lundi 18 juillet 2022

La rançon de la sagesse : Clotadas de l'Estagnol (Orri)

 Le site, relativement proche de chez moi, Aumet, vallée de l'Orri,  sera mon QG régulier, pour des raisons familiales. Ce n'est pas gênant j'ai fort à y faire et j'y ai déjà fort fait, mais cet été j'y ai pris un forfait. La piste affreuse est un repoussoir, elle permet la non affluence. Dimanche soir, je partage le site avec les étoiles et les truites de l'étang enfin tranquilles.

La belle vallée de l'Orri


Aumet 1640 m

Le but du jour, en ce lundi11 juillet 2022, est ce "chapeau pointu" qui fait verrou entre les vallées et qui a un nom sur les cartes catalanes, "l'Agulla del Hereuet", l'aiguille du petit héritier. Quels furent cet héritier et cet héritage ? Vais je trouver des lingots cachés ? Une chose est sûre, ce sera des tonnes de roche à ciel ouvert.

L'Hereuet 2581 m


Je marche d'un pas vif en remontant le cours de la vallée, sous un vent frais et dans l'ombre du matin. J'ai rendez vous avec le soleil dans 4.5 km, à 2066 m. Et je suis partie de 1640. Alors, cette perle fraîche dans la canicule énorme d'"en bas", je la savoure. 

Tout est cadeau; les paysages pourtant familiers, les bondissements de l'eau, les fleurs, les pans striés de la montagne rocheuse, les sommets que je connais. Je regarde ces pentes que j'ai gravies, elles me paraissent insoutenables de raideur : comment ai je pu faire ? C'était il y a deux ans seulement. Oui j'y ai souffert mais j'ai réussi. Je scrute ces arêtes tourmentées où j'ai dansé, émerveillée. Je marche avec mes souvenirs. J'ourdis des projets, le site est inépuisable.


"En vrai" c'est très escarpé

Je marche aussi avec l'âme retrouvée de "mon" académicien Viennet qui m'avait accompagnée à la Carança. Viennet, ce 10 août 1833, avait remonté cette vallée de l'Orri avec ses amis et les muletiers ainsi que les mules louées. Il cheminait sur le dos de Raté, ainsi nommée car elle avait le poil couleur rat. Sa description et son ressenti voilà 189 ans sont une page d'anthologie et nous renseignent sur la climatologie et les excursions de l'époque. Je vous ferai revivre dans un article consacré à notre chemin commun, les étonnements réciproques.

Viennet a arpenté cette calade sur le dos de Raté


Je rencontre le soleil mais aussi la sensation d'avoir "tout ça pour moi" : tout cela, un arbre mort et élégant, une cascade, la gravure sur roche de Calvet que sculpte le soleil, Le chevreuil qui boit à la rivière et va se percher en bonds successifs par dessus les rhodos jusque sur l'arête où il va satisfaire sa curiosité : m'examiner.

C'est pour moi tout ça ! 2066 m

Une bouille bien sympathique 

Et je sors de la forêt, à 2120 m, découvrant enfin l'ensemble du décor; un petit casse croûte me permet de faire mon marché : par où vais-je grimper, pour profiter de la roche, de l'arête escarpée mais point trop. Je marchande avec les pentes, les dévers, le vires herbeuses, les couloirs et les parois. Ne pas rajouter aux 4 chutes d'il y a 10 jours est essentiel, ma jambe est multicolore, enflée et douloureuse.


Le site du jour : par où passer au mieux ?

Je repars et là, quelque chose ne va plus : mon rythme soutenu s'effrite, chaque pas est lourd, mes jambes ne répondent plus, alors que ma forme était superbe. Plus j'avance, plus je rame, alors je m'essaie aux courbes de niveau, aux montées douces, tandis que la muraille me nargue. 

