lundi 6 juin 2022

Vestiges au Balcon (du Canigou)

 

Si en ce dimanche maussade et grisâtre je retourne sur le chemin ensoleillé de ma dernière rando, c’est dans un but très précis, non pas me délecter du paysage mais examiner quelques vestiges du temps passé qui trottent dans ma tête depuis une semaine.


Scorie de forge


La brume épaisse comme une purée m’accueille bien avant le parking, je ne distingue quasi pas la route, seuls les piquets me guident, je n’ai qu’une hantise malgré ma vitesse nulle, accrocher un cycliste. Les km s’égrènent au gré de la ouate qui devient hallucinogène.

Sur la route


Enfin, je foule de mes chaussures de marche la fin de la route, la piste puis la pelouse et le GR, plus moyen de se perdre. Je ne fais pas de tourisme, dans les écharpes blanches et les arbres fantomatiques, mais c'est quand même beau...et  j’arrive au premier vestige, près de la vaste excavation des anciennes mines de fer en plein air.

Site minier de Batère

Au travail

Quel plaisir de marcher dans la brume


C’est là que l’autre jour j’ai trouvé des scories près d’un petit muret malmené par le temps mais généralement symbolique de l’ancienne forge à bras antique.


Le petit muret


Cette forge rudimentaire, appelée aussi « volante » se situait en général près du filon de fer. Faite d’une cloche de 1 m de diamètre, tapissée d’argile, on y enfournait couche de minerai et de bois ou de charbon de bois et, à l’aide de soufflets de cuir, les hommes, à la force de leurs bras attisaient la combustion. Le « laitier » coulait au moyen d’un orifice et d’autres hommes battaient le minerai en fusion pour le débarrasser de ses scories. Lorsque le filon était épuisé, les hommes abandonnaient l’ouvrage et allaient en implanter un autre ailleurs d’où le nom de « volante ». Ce n’est que plus tard que la forge hydraulique, au soufflet mu par la force de l’eau, s’implanta près des cours d’eau. Le Massif du Canigou et ses proches voisins regorgent de ces sites de forge à bras. Au cours de mes randonnées j’en ai rencontrés plus d’une demi douzaine, le premier étant proche de la cabane Arago, j’ignorais tout alors de l’ Histoire.

Ouvrage de Jean Cantelaube

La forge à bras (source internet)





Le site sur lequel je bats la semelle semble avoir été occupé par de nombreuses petites forges au vu de la dispersion des scories. Ces forges s’implantant près des endroits boisés, la quantité de bois et charbon nécessaire oeuvra très fort à la déforestation.

Partie de la carrière à ciel ouvert

Flanc de carrière où se trouvent les vestiges

Bien entendu je ne trouverai pas trace du moindre four, les archéologues n’en ont même pas trouvés. Mais sur ce site, quelque chose m’interpelle ; il semblerait que ces fours se fussent adossés à des rochers, car certains sont cuits, grillés, découpés en petits morceaux comme cuits de l’intérieur alors que d’autres, voisins, sont intacts et d’une couleur uniforme.


Les rochers intacts


Et ceux fragmentés

                                                                         


Portant marques de cuisson

  


Très fragmentés



Et cuits...au four ?



Pour le plaisir du regard


Minerai

Minerai




Scories

Scorie

Je fouillerai longtemps mais pas un indice supplémentaire ne jaillira de cet espace assez conséquent dont une partie est aujourd’hui enfouie sous la végétation.

Je passe mon chemin et affinerai ma recherche au retour.

Qui m’offrira quelques belles teintes et des incrustations brillantes comme argent.

Minerai ? Cuisson ? Un gros rocher



Il y en a plusieurs


Minerai


Minerai incrusté sur falaise



Au Col de la Cirera, un sentier  peu marqué conduit aux Cinc Creus, Pel de Ca et Gallinasse. Où je ne vais pas. Mais dans la très forte déclivité j’avais trouvé aussi un vestige de four à bras, que j’irai revoir un autre jour.




Je m’enfonce dans la forêt où rôde la brume, folâtrant  comme des singes de branche en branche. Le silence est grand et les oiseaux contents.


20 jours d'avance pour leur floraison






Roc de l'Os

Correc de Gallinasse



Destination le second site, là où j’ai extirpé du sol le drôle de roc vernissé. Observation faite à la maison, seule la tranche paraissant taillée par la main de l’homme comme tranche de jambon, est vernissée de couleur verte. L’intérieur est simple roche, siliceuse. Ce n’est point du métal mais cela semble provenir d’une cuisson ayant vitrifié la tranche. Hélas je ne retrouverai pas précisément l’endroit mais sur le sentier je ne verrai aucun résidu de fer, aucune scorie, donc l’hypothèse du four à bras s’envole. Coup de foudre d’un orage ? Ce n’est pas impossible.


Finalement peut être simplement une tranche de minerai



Trouvé en Andorre : gros bloc de granit vitrifié par la foudre


Enfin le dernier site, proche de l’Estagnol, à 1500 m, est une grande pente (euh…tout est grande pente dans ce massif), sur laquelle s’étagent sur quelques dizaines de mètres des murets. Je grimpe allègrement, ils soutiennent de petites terrasses et s’ils évoquent de petites charbonnières, je ne trouve nulle trace de terre noircie et de restes de charbon. Toutefois le chemin porte quelques traces à peine tangibles, terre noircie et charbon, mais les orages fréquents balayant le massif et la pente redoutable ont eu largement le temps d’effacer les traces.

Plus ou moins grands les murets

Altitude 1515



Je ne reviens pas bredouille après le demi tour qui s’impose, à plus de 6 km. Par beau temps, je serais descendue jusqu’au site minier de la Pinouse, que j’ai pu entrevoir,  mais je ne veux pas courir le risque de me perdre sur ce sentier que je ne connais pas. La Pinouse (ou Pinosa) fut un site minier important, un vrai village de mineurs, entre 1904 et 1931. Sur 4 hectares, ce site connu depuis l’Antiquité, est classé MH depuis 2015. En 1944 s’y inscrivit une page sanglante de l’Histoire de la Résistance, comme à Valmanya, village dont il dépend. J’aurai loisir de raconter lorsque j’irai.

La Pinosa 1360 m

Donc, ma remontée au col n’est qu’une formalité, j’ai des jambes en béton aujourd’hui et puis, il y a toujours quelque chose de nouveau sur un sentier, qui a échappé au regard : cet étonnant sapin amputé, un très mince filon de calcaire dont les pierres semblent des outils polis par l’homme préhistorique et un massif de muguet aux fleurs séchées. Une brève averse avec d'épaisses gouttes blanches comme du lait ne m'atteint pas sous les arbres. Cela me plaisait aussi.

Même si je n’ai pas vraiment fait parler la montagne, elle bien voulu me confier certains de ces secrets, secrets d’histoire inscrits dans ses pierres et ses fleurs. Le tout enrobé de coton qui m'a juste laissé entrevoir les flancs du Roc de l'Os et les ruines de la Pinouse, une trouée sur la mer, un coin de ciel bleu,  et une débauche de végétaux. Alors cela en valait la peine.







Demi sapin original

Celui là ne veut pas être en reste !














ça y ressemble... Sur l'un d'eux, il y avait même
les encoches pour les doigts !


Et comme mon département est un des plus éclectiques de France, peu de temps après j’installai mon bivouac au bord des eaux tranquilles baignant les jolis quais de Port Vendres.





En chiffres
Distance : 12.8 km
Temps de marche (en comptant les recherches) : 4 h 18
Dénivelé cumulé (recherches comprises) : 650 m
La route : 96 km AR



Le trajet AR en pointillés blancs
En jaune les sites visités
Carré blanc : le site minier de la Pinosa









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