samedi 13 juillet 2019

2800 ans de murailles. Caunes Minervois, Aude.

Tout commence par hasard. Un lundi matin maussade, je suis encore privée de montagne, les orages y sont au menu. Sur mon ordinateur je fais quelques fouilles culturelles concernant les environs de Caunes Minervois, le ravin du Cros précisément, joliment creusé dans les marbres incarnats. J'avais bien vu sur la carte "Site protohistorique du Cros" mais ma curiosité n'avait pas été trop piquée. Maussade pour maussade, voyons donc...et moins d'une heure plus tard, j'embarque camion, chat et quelques affaires, direction Caunes: le site est au programme du lendemain. Caunes n'est pas loin, 140 km. Auparavant, Nina et moi nous ferons du tourisme. La chaleur écrasante s'est invitée. Mardi matin après une nuit fraîche en pleine nature, c'est sous une pluie fine et 10 degrés de moins que je laisse Nina et le camion pour un voyage vers un temps vieux de 2800 ans.

Le site se trouve au dessus de cette muraille naturelle
Le sentier d'accès passe au pied de la falaise

Fin janvier j'étais au même endroit, sous une même pluie, vêtue du même poncho : décidément....
28 janvier / 9 juillet

La garrigue exhale des parfums subtils, je les respire à plein nez alors que la pluie fine crépite sur mon poncho. Le sol est extrêmement glissant, racines et roches sont comme verglacées. Je traverse la Carrière du Roy (Marbres rouges, colonnades du Petit Trianon à Versailles) et je descends jusqu'au ravin du Cros, où il y a 5 jours, entre amis, nous découvrions un somptueux relief vermillon.


Sous la pluie, le marbre brille et a pris une teinte plus foncée. Je m'y aventure avec une grande prudence, c'est glissant.


Dans le canyon











Puis je reprends le sentier et remonte l'autre rive. C'est abrupt. 130 m de dénivelé rondement grimpés. Je me régale du bruit des gouttes sur les feuillages et des parfums puissants.


Je me plais à croire que les hommes de l'Age du Fer
avaient essayé leurs outils ici !
Le site est juste au-dessus


Sous mon poncho je suis aussi mouillée que dessus, un vrai sauna. Stoïque je le supporte. Le sentier est balisé en jaune; une grimpette finale en rochers ultra glissants et me voici sur le plateau, altitude 330 m. Des pins, des taillis et soudain un mur de cailloux gris : la grande muraille que traverse le sentier. Un panneau explicatif est planté là.


Mais qu'est donc cette muraille ? 
Aux 8 eme et 7 eme siècles av JC, transition entre l'âge du bronze et l'âge du fer, des ouvrages défensifs étaient construits. La France en compte un certain nombre, dont celui-ci, qui a fait l'objet de quelques campagnes de fouilles par le CNRS. Les bâtisseurs furent des paysans éleveurs de chèvres, moutons, boeufs et des cultivateurs de céréales. Cette enceinte était à caractère défensif puisqu'on y retrouve la base de 8 tours ou bastions et une porte en chicane. Ceci sur les 112 m étudiés.





Cette muraille s'appuyait sur les falaises du ravin du Cros, défenses naturelles et sur les rives d'un autre ravin, la Boriette. Une structure en U encore visible était semble t'il prolongée de remparts. Que les falaises étayaient.


Photo aérienne actuelle : en jaune ce que l'on peut parcourir

Photo années 1960 : en jaune le site, en bleu la porte

Dans cet espace de 5.5 hectares (quand même !) se trouvaient voilà 2800 ans des petites maisons de bois et, au centre, la partie cultures et élevage. Quand on voit la pauvreté et l'aridité du sol cela laisse pantois....
Le site, occupé pendant environ 150 ans fut abandonné puis réoccupé entre  630 et 580  av JC. C'était de petites maisons de bois, construites avec des pieux plantés, adossées ou non à la muraille. Muraille qui commença à se dégrader vers 650 av JC.
Au vu des éléments trouvés lors des fouilles sur 2500 m2, le site a été détruit par un violent incendie qui a fait fondre le marbre des roches et donné de la chaux. De nombreuses traces ont été relevées intra muros alors qu'à l'extérieur il n'y en a pas trace. On note bien la présence d'amas blanchâtres solidifiés, sur la muraille et dans l'espace vital. Les incendies de forêts au cours des âges n'ont jamais provoqué ce phénomène. Fallait il que l'incendie soit violent !
L'eau était stockée dans deux citernes (que je n'ai pas su voir) pouvant contenir en tout 3000 litres; elle se remplissent encore lors des pluies. Enduites d'une argile jaune, on ne sait si elles furent creusées par l'homme ou si c' était une dépression naturelle du terrain.
Auprès de ces points d'eau les archéologues ont fait moisson d'éléments permettant de dater les différentes occupations.

La muraille dont la hauteur est évaluée à 2 m/2.70 m, s'est effondrée en partie lors de l'incendie puis par dégradation naturelle . Les éboulis ne permettent donc plus de voir sa base, d'une largeur de 2 m, simplement posée sur le sol et comblée de marbres gris, blancs ou roses.






