Ceux qui me suivent sur ce blog savent que depuis des mois, par intervalles - très - irréguliers, je vais festoyer sur une arête de taille et altitude modestes, aérienne et difficile toutefois, et que petit à petit je me l'approprie. Je n'aime pas le terme conquérir, si je conquiers quelque chose c'est bien moi même et mon aptitude à résoudre les difficultés. Si je ne peux pas, je laisse la main à la montagne et ainsi elle a le dernier mot. Ce qui me laisse une part de rêves et non de regrets.
Cette arête qui domine la vallée de la Boulzane, à l'ouest de St Paul de Fenouillet n'a pas de nom. On n'y trouve nulle trace de vie humaine, de passage humain hormis à présent, le mien. Un cairn esseulé et discret, un arbuste froissé, une branche cassée, les crottes de chèvre ne m'appartiennent pas même si je fais mien leur chemin.
J'ai parcouru plusieurs fois cette arête d'ouest en est, progression lente et fascinante, désir toujours d'en laisser pour la prochaine fois. Jusqu'à la grande brèche, une vingtaine de mètres de haut, infranchissables pour ma petite expérience. J'ai tenté l'est / ouest, grimpe sévère sur des festons, échec dans une cheminée.
Alors il me restait l'ultime étape : partir de la brèche et rejoindre vers l'est au plus près de ma cheminée nommée échec. Avec l'idée bien arrêtée que je ne pourrais peut être pas faire la jonction.
Ce paysage calcaire de basse altitude (200 / 500 m) est peu propice aux randonnées de mai à octobre : trop chaud, trop sec et surtout s'y prélasse la langoureuse vipère qui voyant une main solitaire s'approcher, au gré des prises, prépare ses crocs acérés et n'hésite pas à piquer de venin ce voyageur clandestin.
Donc me disais-je en ce 12 septembre, l'été est derrière moi, osons donc !
Me voilà partie entre deux jours de vendanges tâter du calcaire corrosif, des éboulis subversifs et des végétaux plus qu'agressifs. En short et marcel comme il se doit. La fatigue est accessoire, logée entre les cordes dans le sac à dos.
Je monte directement par la mine d'hématite dont je découvre une face cachée et essaie de tracer vers l'est pour rejoindre la base de la brèche. Peine perdue : je ruisselle, la sueur noie mes lunettes et ce qui est dessous nommé yeux, ruisselle entre dos et sac, la chaleur épuise mes gestes...la moindre ombre m'appelle comme les sirènes. Alors je sais...je sais que c'est retourner ou suivre la voie "des biquettes", seul chemin de roche, cheminées et couloirs, terminé par un vrai mur qui me conduira sur l'arête. Je retrouve ma voie, et un cairn érigé par moi, mais cela ne fait pas mon affaire. A peine arrivée sur l'arête après ascension du mur monumental, je fais "waouhh" pour le paysage, mais aussi "grrr", la brèche m'attend, immuable et sévère.
En images : montée à la carrière d'hématite:
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Pente raide et éboulis ; vol intense d'hirondelles qui préparent le départ |
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Vers le bas, montée sèche |
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hématite |
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Même vue, autrement |
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Une des carrières |
Ensuite.... |
Un mur rocheux |
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L'envers du décor |
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Chemin de chèvres |
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Fausse chèvre |
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Mon ancien cairn |
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Le grand mur lisse |
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Vu d'en haut |
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Waouhh : le paysage ! St Paul de Fenouillet |
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Ce que j'ai parcouru par le passé : vue vers l'ouest |
Malgré mon "toupet" et mes cordes, je n'ose pas...Je lis le chemin, je sais que je peux (j'ai progressé, ce que je descendais à la corde je le fais à mains nues) mais là ça coince...appréhension quand tu nous tiens...
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Au loin, le Pech de Bugarach |
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Effilée |
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Jardin de fissure |
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ça bosse en bas |
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ça "tourisme" en bas |
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Vue d'en bas, en partie seulement |
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La profonde cassure ou brèche |
Je n'ai pas le choix, je redescends, au pied du mur, c'est un peu risqué mais ça passe et là, forte des dizaines de mètres en contrebas, je vais contourner la difficulté en longeant la falaise dans un bosquet et rochers emmêlés jusqu'au pied de la brèche : je l'étudie, je la remonterais me semble t'il sans corde ni souci !
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Même chose |
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Contournement à la base de la muraille |
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Là où je vais devoir re grimper |
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Ce que je n'ai pas su descendre et que j'ai contourné : la brèche |
A présent, Terra Incognita s'étend devant moi et là c'est le vertige ! Non celui du corps, mais celui de la découverte; je n'aime rien autant que cela, l'inconnu face à moi. Le paysage autour est familier, le tracé pas du tout. Même s'il a ses constantes, arête effilée, vide vertigineux, arbustes intrusifs, la vie en bas, indifférente, qui s'étale, et les oiseaux qui accompagnent mon voyage.
