mercredi 18 novembre 2020

Sentiers de la Liberté à Tresserre (66). 1er


 Préambule : Cette randonnée n'est pas le fruit du confinement. Quoique....

 C'est une balade faite et refaite plusieurs fois, à plus de 20 ans d'intervalle, le chemin des Soldats de l'An II, lorsqu'ils combattaient en cette fin de 18 eme siècle pour les toutes nouvelles idées de la République. C'est un mélange d'hier, d'autrefois, de l'Histoire et de mon histoire, oui finalement c'est le fruit du confinement qui m'a amenée, sans bouger, au fil de mes souvenirs et archives.

Je vous invite au voyage...Nous irons tous dans les bois....




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 Là où je vais conduire mes lecteurs, c’est dans un "royaume" que je pourrais dater de 1793, novembre par exemple, car c’est en novembre qu’ici se passèrent des choses importantes et impressionnantes. Mon âme pourrait s’en souvenir et en restituer la marche. J’y étais.

Il pourrait se passer 210 ans après quand dans le silence des sous bois, une femme quasi en loques, chargée dans une main d’une pioche et dans l’autre d’un détecteur à métaux, se frayait un chemin à la recherche du passé. Et qu’elle le retrouvait.

Il pourrait se passer de nos jours où une femme ayant pour seul viatique un opinel, un appareil photo, une bouteille d’eau et un sauf conduit, se cacherait de la pandémie et de tout ce qui l'accompagne. Pour respirer un bon coup loin de tout.

Et bien non, il se passa un jour, pas si lointain, une journée ordinaire de semaine ordinaire, d’année ordinaire, d’avant que tout ne devint d’un coup extraordinaire.

C’est un récit du proche passé, où l’on avait encore un présent pas trop compliqué, un futur pas trop incertain, un avenir pas trop malmené et, ma foi, des rêves encore plein la tête…C’était un jour de novembre de l’année 2019. Il y a un an, il y a un siècle.

Oh ce n'est pas une randonnée comme les autres, je n'ai pas pris la route de la montagne, je n'ai pas campé dans la nuit froide d'automne, je n'ai pas respiré la forêt, la rivière et l'odeur d'un village roulé en boule, je suis juste partie près de chez moi avec pour tout bagage la quête de souvenirs.

A 2 km de chez moi, altitude 197 m, je vais rentrer dans le royaume qui n'appartient qu'aux sangliers, chevreuils et autres animaux, à moi aussi. Car je pars sur les traces de ma jeunesse. D'il y a plus de 20 ans. D’avant ce nouveau siècle.


En bas là bas


Je retrouve dans un de mes cahiers de vie un condensé de cette balade. Les souvenirs font le reste.

C’était un jour de grande tempête intérieure…ça arrive.

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Ce jour là, le temps est clair et un vent aigre et humide souffle du sud, ce vent exaspérant et fatigant qui irrite et énerve comme l'Autan.


Le Pla del Rey et le Canigou

Après 800 m de marche, sur le plateau, je bifurque à gauche, il n'y a aucune indication mais je connais, là, un joli sentier de chasseurs qui fonce vers les "profondeurs du monde", ce monde dont on peut s’extraire de façon brutale.


Départ de sentier, en fait  ancien chemin
marqué sur le cadastre 1821

Sentier? Ravine ? Les deux

























Surprise, le sentier est quasi invisible, embroussaillé, raviné, le maquis a repris le dessus et je vais faire ma première rencontre : un chien armé d'un GPS, affolé, le grelot battant au rythme effréné, je siffle pour annoncer ma présence à un chasseur.

Le sentier s'enfouit dans les épineux

ça commence bien ! Je redescends ainsi 70 m de dénivelé, dans un désert (ou enfer) vert dont dépasse encore ma tête et enfin je débouche dans le Royaume de l'Ombre. 


C'est le monde des ravins, de la lumière glauque, des arbres et buissons qui cherchent la lumière, moi je vais chercher la sortie, elle sera à 90 m d'altitude, vers une piste et une rivière. En bas là bas...

