dimanche 18 août 2019

Cinq 3000 au Cirque de Troumouse, rando aérienne, partie 2

Partie 2 : Pic de Troumouse, Pic de Serre Mourene, arêtes des Pics de la Munia, Pics de la Munia, Pas du Chat, Col de la Munia, descente par le Passet et retour par le Cirque de Troumouse (voie normale)
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Donc je disais... en Partie 1: 

"Mais que vois-je ?? Quelle est cette redoutable dent grise, si proche et si "effrayante" ? Voilà ce pour quoi je suis venue : le Pic de Serre Mourene. Instant de grande solitude...je n'y arriverai jamais! Didier se lance alors dans un numéro de délire vocal qui, au lieu de me convaincre, m'angoisse encore plus : il en fait trop et il rit, en plus."



Pic de Serre Mourène 3095 m
d'une morphologie spéciale


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Ce faisant on perd 50 m de dénivelé et on est au pied "du monstre". Finalement pas si monstrueux que ça me dis-je...et même il semble fait pour moi !


"Au pied du Monstre !"
Mais je l'examine avec attention, avec précaution....

Quel escalier !








Mais il rit, en plus !!!
Je l'attaque avec brio, regrettant que les centaines de mètres de vide à gauche soient cachés par la ouate. Car c'est vraiment un éperon à cheval sur 700 m de part et d'autre. Quand soudain! On n'a presque pas démarré qu'un éperon en dévers ou surplomb me bloque , je ne passe pas ! Je n'arrive pas à faire ce pas de III trop long. Je refuse de passer à gauche, que j'essaye et qui me paraît trop  périlleux, je tente à droite bien qu'ayant le vide sous les yeux, rien à faire. Alors une sorte de rage du désespoir m'empoigne, j'attaque par la gauche, le pas est haut, difficile, je serre les doigts sur les prises, je force sur les bras, je me dis que sous cette ouate c'est un vide vertigineux et que si..ça y est je suis passée! Un sentiment de victoire et de fierté m'envahit, avec en prime un immense soulagement.

Ce sera un des deux surplombs au-dessus de ma tête que
je ne sais pas passer
Cet escalier gigantesque de 40 m se grimpe avec les mains, la roche calcaire est sûre et je pousse presque Didier, je suis "chez moi "! Joie au sommet, le Pic de Serre Mourene, 3090 m, un vide presque vertical sous les pieds et partout autour, oui un vrai escalier calcaire. La proue d'un étonnant vaisseau. Il me manquera toujours quelque chose, le point de vue côté sud. Le Mont Perdu, l'Espagne se dérobent à moi, car nous sommes en frontière depuis le Pic de Troumouse. Joie au sommet...je l'attendais celui-ci, il me fascinait. Quel bonheur....
En images :

Je le laisse passer en tête, évidemment !!
Et je suis allègrement, évidemment !!
Que c'est raide vers le bas





Et tout autant vers le haut : un mur
"Et si je n'avais pas pu passer? " demandai-je à Didier ? "Il y avait la corde" me répond-il...c'est vrai....

Le panorama : notre trajet depuis le départ: en vert, au dessus du blanc et sur les arêtes sombres

13 h 58, joie au sommet


Descente sur le col  Paget Chapelle, 3031 m; sous ce nom étonnant se cachent le nom et le surnom d'un guide, Henri Paget, qui fut guide du célèbre Pyrénéiste Russel au 19 eme siècle. Sa mort fut des plus stupides : fin chasseur d'isard il se déguisait en isard, si bien qu'un chasseur les confondit et il mourut de 26 balles de chevrotines, en 1874.
Incroyable : des jardins à plus de 3000 dans cette austérité
(Calcaire)
et en schiste



Quel chaos !


Incroyable: ce mur de Serre Mourène
fait le dos rond
Donc de ce col, nous repartons pour 800 m d'arêtes torturées en direction des pics de la Munia, la Petite Munia, 3096 m et la Munia, 3133 m, notre point culminant. Cinquième 3000.

Et c'est reparti pour la grimpe !




En ardoises tranchantes
ça change !






