Je grimpe lourdement


L'Hereuet tout pâle

J'écrème le parcours, zappant au fur et à mesure certains étages et je me retrouve en train de monter, prenant un bon dénivelé sans entrain. C'est pourtant beau et j'aime. Péniblement j'atteins la côte 2376. Je ne suis pas très sûre de mon équilibre, je suis un peu pataude, j'ai bien mon âge et un peu plus ce matin. Je pose mon sac pour prendre mon nouvel outil, un piolet d'été de ma conception, je serai mieux assurée donc rassurée. Et là se produit l'impensable! Atterrée, je vois mon appareil photo se décrocher du sac et filer pleine pente, de plus en plus vite, sauter dans le vide et disparaître. Pas question de l'abandonner, je remets mon sac et je descends à sa recherche. Pour la poursuite c'est râpé. Au bord du vide, un couloir de ravin raide escarpé et croulant, je m'interroge. Si je passe ailleurs je ne le trouverai pas donc...je lance un caillou et devant la trajectoire du malheureux qui va s'écraser tout au fond dans le pierrier, je comprends mes minces chances : le retrouver et mieux, intact??..Je désescalade le ravin, j'ai froid dans le dos à l'idée de ma chute, avec mon poids. Pourtant 61 m plus bas je retrouve l'engin, toujours dans son sac costaud. Intact, entier, sans une ride ni un bleu. L'objectif fonctionne, ce sera tout, le coeur a cessé de battre et c'est un petit cadavre que je remonte par le même chemin. J'essaie de redonner vie à mon précieux ami, làs...Heureusement j'ai pris la précaution de vérifier que l'APN de secours est toujours dans le sac, et un petit engin tout neuf va prendre le relais.


Et voilà la chute 

Que vais je faire ? Mon élan a fondu comme névé en été, mais quand même, on ne lâche pas comme ça. Je longe la falaise sur une vire à isards, je piolette avec ardeur, j'ai peur. La peur est là, fringante et insolente. Voyons, ce couloir herbeux et cette cheminée de roche en forme de dièdre (livre ouvert), ils me parlent. Et c'est parti, des pas en avant, s'accrocher aux herbes, planter un piolet qui n'a pas l'efficacité hivernale, secouer les prises et grimper. Sentir le vide, dans mon dos; et revoir la course de l'APN. Alors,  en pleine montée, le dernier mètre 50, bloquer et dire "je peux pas"! Que faire ? Redescendre ? Désescalade plus que prudente, angoisse pas à pas, retrouver la vire, la pente et enrager ! "ça suffit pour aujourd'hui ! On fera de la vallée". D'ailleurs depuis longtemps la soif me tourmente comme jamais, je bois comme le Sahara boit l'averse, je suis desséchée. Mais là au moins il y a un torrent et je ne mourrai pas de soif. Déjà épargner cette mort. Je ne chuterai pas de haut, autre certitude salvatrice. Il y avait plein de raisons pour abdiquer; la seule : je suis à sec.

                                                                                     

Fatigue

Piolet d'été
               


Se balader sur ces vires et ne pas se sentir sûre de ses pas

Ainsi,  je remonte tranquillement la rivière avec des regards sur mon Hereuet qui n'est pas loin et pourtant trop haut pour les forces du jour. Tandis qu'en bas (2430 m quand même) 50 vaches ruminent, me lorgnent et ne bougent pas. (M) Euh....je vais à l'étage au dessus. 


Là aussi ça craint !


Pic Rodó dans un paysage très minéral


Une cascade jaillit de la montagne, un ruisseau serpente dans une "clotada" sorte de marécage, c'est minéral, écrasé de soleil, chic, je vais BOIRE, manger, prendre un bain de soleil, me déchausser et somnoler.

2452 m

Mon regard suit les cimes, force les pentes, déshabille les arêtes, pieds dans l'eau, chapeau sur la tête, soleil sur la peau. Soudain..."ding ding dong", elles arrivent, en troupeau, curieuses, et je me barre vite fait ! Je grimpe la pente pour aller voir la source, celle qui alimente la vallée de l'Orry. C'est un long cône de déjection surmonté de la tuyauterie d'un agressif couloir, celui de la source évolutive selon l'étage et la saison. Là elle sort d'un orifice dans la falaise, à gros bouillons bleutés sur fond de roche, je plonge mon bras dans l'antre de la falaise et le retire immédiatement, j'ai l'onglée. L'eau s'évase dans la pente, en corolle, mouille la pâture, ravit les bovins, se perd un peu et tombe dans une fine cascade où je rêve de me plonger. Pour ce faire, je ferai encore un détour afin d'éviter le troupeau, voir d'autres sources de ce torrent, regarder d'étonnantes stries, peut être vestiges du monumental glacier et enfin savourer le jet frais de la cascade : tant qu'il ne coule pas chaud c'est que les vaches ne s'y soulagent pas dedans.


