Il a neigé voici deux jours, sur Mantet, une mince pellicule qui enrichit le décor. La soirée est glaciale, sous la pleine lune et après la balade nocturne dans les ruelles désertes figées par le gel, je regagne mon camion, mon programme du lendemain vient de vaciller. Après une nuit glaciale, au matin glacé, voyant que se prépare une tempête de ciel bleu (comme dit Ludo) et de soleil étincelant, mes dernières velléités s'évaporent : que vais je aller faire dans cette
"Vallée des 3 S" comme je surnomme
la vallée du Rec dels Clots (Solitaire, Sauvage et...Sinistre) ? Je vais passer tout le temps dans l'ombre glacée, au fond des forêts, sans le moindre point de vue, sans que le sentier secret soit seulement foulé par un humain, sur les près de 6 km, même pas sûre, sous la neige, de le retrouver ni de pouvoir y marcher ? Me resterait-il une once d'énergie pour grimper un mur de neige ? Allons donc, laissons ces "folies" pour le printemps et partons dans
la belle vallée de l'Alemany .
|
Depuis mon hôtel, coucher de soleil sur l'Alemany, 16 h 20 |
Un jeune randonneur s'élance pour les grands espaces, je n'en ferai pas autant mais je pars. Je suis un peu trop chargée, je le sais. Crampons, piolet, raquettes...que ferai-je et où irai-je ? La rando commence par 100 m de descente et la traversée du Mantet sur la passerelle de bois; ensuite le décor sera givré, figé dans l'hiver, avec, en toile de fond, le mugissement de l'Alemany qui vient de tout là haut, il naît dans la coma de la Portella, à 2435 m au pied du Pic de la Dona.
|
Petit matin, 8 h 08 |
Je n'irai certes pas jusqu'à son berceau mais je compte aller jusqu'à
la Coma de Bacivers, une combe longue de 2.5 km, large de moins de 300 m et surmontée de pentes de 200 m de haut. Elle se termine en cul de sac, et son aspect farouche me fascine depuis que je l'ai vue pour la première fois. Il y a plus de 2 ans.
|
Au petit matin, 7 h 33. Et la lune |
|
Peu après le départ |
Alors je marche tranquillement, sur le sentier pavé puis sur le sentier gelé, attentive à la chute aussi brutale que douloureuse sur la glace vive. Les oiseaux m'accompagnent de leurs chants joyeux; pas un animal des forêts en vue. Faut dire que j'entends le grelot d'un chien de chasse. Le sentier, de plus en plus enneigé, est bien damé par les marcheurs et ainsi j'avance facilement. Je ne regrette pas mon changement de programme ! Je reste attentive aux plaques de verglas, tout en grimpant fort dans la forêt. Tout brille et étincelle, les cristaux de neige, les aiguilles de pin, le ciel grand bleu, c'est magique.
Au sortir de la forêt, le paysage s'anime : derrière moi, Mantet, bien abrité face au soleil ne voit jamais la mer alors que d'ici elle est dans son dos et bien intégrée au décor. Je suis toujours fascinée par le fait que depuis de nombreux sommets, la mer fait partie intégrante du décor montagnard.
|
Mantet, le col de Mantet (au dessus) et la mer en fond |
Devant moi, la coma de Bacivers, soudain très proche semble s'animer, erreur, c'est juste ma curiosité qui s'anime!
|
Jaça de l'Alemany, 1900 m |
|
Dans la Jaça Grossa |
|
Plan rapproché de la Serra de Bacivers (2500 m / 2694 m) |
Non loin du refuge, la neige s'épaissit et quitter les traces devient malcommode. Je n'ai toujours pas vu le moindre humain si ce n'est au départ, trois aventuriers en mode survie revenant des montagnes.
Je suis sûre de ne plus voir personne.
Une petite halte au refuge le temps de prendre quelques notes et d'arborer la tenue été et me voici repartie, en forêt. C'est l'étage forêt encore, malgré les 1968 m.
|
Au refuge de l'Alemany, 1968 m |
La forêt est magnifique, tapissée de blanc, et un pin énorme, au bord du chemin attire mon attention : quel monument !
Je continue un moment dans le plus parfait silence, il n'y a plus de ruisseau, l'Alemany est loin et le blanc silence des montagnes est bien installé. Me voici à la belle cabane pastorale, déserte et fermée.
