Villefranche -66- Boucle par Bell Lloc, Saint Etienne, Libéria etc...

 

Me voici revenue en Conflent après deux infidélités audoises. Les infidélités, on le sait, ravivent la flamme:-)) C'est vérifié. Des plaques de gel m'accueillent en ce matin givré par moins cinq degrés, altitude 412 m. Je mettrai 20 mn avant d'avoir à nouveau la compagnie de mes mains gelées malgré les gants. Je marche dans l'ombre froide d'une journée prometteuse. Mon parcours est sous le signe de l'inconnu et j'aime ça. Parcours bien balisé et aseptisé qui sera toujours en vue panoramique sur les sommets blancs, les villages dorés et la mer bleue en toile de fond. Un vrai cadeau paysager. Je vais le savourer avec gourmandise, cette journée a pour but de m'ouvrir de prochaines portes vers des lieux hors chemin, que je vais essayer de sortir de l'oubli le temps d'une exploration minutieuse, le temps de faire parler la montagne. Je suis en mode repérage.

(Avertissement : c'est un peu long car détaillé et les paysages sont tellement beaux....)

Le panorama du jour

Direction Fort Libéria qui domine la cité fortifiée de Villefranche de Conflent, le tout sous le coup de griffe de  Vauban, 17 eme siècle. Bien que Villefranche ait déjà été fortifiée depuis des siècles, la ville le fut définitivement en 1669. Fort Libéria fut construit ultérieurement, à partir de 1681.

Tels qu'on peut les voir d'en haut et dans le décor

De 1850 à 1853 fut rajouté un escalier souterrain de 734 marches que l'on nomme "le souterrain des 1000 marches".

Je ne prendrai même pas le sentier, je vais suivre la piste de 2.6 km pour une raison très simple, repérer un éventuel sentier qui m'enverra plus tard dans "les steppes" de terrasses. Et les terrasses elles sont déjà là, au bord de la piste mais inaccessibles.

Dès la piste on trouve des terrasses

 Dans un virage, je repère un embryon de sentier embroussaillé, ce qui est loin de me rebuter. Je croise une étonnante grotte où je ne pourrai hisser ma carcasse rouillée du petit matin gelé et un orri dont les premiers rayons du soleil surgi du Canigou dorent les pierres.

Une des grottes

Entrée spectaculaire de la grotte avec une plate 
forme donnant sur le vide

Les premiers rayons de soleil surgi du Canigou

Authentique, la piste l'a préservé

Restauré, celui de "l'alzina" me plait moins

Fort Libéria, belle architecture en belvédère qui a utilisé une falaise rocheuse pour s'appuyer . Tout est fermé, la saison y est achevée. 

Fort Libéria veillé par Roca Roja

Je continue à présent sur un sentier qui va me mener à Bell Lloc sans histoire puisque tout est balisé. Je laisse donc la montagne me conter quelques histoires que j'ai vues émerger de l'ombre froide et devenir sympathiques au soleil : des terrasses qui s'étagent sur 300 m en suivant la courbe acérée des falaises brutales. C'est fascinant (pour moi), une vraie invitation au voyage .

Le site escarpé de terrasses sur 300 m de hauteur

La partie la plus spectaculaire, à l'aplomb du vide

Excellent balisage

Quelque chose attire mon regard depuis le fort, que je ne verrai plus en contrebas du sentier, végétation oblige. Cet énorme amas de cailloux qui semble agencé en forteresse mais qu'aucune carte ne mentionne pourrait être le fruit d'un épierrage énorme et agencé en murs comme parfois on peut le remarquer dans les Causses. Ce sera avec l'intérieur des grottes, le vrai point d'interrogation du jour.

Le mystère du jour

Vallée du Cadi

Le sentier et l'accès aux terrasses supérieures, altitude 800 m

Emprise du sentier muletier

Murs de soutien

Ce sentier fort bien construit, régulier, équilibré et plaisant ouvre sur de belles vues : le Canigou, les Pyrénées en pente douce vers la mer qui barre l'horizon , le goulet de Villefranche s'évasant en corolle d'où jaillissent les villages jusqu'à la plage, à 60 km à vol d'oiseau.