Nous rencontrons un nouveau type de paysage, de magnifiques ardoises noires et luisantes qui eussent fait le bonheur des couvreurs si elles  n'étaient aussi inaccessibles; elles aussi attirent les fleurs mais il faut être vigilant à leur tranchant. Mon "petit coup de mou" de la montée de Troumouse est loin, plus j'avance et plus j'ai de l'énergie ! Cette crête très dentée ouvre par d'étroits couloirs sur les abîmes du cirque de Troumouse quelques 1000 m en contrebas, impressionnants car étranglés par ces goulets rocheux; je passerai ma journée à être fascinée, émerveillée, envoûtée et Didier m'avait dit "on prendra le temps de savourer". On le fait; je pense qu'il y avait aussi chez lui un désir de ne pas prendre de risques en forçant l'allure; après tout c'est un type de terrain que je ne connais pas, réservé aux "montagnards expérimentés" (topos) et on évolue à mains nues, tête nue et sans assurage. Inconscients ? Téméraires? Puristes ? Passionnés ? Confiants ? Un peu de tout cela et surtout très prudents. Plus tard, bien plus tard, Didier me confiera avoir passé une nuit blanche en raison de sa peur de me voir accidentée, mais il était en même temps sûr que je réussirais. Et moi en retour je lui confiai que pressentant cela, j'avais encore été plus vigilante que quand je suis seule. Nous faisons quelques infidélités à l'arête, pour économie de forces, en contournant sur la gauche où de belles vues se dévoilent enfin, mouvantes et fragiles sous la brume. Arrivés au Pic de la Munia,(en fait il y a deux Pics de la Munia) on relâche la pression et on s'offre un petit repas bien mérité. Le temps est serein, les jours sont longs, on est heureux et la descente nous attend, que j'imagine une formalité. Sotte et ignare que je suis !!



Lacs de la Munia, versant espagnol, un cétacé ?

Côté Espagne


Côté France: le Pic de Gerbats, 2904 m, (1er plan) et en fond le Pic du Midi (2876 m)


Zoom sur le Pic du Midi de Bigorre, 2876 m

D'ombres et de lumières : relief fascinant, que l'on a parcouru

On a fait tout ça, et on n'a pas fini !





Etroite arête


Evitement en, Espagne

Une arête descendante de 500 m conduit au Pas du Chat, 3095 m quand même : je l'attends pour son nom, j'attendais une fine arête aérienne, comme ces passages d'équilibre chers aux chats et bien surprise, c'est une grande dalle lisse et blanche qui tombe un (ou deux) étage (s) plus bas et qu'il faut désescalader. ça alors ou plutôt chat alors! C'est sûr je ne saurai pas ! Encore !!... Je lance mon sac à Didier car depuis le matin il me dérange ce sac, c'est lui qui m'invite à la prudence, si je l'accroche ou bien un bâton et c'est déséquilibre garanti et chute : impardonnable.

Pas du chat : une ou deux hauteurs d'étage d'immeuble

Il a choisi sa voie

ça me fait peur, je passerai par une autre fissure

Je descends ce Pas du Chat en son milieu par une fissure différente de celle de Didier, toujours mes pas plus courts. sans difficulté ni corde alors que la plupart s'encordent et descendent en rappel. Je m'y sens bien, ce n'est pas la frousse du jour, elle est derrière moi à Serre Mourène.



Bon sang mais bien sûr !!
Je comprends pourquoi ce nom de pas du chat !
Lison sur la façade au 2nd étage 

Elle m'attend encore une fois, loin devant, mais je l'ignore et je valse encore un peu sur la fine arête  de 300 m qui franchit la barre des 3000 vers le Col de la Munia, 2853 m, où nous allons plonger vers le cirque. De toute façon l'arête est abandonnée, un sentier inévitable suit le flanc gauche, avec quelques pas bien corsés, aériens et pas vraiment "courtes jambes".

Chemin d' Espagne
Frontière : une arête comme un petit canal

























Col de la Munia : laissant derrière nous les passages aériens et tourmentés des arêtes de toutes couleurs, on plonge dans les éboulis parcourus d'un sentier, la voie normale du Passet, voie classique d'accès à la Munia.

On descend vers Troumouse, c'est pas du gâteau.



