C'est une petite route sans prétention, étroite et à flanc de falaise, qui conduit le voyageur de l'Aude aux Pyrénées Orientales. Le voyageur des temps modernes ne verra qu'un étrange lacet nommé l'Escargot qui permet à la route de s'enrouler sur elle même. Ce n'est pas une fantaisie, c'est une nécessité jaillie du 19 eme siècle, aujourd'hui d'autres moyens seraient employés et donneraient à la route une certaine banalité.
Ce type d'ouvrage existe sous terre, en Ariège, dans un grand tunnel ferroviaire reliant Ax les Thermes à Porté Puymorens. Le but de tels ouvrages était de réduire la forte déclivité.
Nous allons parcourir cette petite D9, en ses passages clés, sur une petite demi douzaine de km, et, pour pimenter le voyage, je vous y conduis dans l'espace mais aussi dans le temps. A travers l'Histoire et les histoires.
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Vue vers l'aval de la voie antique dans la vallée |
Antiquité : une voie ralliait Carcassonne, Limoux, Redae (Rennes les Bains), Saint Louis, le Col puis Caudiès, voie d'échanges humains et commerciaux. J'ai parcouru le tracé approximatif, dans la vallée de l' Adoulx, et si on ne voit plus grand chose, cela vaut la peine d'être conté.
Adoux (Adou, Dou), signifiant source et plus particulièrement résurgence.
Il serait prouvé qu'à la Préhistoire, déjà, ce chemin aurait existé, ayant comme points de passage des grottes, des cavités qui jalonnent le parcours; voies d'échange, commerce de l'ambre notamment, des gibiers.
Cette voie antique fut désaffectée au profit d'un chemin "carrossable" à flanc de falaise, le tracé actuel de la D9. Plus pratique au 17 eme siècle pour transporter des canons.
Pour relier l'Aude à ce secteur de Fenouillèdes, c'était la seule voie de passage jusque tard dans le 19 eme siècle. Deux cours d'eau, deux vallées de pénétration interdisaient tout chemin direct : les gorges de Galamus et le Défilé de Pierrelys. La route de Galamus ne fut ouverte qu'en 1892, évitant ainsi le sentier muletier des crêtes et celle de Pierrelys en 1821, évitant le long et dangereux parcours par les crêtes de Quirbajou, qu'il fallait un jour entier pour traverser. C'est devenu à présent LE passage pour se rendre à Quillan depuis Perpignan ou Thuir.
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Défilé de Pierrelys |
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Route de Galamus |
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Situation des 3 sites de passage, en bleu Défilé de Pierrelys à gauche (1821) Gorges de Galamus à droite (1892) Route du Col de St Louis au centre
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Ceci fit que notre actuelle petite D9 eut le champ libre pour être LA voie rêvée, unique route des voyageurs et du commerce, unique voie d'accès pour relier la Méditerranée à L'Atlantique , c'est dire son importance.
Une voie Royale, mais...car il y a un mais d'importance. Dès la descente du Col de Saint Louis, la déclivité était importante pour devenir par la suite "dantesque". Accidentogène, telle ces "routes de l'impossible" que peut nous présenter la télévision, elle était soumise aux effondrements du terrain, aux blocs de calcaire se détachant, les rigueurs climatiques et intempéries favorisant le délitement de la roche, à son étroitesse, une roue contre la falaise, l'autre battant le vide et devant à la seule rapidité d'exécution de ne pas envoyer l'équipage dans le vide, les passagers ayant été invités à descendre.
Lisons , en 1835, le récit de l'aristocrate Murray qui emprunta cette route en diligence et fit le récit dans "Voyage dans les Pyrénées".
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Sources : musée virtuel de Caudiès |
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Taillée dans le roc |
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Vers le Col de St Louis |
C'est ainsi que le Duc d' Orléans et son épouse, le 15 septembre 1839, en partance pour Port Vendres et l'Algérie, furent débarqués de leur carrosse et improvisèrent un pique nique le temps de "sauver les meubles": une plaque en témoigne encore...
Moins chanceux fut ce jeune roulier (ancêtre du routier) nommé Jean Bénet, âgé de 47 ans qui perdit la vie, le 10 mai 1860, sans doute en dégringolant avec son attelage dans le précipice.
Cette importante voie de passage souffrait des brigands et bandits de grands chemins, qui, postés sur une arête, à la "fenêtre des voleurs", avaient un poste de surveillance béni des Dieux...euh...du Diable et pouvaient ainsi, du haut de leur perchoir, voir de très loin arriver leurs proies. Cette fenêtre existe toujours, il est ludique d'y accéder avec un peu d'acrobaties. par deux voies différentes.
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La fenêtre des voleurs ou "le cheval" |
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En grimpant |
Je varappe avec allégresse, le nez dans les fossiles et les mains dans des prises qui abritent le danger du jour !
