dimanche 21 septembre 2025

Vallée du Campcardos (66), regards sur la Peiraforca

 Les Pyrénées Orientales ont les pieds dans la Méditerrannée (Albères et Corbières), une longue jupe qui rase les flots du Barcarès au Racou, et la tête dans les nuages au Puymorens où se rencontrent 3 nations, Espagne, France et Andorre, la France conjuguant deux départements ici haut : Ariège et Pyrénées Orientales. Le tout sur la modeste distance de 103.5 km.



Quand la Peiraforca se dévoile


Alors le résident du Département a de quoi faire, mer, montagne(s), et...moins poétique pour d'aucuns dont je ne suis pas, emplettes à prix réduit, de tous ordres, jusqu'au carburant. Je cite l' Andorre et la Junquera, ce n'est ni un scoop ni de la publicité.

Moi mon carburant je le fais au gré de mes routes; celle qui me conduit en ce petit séjour à Porta, proche du Puymorens est passée peu académiquement par le département de l' Aude.

Situation de ma rando


Porta ! j' y suis et je vais y rester trois nuits pour deux balades dans la vallée du Campcardos, le joyau d'ici, à l'écart des routes bien que je sois sur "une grand route", celle qui a défié le temps, les intempéries et l'Histoire. Cette route qui suit la vallée de la rivière Campcardos (champs de chardons) est une vraie route, voie de communication d'est en ouest qui desservait l' Andorre et l' Espagne, chemin des pâtures et des estives, bordé d'orris ou cabanes pastorales en pierres; voie de communication  (et peut être de contrebande ?) elle fut aussi voie de l'Histoire, voie de l'exode du temps des persécutions, de l'exil, des passeurs sur les chemins de la Liberté. En marchant je pense à ces gens, marcheurs forcés et forcenés, mal chaussés et mal vêtus, terrifiés, devant se taire dans le noir, devant taire la douleur. Je ne fais pas de misérabilisme, mais n'oublions pas cette Histoire là. Le panneau à l'entrée du chemin cite les itinéraires à travers les montagnes. Le Canal Cristall ? Comment fut ce possible...



Cette route est large, pavée avec solidité et élégance, remarquablement belle, logée dans une grande pente menant du ciel à la rivière mais la densité des feuillus est telle qu'on ne voit rien. Les dalles de granit du sol sont un paysage.



Jusqu'à la cabane du berger il y a un peu plus de 3 km .

Entre temps le paysage s'est ouvert, la face nord est très inclinée et couverte d'arbres parsemés de champs d'éboulis, la face sud, tout aussi inclinée est rocheuse, ensoleillée, traversée de petits torrents et à ses pieds s'étalent d'anciennes pâtures délimitées de murs de granit. Des cabanes pastorales parsèment les pâtures jusqu'au bord de l'eau. Certaines sont vastes, massives, d'autres plus originales. Elles parlent vents dominant, ensoleillement, climat. Jamais je n'en ai trouvé une qui soit datée, ici ou ailleurs. C'est étonnant.


l'ubac (el bac) : conifères et bouleaux

l'adret (el soula; la solana)

Le torrent nommé Campcardos gronde, et saute parfois en blanches cascades, les bouleaux dont cette vallée est le Royaume se teintent de fauve mais à coup sûr, ils n'auront pas les feux ni l'opulence de l'automne 2019. Des années de canicules ont abimé leur chevelure.





2019...quelle flamme !

Et puis il y a celle pour qui je suis venue, cette montagne nommée Peiraforca (la pierre fourchue), qui m'avait tant attirée jadis et que j'avais espéré voir de près, et gravir un peu puisque seuls les grimpeurs y ont accès. Elle fascine toujours mon regard car elle a le parfum de l'interdit. Elle ne se grimpe qu'en escalade. Il doit bien y avoir un accès toutefois.

Je n'ai pas de carte et aucun réseau donc je vais naviguer à la lecture du terrain.