Autant dire qu'on retrouve le plancher des vaches, même si la pente est soutenue, on a 700 m de D- sous le nez. Un vrai plaisir visuel : tout devient blanc, crème, rouille, voire noir. Une palette de couleurs de roche extraordinaire. Dominée par le marbre; je ramènerai un échantillonnage fantastique de roches, en photos car mon sac eut nécessité 3 porteurs !

Jardin de roches : le Passet (petit échantillonnage)
Mais enfin quelques cailloux lestent mon bagage. Aussi féru de roches que moi, Didier se régale, nous sommes dans un jardin extraordinaire, comparable à celui, fleuri, du début du voyage, même si ce dernier jardin est minéral. mais que c'est beau !


Jardin de roches, encore

On touche, on soulève, on surenchérit nos trouvailles tant et si bien que c'est au pas lent du chameau qu'on descend. Comme pour savourer encore notre belle journée.


Et un peu de vert amande

Tiens il y a des voisins ! 4 isards tout proches ne dérangent rien à leur vie et poursuivent repos, pâture et curiosité en nous regardant; aimables ils prennent des postures pour nos photos. Presque ils viendraient nous serrer la patte !


Ah ce Passet ! J'en connais un auquel j'ai consacré un article, un beau lac paisible où l'été dernier j'avais établi mon QG, un lac bien bleu dans une forêt bien verte, et voici que je suis dans du caillou, vertical, blanc aride et cru. Alors quel est le point commun ? Car il y en a un que je trouve en marchant; avant le lac de barrage, le torrent se jetait verticalement dans une gorge étroite, qui existe toujours sous la digue et ici c'est une gorge étroite et rocheuse qui nous attend aussi; le Passet, le petit pas, le pas étroit.

Le Passet est un massif dans le massif, 2654 m, pas rien, fait de toboggans de débris, de restes de névés dans des couloirs coupe gorge, il y a trois couloirs parallèles dont le dernier longe une cascade et conduit au sentier mais dont le premier est accessible par un mur blanc, vertical, ridé certes et strié mais à mes yeux infranchissable car en désescalade. Jamais je n'ai pensé à la corde à aucun moment du parcours et ici,bien qu'il y ait un ancrage que j'ignore je n'y penserai pas davantage : ce Passet, je dois le passer et à présent. Je dirais que c'est le second endroit de peur ; oui je connais le courage à présent car j'ai franchi la peur. Si Didier cherche un passage c'est pour moi, lui est un vrai passe partout. Il me le trouvera ce passage et si je colle à ses basques c'est pour poser mes mains là où il les pose; les pieds ils se débrouillent, ils sont bien plus hauts les miens. Et ça passe, sans trop de mal, je me permets même d'avancer puis reculer pour la photo. Mes bâtons ont pris la fille de l'air et me voici au pied du mur, encore un peu de "casse cou" pour récupérer les bâtons au mauvais endroit. Le reste est une formalité , encore un de ces sentiers que Didier nomme depuis 2018 "les sentiers d' Amédine" car c'est mon terrain de choix, croûlant au possible. Goût discutable certes...
Ah ce Passet que je l'ai aimé...et qui signe la fin des festivités.

En images




Arrivée au Passet, ses marbres blancs et son relief colossal




Descente du Passet


Descente du "mur du Passet"
bien haut le mur !


Le mur du Passet ; il est équipé en haut pour la descente en rappel


Vue plongeante sur le Cirque mais en attendant c'est nous qui faisons du cirque




"Les Sentiers d' Amédine"
(parodie des Sentiers d' Emilie)
soit les éboulis croulants que j'affectionne

Là faut pas s'y risquer

Nous voici enfin au contact de l'eau, la vraie, qui tombe en  chevelure depuis là haut, tout près des Deux Soeurs, sentinelles de pierre jumelles au pied de la paroi, non loin d'une tour au symbole phallique qui, pour l'heure, se contente de regarder chastement les Deux Soeurs. Oui la montagne a aussi son humour!
                                                                                         



Les Deux Soeurs (vues d'en haut) et La Tour
On rentre : 3 km de sentier ou plus, bien tracé, en rochers (encore une salle géante du musée) puis en pelouse, au bord de laquets, avec le chant de l'eau et le regard de Didier sur moi qui me répète avec stupéfaction: "Mais tu n'es pas fatiguée !! Si tu voyais ton visage !". Je ne comprendrai que plus tard en me regardant dans le miroir et en sachant enfin ce que signifie "transfiguré".