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Fossiles de bivalves |
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Le danger du jour |
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Mur en dévers à franchir |
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Objectif atteint |
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Depuis "la fenêtre", vue vers l'amont et emplacement de l'ancienne voie |
Un autre lieu de surveillance, dans un tout autre objectif, s'installa ici, une Redoute militaire à laquelle on attribue d'anciennes origines. Philippe le Bel, soit Philippe IV, un des successeurs de St Louis, édifia ici un monument "Les Portes de Saint Louis", au 13 eme S. Détruit en 1542 par les Espagnols, le monument fut remplacé par une redoute édifiée en 1632 par le Gouverneur du Languedoc. Cet ouvrage, étalé sur les siècles dans ce goulet escarpé qui ferme la vallée fut mis à mal, quasi à mort, par la construction de "l'Escargot". En 1845, par l'ingénieur Amiel qui donna son nom au mas qu'il gagna au jeu, en 1816, contre l'évêque de Perpignan.
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Site de surveillance vers Caudiès et la vallée de la Boulzane |
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Réemploi des pierres |
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Emplacement et réemploi des pierres |
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Vue de dessus |
En effet, l'énorme déclivité de la route qui entravait le parcours des diligences fut adoucie par une construction hélicoïdale laquelle emprunta sans vergogne les pierres au monument militaire dont il ne reste que peu de choses aujourd'hui puisque l' Escargot lui vola aussi l'emplacement.
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Cette partie rocheuse fut arasée pour la construction du viaduc et peut être aussi de la Redoute |
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Début 20 eme S et chemin de Malabrac le petit bâtiment au virage n'existe plus (image musée virtuel de Caudiès) |
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Même vue avec la végétation d'aujourd'hui: la piste existe toujours, conduisant au hameau ruiné de Malabrac |
A présent, je vais vous emmener sur les traces de la voie antique, dont un seul petit morceau authentique est bien visible, en direction du col
Personnellement je suis partie de l'Escargot et la Redoute et j'ai suivi un sentier enfoui dans la végétation en rive gauche du ruisseau, lequel ne serait pas l'emplacement de la voie située en rive droite. Mais je n'avais pas le choix à moins de m'ensevelir dans la jungle épineuse.
Ce sentier descend très fort et suit un ruisseau absolument sec qui n'a aucune source et serait alimenté juste pendant les gros orages, ou par une résurgence, l'Adoux. Relief calcaire et karstique le massif est empli de grottes, avens, et galeries qui captent les eaux d'infiltration, ou de pertes, et les restituent exceptionnellement.
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Une grotte du secteur, au dessus de la D9 |
Je sais qu'il y a un réseau souterrain de près de 20 km, le réseau Fanges / Paradet, 4 eme réseau en importance après ceux de Villefranche de Conflent, soigneusement étudié et ayant fait l'objet d'un ouvrage scientifique que je viens d'acheter, mais l'entrée de ce réseau est secrète et soigneusement occultée. Je ne la trouverai pas.
Cette vallée sèche dont le ruisseau est matérialisé par un lit encombré de gros blocs est étonnante. Grande déclivité allant s'adoucissant, croisement avec le ruisseau par un gué, autrefois des cultures emplissaient la cuvette. Sur le cadastre dressé en 1820 ne figure pas la nature des cultures mais le découpage des parcelles s'accompagne de quelques bordes et métairies dont je n'ai rien vu, excepté une, postérieure au cadastre. Le ravin élargi vers l'aval a été canalisé entre des murs de pierres et n'est bordé aujourd'hui que de vastes forêts dont les arbres craquent sous le vent aigre de ce jour. Plaintes lugubres dans un cadre lugubre, faut être maso pour fouiller ce site.
Cette vallée, orientée Nord Sud dans le sens amont vers aval eut une particularité géologique, elle coulait dans l'autre sens . Les scientifiques l'ont démontré, leur recherche étayée par le réseau souterrain minutieusement étudié. Ainsi, tel le voisin Bugarach est une montagne inversée, ici c'est une vallée inversée!
En images:
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Image d'autrefois : cultures dans la vallée (image Musée virtuel de Caudiès) |
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Même vallée de nos jours |
Répartition des parcelles en 1820 ; en bleu la route actuelle D9
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Amont |
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Aval |
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Depuis la vallée, on distingue la route D9 (pointillés) |
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1er contact avec le ravin |
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Mur du passage à gué |
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Le ravin bien épanoui |
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Grande ferme postérieure à 1820 |
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Elle témoigne d'une activité viticole (cercles) |
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la cuisine |
Dans cette ferme, vivent des papillons sombres collés aux murs, de grosses araignées et autres insectes, et même des oiseaux !
Ensuite, comme on se rapproche de Caudiès, les parcelles sont plus larges, elles étaient irriguées par le ravin (j'y ai trouvé quelques flaques encore), car il pleuvait bien davantage autrefois, et le ravin est endigué à la manière d'un canal. Pour soutenir les parcelles.
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Le ravin endigué |
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Parcelles en terrasses |
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Le chemin encore emprunté de nos jours |
Après ces 2.5 km de voie antique dont je n'aurai rien vu, il ne me reste plus qu'à remonter par la route, 2.5 km également, avec, malgré quelques gouttes de pluie, un décor bien plus ouvert dans lequel se cache sans doute le mystère des 20 km de galeries. Que je ne découvrirai qu'en lecture, mais qu'importe...