En majesté : face est. 2647 m

Mais avant d'avoir accès au sommet, il faut accéder à sa base et pour cela il faut trouver un sentier. Un sentier de grimpeurs est en général discret, confidentiel, utilitaire et réduit à sa plus simple expression. J'ai une indication fournie par Jean Baptiste, un jeune éleveur; je traverse le torrent bouillonnant et glacé à la cabane du berger (1948 m, 3.9 km), de l'eau jusqu'aux cuisses et sitôt de l'autre côté rien n'est simple : un amas de végétation, des jardins d'éboulis, des places marécageuses et rien. J'ai un indice, ne le trouve pas et finis par trouver une sente dans ce fouillis de rhododendrons; elle deviendra un peu cairnée, s'élèvera dans la pente en suivant un ruisselet asséché et me mènera à la côte2085 (4.83 km), un petit site plat mais pas dégagé pour autant. 

Progression malcommode

Le dernier cairn est juste à l'angle puis plus rien. Alors je vais chercher. Rien dans la pente qui se relève et où un joli ruisseau dévale des murailles dans un petit couloir, rien sur la chevelure de rochers qui escalade, figée, la pente soutenue menant aux crêtes frontière,  noires  et hérissées. Et rien sur la surface plane où la cohérence de la courbe de niveau est évidente. Rien n'a de cohérence pourtant en ce sentier. Loin de la Peiraforca. Loin de toute pâture. Loin de toute randonnée bucolique. Quel était son but ? Alors j'escalade le rude pierrier aux blocs monumentaux, pour voir. Et 80 m plus haut, c'est tout vu, il n'y a rien que des blocs à perte de vue, tous azimuts, inutile d'insister. 


Un géant escalier


On a le choix de l'appui mais il y a des traitres
même chez les gros blocs

Arrivée en haut de ma patience, car le pierrier continue, je n'ai pas d'issue. Cette Peiraforca ne se rapproche jamais !

Impraticable et elle est loin


En plus sa tête ne séduit guère. Pourtant qu'elle est belle....





Je me tourne vers des lointains que je connais : vers l'est voici l'arête de Fontvive. Et voilà que l'envie de montagne me revient en plein coeur, je ne serai pas montée pour rien.

Pic, dorsale et arête du Pic de Fontvive


Pics de Fontnegra ? 

Devant ce panorama où je retrouve mes vieux amis, je me repais de silence et de solitude. mais qui peut donc fréquenter ces "terres" inhospitalières hormis une fêlée ? 

La fêlée se sent heureuse, loin de tout, mais prudente. A t'elle encore l'âge de ces absurdités ? 

Mais oui, voyons, à condition de se faire accompagner par un bon guide nommé Prudence.



J'alimente mon corps fatigué avant que de redescendre, j'ai l'embarras du choix des rocs et alors je vois quelques cairns à la base du pierrier, filant résolument vers la  Peiraforca, en un cheminement encombré de rhododendrons. Non, vraiment c'est non, et je redescends: la balade va se terminer dans une débauche de cèpes au pied des bouleaux et un sac à dos alourdi.


En résumé : en rouge montée dans les rhodo, en jaune le pierrier sur
80 m D+ et en blanc l'esquisse de tracé cairné. 




Et dire que sur la carte d' Etat Major il y en avait un de chemin ! Ligne directe pour les pâtures des hauts hauts plateaux, landes rases et caillouteuses à l'envi...

Peut être y a t'il quelques vestiges, mais là haut impossible de consulter quoi que ce soit.
A présent, je sais...

Et il était là !


Retour par le même chemin, une petite variante sympathique s'offre à moi dans la forêt, cela semble être une ancienne piste de débardage, douce à mes pieds meurtris. Jean Baptiste me dira que c'est un ancien chemin du Campcardos et, effectivement, il est cadastré, bien qu'amputé, de nos jours. Mais ce sera une autre histoire.

Les chevaux de Jean Baptiste aussi sympas que lui.

Je n'ai plus qu'à conditionner ma récolte  et, évidemment, y goûter !

                                       -------------------------------------------------------------

Le lendemain, après 12 h de sommeil qui ne doivent rien à des cèpes hallucinogènes, fussent ils cèpes de bouleaux, je reprends le même chemin. Le temps a changé, la lumière de la veille a cédé le pas aux langues de brume, au ciel tourmenté, au voile de pluie sur la Peiraforca, nouveau décor, nouvelle magie.




La Peiraforca est très fugace ce matin



 Je me pose sur un rocher, je sors mon cahier de croquis, ma boite d'aquarelles, je m'approprie à ma manière cette Peiraforca. La bruine s'insinue partout, je reprends donc la route pavée, cette fois le but est d'aller plus loin en la vallée, faire du repérage.