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La Terra Incognita |
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Le premier feston que je n'ai su descendre |
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Comme je les aime |
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Premier feston |
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Vers l'ouest |
Face à moi, la via ferrata m'envoie ses lentes silhouettes et ses voix perçantes, personne n'imagine que sur ce qui pourrait en être une, une minuscule humaine déjoue mètre après mètre de petits pièges : surtout ne pas perdre l'équilibre et donc la joie de vivre.
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Vers l'est et la via ferrata |
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Au zoom mon "salto del caballo" favori |
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Dans la via |
Me voici au bout d'un des festons : une grande hauteur me sépare du prochain, infranchissable. Pause...La soif me dévore, je sais ce qu'est économiser la boisson, la goulée d'eau qu'on tourne dans la bouche pour s'hydrater. Economie d'eau au profit des cordes sécures, cela eut du être le contraire, les cordes ne bougent pas. Et ne serviront pas.
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Faut descendre : et comment ?? |
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Oui, comment ? |
De sur mon perchoir, face à la via, je vois la route, les maisons de l'ancienne station thermale et le fleuve vert bouteille, je rêve d'un seau à vendanges plein d'eau où j'engloutirais tête, gosier et tronc...
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Ancien établissement thermal |
J'imagine...mais ce que je vois est bien réel, un couloir boisé peut me conduire à l'étage au dessous sans ascenseur et dans l'ombre de la face nord qui plus est. Je n'hésite pas, remballe mon sac et descends une paroi facile avant que de plonger sous le couvert végétal à la recherche de l'arête . Je la suis jusqu'à son extrémité, chemin étroit de roche grise , un nouveau feston m'arête, et point d'échappatoire pour l'étage au dessous. Je ne rejoindrai pas ma cheminée nommée "échec".
Et bien on descend comme ci et comme ça :
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Et des couloirs |
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Par des murs |
Je poursuis l'arête au maximum avant de rebrousser chemin arrêtée par l'impitoyable à pic suivant:
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Sur le fil |
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ou en cheminées |
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Le 2nd "feston" du jour s'éloigne |
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Toujours effilée |
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Je ne passe plus, trop escarpé |
Je décide donc, écrasée de chaleur, de fatigue et de soif, d'ignorer les prochains festons (il me manque si peu pour la jonction mais si dur) et de redescendre en filant droit dans la pente en suivant au mieux couloirs, éboulis et cheminées, tout, à condition d'éviter le maquis et les barres rocheuses, pour regagner la route en bas.
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En jaune mon terminus du jour En orange le terminus de la dernière fois En pointillés rouges le trajet du jour |
Parcours brûlant, éprouvant, accidenté, efficace et encombré. Tout, sauf les buissons du maquis méditerranéen: qui ne les a jamais fréquentés devrait en faire l'expérience sur 20 m seulement...J'en ressortirai rayée de A à Z. Rouge sang! Le lendemain tout le monde regarde mes jambes avec effarement, mais c'est superficiel.
Rayée comme cette roche somptueuse.
En descente, entre éboulis et végétaux, sous un soleil de feu...Je traque les ombres !
Je fais, au bord de l'asphyxie, déshydratée, la halte à la moindre ombre. Sur la via ferrata en face, "ils" font de même. Je les observe, eux ne m'imaginent même pas.
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Dans l'ombre de la via ferrata |
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En plein cagnard |
Finalement, au bas de la falaise et des éboulis infâmes se trouve une source thermale; je la rêve mais ne l'imagine même pas en eau...et bien elle coule, je m'y abreuve malgré les relents d'oeuf pourri, et je m'y baigne sous le couvert des ronces, qui d'autre que des sangliers pourraient me la disputer ? Je crois que je n'aurais même pas peur !
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Oh de l'eau.... |
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Et encore de l'eau |
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En bulles |
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En ruisseaux (eau thermale) |
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Ou en fleuve : l' Agly |
Mais que c'est bienfaisant...le seau à vendanges du haut de l'arête s'est finalement bien rempli !
En chiffres:
Temps de marche : 2 h 08
Temps d'arrêts : 2 h 11
Distance : 3 km
Dénivelé positif cumulé : environ 300 m
Route : 55 km x 2
Impressionnant ! Bravo
RépondreSupprimerSurtout progression pénible, un lieu où tu n'emmènes même pas les copains, sauf sur la partie que je con nais bien. Je vous y emmènerai, pas en shorts !
SupprimerTrès beau parcours, j’adore ces roches, tu fais corps avec elles, on sent que tu es dans ton élément. Très belles photos et récit palpitant, bravo. Apolit aux vipères…. Bises.
RépondreSupprimerMais ça te plairait, j'en suis sûre ! Allez j'organise une sortie musclée mais sûre, la première partie de l'arête ...sensations garanties ! chiche !!
SupprimerPourquoi pas, C’est si beau que nous avons envie d’essayer, soyons fous.
Supprimeret vous ne regretterez pas ce brin de folie
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