Chemin  et ravin






De pierre et de mousse


Pas comestibles

Le charme des sous bois. Et le parfum.


Lumière de ciel

Dans cet immense parc naturel où je suis petite chose, un lacis de ravins converge vers une rivière, ravins parfois bordés de falaises abruptes, brèves et brutales. Ce pays d'argile et de rocs s'est construit dans un ancien plateau et l'érosion féroce a entaillé ce matériau peu solide de profondes ravines, d'une manière spectaculaire puisque en quelques mètres on passe du plateau à de profonds canyons dont on ne pourrait remonter. L'ensemble est dissimulé par une épaisse chevelure verte sur les hauteurs et un fouillis indescriptible dans les profondeurs. Quitter le sentier est impossible mais de sentier il n'y en a pas, c'est juste le ruisseau principal, large de quelques dizaines de centimètres qui est devenu chemin. 


Rencontrer un animal n'y offre aucun échappatoire, les sangliers viennent fouir le sable du ravin et ils ont, pour ce faire, tracé des tas de "corriols" petites sentes brèves qui, du sous bois plongent dans le ravin. C'est le domaine des parfums, ceux des sous bois dont je raffole.

Je marche le long du ravin dans un silence parfait et une lumière apaisante. Tous mes sens sont aux aguets, une rencontre n'y serait pas enviable. 



Cheminées de fées miniatures

Comme des sculptures
Patrimoine géologique et érosion














Pourtant c'est un domaine que je connais bien : je marche sur les anciens chemins des Soldats de l'An II, qui se battaient pour la Liberté, pendant ces guerres révolutionnaires des années 1793/1794.

Les falaises parlaient encore
voilà plus de 20 ans



J'ai arpenté ces ravins, il y a plus de 20 ans à la recherche des traces de leur passage, sachant que les ravins et le territoire, propres et nets à cette époque (j'ai étudié le cadastre de 1821), était leur lieu de bivouac, de combats et de chemin d'un camp à l'autre. En cette fin 18 eme, ces lieux étaient "pâtures" soit sous bois exploités par l'homme et les troupeaux de caprins, porcins et ovins. A présent c'est un fouillis. Ainsi, détecteur en mains, j'avais recueilli des indices qu'il fallait chercher  non pas au sol, à cause de l'érosion et du flux violent des gros orages mais sur les parois des falaises, un ou autre boulet de canon et de la mitraille avaient fait leur apparition sous mon piochon. C'était une période solennelle, je ne pensais pas alors aux sangliers, j'entendais et voyais vivre ces soldats qui m'accompagnèrent au cours de mes quatre années de fouilles. 



Aujourd'hui je n'entends plus leurs voix ni leur course effrénée, j'entends le vent qui enfle 70 m plus haut, sur les végétaux et les arbres, j'entends le silence de ma tempête intérieure apaisée.

Un ou autre rai de soleil curieux des profondeurs illumine un merisier esseulé, et fait briller les cailloux luisants d'humidité du ravin, ces fameux "rocs foguers" qui, lorsqu'on les heurte, allument des étincelles et sentent la poudre.

Un rai de soleil sur un merisier 

Les rocs foguers

Mon chemin quitte parfois le ravin, en un bref raccourci, trait rectiligne enchâssé dans les buissons agressifs qui ont déjà strié mes bras nus.

Sinon, il est impossible de quitter le sentier sauf en rampant.... Peu après le demi tour s'impose, le chemin est encombré, je n'irai pas plus loin dans ce fouillis végétal, la bagarre s'avère aussi épuisante qu'inutile. 