Je suis fatiguée, voilà 4 jours que j'arpente des terrains difficiles, j'ai commencé par l' Aude, je me traîne un peu mais je marche. Cette vallée est belle et la revoir est un plaisir. Le jeune éleveur me redonne quelques renseignements, je n'ai pas trouvé le bon accès hier.

Le ciel se déchire, autre visage.



Alors, en marchant, je décrypte la montagne; le présumé sentier de la veille eut suivi une longue et inutile trajectoire, c'est bizarre, son existence. Mais déjà, alors que les chevaux luisants ont croisé mon passage, que j'ai franchi la rivière à pied sec sur un vaste dallage de pierres, un autre sentier se dessine, fonçant droit dans la forêt, dans les rhodos, vers un couloir herbeux, dans l'ombre et la roche noire; vers la cime. Où mes jambes se sentent incapables d'aller. 

Il est plus raide que ne le dit la photo


La pluie a disparu, le ciel s'est ouvert, tout étincelle. La Peiraforca a un autre visage, éventail arrondi, mais déjà son arête nord ouest dévoile ses dentelles, ses échancrures, cheminées et autres "monstruosités".


Arête nord/ouest



Détail échancré

 Plus tard en regardant mon récit de 2019, je verrai ce que mon absence de zoom a occulté, dommage. Sur ma droite, la vallée, en contrebas s'est épanouie, la rivière méandre et forme ce qu'il serait prétentieux à présent de nommer un lac. Les vaches de Jean Baptiste ruminent, pâles sur pelouse rase.


Estany Gros, Estany Petit, qui voit un étang ici ? 

 Je n'ai plus très envie de marcher alors, lorsque le sentier s'apprête à plonger dans un plateau où gronde une cascade, je fais une halte à l'abri du vent. 

Ouverture vers l' Andorre



Ouverture vers l' Espagne

7, 00 km de marche, et il manque 14 m pour l'altitude de la veille. Ce serait sympa d'y arriver! Pour ce faire je monte vers la Peiraforca. 14 m. Quelque part se trouve l'accès à l'arête et le sentier vers l' Espagne, Portella de Méranges; a t'il lui aussi un visage de chemin pavé ? Un étrange rocher attire mon regard, il évoque un chapeau, mais de petits murs rocheux le flanquent, un tuyau de cheminée s'en extirpe : altitude 2160, Cal Marcel m'offre l'altitude que je voulais avec en cadeau un gîte. Je n'entre pas. 


la cabane de Marcel : ingénieuse, ouvrant à l'est


façade est


De retour, je traverse la rivière, peu hospitalière : sa manière à elle de défendre la rive dominée par la Peiraforca ? Ou de protéger les beaux cèpes que je vais débusquer dans la forêt de bouleaux. Cela se nomme  boulaie, boulinière ou bétulaie : c'est amusant ! Plus amusant de chercher, plus encore d'y trouver les somptueux "cèpes de bordeaux". Altitude 2030 quand même ! Ce n'est pas une forêt enchantée, mais enchevêtrée, escarpée, avec des ruisseaux sous les rochers, des trous piégeux et soudain naît l'enchantement, un troupeau de biches silencieuses s'envole par dessus les rhodos, instant de grâce...



La bétulaie




Ou boulinière, voire boulaie : la plus haute du département



Les premiers



Le dernier (même lieu)


Le sac devient lourd,  je prends donc le chemin du retour, nouveau bain dans le courant vif, un bon kilomètre de massage plantaire, nu pieds sur le granit. Il n'y a personne. Je visite les hauts murs de Montfillà qui soutenaient de petites parcelles, quel colossal travail pour aplanir les montagnes !



Il y en a partout



Dernier regard, mais je reviendrai




Les murs de Montilla


Logée dans le mur, elle est vaste


Intérieur













Allez j'ai un sac bien chargé, il n'y a plus qu'à nettoyer et conditionner ce beau monde, pas facile en camping car d'entreposer des cèpes, j'abrègerai donc mon séjour ! Ils le valent bien...

En chiffres : 

Jour 1:

Dénivelé cumulé : 700 m

Distance : 12,3 km

Jour 2

Dénivelé cumulé : 700m

Distance : 15.3 km


Le trajet sur les deux jours ; en pointillés noirs le prochain parcours en crêtes





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Votre commentaire: