vers l'aval de la vallée de la Têt

Llar

1221 m : depuis un moment le ciel crache des postillons de neige fine qui crépitent sur mon sac et sur les végétaux. Un cerf brâme au loin, semble t'il. C'est l'hiver qui s'installe, on croit encore être dans l'automne d'en bas, fut il maussade et on s'éveille sous un hiver qui crépite en bulles blanches. Les voitures pressées qui roulent vers l'Andorre passent sans le voir à côté d'un instant magique. Ils roulent vers leur bonheur, je marche en silence au milieu du mien.




Noyé de neige légère

Les yeux tournés vers une montagne grise, nue, escarpée, où des rais de lumière orangée parlent d'un automne frileux.

Rochers "connectés" prévention pour la ligne du Train Jaune

1342 m j'arrive aux premières pâtures du Mas Baret.


Pâtures envahies de broussailles
Et cernées de chênes











Traces de vie saisonnière 


En l'an 952, ce Mas Baret, ou Albaret, existait déjà, à 700m et plus de 3.5 km au dessus des premiers villages et de la vallée, loin de tout, perché sur un promontoire dominant la vallée. Plusieurs familles y vivaient, il était peut être alors de plus modeste taille que l'immense ruine que découvre mon regard stupéfait. Est ce un mas ? Un village ? en fait c'était une possession de l'Abbaye de St Michel de Cuxa, comme les bâtiments de Campilles et l'ensemble fut ruiné aux 12 eme et 13 eme Siècles, par la peste dit on.  Il est d'une étonnante facture ! Je pense qu'il a été réhabilité au cours des siècles pour être aussi vaste car en 1950 15 personnes vivaient encore dans ce mas de 800m2 en totale autarcie. Y entrer est interdit mais une association est en voie de réhabiliter (en partie) la ruine. .



Remaniements d'architecture

Belvédère sur la vallée de la Têt et Fontpédrouse


Actuellement une cabane sert de refuge et 14 hectares de landes et friches entourent le mas; dans les années 60, il y avait 32 hectares, encore. Je n'entre pas, je ne fais même pas le tour, tout est cadenassé mais si ce n'était le froid, je crois que je m'assiérais là et je dessinerais....

Je fais une singulière trouvaille : une roche gravée .

Roche gravée

Le sentier balisé continue je sais qu'il va rejoindre le Cami Ramader de Campilles même si la carte ne le porte pas. 

Je n'ai plus qu'à suivre les cairns et balises jaunes, l'un d'eux, mal positionné va m'envoyer par deux fois dans une mauvaise direction. Je m'en rends compte très vite mais je poursuis par curiosité, ainsi j'arrive à la source captée non loin du ravin de la Sourde, source qui conduit l'eau au mas.

Je reviens sur mes pas, je rectifie le cairn, et fais deux découvertes : la seconde est franchement moins plaisante; un énorme taureau bien campé sur ses pattes et attributs me regarde d'un oeil (et même 2) torve(s), alors que ses dames attendent sans bouger. Il est campé devant le cairn du bon sentier et ....je me détourne; c'est un comble! Deux erreurs et lorsque j'ai enfin le sentier, je dois piquer un tout droit dans la pente , le regard en coin, le coeur battant...je ne fais pas le poids !!

La première trouvaille ! Un cèpe

Enfin je regagne le sentier où deux gros veaux ferment la marche. L'un d'eux marche sur moi, peu amène, mes cheveux se hérissent puis il fait demi tour et passe son chemin. Je comprends pourquoi mes forces sont si usées dans la longue montée qui suit !

Rencontre macabre, il était jeune ses dents sont jeunes

Je comprends aussi une chose: pour se rendre au Pla de Campilles j'ai pris le plus mauvais chemin, c'est tant escarpé qu'on arrive au sentier jambes usées. Il faut monter, à l'inverse, par le chemin de Campilles via le départ Carança. Non je n'irai pas au Pla; il fait très froid, il continue à tomber des postillons de neige, je suis fatiguée, gelée, j'ai déjà parcouru 6.5 km, le retour sera long...je reviendrai !!

