samedi 11 novembre 2017

La Voie Romaine ...2 ème

Ce 4 novembre, je pose mes roues sur le petit parking de San Salvador de Bianya, (Catalunya) sous un ciel d'orage avec de grands éclairs et des roulements de tambour qui se répercutent dans vallées et montagnes. La nuit tombe, le minuscule village qui doit compter 4 ou 5 habitants s'est enrichi d'une colonie d'enfants raisonnablement bruyants.  Avant la pluie, je fais le tour du village : plus long à écrire qu'à faire! Il doit son charme à une petite église aussi close que le petit cimetière que j'avais pu visiter dans d'autres temps...
San Salvador de Bianya



La Via Romana que je vais "explorer" est à deux pas d'ici.
Explorer...Je viens juste d'en faire une drôle de visite, trop impatiente de voir le passage assez particulier dont elle est dotée par ici.




Je pars donc alors que la nuit s'annonce sur le chemin qu'elle est devenue, mal pavé, mal conservé et je marche d'un pas vif (merci la guérison même si elle n'est pas achevée) ; j'ai pris la précaution de prendre une puissante lampe, la nuit peut me surprendre.

Tombée du soir sous l'orage

La balade est assez magique : des roulements de tonnerre, ponctuent un silence quasi nocturne, un désert vivant de ma seule présence, puis de craquements dans les fourrés (brrr), c'est plutôt envoûtant mais cela n'occulte pas la surprise devant cette oeuvre monumentale . Voyez plutôt...

Au soir qui tombe, juste avant la pluie
Sous le soleil revenu après les averses du soir et la nuit paisible, porte ouverte sur les parfums de la nuit, je pars d'un pas vif dans un joli paysage champêtre avant d'amorcer la rude côte des 22 lacets.

La Vall de Bianya (Paysage de la vallée de Bianya

Sur ce tronçon, où la pente atteint 10 à 20%, les romains mirent en oeuvre tout leur savoir faire: les virages très serrés et surtout en forme d'escalier (comme nos voies modernes) comportaient des murs de soutènement en blocs, pierres sèches, sans mortier, provenant du site même. Ainsi on trouve un mélange de grès et de conglomérats, les roches d'ici. Nulle trace de carrière n'est visible, je crois qu'ils n'en avaient pas besoin tans la roche abonde. Le seul fait de bâtir une route et son assise généraient le matériau .

Les lacets de la via de Capsacosta


Cette photo de double virage montre la déclivité important et la plate forme pour négocier le lacet


Ces murs de soutènement et de contention assuraient la solidité (et la pérennité) de l'ouvrage, c'est ce qui reste de mieux conservé.


Mur en gros blocs non taillés

Mur de soutènement

L'assise de la route pavée avait dans les lacets une morphologie particulière : légèrement bombée pour envoyer l'eau sur les extérieurs, au niveau du virage sec (où les chars pivotaient sur une seule roue comme s'il y eut un différentiel) une plate forme carrée délimitée par de gros blocs solidement enchâssés dans le sol donnait solidité, car tout le poids du char reposait sur ces dallages et ne devait en aucun cas écarter les pavés en ce puissant mouvement de rotation.

Le char pivotant sur la roue intérieure à la courbe entaillait profondément une ornière qui servait de guide (ou creusée par la main de l'homme ?).  La manoeuvre était délicate et si le char venait à reculer sous l'effet de la pente en escalier, de gros blocs posés à l'extrémité de la plate forme empêchaient chars, animaux et marchandises d'être précipités dans le ravin. car tout est à flanc de montagne ne l'oublions pas.

Double virage et mur de contention de la courbe de la route (à gauche)









Ces gros rochers au fond d'un virage en épingle
évitent au chariot d basculer dans le vide au cas où...

Assise de la route : les pavés sont profondément
fichés dans le sol pour assurer la solidité

Morphologie d'un virage : la ligne de blocs, bien enchâssée
dans le sol était surélevée par rapport à la voie
On devine bien la rigole d'écoulement des eaux (gauche)
le long de la voie


Ici on voit aisément en 1 er plan la roche creusée par les roues
et l'assise de la plateforme 

Gros plan sur l'ornière

Tandis que je marche j'ai la chance inouïe de pouvoir recréer dans mon imaginaire tout cela et donc je chemine au milieu de la circulation affairée, colorée, bruyante, grinçante, suante et soufflante. C'est une vie extraordinaire qui m'entoure : ici la voie est étroite et encaissée dans la roche ; priorité à l'attelage montant, un élargissement notable de la voie permettant, non loin,  les croisements.

Voie unique et encaissée dans la roche de conglomérats

Une aire élargie : croisements ? Repos ? Parking ? 

Là, une vaste plate forme permettait de faire une halte car bêtes et gens sont épuisés par la déclivité , l'effort, la chaleur ou le froid, et puis il faut bien casser la croûte! Dans un désordre organisé je me fraie un passage. Que de bruits, de couleurs, d'odeurs et de cris !Personne ne fait attention à moi . Ni au magnifique paysage de ce matin d'automne.