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Quelque part là dedans ? |
Pour compléter de façon ludique, sur mon second blog, une escapade de janvier 2022 :
la fenêtre des voleurs (clic)
Documentation : Musée virtuel de Caudiès, site internet
Ouvrage de Sylvette et Bernard Ournié (2020)
Secteur de ma balade :
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Au delà du col de St Louis, avec son entrée dans l' Aude, elle devient la D109 et arrive un peu au sud de Quillan, sur la D 118. Elle ne traverse qu'un seul village, Laval (11) |
Distance environ 5 km AR
Grand merci a vous pour toutes ces belles découvertes et le magnifique travail de recherches historiques.
RépondreSupprimerMerci beaucoup de votre passage sur mes chemins d'itinérance
SupprimerOn remarque parfaitement, ici comme dans d'autres secteurs, les différences du couvert végétal entre le début XXème et nos jours.
RépondreSupprimerje me réfère souvent aux vues aériennes des années 60 et c'est flagrant. Et attendons dans 40 ans si on y arrive...le recul qui se prépare déjà depuis plus de 15 ans
SupprimerVotre recherche est très passionnante et les photos et l'historique de ces chemins sont intéressants merci pour votre partage
RépondreSupprimerMerci beaucoup; j'adore ce genre de recherches sur terrain comme sur cartes
SupprimerTrès belle page d'histoire superbement illustré. Tu as le sens du récit pour captiver le lecteur.
RépondreSupprimerHé oui, j'en connais un autre qui sait captiver le lecteur et l'amener sur des grands espaces souvent enneigés
SupprimerTrès belle page d'histoire superbement illustrée. Tu as le sens du récit pour captiver le lecteur.
RépondreSupprimerje crois bien que les soubassements en pierres qui sont presque au pied de l'escargot sont les ruines du château des Maures.
RépondreSupprimerEffectivement, ce site se nommait "château des Maures" et bien avant "château des Mores". Certains le datent du 10 eme siècle, ai je lu.
SupprimerUne découverte pour moi, c’est original, bien documenté, merci pour ce texte intéressant et ces belles photos. Envie d’aller fureter dans le coin. Bises Josy.
RépondreSupprimerce qui ne serait pas pour vous déplaire d'aller y fureter. Je vais m'offrir la montée en zigzags enfouie sous les chênes à présent qui mène au hameau abandonné. Bises
SupprimerVoici le lien pour aller sur le chapitre "Route du Col Saint-Louis" du site du Musée Virtuel de Caudiès, maintes fois cité et dont viennent certaines photos. Vous pourrez en savoir plus aussi sur le chateau des Maures. https://www.museevirtueldecaudies.fr/moyens-de-communication/la-route-du-col-saint-louis/
RépondreSupprimerJe connais ce site, je l'ai utilisé pour quelques renseignements et les illustrations, et même pour des choses indépendantes du blog car il est très bien fait. Merci
SupprimerJe viens de découvrir ta nouvelle ballade et c'est rassurant. Courage!
RépondreSupprimerEt pourquoi rassurant ? Attends de voir celle que j'ai faite hier samedi 2, là rien n'est rassurant !
Supprimerune belle leçon d'histoire. Merci, maitresse ! Sinon l'anecdote : je suis passé par cette route il n'y a pas si longtemps. Je n'ai rien vu de cette boucle. En effet, dans l'auto, nous étions concentrés sur la jauge de carburant, les stations étant assez rares dans le secteur. Quand j'y repasserai, j'espère que la jauge.... et bien sûr j'aurai retenu ta leçon. Guy V.
RépondreSupprimerTé où tu tu trouvais ce jour là ? Même pas vu plus loin que le bout de sa jauge ! C'est vrai que là bas jusqu'à Quillan tu es condamné. Allez tu es condamné à y revenir. Bises
Supprimerc'est avec grand plaisir que je découvre ce superbe reportage et cette quête des vestiges d'un passé désormais révolu. Tu as le Talent des grands conteurs, qui comme le pêcheur de truites savent patiemment appâter le "Poisson" , et quand il est bien subjugué et attentif, il n'y a plus qu'à le "ferrer", pour l'amener en viste dans le monde fantastique des pêcheurs de rêve. Bravo! respect! continue longtemps. Je me régale à te lire.
RépondreSupprimerMichel P
Je savais que ça te plairait, dans ma précédente vie je devais être une fouine, je furète partout et ensuite j'essaie de faire parler la montagne: j'appelle ça "détricoter la montagne". Finalement dans nos commentaires on reste dans le domaine animal, mais peu d'humains s'aventurent dans les sites que nous aimons, ce qui garde aux sites une authenticité. "Les pêcheurs de rêve"...j'aime beaucoup. Je vais essayer de continuer tant que mes forces nourries par mes rêves me le permettront. Les rêves sont un excellent combustible. Merci MP
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