La piste forestière coupe la muraille

Entre la muraille et l'espace de vie, une bande de terre de 20 m environ servait à la circulation.
Les archéologues supposent que l'enceinte n'était pas fermée, protégée par une falaise sur laquelle elle prenait appui au sud.
Mais une importante carrière de marbre creusée dès le 17 eme siècle sur le site, la carrière des Italiens a bouleversé la structure originelle en cet endroit, seul point où le site a été touché par l'homme.
Alors j'ai arpenté ces quasi 112 m: d'entrée on voit un long cordon rocheux où on circule par trop mal si on a le pied alerte. Cordon qui rampe entre les pins et peut s'achever brutalement. Ensuite on s'aperçoit  que sa structure au sol est inégale : ce sont les 8 bastions et leur large assise; le plan sur site permet cette lecture.
La muraille "chemin de ronde" et l'emplacement de
deux bastions (en vert plan ci dessous)
Une boussole m'a manqué je ne parvenais pas à me repérer, il m'a fallu un grand moment de réflexion. Cela manque un peu de précision, un fléchage permettrait de trouver rapidement le "must", la porte d'entrée en chicane. Un lieu bien préservé qui échappa à l'incendie meurtrier. La structure des murs y est davantage visible mais pour l'accès, il faut suivre la muraille et la contourner, un "sentier de sangliers" permet cela. Et cela vaut le voyage.
En images : sur le plan j'ai rajouté les couleurs pour situer:



Dernier bastion (rouge sur le plan)

La chicane de la porte (orange sur le plan)

La chicane

Le dessus du mur de la chicane


Je suis sur l'avant dernier bastion (bleu sur le plan) et je regarde le dernier (rouge sur plan)

L'assise de l'avant dernier (bleu sur plan)

Plate forme du bastion et muraille s'enfonçant dans les bois

En rouge sur la muraille une visiteuse trempée (moi)
sous son poncho en loques

Un passionnant voyage ; j'avais lu avant de partir un excellent document,(clic) résumé des fouilles, qui m'a permis une ébauche de lecture du site. Je n'avais pas le document sur moi, dommage, mais j'y retournerai...sans pluie !!

Mes pas m'ont conduite vers une autre muraille, toute proche (il suffit de descendre la piste de terre qui traverse la muraille) celle d'énormes blocs de marbre issus de la carrière des Italiens: une autre page d'Histoire, plus récente mais vieille de quelques siècles toutefois. 

Muraille des temps modernes


 Entourée de grillages interdisant l'accès, j'ai bravé l'interdit (avec précaution) et j'ai découvert un site extraordinaire dans lequel volent des faucons: une énorme excavation pâle et rose, qui, avec ses murs lisses et son fond parfaite ment dallé ressemble à une immense piscine ! Elle ne figure pas sur les guides pour raisons de sécurité.



Je ne peux passer sous silence ce site exceptionnel: qui commença à vivre sous Henri IV et ferma il y a quelques décennies : le matériel laissé sur place permet de voir comment étaient découpés les blocs.
Ci dessous, texte extrait d'un blog très intéressant, images à l'appui: 





"Dès le début du XIXe siècle un nouveau moyen d'extraction et de découpage des blocs voit le jour. Entraîné par un moteur et guidé par des poulies, un fil hélicoïdal transportant du sable abrasif et refroidi par l'eau, traverse le banc de roche en le découpant en blocs réguliers. Cette technique est toujours utilisé, mais le fil est recouvert de diamants."





Après cette balade sur 2800 ans d'Histoire, il ne me restait plus qu'à remettre les pieds (mouillés !) dans ce XXI eme siècle bien entamé et rejoindre, par le sentier parfumé, ma petite Nina.
Non sans faire quelques acrobaties dans le lit glissant et somptueusement incarnat du Cros qui mérite un autre voyage au fil des rocs (anagramme de Cros).

Lit de la rivière

Fossiles dans le marbre

Caunes Minervois, adossé aux premiers contreforts des collines, est bien veillé par ces immenses tranches d'Histoire, celle de la géologie de la Terre et celle des Hommes qui ont inscrit en lettres grises ou incarnat des pages pour l'éternité. Et j'en garde encore quelques unes à lire: celles de l'Abbaye bénédictine dont les origines carolingiennes remontent à l'an 790.
On reviendra pas vrai Nina ?



En attendant, il y aura une étape lozérienne à la rencontre de deux autres sites protohistoriques sur le Causse Méjean (Lozère) celui de la Rode et celui de Le Tourelle.  Il y aura de la route pour y arriver, mais je connais bien ce Causse.

Alors les chats, ça vous dit ?




3 commentaires:

  1. Tu es incroyable tu arrives en à peine une journée, remettre tout le site en place, je t'imagine bien le maître d’œuvres pour le reconstruire, et cette carrière de marbre est de toute beauté. bises Chris

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    1. Ton comme fait rire mais en fait c'est vrai : tu as bien saisi l'essence de ma vie : vite et fort ! Bises en attendant un autre voyage (qui a déjà été fait et doit juste être conté. car j'ai pas eu le temps de conter Citou, la cité de l'oignon tendre. J'ai tout pour ça sauf le temps

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  2. Un beau site et une carrière magnifique ! Avec la pluie les marbres rouges sont splendides. Encore des découvertes très intéressantes, merci pour ces images hors du commun. Ballade glissante et humide mais c’est sans doute plus beau ainsi. Bises infatigable Amédine !
    J’ai les chicoufs en garde....

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