Terminus


Je reviens sur mes pas, je connaissais dans le secteur un autre sentier de chasseurs qui me permettrait de faire une boucle. Un ravin affluent m'invite à le suivre, je comprends vite, il s'élève, doublé d'un "sentier". Lorsque je la vois! La corde ! Jadis une solide corde fixe permettait aux chasseurs de désescalader la falaise et j'adorais emprunter ce passage. Mais la corde est pourrie, dangereuse; je la remets en place, rattachant ce qui est possible et j'émerge à l'air libre où je comprends vite : le sentier n'est plus, envahi de végétation épaisse et piquante sur 1.50 m de haut.



Rafistolage






Là était un sentier

 Ma mémoire me restitue le passage en crête entre deux canyons. Y tomber ne serait pas grave malgré la hauteur, la végétation ferait matelas, mais en remonter sans aide en est impossible. Y descendre de son plein gré est tout autant impossible. Je suis donc les traces intactes de ma mémoire et je parviens, dans un dernier effort, sur la piste le long de laquelle nous avions édifié une branche de notre Sentier Historique en 2006.


Le paysage de petits canyons où se trouve le sentier disparu

                                                                                          

Ce fut un sentier
Attention à la chute



C'est enfoui là dedans : sentiers, ravins et canyons




Attention  à la chute
Sol friable

La piste domine le paysage mais est tant ravinée que même les 4x4 y ont des difficultés. Je la parcourais alors avec mon AX qui se faufilait malgré le cabossage de la piste.

                                                                                 

Un des panneaux du 1er Sentier
 (2006)

Erosion 

Paysage du site de la Bataille du Boulou (1793/1794)

Un VTT me fait sursauter dans ce désert et je pousse ma balade vers l'ouest, vers la vallée de la rivière La Valmanya et ses redoutables falaises verticales, de sable compressé, où en cette fin de 18 eme des soldats combattant pour les idées de la République menèrent pendant plusieurs heures des assauts furieux. Ma fureur s'est écroulée comme ces falaises qui se délitent et offrent au regard des pans entiers prêts à s'ébouler, un chenal vertical invincible et une rivière qui a les parfums de  rivière, humus, vase, mais pas d'eau, elle est juste sous la surface, je le sais, je le sens.




Falaise de la Valmanya

Falaise de la Valmanya













Je remonte la falaise par la piste et, à sa naissance, où la rivière n'a pas encore perdu ses eaux, un chemin de sangliers souligne la verticale: je grimpe, mais aller trop haut supposerait une corde pour étayer la descente, on ne commence pas à mon âge une carrière de sanglier.

Alors je reviens sur mes pas, je laisse la partie ouest de la rivière, soit sa rive droite à une prochaine exploration, son "ravin du sang" qui charria voilà 226 ans les affres sanglantes des combats, je rentre chez moi, par la piste tranquille. Le Canigou s'apprête à accueillir le soleil couchant, les Albères sont coiffées des brumes du vent sauvage, mes bras sont griffés, mon pantalon troué, et mon âme en paix. J’émerge des 18 eme et 20 eme siècles mêlés. Un soir de novembre du 21 ème siècle.

Le Canigou

Et les Albères coiffées de brume

Chêne kermès: le délice des mollets et des bras nus!

Prochainement, toujours en souvenirs, je vous inviterai à parcourir le "Correc de la Sang", le ravin du sang . Tout un programme.




4 commentaires:

  1. Amédine, tu es une merveilleuse conteuse, on s'y croit dans ce fouillis magnifique et on pense aux soldats de l'an II. un souvenir me revient, ma première visite à l'Arc de Triomphe et les noms gravés des braves de l'armée du Boulou. Je les avais lu un par un avec tellement d'émotions.. des noms de chez nous. Ces randos de sangliers ont un charme et un parfum d'aventure et tu restitues si bien l'ambiance, les découvertes comme ces si jolies cheminées de fées miniatures.. et les chemins perdus.
    Roberte

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    1. Joli témoignage que le tien! A la fois sur mes chemins cachés et sur les traces des soldats de l'An II. Nous avons fait avec Pierre mon ex conjoint, deux Sentiers Historiques sur le site, ils font partie à présent du paysage pour la pérennité. Bises

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