mardi 10 novembre 2020

Cafouillage au Roc Campagna. 1134 m

 C'est un sommet modeste mais méfions nous des éléments modestes, j'en ferai vite l'expérience, d'ailleurs une des plus éprouvantes randonnées, je la fis à 1015 m d'altitude.


Le Roc Campagna vu de presque en haut

Pourquoi ai je choisi ce Roc Campagna? Il domine, à la sortie de Villefranche de Conflent,  la D116 conduisant à Mont Louis et, au dessus de cette portion à 4 voies, se dresse une imposante falaise de calcaire rougeâtre, ancien fond marin devenu marbre, le fameux "marbre rose de Villefranche" dont de nombreux édifices sont joliment ornés. C'est pour sa beauté, que je scrute toujours, en passant, ce site hérissé de rochers dont le plus haut, nommé Roc Campagna culmine à 1134 m et est nanti de 4 sommets. J'avais donc 4 chances de pouvoir "conquérir " le Campagna ? 

Tout là haut , depuis le Pont St André

La randonnée est indiquée comme pas facile, au niveau physique mais aussi au niveau orientation. J'avais confiance en mon sens développé de cette dernière. 


Quelque part là en haut, le retour se fait dans ce dédale

J'avais un topo et un morceau de carte où j'avais scrupuleusement dessiné le tracé GPS ,  je partis le pied ferme du parking du Pont St André franchissant la Têt, à Villefranche de Conflent. Le départ se fait à un petit oratoire et le sentier prend vite de la hauteur, le paysage est nouveau pour moi, je le déguste. La lumière est irréelle, je vois grandir l'automne de semaine en semaine dans ce Conflent, je pensais bien en profiter comme jadis je voyais grandir le printemps dans le Causse ou en Ariège. J'ignorais que 4 jours plus tard nous serions confinés. Aussi ma dernière rando ne fut pas polluée !

Une très belle ruine marque l'entrée du sentier
Ensoleillée au retour

Par contre la rédaction m'est difficile, parler d'un temps encore heureux quand on ne l'est plus du tout, je ne sais pas faire. Alors ce sera un défi d'essayer de restituer mes émotions de ce jour là.



Le sentier est celui de Notre Dame de Vie, jolie chapelle à près de 700 m d'altitude, adossée à la falaise rouge et surmontée d'une grotte. Ce sentier parti de l'altitude 450 prendra vite du dénivelé car il est assez escarpé malgré ses 16 lacets. Il est bordé de murettes comme tout ancien sentier muletier, murettes grises où quelques coups de massette ont réveillé le coeur sanglant de la roche brillante. 


Le cercle gravé et numérote : anciennes limites de parcelles; très présent en Conflent


Une grotte est en bord de sentier, j'y pénètre et un air très chaud me saisit, c'est l'air de l'été. Le boyau s'enfonce je ne vais pas loin malgré ma grosse lampe, les grottes me stressent. Pourtant la falaise en est truffée. Ces grottes sont les vestiges d'anciens réseaux souterrains de rivières , d'ailleurs certains sont sans doute encore en usage pendant les fortes pluies puisqu'une cascade est mentionnée. Ce réseau souterrain a été étudié, les galeries sont horizontales et s'enfoncent très loin, elles communiquent avec des lieux invraisemblables tant ils sont éloignés (par la route mais aussi sur le terrain), c'est stupéfiant!


Ouverture de la grotte sur le sentier
Le boyau s'enfonce dans le sol
Un "cochon" y a laissé ses marques













Evidemment ça me fascine même si je ne saurais m'y aventurer ! L'antre de la terre m'angoisse.


Grottes omniprésentes , autant de réseaux souterrains anciens
 (ou actuels par grosses pluies?)

J'entends s'éveiller la route, en bas, j'ai dépassé les immenses filets de protection, mon paysage est magnifique , nimbé des lumières et couleurs d'automne, sublimées par la chevelure de brume, venue de la mer mais bloquée par le verrou de Villefranche: par chance je suis juste après ce verrou naturel qui étrangle d'un coup la vallée.


La vallée adjacente de la Rotja est superbe, très verte, et le village de Fuilla s'y étale, et j'apprendrai avec surprise que toute ma randonnée sera sur la commune de Fuilla, alors que je me croyais sur Villefranche et Serdinya. 


J'arrive à ma croisée de chemins, altitude 638 m, un sentier discret part sur la gauche mais la visite à Notre Dame de Vie s'impose. Ne soyons pas avare! Cette chapelle du 11 eme siècle, restaurée au 17 eme, nommée Saint Pierre de la Roca,  abrita un ermite, au 17 eme siècle, l'ermite avait une place importante et un rôle actif dans la société. Cet ermitage devient ND de Vie au 18 eme siècle et fut restauré plusieurs fois dont la dernière en 1993. Il est vide mais des cérémonies s'y déroulent encore, réservées aux bons marcheurs ! Aucune route n'y mène.