Elle marque l'entrée de
la Coma de Bacivers et mon changement de direction; d'abord il faut traverser
la rivière de Bacivers, gelée mais avec une belle quantité d'eau, faut pas louper son coup! Des débris de glace parlent de fragilité... Je traverse aisément et de l'autre côté, dans le blanc champ où filent les traces vers la Porteille, je remarque des traces de ski s'enfonçant dans la combe. Quelle aubaine ! Je chausse les raquettes et c'est parti vers l'inconnu.
|
Dessins de glace |
Un beau moment de voyage, un monde à part: la neige est épaisse, lisse et boursouflée, elle coiffe les rochers, la rivière, en alternance avec des draperies de glace et le moindre pas hors des traces peut me précipiter au mieux dans un trou , au pire, dans l'eau. Je ne m'éloigne donc pas et je remonte ce parcours étroit, en dévers, malaisé, mystérieux. Dans l'ombre et glacé. Soudain les traces s'arrêtent et il m'est impossible de remonter ce mur de neige déversant qu'ont suivi les skieurs en descente : ils venaient de quelque part dans les flancs de la vallée, dans cette pente de 200 m couverte de sapins, pour moi c'est terminus ! 2025 m c'est à dire rien !
|
La voie tracée, entrée de la combe |
|
Le fond de la combe :quel chaos ! |
J'aimerais bien traverser le ruisseau et poursuivre de l'autre côté ma remontée, c'est peu enneigé car au soleil mais comment traverser cet épouvantable chaos de meringues, draperies et courants d'eau ? Ces ponts de neige et ces rochers cachés ?
|
Impossible de traverser ! |
|
Pièges... |
Sagement je reviens sur mes pas, ce n'est pas aujourd'hui que la combe dévoilera ses mystères. Et surtout pas en hiver. Mais je garderai au fond des yeux de belles images et la sensation d'avoir été un instant plus seule au monde que jamais. Rien que pour ces quelques minutes d'exception la journée valait d'être vécue.
|
Au sortir de la combe, altitude 2000 |
C'est peut être ce que j'aurais trouvé dans ma "vallée des 3 S"? Mais quelles auraient été mes difficultés ! Sans regrets....
Alors, sagement, je reviens sur mes pas, m'essaie à un peu de hors traces, m'amuse à traverser la rivière en raquettes, cela porte mieux et je refais le chemin à l'envers, l'été est à nouveau là.
|
On a marché sur l'eau...-)) |
|
Tapis de sol gelé |
|
La glace et les petites taches bleues, reflets du ciel |
Le retour sera une formalité, la mer dans le regard. Même chemin, sans surprise mais non sans embûches : je marmonne à mi voix "Ici c'est de la glace vive, atten..".et patatras ! Dans un souffle, l'arrière train ayant violemment heurté le sol, je termine ma phrase."..tion" sans conviction et me relève avec angoisse ...mais non, le train arrière est solide et je pourrai encore marcher bon train ! De la chance, assurément.
|
Une chance inouïe : voyager les yeux sur le Canigou et la mer... |
|
Canigou |
Je croiserai le premier humain aux portes du village, autre chance car il m'emmène faire un petit bout de chemin pour me montrer un autre sentier, celui que j'avais tant cherché au printemps dernier, et enfin, le randonneur du matin arrive d'un grand pas élastique : ses 30 ans l'ont conduit loin, sur des sommets, (plus de 25 km et près de 1600 m de dénivelé !) tandis que mes 40 ans de plus ne me permirent que quelques 11.7 km et 675 m de dénivelé...
|
Moment de grâce... |
|
Moment de glace |
Les dimanches à Mantet se suivent mais ne se ressemblant pas, cette fois, c'est dans la convivialité avec des personnes sympathiques que je passerai un grand moment.
|
Mantet : 32 habitants, les Mantetaires |
|
L'énorme marteau de la forge catalane disparue dans les flots Daté de 1774 et signé MM |
Quelques chiffres
Distance : 11.7 km
Dénivelé : 675 m
Route: 150 km AR
mais aussi....
A propos de la route, elle fut terminée en....1964 (commencée en 1953)
Avalanches : le village en subit 8 entre 1560 et 1996
Crue : mémorable fut celle du 26/ 9/ 1992
Et les habitants se nomment les mantétaires (prononcer mantétayres)
Tu es une véritable exploratrice. Qui aurait l'idée d'aller dans cette combe à moins d'y faire quelques couloirs sur le pic de la Dona ? Toi bien sur ! Les sculptures éphémères de la glace sont de toute beauté. Belle balade dans l'une des vallées les plus belles des P.O. Tu en connais un rayon dans ce secteur.
RépondreSupprimerAh bon ??? Là oui j'ai été la seule mais ce n'est que l'apéro :la suite en juillet. Oh je t'avais trouvé un beau couloir dans le coin, cette vallée ou la voisine, celle ci je crois ; impressionnant le monstre, je te l'envoie en messagerie. merci de ta visite en mon Royaume
SupprimerSplendides photos de glace, de véritables tableaux, un récit bien mené qui m’a permis de m’évader en cette triste journée. Je n’ai jamais dépassé le col de Mantet, je me promet donc d’aller explorer au -delà dès les beaux jours. Une belle découverte que je vais exploiter, merci. Bises.
RépondreSupprimerOh oui, il manque quelque chose à tes découvertes. Je n'étais pas attirée par ce coin que je ne connaissais pas et dès que je l'ai vu la 1ere fois j'ai été subjuguée, c'est ma 7 eme virée ici et c'est loin d'être fini. Je t'engage vivement à y aller j'ai un "fameux road book" à présent. C'est beau de A à Z. Triste journée? Météo ou autre? Bisous
Supprimer