1616 m : la source de Ramonalls est tarie, j'en suis surprise, elle coulait tant, il y a si longtemps, c'était en mai.

La forêt est belle; je commence à m'habituer à ces forêts que je détestais. J'ai pour compagnons des chapelets de champignons, un ou autre oiseau, le vent mauvais qui fait crépiter les feuilles des bouleaux. J'ai pour paysage des futaies vertigineuses, des tapis de mousses sur les rochers et le silence magistral quand tout se fige.

                            


La lumière qui vient caresser les percées de forêt est fragile, étincelante et cristalline.


Du merisier

                                                                              

Chaque feuille, un tableau

Du sorbier




Des érables

Trouée de lumière sur Fontpédrouse
                                                                                                     
                     
                           
Chemin faisant.......



J'ai pour compagnes mes pensées, aujourd'hui elles envahissent ma tête et je les laisse faire. Elles me disent...Quel aménagement ces montagnes ont subi depuis la nuit des temps, quelle présence humaine y laissa sa griffe, agricole, pastorale, industrielle, minière, carbonifère, et j'en passe. Les bâtisseurs de la Carança, quel sujet....Je pense à tous ces humains du 21 eme siècle qui ne peuvent vivre que hyper connectés 'à qui ? à quoi ? pour quoi, Grands Dieux ? Et qui seraient, si grand cataclysme économique, géologique, climatique ou autre ferait d'eux des survivants, qui seraient capables de vivre en repartant de zéro ? Sauraient ils faire pousser des légumes, se nourrir, se vêtir ...ouille...la tête me tourne....Moi qui considère l'hyperconnexion comme une imperfection, voire une perdition...J'arrête ! Je scrute les murettes et leur facture, m'interroge et vérifie si cet énorme rocher est tombé avant ou après la construction du chemin, regrette que ces restes de charbonnières gisent au sol et salue au passage deux chevreuils discrets et craintifs qui croisent bien plus bas dans le silence du bois.


Les gorges de la Carança

Je refais le monde, je grelotte, je peste après mon téléphone qui couine et je rencontre la civilisation espagnole d'un WE prolongé, façon ubuesque dans le périmètre des gorges...Je repartirais presque en marche arrière pour éviter le 1.2 km de civilisation "exotique"...

En chiffres

Distance : 12 km

Dénivelé 777 m

Route 140 km AR






6 commentaires:

  1. Tu es toujours dans ton élément quand tu es seule dans la nature. C'est toujours de très belles sorties. Bises

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    1. je ne suis pas tout à fait d'accord avec ton commentaire car les moments que j'ai partagés avec vous ont été des perles de Bonheur qui s'ajoutent à mes perles de Bonheur solo. Et j'espère en rajouter d'autres...Si le ressenti est différent, par force, la qualité est à la hauteur. Bises

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    2. Mais pour moi aussi ces sorties ont été magiques au-delà de tout ce que je pouvais imaginer. Et il me tarde de nous retrouver. Et à côté je comprends tout à fait ce besoin de sorties solo. Je tembrasse

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    3. Cherche déjà Roc Campana, Villefranche de Conflent, par le Mas de Lastourg et préparez vous !!

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  2. Que de poésie dans la description de cette rando d'automne.
    Tu as bien ressenti que le Mas Baret était plutôt un retour qu'un aller c'est ainsi que nous l'avons souvent fait, on peut alors flâner pour un retour tranquille...

    A mon tour de te conseiller de regarder un peu a coté du Roc Campagna: Le ravin des Horts un très ludique parcours ignoré de tous et si spectaculaire :
    https://canromi-randos.blogspot.com/2014/02/ravin-des-horts-en-traversee-depuis.html

    Amitiés

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    1. en tout cas c'est beau et je pense au printemps aussi. Le Roc Campagna ? c'est un vif projet que je caresse depuis un moment !! merci j'irai voir car je ne veux pas me paumer sur le sentier même si un tout droit dans la pente est bien tentant....

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