lundi 4 juillet 2022

Le Monellet (2727 m) par l'arête Nord Est.

 21 h 30 je suis encore en bord de mer, au sortir du restau, 23 h 30 j'arrive au terme de 100 km de route dont 5 km de piste affreuse au parking de montagne où je m'échoue pour une courte nuit. Dans ma vie bousculée de garde malade à temps partiel, chaque goutte de Liberté est comme une averse dans le désert. 

Le Monellet  à gauche voie normale
à droite l'arête Nord Est


Me voilà à Aumet (Prats Balaguer), la fine lune m'a faussé compagnie.


Au matin, sous un ciel prometteur je me mets en route à pas rapides sur la piste comme si je n'avais pas le temps. 1640 m d'altitude. Un couple de randonneurs jaillit de sa voiture et m'appelle par mon prénom en ajoutant "on ne se connaît pas " . C'est amusant; Francis et Marie me suivent en blog depuis longtemps.

Fond de la vallée de l'Orri ; Pic de Neufonts

 Ce choix du Monellet s'est imposé hier en une minute, rééquiper le kangoo m'en a pris 19 de plus, là je pourrais enfin ralentir ! Et bien non...Ce sera la grande côte de la piste de débardage qui va me freiner. Je respire la montagne, j'écoute les sonnailles et le torrent, les oiseaux et le vent léger dans les pins. 

Serrat de las Esques, versant est du Malaza et Roc del Boc à l'extrémité 2774 m

Ancienne piste de débardage : 1.6 km

Les fleurs ont lâché prise, c'est l'été. La source coule encore à l'étage 1946 m, elle est tarie à l'étage au dessus, il n'y aura plus d'eau sur le trajet.

L'ombre est douce, le trajet agréable, je sais plein de choses : sa longueur, son visage, ses grands arbres morts, je sais qu'il n'est pas fréquenté, mais j'attends avec impatience tout ce que je ne connais pas et que j'ai repéré il y a deux ans lorsque j'ai rendu visite à l'escarpé Monellet.

La forêt malmenée : 2100 m
A partir d'ici, je vais tracer mon chemin: tout droit !

Ici commence l'Aventure. Je dois remonter ce couloir ensoleillé et suivre enfin jusqu'en haut ce plan incliné pavé de cailloux sans le moindre lopin de terre. Je l'imagine même soigneusement dallé car la dalle, ici, elle s'étale.

J'entreprends donc la traversée de ce site nommé Clots de Monellet : "clots" signifie trous, soit des trous d'eau et la végétation en effet est un peu marécageuse. Pour moi ce sera rocs.  parce que j'ignore qu'un sentier, quelques mètres en contrebas m'eut évité ce sport ! Mais les rocs j'aime, et il y a l'embarras du choix. Les chaos sont un paysage géologique : j'y lis tout le basculement de la montagne, ses chutes de pans vertigineux, à grand fracas, la mort des arbres qui y vivent et les jeunes qui s'accrochent à la moindre parcelle de survie. Un chaos est un livre de lecture vivant. On pourrait passer la journée à observer.

L'accueil

Photo effrayante : il n'y a pas de vent, qu'arrive t'il à
mes cheveux ?? Et déjà une estafilade à la jambe.

Un vieil arbre devenu dragon

Un pas jeune qui fait ce qu'il peut

Quand je rencontre un cairn, je ne sais pas qu'il y a un bon sentier en parallèle. 

Ma voie elle est tout droit : d'abord le cône (2200 m) puis le couloir (2278 m). C'est escarpé, je l'évalue à 35° / 40°, (calcul fait 35° de moyenne). Je calcule ma trajectoire : la verdure c'est bien mais c'est du rhododendron, alors à éviter. Je vais longer la fine ligne herbeuse entre rhodos et rochers, c'est sécurisant.

La limite du carrossable
Je ne sais pas pourquoi mais les couloirs, les tout droit en pente, les terrains affreusement croûlants sont ma prédilection : je n'y suis pas heureuse, j'y exulte.