De nouveaux ou futurs horizons ?

Oui assurément je suis en pleine forme, malgré les genoux un peu douloureux, mais ce fut tellement...tellement...

                                                          Merci à Didier pour m'avoir offert ce voyage

Trait d'humour en conclusion:
Arrivés au refuge du parking, après une bonne bière, je demande au gardien si je peux téléphoner car mon portable ne passe pas.
- "Oui, me dit-il, mais le téléphone est perché, il vous faudra monter sur une chaise !"
Je me mets à rire de bon coeur : après les cinq 3000 et la Serre Mourène, je crois que je peux escalader une chaise !!


Malgré les chiffres:
Dénivelé positif cumulé : 1500 m env
Distance: 17.1 km dont la moitié aérien et en arêtes
Temps d'absence: 15 heures
Temps effectif de marche: 12 à 13 heures (donné 11h sur les topos)
Car beaucoup de contemplation, de photos et de Prudence

Et, la veille, 466 km de route.

                                                                                          

10 commentaires:

  1. Et moi, je suis toujours autant admirative, Amédine ! Mais il faut dire que tu es une passionnée, et que rien ne t'arrête ! Au moins, tu réalises tes rêves, tu les vis, c'est vraiment super ! Moi, je n'aurais pas brillé sur ce parcours. En fait, je ne m'y serais même pas aventurée ! (rire)
    Merci pour ce reportage passionnant. Belle journée à toi, bises.

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    1. Merci Françoise, c'est vrai que cela reste un parcours difficile et qu'il faut être expérimenté mais pas que ça, être bien accompagné. C'est aussi un lieu de partage : faire cela tout seul doit être un peu frustrant et pourtant je suis une solitaire. Merci de m'y avoir suivie , bisous

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  2. Mamamia !!! que c'est beau ! Que c'est haut ! Que ça fait peur ! Mais c'est tellement bon parfois de dépasser ses peurs, ce décors impressionnant est attirant, mais je ne me risquerais pas. Encore un beau souvenir, et merci de nous en faire part. dis-moi quel est ton secret, pour obtenir de si jolies photos, quand on marche avec toi, on te regarde prendre les photos, on se demande comment tout rentre dans l'objectif et surtout comment tu peux avoir un si beau résultat, non seulement tu marches très bien mais tu sais cliquer ;) Bisous Amèdine Chris

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    1. MDR, 2 recettes à détailler ; ma forme ? génétique, alimentaire, existentielle, je développerai pour toi en MP. Les photos ? un oeil un regard. Dans les 2 cas, la passion. Ah je marche bien ?? tu vas voir mon prochain blog...pas si sûr...quoique...A suivre donc; bisous très chère, je pense fort à notre prochaine virée tu devrais te régaler et le lièvre aussi; bisounets

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  3. Tous ces qualificatifs que tu mentionnes dans t'on superbe récit «inconscients,téméraires, puristes,passionnés,confiants,prudents»vous sied a merveille,a toi et t'on compagnon de route.Mais avec un peu plus d'inconscience non ?
    «Madame» voila six qualificatifs qui font de toi une femme exceptionnelle, bravo pour t'on courage et ta volonté,et merci de nous faire profiter de cette randonnée , enfin (randonnée escalade).Je t'embrasse de toute mon amitié

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    1. Un très joli et émouvant commentaire qui me touche et garde malheureusement l'anonymat...ah...qui es tu ? que j'embrasse aussi avec amitié et émotion

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  4. Réponses
    1. Ah cher Lièvre...qu'est ce que tu te serais régalé, c'est du terrain pour toi ça ! Bisounets !

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  5. Bravo pour cette course inoubliable, pour les photos et pour les impressions!
    Le ciel changeant donne un peu plus de mystère à cette sublime traversée, l'une des plus belles courses de crête des Pyrénées
    Amitiés montagnardes

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    1. Nous avons fait la même "promenade" dans les airs; j'ai lu votre blog, regardé vos photos, quel temps radieux ! Je vous ai mis un commentaire , vous avez un beau blog. Amitiés

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