Vallée de la Rotja et Fuilla village

C'est une chapelle rose adossée à la falaise, on y vient à pied...
mais la porte est bien fermée à clef

Il est surmonté d'une grotte, ancien cours d'eau aussi, vaste grotte munie d'un petit autel. Un sentier équipé d'une main courante y conduit, l'antre est impressionnant et la vue superbe.


Quel site !!

Accès à la grotte











De là je retourne sur mes pas et vais retrouver le petit sentier qui, sur 1.4 km, doit me conduire au Sentier Vauban. C'est un sentier étroit, ,non balisé, embroussaillé et obstrué, très escarpé qui grimpe très fort. Ancien chemin de surveillance militaire au 17 eme siècle après le Traité des Pyrénées (1659), il témoigne que les soldats avaient de bons mollets !! 

Murettes du sentier, ici 
il est bien évident

De rouille et d'or











 J'y use les miens mais je me régale : c'est sauvage, oublié, silencieux, austère et grandiose. Partie de 638 m, j'atteins la falaise la côte 777 m après 700m linéaires bien costauds . La falaise est fascinante car abrupte, de couleurs mêlées, gris, ocre et noir bleuté, percée d'orifices qui sont autant de nids d'oiseaux. C'est désert et silencieux en ce matin, j'aimerais y voir le ballet des oiseaux.

Nids d'oiseaux







Au pied de la falaise




















La route tout en bas 

 Le sentier poursuit sa montée en longeant la falaise puis dans un dernier escarpement, il bascule côté est, la brume entre alors dans mon paysage, bien plus bas et mon décor change : l'ermitage est en dessous de moi, et Villefranche, ville militaire qui garde la marque indélébile de son dernier bâtisseur, Vauban. Inscrite au Patrimoine Mondial depuis 2008, c'est une ville superbe, dominée par le Fort Libéria.

Villefranche du Conflent

Je fais une petite halte près d'une étonnante falaise : deux falaises se sont appuyées l'une à l'autre, séparées par une fissure, l'une est en calcaire gris, l'autre en marbre griotte rouge, c'est surprenant ainsi que l'échantillon que je mets de côté pour le retour. Je quitte mon statut de "parfaitement à jeun"(après400m D+ et 4.3 km) et bien sustentée je vais aussi quitter le sentier plutôt mal indiqué, et chercher...chercher....il y a des traces partout.

Marbre griotte

Calcaire gris et marbre griotte



Le sentier passe là au milieu 
Evidemment...je heurte mon crâne

Griotte à ND de Vie

 Je m'épuise, je tourne en rond, façon de dire, je m'accroche aux herbes pour faire un tout droit, je m'égratigne aux buissons car en désespoir de cause je vais filer à travers un éboulis , à quatre pattes pour éviter les marche arrière insupportables et épuisantes, je croise le sentier sans le voir, je grimpe puis découragée je redescends...pile sur le sentier. De là je pars usée, et le Sentier Vauban m'accueille, propre, net, équilibré, de lacet en lacet.

 Chaque extrémité de lacet est soulignée d'un emplacement et d'un muret figurant une fortification : autant de postes de garde. 


Plate forme militaire à chaque virage du sentier

Arrivée au sentier Vauban

Venue de la mer, tout au fond, elle se heurte au verrou géographique de Villefranche
qui la contient : la brume 
                                                                                    
                                                           






Je vais parcourir 1.9 km des 97 km de ce sentier presque fortifié mais un peu monotone à mon goût et je bifurque sur un raccourci discret qui me conduit sur un autre sentier au terminus d'une piste forestière.  

Ci contre le sentier raccourci : dirait on un sentier ? Il faut le deviner           



Me voilà à 1038 m d'altitude, bien au dessus des falaises et se profile une vaste étendue désolée nommée Pla d'Auça, que les arbres flamboyants égayent. Je croise un ravin qui a un début mais pas de fin : en effet il s'enfouit dans le sol et noie ses eaux, quand il en a , dans le relief karstique, peut être rejaillissent elles à la cascade ?

Contreforts du Pla d'Auça

Le Pla d'Aussa, à 1200 m d'altitude domine ma destination finale, le Roc Campagna, mais où est donc le chemin? Je marche sur un sentier escarpé et nu, bien cairné, je cherche  car je pars en direction opposée, et rien ! Demi tour, je redescends, toujours rien si ce n'est cette lande désolée hérissée de quelques arbres et de petits abris nés de l'épierrage ancien. Et je cherche, tourne, remonte...1308 m...Mais voyons ! J'ai un topo dans le sac


Un vrai désert en forme de dune ce Pla d'Aussa, autrefois cultivé

Ras le bol d'errer !!


. Mon croisement est à 1224 m et effectivement je rejoins un sentier que j'avais vu et négligé : c'est lui ! C'est lui ? Il me conduit à un mur du genre ancien corral et là, plus rien . Je cherche, peut être plonge t'il dans ces arbres? Mais la brume monte gaillardement, vient rôder non loin, elle a raison de ma valse hésitation et, très en colère, je me résous au demi tour alors que les pointes du Campagna se rient de moi. 

Terminus ! Justement je ne descends pas

Pourtant il n'est pas loin, la brume non plus

Elle monte, roule, s'enroule...

J'ai 1000m de dénivelé cumulé dans les jambes, près de 10 km. Je savais le retour difficile si j'étais allée au Roc et avais fait la boucle de retour car on peut faire une boucle et y égarer facilement le sentier. Mon retour par le chemin du Campagna me demanderait  du dénivelé et une sacrée distance. Par mon chemin aller ce sera du  facile. Alors que cette brume commence , en dessous de moi, à grignoter le Conflent, elle a enfin franchi le verrou de Villefranche et en même temps continue à s'élever.


Le Campagna ne sera pas pour moi mais ma déception est de courte durée car le retour est magnifique : couleurs, lumières, silence, solitude, tout y est. Seul bémol, cette vilaine brume fait demi tour et s'évapore...voulait elle me protéger de quelque chose ? 


Le sentier/raccourci embroussaillé

Elle m'offre le Fort Libéria et Villefranche; pour les couleurs, je n'ai pas eu besoin d'elle.





Je choisis de revenir par le sentier des soldats pour simplement trouver l'erreur qui m'a conduite à errer. Le topo disait de ne pas prendre les sentiers barrés par des cailloux et bien...un cairn effondré barrait le chemin et des végétaux échevelés lui tenaient compagnie, le sentier était donc caché !! Je réinstalle tout ce beau monde, fait quelques croix de couleur pour éviter l'erreur au prochain, il ne manquait à ma panoplie que ...le sécateur !

La civilisation me rattrape dès la côte 630, c'est un va et vient entre ND de Vie et la route, inévitable en ce beau dimanche automnal dont personne ne sait que c'est le dernier avant l'hiver. Ou avant longtemps....

Comme un pied de nez moqueur je termine  le reportage sur ces vallées emprisonnées. Quatre jours plus tard, ironie du sort, nous serons tous en cage !  Et pour combien de temps....


En chiffres 

Distance : 15.40 km

Dénivelé cumulé : 982 m

La route 120 km AR


14 commentaires:

  1. Magnifique : tant pour les photos que pour les commentaires par ailleurs fort bien écrits. Vous nous faites réver !!! MERCI

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    1. mais si je vous fais rêver, amis lecteurs (trices) et bien c'est gagné. Merci de votre passage en mon blog

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  2. Superbe randonnée et lieux magiques que vous nous faites partager admirablement, merci 😊 🙏

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    1. Merci à vous. Je poursuivrai ma route dès que s'ouvriront les grilles et espère encore pouvoir faire partager

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  3. C’est magnifique, chaque fois que nous passons à cet endroit nous nous disons, il faudra que nous allions à Notre-Dame de vie et à sa grotte. Tu as fait mieux, tes photos sont très belles et ton texte prenant, même si tu n’as pas atteint ton but le reportage est à la hauteur comme toujours.

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    1. Moi aussi je me disais cela et comme j'ignorais qu'il y avait un sentier, je cherchais du regard le meilleur "tout droit" pour y parvenir. Bises et au prochain...si le vie me prête santé

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  4. Certains dirons que tu les suis à la trace moi je dirais que tu marques ta trace. Attendre que les couleurs d'automne soient les plus belles pour randonner, étaient finalement une mauvaise idée. Toi tu auras eu la chance d'en photographier quelques-une. Bravo. C'est magnifique. Bises

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    1. je souris au début de la phrase....Ouh....c'est bien dit ça! C'est vrai que j'ai eu la chance inouïe de choisir cette belle journée mais les couleurs sont précoces sur ces arbres, en particulier les thérébintes qui s'allument de jaune ou d'ocre, voire de rouge. merci Chris, et bises

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  6. Certains dirons que tu les suis à la trace moi je dirais que tu marques ta trace. Attendre que les couleurs d'automne soient les plus belles pour randonner, étaient finalement une mauvaise idée. Toi tu auras eu la chance d'en photographier quelques-une. Bravo. C'est magnifique. Bises

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  7. Quelle belle découverte qui répond à ma curiosité d'aller voir là haut, chaque fois qu'on passe dessous. Photos superbes et récit prenant. On s'évade un peu en te lisant, par ces temps si particuliers.

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    1. Et bien offre toi dès que tu pourras le plaisir d'aller là haut, sans oublier la grotte, il y a un banc pour la contemplation, c'est magique. Bises. Le sentier est bien équilibré mais tes jambes de chèvre ne se tracassent pas de cela

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  8. Merveilleuse randonnée dans un secteur que je croyais connaître et que tu me fais redécouvrir par ton texte et tes photos pleins d'enseignements.Merci..🥰🥰🥰

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    1. Merci Georges, et encore j'ai abrégé mon récit car ces curiosités comme les traces de cours d'eau souterrains pouvaient s'orner de surprenants renseignements. mais il ne faut pas non plus faire étalage de science, juste suggérer à petites touches. En tout cas j'y reviendrai il y a bien des sentiers et des choses à voir : la cascade en est une . Et le ravin dels Horts qui n'a d'horts que le nom...je piaffe...

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