Ce site austère, rocheux et tourmenté, en fond de vallée se nomme Dejunes : j'ai fini par trouver la signification de ce mot catalan qui se traduit par "jeûne"...au vu de la pauvreté du secteur on peut imaginer que n'importe quel animal pourrait y mourir de faim !


Les sources s'accompagnent toujours de cette mousse

Le ruisseau issu de la source

Eaux vives jaillies de la roche : 2488 m

Depuis mon perchoir 

Phénomène glaciaire ?


La cascade version recto verso


Enfin je redescends les Clotadas jusqu'à l' Estagnol, laquet peu profond qui se confond au paysage. Les nuages ont envahi le ciel, donnant de nouveaux reflets aux schistes luisants, or ou argent, un isard détale, des marmottes grasses à souhait sifflent, le torrent mugit, les sommets vibrent de lumière et sont soit fiers soit écrasés selon l'éclairage, mon piton tout blanc semble si proche et le chemin si évident, mais je reviendrai, bientôt.

Cabane des Clotadas



Un peu en aval sur plan quadrangulaire

L' Estagnol et le Pic Rodó


Il me reste une énigme à trouver : la carte parle d'une galerie de mine (fer) que je n'ai jamais su trouver. Michel Prats, un de mes correspondants, assidu découvreur de cabanes, m'a donné une indication. Ce sera Viennet qui me conduira sur la piste, même si la mine n'existait pas en 1833. C'est une croix en hommage à un disparu qui a elle même disparu, qui me fera longer le torrent et découvrir la mine dont la couleur m'a été indiquée par Michel. Car l'orifice est peu visible. Ancienne mine de fer, une galerie de 10 m plonge dans la roche, abrite des milliers de moucherons, quelques guêpes et une plante qui pousse la tête en bas. Mon contraire puisque je suis plutôt "tête en l'air". Je la regarde avec affection.


Sur les traces de Viennet 

Sur les traces de Michel Prats

Tête en bas dans la galerie (2284 m)

La mine est dans un site escarpé et cairné, d'où je descends sans danger, j'ai vu pire. Le soleil illumine la grande prairie moutonnante à mes pieds, que je vais traverser, cernée par le Rodó, le Roc del Boc, les Torres de Xillen, les Llosers et autre Monellet; tous mes copains sont là, les pentes escarpées que j'ai gravies aussi, je me sens un peu minable tout en bas avec mon énergie limitée. Viennet parlait de ces grandes dalles, elles sont de quartz blanc un peu rouillé et proviennent de cette grande aiguille qui s'effondra un jour à grand fracas, avant 1833, c'est sûr. Pourquoi ? tremblement de terre ? gel ?


La Torre de Xillen sur laquelle je me suis
perchée voilà 2 ans



Les Clotades, l' Hereuet et le bloc de quartz (2162 m) dont parle déjà Viennet en 1833

Détaché de cette aiguille de quartz

Versant est du Malaza : las llisas ou ravins


Un peu plus bas, j'entre dans la forêt, vierge de tout habitant comme le fut ma journée.

Les parfums de pins surchauffés m'assaillent, je me souviens de l'été de mes 13 ans dans les Landes, parcourant à vélo des chemins de terre rectilignes dans des rangées de pins grésillants. Ce parfum m'est resté au delà des ans et mes sorties en montagne l'été ont toujours un relent de mes 13 ans. Les Landes m'évoqueraient elles les virées en montagne ? Pas sûr...