Le paysage est annoncé : du caillou

Une idée de la pente

Le trajet

On a une idée de la déclivité

Vers l'amont

Vers l'aval


Dans le couloir la pente s'est bien redressée, j'ai le nez dans les embûches !
Le sol croulant est un tapis de billes, je choisis le cours du ruisseau (sec), je m'agrippe à une grosse pierre pour me hisser et patatras ! La pierre se détache, je me jette sur le côté pour l'éviter en plein visage et nous voilà parties en culbute à toute vitesse toutes deux; je m'arrête la première, dans un sale état ! Le sang c'est superficiel ainsi que les rayures de carrosserie, mais le gros hématome qui enfle, il va me faire souffrir...jusqu'à la maison !

Le gros caillou qui a changé de place
Le tapis roulant





Et puis les dalles  que j'aimerais grimper comme un chat, mais assez de sang donné ce jour !



Un coin de marnes

La sortie : 2412 m





J'émerge enfin après 212 m de dénivelé pour 320 m linéaires. Usée.
Et je découvre un col pelouse, des lointains, toute la ligne du Carlit, ou au sud des Neufonts, c'est beau, chaud et désert.


Au débouché du col, 1er regard.
On se croirait en plaine

A présent, un rapide calcul me dit que je vais monter 315 m au choix : cailloux ou cailloux.

Oui mais cailloux au bord du vide ou cailloux sur la pente. Quelques cairns ironiques veillent sur mon destin, je les oublie, je vais suivre "le bord du trottoir", une fine ligne herbeuse (entre les rocs) qui longe le vide: au moins je verrai du pays ! Et c'est sympa. Quoique usant mais si j'ai fait ce choix c'est pour m'user...au moins le regard. Il voit la vallée que je viens de parcourir, et les rochers, il voit le Capcir et ses sommets, il voit un peu des crêtes du sud, il voit surtout une pente presque lisse et sans fin, la grande pyramide du Monellet.

Vers le sud



D'où je viens : en vert le col (2414 m) et le débouché du couloir en marron

Petit chemin d'herbe


La grande pyramide du Monellet

Je fais quelques pauses pour boire (il fait chaud) et boire le paysage. Du Caillou, DU Caillou, DU CAILLOU !
2551 m; j'attrape l'arête et je n'imaginais pas que j'en rencontrerais une ainsi faite.
D'abord quelques dalles faciles à grimper, je pourrais le faire sans les mains mais j'ai déjà les jambes "out", alors prudence.



Ouais....




L'arête est toujours un évènement : trouver la prise, contourner un passage et tutoyer au mieux le vide sans qui une arête n'en serait pas vraiment une. Côté vide, les immenses dalles ont cédé le pas aux couloirs ardus, que l'on grimpe en hivernale en piolets et crampons. Je les grimperais bien à pied sec, mais c'est tellement rocheux...


Couloir en vue plongeante

Flancs du couloir


Pour avoir une idée voilà ce sur quoi je me promène :


Sur cette arête on trouve d'étranges cailloux incrustés de quartz







Des formes  agressives :

Le corps



La tête : 2692 m

 Voire en forme de hache :


Des petits jardins cachés:


Et une belle grimpe balayée par le vent de sud, demandant des efforts, 



Mais la découverte du paysage vaut bien ces efforts. Le sommet qui se profile aussi. J'ai réussi mon pari vieux de 2 ans .


Le col d'où je viens et un curieux effondrement



La voie normale d'accès au Monellet depuis le Pic Redon

Au terme d'une dernière ligne droite en dent de scie, me voilà aux 2727 m du Monellet, par une voie atypique, cairnée toutefois, mais peu usée par les chaussures ! Peut être la voie de descente en hivernale pour les alpinistes! 2 h 49 de temps de marche (hors arrêts), 1087 m de D+, 5.88 km, je peux être satisfaite. Et j'ai pris largement le temps de m'arrêter pour bien savourer. 



Sommet en vue

Plein sud avec les pics  Racó et la vallée de la Carança à gauche

Plein est jusqu'au Gallinasse et...la mer !


Ouest et Cerdagne Capcir


A présent, il n'y a plus qu'à descendre. J'ai choisi la voie normale un petit moment puis je compte basculer droit dans la pente: j'ai fait mon marché tout en bas, choisi un itinéraire musclé, direct mais point trop agressif, hors sentier évidemment.

Le marché du matin : descente

Un dernier clin d'oeil au sommet, il est 11 h 42, je file.


Cairn sommital




La descente du Monellet commence par une grande dalle étroite et équipée. La main courante est fort utile en descente, on peut l'oublier à la montée si on a le pied "marin". C'est le passage clé et ludique; le reste est un beau dévers pleine pente, escarpé, glissant, à consommer avec modération si on a les jambes usées et d'où qu'on vienne, on les a usées.

C'est ludique, je meurs de chaud, sous le vent, mais je vais m'offrir un petit restau bronzant. Face au décor lunaire de la haute Carança. Qui fut un ancien glacier. Dont il reste un névé en forme de virgule.




Parcours câblé


A présent je peux me lancer dans le vide d'une pente choisie au mieux mais dont les surprises seront sur le terrain.  

Je choisis le lieu de bascule et je fonce lentement ! Parce que c'est vraiment raide, et que ma jambe est mécontente. Pourtant je ne suis pas au bout de mes peines. Le paysage me plait, le trajet aussi. Un cairn esseulé me nargue, je le snobe. Et continue à louvoyer car tout est traître dans ces pentes sévères et pierreuses.



Une idée du parcours

Pente tout droit

Pente côté Monellet
                                                                                                                    
Mais ke tu fais toi ? 
La pente est prononcée


                                                    Enfin j'aborde à la pelouse du couloir; très pentue certes mais douce aux pieds, semée de fleurettes et de rhodos.


Un vrai délice où il semblerait que le repos 
s'invitât à la table de  cette superbe journée.

Las...je me retrouve en train de glisser style luge 
mais luge folle, train d'enfer et pas que sur le train arrière.

Un instant d'angoisse et je fais de mes mains deux piolets qui griffent le sol et s'agrippent aux herbes.
Freinage impeccable et garanti.
Y a plus qu'à...remonter chercher les bâtons plantés à me regarder comme deux idiots spectateurs.
Décidément mes vieilles jambes ne sont pas obéissantes.

Une dernière glissade sur un rhodo et j'en ai fini des 314 m de D- sur 890 m  en zigzags.
           
 

M'ont ils vue, entendue ? Ils traversent en courant le pierrier, frôlent un névé esseulé, foulent du tapis vert et escaladent la montagne, une bonne 20 aine d'isards. Evidemment les humains ne se comptent même pas sur les doigts d'une main.


Cette fois je peux rêver au retour : j'ai ma ration de cailloux, plus un dans le sac, je vais prendre le sentier caché et bucolique du matin, secouant quand même les végétaux, au cas où la délicate vipère...


Il y a juste ce monstre desséché.


Pourtant...c'était sans compter avec une dernière cascade...un roulé boulé magnifique m'expédie comme une balle de caoutchouc au dessus d'un rocher, aujourd'hui c'est mon jour de chutes, je me relève sans dommage je m'aperçois que j'ai l'art de la chute mais chut ! faut pas le crier sur les toits!

Allez, 3.7 km de piste, un plein à la source des 1946 m et enfin un autre petit plein bien mérité celui ci.

A la source de la Malicieuse.

Comme à un rendez vous bien orchestré, Francis et Marie arrivent et on fait connaissance. J'adore...

Je  dédie cet article à leur originalité et à leur goût de l'Aventure.

1946 m la source



La Délicieuse

Hôtel de luxe


J'ai quand même choisi mon prochain menu : un pic sans nom qui n'a pas l'air de tout repos! En fond de vallée. Vite, j'ai hâte !



Festin de pierre


En chiffres

Distance : 11.98 km

Dénivelé positif cumulé : 1130 m environ

Temps de marche : 5 h 30. (Arrêts 3 h 25)

Et la route : 180 km AR


Le trajet depuis le bassin d' Aumet




11 commentaires:

  1. Encore une belle montagne, que je connais jusqu'à l'ori sur le GR10, de magnifiques photos et un texte tout à fait remarquable. Je ne dirai rien sur l'exploit sportif tant mes doigts tremblent au dessus du clavier. Allez juste un grand BRAVO qui n'est surtout pas un encouragement. Guy V.

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    1. Mais si au fond je sais que tu m'encourages très fort...à la prudence ! Je le fais c'est pas de ma faute Monsieur si la montagne elle me fait rouler et bouler..hihi. Bises et bonnes grillades

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  2. Un dernier mot : le rosé a l'air bien agréable vu sa couleur dans le verre.

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    1. Un dernier mot : pour accompagner les grillades....

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  3. Je ne reconnais pas le "pic sans nom". Il se situe où par rapport au Moneliet (ou Monellet, ton orthographe est probablement meilleure que l'officielle) ?

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    1. je t'ai envoyé l'extrait de carte sur ta messagerie. Finalement c'est une longue arête dotée d'un piton que je vais essayer de suivre en son entier

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  4. La sortie est sympa malgré les chutes, un endroit que j'aime bien , je ne l'ai jamais fait par la main courante mais j'avais poursuivi sur la crête jusqu'au raco petit, il faudra que je le tente. Le piton effilé s'appelle l'aiguilleta si je ne me trompe pas et on peut y accéder aussi par la coume de l'infern, Bonne continuation !! ( mon dernier commentaire je faisais allusion à tes obligations familiales)

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    1. Les chutes sont dues à la fatigue des événements familiaux, je suis fragilisée mais je veux quand même aller de l'avant et ne pas m'engloutir dans la morbidité. C'est sans doute le prix à payer. Merci pour le nom du piton. Le Monellet je l'ai fait une fois par la voie normale et la dalle câblée, puis en venant du Pas del Porc et toute l'arête des Raco, mais cette voie originale et peu usitée m'attirait, sans savoir quel degré de difficulté : je dirais que c'est la voie relativement facile si on aime le caillou car c'est 100 % caillou, on a juste le choix du calibre. C'est très pentu mais une pente régulière sans à coups. A tenter une fois...peut être pas deux.

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  5. Bonjour Amédine, nous nous sommes rencontrés la semaine dernière au départ et à ton retour de ta rando pour Le Monellet! (Francis et Marie).On tenait à te remercier pour la gentille dédicace que tu nous a faite sur ton blog. Le plaisir de la rencontre est entièrement partagé ! Une bien belle rencontre à la hauteur de tes écrits! On espère que tes jambes sont « réparées « . Tu décris ta rando comme tu nous l’avais racontée. On a vraiment l’impression d’y être !
    Il y a quelques jours nous avons pensé à toi. Nous sommes partis de Fuilla du bas pour essayer de suivre un ancien canal, abandonné à la rencontre du canal de Bohère. On voulait aller jusqu’au captage à Serdinya. Belle balade, première partie sauvage avec de beaux restes d’un canal très large jusqu’au moment où l’on rencontre le canal de Bohère qui descend en conduite forcée vers le mas Bassères. Et après nous avons donc suivi le canal jusqu’au moment où on ne peut pas aller plus loin, on se heurte à une propriété privée (élevage de cochons).
    Une promenade de 10 km aller-retour avec des ronces et des argelas agressifs😁.
    Bonne continuation à toi et au plaisir de te revoir.
    Francis et Marie

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    1. Et bien, en cette fin de dimanche je m'apprête à reprendre la route pour là bas, afin, demain, de faire l'arête coiffée de ce piton qui a un nom sur les cartes catalanes : l' Agulla del Hereuet ( du petit héritier). De quoi vais je donc hériter ? pas d'une cascade en roches j'espère. Ah votre idée de canal jusqu'à Serdinya me plait bien. A vous les hardis je vous emmènerais bien visiter le tronçon abandonné au dessus du cimetière de Villefranche. Peut être on pourra se partager un morceau de ces canaux à l'automne quand il fera moins chaud ? Ce serait sympa. Réunir nos "sauvageries" au fil de l'eau. Amédine

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    2. J'ai épluché la carte mais pas trouvé le Mas Bassères

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