Le même qu'il y a 2000 ans


Plus sérieusement, dans le silence des épais sous bois, la route est une trouée lumineuse. Elle est devenue, en ce 21 eme siècle, un chemin de randonnée, balisé mais pas fréquenté à cette saison.

Paysage local entre Vall de Bianya et Ripolles,
décor de la voie
Quand le chemin a été trop dur, ou trop abîmé pour être réparé, les Romains ont fait une déviation, une sorte de contournement. En plusieurs lieux de cette voie. Celle-ci est la 3 eme que je rencontre, sur cette route.
Ainsi, ce tronçon là rend inutilisable la voie originelle : comment circuler là dessus, la largeur de la route butant sur un mur et ne laissant plus de place au charroi ?.

Avant existence de la "déviation" 


La déviation : plus longue, plus large, plus plane

Hier soir c'était le parfum des sous bois, âcre et puissant, mouillé d'une pluie fine, ce matin c'est belle lumière d'automne, propice à la balade.
Laquelle prend fin en ce site , près de mon village d'une nuit :
un site nommé "Els Hostalets de Bianya", qui montre une vaste esplanade où se trouvait un relais à l'époque romaine. Des fouilles l'attestent.


Els Hostalets ou Cal Ferrer

Au 17 eme siècle (1630) il fut reconverti en une forge
, "Cal Ferrer" (chez le forgeron). Un document de 1719 le mentionne.


le forgeron (panneau in situ)

Voici ce qu'il en reste aujourd'hui : 







De là, la Via Romana file, rectiligne, vers la Vall, franchit la voie rapide "proprement", sauvegardée puisqu'un tunnel la protège (la route moderne passe sous la voie au lieu de la détruire) et meurt doucement au "Pas des Trajiners" dont il ne reste plus rien.


La voie romaine dans la vallée 



Si le tracé de la voie romaine subsiste , aucun ouvrage d'art n'est plus visible de nos jours. Le chemin est encore utilisé pour desservir quelques fermes, près de la rivière.
Rien ne le différencie d'un chemin ordinaire...



Bien sûr je n'en ai pas fini avec cette voie. Un dernier tronçon reste à parcourir, juste pour la curiosité.
Sans doute n'y amènerai-je que mes pas, non mes lecteurs.


Alors à bientôt pour d'autres balades...










8 commentaires:

  1. CC... Superbe balade !!!
    ça ne devait pas être évident de circuler avec des chariots.
    Bon dimanche, Bisous, Câlins à tes Félins

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    1. Franchement ça m'a scotchée parce que avec la grosse pente qu'il y a quelle galère ! Bisous

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  2. Merci beaucoup pour toutes tes explications et ta documentation recherchée. je connais San Salvator de Bianya pour sa jolie église qui est toujours fermée , hélas même en septembre . Mais cette voie Romana il faut la voir . bien conservée et je m'imaginais bien les chariots sur ce passage difficile . une balade fantastique . bisous et bonne soirée.

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    1. Tu la verras en vrai et même si tu n'en fais qu'un petit morceau ce sera un morceau bien choisi. Aujourd'hui je l'ai faite dans son entier (enfin presque mais le morceau manquant je l'ai fait l'autre jour) donc je la connais bien à présent. Bises

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  3. De beaux paysages comme toujours et en plus UN GRAND PLONGEON dans l'histoire romaine !
    Merci Amédine.
    Bisous - Chantal

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    1. Heureusement le plongeon n'est que virtuel, enfin surtout pour moi car je risquais fort de me casser la figure sur cette piste abîmée ce qui n'aurait pas arrangé ma réparation. Depuis de récit je l'ai parcourue en entier, un pur régal. Bisous, Amédine

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  4. Bonjour Amédine.
    Bien sur j'ai lu ces deux textes, admiré les photos et surtout apprécié les explications et l'Histoire. Ah, l'Histoire... cela me rappelle ma sixième au lycée de Montpellier avec le professeur d'Histoire Raymond Dugrand (devenu ensuite un personnage important à Montpellier) ; il m'avait surnommé Ramsés II... Enfin, je retiens cet extrait de ton texte : "...quand on rencontre l' Histoire, qu'on la touche des doigts, qu'on croise son regard, les certitudes s'effritent comme neige au soleil."
    Amitiés

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    1. Je suis sur un ordi de dépannage donc je te réponds en anonyme. Si tu savais à quel point je haïssais l'histoire !! Et dire que je suis co auteur d'un sentier historique sur ma commune ! Et que j'ai fait 5 ans de fouilles pour cela!C'est une balle de plomb de 23 g datant de 1793 qui a changé mon regard sur l'Histoire qui devenait quelque chose de palpable et non des listes de dates à apprendre par coeur. Depuis ce blog j'ai parcouru en intégralité la voie: fabuleux, il y a 20% de pente et 46 lacets. Une merveille. Amitiés, Amédine

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