Voilà un dernier vestige géologique, du temps où les glaciers qui épousaient ces cirques de montagne poussaient leurs débris vers l'aval en grondant : une moraine frontale, abandonnée comme un déchet. Altitude 1880 m, c'est bientôt la fin du parcours, je me laisse porter par le rythme mécanique des pas et le chant de l'eau, je ne vais pas vite, j'ai tout mon temps, le quotidien n'attend qu'un signe pour m'envelopper de ses bras. 


La Congesta, autrement dit "l'encombrement" soit la moraine frontale du dernier glacier: 1884 m

En chiffres :
Distance : 16.5 km
Dénivelé positif cumulé : env 900 m

Trajet dans la vallée de l'Orri



13 commentaires:

  1. Toujours aussi intrépide avec un peu peu de sagesse, tu gagne des points, merci quand même pour cette énième randonnée bisous

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    1. Mais oui, je m'assagis en pointillés ...quand j'ai peur. Bises BB

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  2. Anonyme, toujours c'est BB

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  3. Encore une magnifique balade si bien décrite. Quel plaisir de vous lire.

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    1. Merci à vous, j'adore écrire et raconter; parfois on me dit que je suis trop bavarde, alors par écrit, déjà ça coupe le son, et cela devient un choix que de me lire. Bon je plaisante...à peine .

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  4. Belle lecture et belle résolution de redescendre que tu as prise devant cette raideur de l'Heruet
    Je ne sais si tu parles de moi pour la mine mais ce sera Prats et non Camps. Pas de panique ! Je suis sur que tu vas réessayer ,moi je tenterais plutôt par La Coma d'Infern Courage !

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    1. Oui bien sûr c'est de toi que je parle, l'inventeur de cabanes il n'y en a pas deux. Ay me fai vella....Tu connais cette cabane carrée ? Oui je vais réessayer et j'ai trouvé une voie royale d'accès ce que je voulais c'était y arriver avec un peu de grimpe en roche. Juste à quelques mètres à gauche de ma tentative, il y a une lande herbeuse qui conduit au pic. Et je vais explorer tout ce secteur si ma santé me le permet, à présent. La Coma d'Infern aussi m'attend.

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    2. Un plaisir a vous lire avec de très belles photos et de plus une grande expérience bravo👏

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  5. Je suis allé plusieurs fois chercher la mine, et je ne l'ai pas trouvée.
    J'ai peut être cherché tros bas sur les berges du torrent. Mais grace à votre photo et le petit mur de pierre sèche, je trouverais la galerie la prochaine fois. Merci.

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    1. Moi non plus je ne l'avais jamais trouvée et comme elle est vraiment à l'aplomb du sentier elle n'est pas visible de celui ci. Je vous conseille donc de ne pas prendre le sentier, de ne pas traverser la rivière et de continuer à la suivre en restant sur sa rive gauche. Vous ferez ainsi 80 à 100 m et alors , avant d'entrer dans la partie un peu torrentueuse, vous traversez, vous apercevrez sans doute quelques cairns, une ébauche de sentier dans ce petit vallon sec et escarpé et le mur en pierres, les déblais mais toujours pas l'entrée de la galerie, on ne la voit que lorsqu'on a franchi le mur, en plus un gros roc écroulé la cache en partie. Le meilleur repère est la terre très marron sur le site

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  6. Très belle cette vallée, je n’avais pas vu la sculpture de Calvet lors de notre rando ni l’entrée de la mine, tu fais toujours des trouvailles intéressantes. De belles descriptions et des photos au top, je me suis régalée de te lire. Envie d’y revenir ! Bises, Josy.

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    1. C'est un très beau parcours (ce sont de très beaux parcours) qu'on peut faire dans ce secteur, dans un bivouac de rêve, les 5 km de piste ne sont pas un problème pour votre van. Moi je n'ai droit qu'à un jour et une nuit mais vous avez le temps d'en partager un peu avec moi et poursuivre seuls. A voir...pour le moment avec le virus je suis capable de 30 m et 13 marches d'escalier en guise de rando...mais on va se secouer "le cocotier"! Bises à vous trois

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    2. Nous y avons bivouaqué il y a quelques années c’est avec grand plaisir que nous y retournerons avec toi lorsque tu auras retrouvé la forme.

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