Si en ce dimanche maussade et grisâtre je retourne
sur le chemin ensoleillé de ma dernière rando, c’est dans un but très précis,
non pas me délecter du paysage mais examiner quelques vestiges du temps passé
qui trottent dans ma tête depuis une semaine.
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Scorie de forge |
La brume épaisse comme une purée m’accueille bien
avant le parking, je ne distingue quasi pas la route, seuls les piquets me
guident, je n’ai qu’une hantise malgré ma vitesse nulle, accrocher un cycliste.
Les km s’égrènent au gré de la ouate qui devient hallucinogène.
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Sur la route |
Enfin, je foule de mes chaussures de marche la fin de la route, la piste puis la pelouse et le GR, plus moyen de se perdre. Je ne fais pas de tourisme, dans les écharpes blanches et les arbres fantomatiques, mais c'est quand même beau...et j’arrive au premier vestige, près de la vaste excavation des anciennes mines de fer en plein air. |
Site minier de Batère |
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Au travail |
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Quel plaisir de marcher dans la brume |
C’est là que l’autre jour j’ai trouvé des scories près d’un petit muret malmené par le temps mais généralement symbolique de l’ancienne forge à bras antique.
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Le petit muret |
Cette forge rudimentaire, appelée aussi « volante » se situait en général près du filon de fer. Faite d’une cloche de 1 m de diamètre, tapissée d’argile, on y enfournait couche de minerai et de bois ou de charbon de bois et, à l’aide de soufflets de cuir, les hommes, à la force de leurs bras attisaient la combustion. Le « laitier » coulait au moyen d’un orifice et d’autres hommes battaient le minerai en fusion pour le débarrasser de ses scories. Lorsque le filon était épuisé, les hommes abandonnaient l’ouvrage et allaient en implanter un autre ailleurs d’où le nom de « volante ». Ce n’est que plus tard que la forge hydraulique, au soufflet mu par la force de l’eau, s’implanta près des cours d’eau. Le Massif du Canigou et ses proches voisins regorgent de ces sites de forge à bras. Au cours de mes randonnées j’en ai rencontrés plus d’une demi douzaine, le premier étant proche de la cabane Arago, j’ignorais tout alors de l’ Histoire.
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Ouvrage de Jean Cantelaube |
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La forge à bras (source internet) |
Le site sur lequel je bats la semelle semble avoir été occupé par de nombreuses petites forges au vu de la dispersion des scories. Ces forges s’implantant près des endroits boisés, la quantité de bois et charbon nécessaire oeuvra très fort à la déforestation.
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Partie de la carrière à ciel ouvert |
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Flanc de carrière où se trouvent les vestiges |
Bien entendu je ne trouverai pas trace du moindre four, les archéologues n’en ont même pas trouvés. Mais sur ce site, quelque chose m’interpelle ; il semblerait que ces fours se fussent adossés à des rochers, car certains sont cuits, grillés, découpés en petits morceaux comme cuits de l’intérieur alors que d’autres, voisins, sont intacts et d’une couleur uniforme.
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Les rochers intacts |
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Et ceux fragmentés |
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Portant marques de cuisson |
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Très fragmentés |
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Et cuits...au four ? |
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Pour le plaisir du regard |
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Minerai |
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Minerai |
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Scories |
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Scorie |
Je fouillerai longtemps mais pas un indice supplémentaire ne jaillira de cet espace assez conséquent dont une partie est aujourd’hui enfouie sous la végétation.
Je passe mon chemin et affinerai ma recherche au retour.
Qui m’offrira quelques belles teintes et des incrustations brillantes comme argent.
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Minerai ? Cuisson ? Un gros rocher |
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Il y en a plusieurs |
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Minerai |
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Minerai incrusté sur falaise |
Au Col de la Cirera, un sentier peu marqué conduit aux Cinc Creus, Pel de Ca
et Gallinasse. Où je ne vais pas. Mais dans la très forte déclivité j’avais
trouvé aussi un vestige de four à bras, que j’irai revoir un autre jour.
Je m’enfonce dans la forêt où rôde la brume, folâtrant comme des singes de branche en branche. Le silence est grand et les oiseaux contents.
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20 jours d'avance pour leur floraison |
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Roc de l'Os |
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Correc de Gallinasse |
Destination le second site, là où j’ai extirpé du
sol le drôle de roc vernissé. Observation faite à la maison, seule la tranche
paraissant taillée par la main de l’homme comme tranche de jambon, est
vernissée de couleur verte. L’intérieur est simple roche, siliceuse. Ce n’est
point du métal mais cela semble provenir d’une cuisson ayant vitrifié la
tranche. Hélas je ne retrouverai pas précisément l’endroit mais sur le sentier
je ne verrai aucun résidu de fer, aucune scorie, donc l’hypothèse du four à
bras s’envole. Coup de foudre d’un orage ? Ce n’est pas impossible.
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Finalement peut être simplement une tranche de minerai |
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Trouvé en Andorre : gros bloc de granit vitrifié par la foudre |
Enfin le dernier site, proche de l’Estagnol, à 1500 m, est une
grande pente (euh…tout est grande pente dans ce massif), sur laquelle s’étagent
sur quelques dizaines de mètres des murets. Je grimpe allègrement, ils
soutiennent de petites terrasses et s’ils évoquent de petites charbonnières, je
ne trouve nulle trace de terre noircie et de restes de charbon. Toutefois le
chemin porte quelques traces à peine tangibles, terre noircie et charbon, mais
les orages fréquents balayant le massif et la pente redoutable ont eu largement
le temps d’effacer les traces.
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Plus ou moins grands les murets |
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Altitude 1515 |
Je ne reviens pas bredouille après le demi tour qui
s’impose, à plus de 6 km. Par beau temps, je serais descendue jusqu’au site minier de la
Pinouse, que j’ai pu entrevoir, mais je
ne veux pas courir le risque de me perdre sur ce sentier que je ne connais pas.
La Pinouse (ou Pinosa) fut un site minier important, un vrai village de
mineurs, entre 1904 et 1931. Sur 4 hectares, ce site connu depuis l’Antiquité,
est classé MH depuis 2015. En 1944 s’y inscrivit une page sanglante de
l’Histoire de la Résistance, comme à Valmanya, village dont il dépend. J’aurai
loisir de raconter lorsque j’irai.
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La Pinosa 1360 m |
Donc, ma remontée au col n’est qu’une formalité,
j’ai des jambes en béton aujourd’hui et puis, il y a toujours quelque chose de
nouveau sur un sentier, qui a échappé au regard : cet étonnant sapin
amputé, un très mince filon de calcaire dont les pierres semblent des outils
polis par l’homme préhistorique et un massif de muguet aux fleurs séchées. Une brève averse avec d'épaisses gouttes blanches comme du lait ne m'atteint pas sous les arbres. Cela me plaisait aussi.
Même si je n’ai pas vraiment fait parler la montagne, elle bien voulu me confier certains de ces secrets, secrets d’histoire inscrits dans ses pierres et ses fleurs. Le tout enrobé de coton qui m'a juste laissé entrevoir les flancs du Roc de l'Os et les ruines de la Pinouse, une trouée sur la mer, un coin de ciel bleu, et une débauche de végétaux. Alors cela en valait la peine.
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Demi sapin original |
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Celui là ne veut pas être en reste ! |
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ça y ressemble... Sur l'un d'eux, il y avait même les encoches pour les doigts ! |
Et comme mon département est un des plus éclectiques
de France, peu de temps après j’installai mon bivouac au bord des eaux
tranquilles baignant les jolis quais de Port Vendres.
En chiffresDistance : 12.8 km
Temps de marche (en comptant les recherches) : 4 h 18
Dénivelé cumulé (recherches comprises) : 650 m
La route : 96 km AR
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Le trajet AR en pointillés blancs En jaune les sites visités Carré blanc : le site minier de la Pinosa |
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