Monts...blancs

En plan rapproché, les terrasses
Ria en premier village

plan large avec la mer au fond à 58 km

Autrement, en mode fenêtre

Bon balisage (croisements)

Evidemment, c'est désert. Pas de chasseurs ni de promeneurs mais un chien quelque part dans les falaises qui aboie furieusement et sème un instant d'angoisse en moi. Ce sentier de Bell Lloc compte deux embranchements vers Ria (kms 4.3 & 4.9), que je ne prendrai pas mais le premier me conduirait directement au sommet des terrasses convoitées. 

Par expérience, je sais qu'il vaut mieux les escalader que les redescendre, ce sera donc mon chemin de retour le jour de mon exploration.

Chemins de Bell Lloc (haut) et Ria (bas)

Les objets de ma convoitise (une prochaine excursion): Santa Eulària

Autre vue prise au retour avec les falaises (en partie)

A présent mon chemin, orienté NE,  va faire un virage sec direction plein ouest et il devient quasi rectiligne, en forêt, dans l'ombre, mes pas craquant sur la glace de la terre gelée comme sur de la neige. C'est le chant des sentiers en hiver que je réveille, sinon tout est silence. Pas un souffle d'air ne fait bruisser la forêt.

Ici plus aucune ancienne culture
Ensuite ce sera la forêt

L'église de Bell Lloc émerge sur le dos rond de sa colline, la piste me rejoint, j'y suis. 895 m, 5.6 km, la pause visite s'impose longuement. 

Le site très rocailleux

On n'y entre pas!

Evidemment...le point de vue sur Canigou

Cela ne ressemble pas du tout à ce que j'avais imaginé.

C'est une dorsale entre deux vallées, celles du Callau qui rejoint Nohèdes et celle de la Têt. Un territoire de 4 à 5 hectares en pente douce face Canigou, brutalement escarpé sur la face opposée. Le village (hameau plutôt) se trouvait au pied de l'église, il reste quelques ruines et pans de mur dévorés par le lierre. Le haut de la dorsale n'est qu'un pavage de calcaire, quant aux parties cultivées, elles furent soigneusement épierrées et devaient être quelques pâtures à moutons car le secteur est très sec. Non loin du village détruit (500m) se trouve une source captée. Le village, mentionné en 1163 (Bello Locho, beau lieu) fut rattaché à Villefranche au 18 eme siècle et devint hameau. Il semble abandonné depuis longtemps vu sa dégradation.

Le site ; à gauche vers vallée du Callau

En premier plan l'emplacement des ruines et le grand cèdre

Du site, vue sur la vallée du Callau (Conat, Betllans, Noohèdes)

Cadastre napoléonien

Capture d'écran: les parcelles sont cultures et maisons

Quelques images des ruines:

Site défriché, sans doute anciennes pâtures

J'ai vite fait le tour trouvant au passage un sentier de chasseurs qui file en versant Callau mais je choisis d'aller "jeter un coup d'oeil" au Pas de l'Escale sur le sentier de Conat. La source captée est aménagée depuis longue date, elle devait être le point vital de la commune. Le sentier serpente dans un terrain boisé où se devinent quelques murettes et soudain arrive à l'aplomb de la vallée, Conat et sa série de jardins "vus du ciel" 300 m en contrebas.

La source captée, au bas d'un escalier

Une haute falaise ocre et blanche, à laquelle semble s'appuyer le lointain Madres enneigé entraîne vers sa base le sentier mouillé, escarpé et rocheux, le voilà le petit "passage escalier". Je scrute la falaise couverte de lichens blancs où quelques fossiles semblent dormir dans le roc.

La pas de l'escale et le Madres en fond

Vallée du Callau et village de Conat

 Demi tour, direction Bell Lloc puis Saint Etienne de Campilles.

Les deux "villages" soit les deux églises survivantes sont séparés de 1.3 km  que je vais parcourir par un sentier traversant une sorte de no mans land, un peu "lunaire". Complètement déforestée une bande de terre semble l'avoir été par une tempête, arbres sectionnés, survivants "déplumés", ressemblant à des palmiers alors qu'ils furent pins. Surprenant. Une ancienne piste d'exploitation y a été créée pour nettoyer le site. 

Style palmeraie du Sahara

Saint Etienne, au terme d'une petite grimpette culmine à 1050 m et offre une église en belvédère face au Canigou, petite et remarquable. Fermée elle aussi. Attenant à l'église, un petit refuge de belle architecture fut restauré voilà 20 ans par des élèves de collège et une association : joli résultat final. Tout est fermé.

En approchant de St Etienne de Campilles

Arête sommitale du Canigou, en agrandissant on voit la croix

Le refuge en premier plan avec four à pain
L'église (10 eme S) faite en partie avec le marbre griotte du secteur

Point de vue jusqu'à la mer depuis l'église, 1050 m

L'étroit "verrou" de Villefranche (vallée de la Têt)

Il ne reste rien du petit village déjà mentionné en l'an 906. En cherchant bien il y aurait les fondations de quelques maisons et peut être même une tour à signaux, dit-on. Peu de parcelles cadastrales, contrairement à Bell Lloch. Peu de traces donc de l'ancienne vie. Mais le cadastre porte la trace d'un sentier plongeant directement sur Fort Libéria, relayé par la carte d'état major et celle de 1950. Sentier oublié intéressant à retrouver !

Un peu de narcissisme au soleil  :-))

Pour redescendre du site où j'ai logé ma "carcasse" bien rouillée ce jour, longuement, sur un muret face au Canigou, comme un lézard se gorgeant de soleil, je vais emprunter le Sentier Vauban sur toute sa longueur et dont je connais un petit tronçon seulement. Joli sentier en zigzags, étayé de murs et à chaque virage d'une belle plate forme de guet.

Les virages du Sentier Vauban

Roca Roja 995 m et sa grotte qui semble accessible

Ce sentier ouvre sur la grande traversée de Sant Père que j'ai effectuée récemment, bien plus attrayante en ce jour resplendissant et qui n'en paraît sous cette lumière que plus escarpée encore, puis un autre embranchement conduit à ND de Vie, tout aussi familier pour moi. Je vais vérifier ce que disent certains, il y aurait une glacière dans ce roc pointu. Une glacière (puits à neige) ouvre normalement sur le bas pour l'extraction de la glace. Rien de tout cela ici, c'est un effondrement entre les rocs, ou plutôt une faille, peut être due au gel, étroite, en forme de puits, profonde de 7 m environ, très froide et humide, un bon frigo tout au plus. Surtout ne pas y tomber !!

La grande traversée de Sant Père (Sentier Vauban)

Le roc pointu 

La cavité d'effondrement dans le roc

Je continue vers le Fort, parcours nouveau et plaisant car je vois se dessiner un nouveau paysage : un sentier parfaitement désaffecté file en pleins bois, il va m'intriguer un moment puis j'aurai sa destination, il est en pointillés noirs sur la carte, difficilement ou impossiblement praticable. Les terrasses enfin arrivent à ma rencontre dans un site si ingrat que cela parait irréel ! Du passé restent de ci de là quelques squelettes de fruitiers et un ou autre olivier.

qui est ce ? 

Villefranche de Conflent

Enfin se dévoile dans toute sa splendeur le site qui sera ma prochaine exploration: à  cette heure bien ensoleillé, je peux le scruter à l'envi et y trouver quelques orris qui me laissent à penser qu'ici la vigne était cultivée.

D'ailleurs un large chemin qui se perd pourrait évoquer des charrois de vendange. Et qui, selon la carte, pourrait être celui qui part de St Etienne...ah...à voir ! Elle me parle, cette montagne...

Les terrasses où j'irai me percher ; site de Santa Eulària

Carte postale de ce qui m'attend...euh sauf les chèvres!

Fort Libéria bénéficie d'un rare éclairage, celui d'un soleil blond et à son déclin, allumant des flambées dans les ouvertures tandis que poudroie sa lumière sur les vallées tout en bas, rongées déjà par l'ombre bleue des montagnes. 

Fort Libéria nimbé de lumière

Les ors du fort

Retour délicieux. Les flaques ont dégelé, et les falaises ocres s'y mirent généreusement tandis que les chèvres sauvages s'appellent, perchées et invisibles sur les roches. Le coq déjà braillard ce matin continue sa plainte, un train file vers la plaine, les voitures vont bon train dans le verrou de Villefranche, le froid devient vif, c'est la vie "d'en bas" qui monte à moi.

En chiffres

Distance environ 13 km

Dénivelé cumulé environ 700 m

La route 100 km AR

Le trajet en rouge (sens inverse aiguilles d'une montre)
En bleu les sites visités