mardi 12 décembre 2017

Oreilla : balade sur la lande désolée

C'était un étrange week end, celui de la tempête Ana, en France, qui nous épargna sa colère, pas sa mauvaise humeur.
Le temps était donc maussade, les prévisions plus encore et je piaffais d'impatience à l'idée d'aller grimper sur un pic nouveau, point trop haut, à la raisonnable altitude de 2370 m et au nom évocateur : La Pelade. C'est vrai que son aspect arrondi et dénudé donne une impression de mont Pelé...mais il y en a tant qui ont ce visage.
Pour aller à la Pelade, j'avais bien défini mon itinéraire, en partie hors sentier, le plus direct possible. Ambitieux peut être...


Je partis donc pour passer la nuit à Sansa, à 2h de route, village du bout du monde que j'aime beaucoup, un terminus de la minuscule route des Garrotxes, qui serpente à flanc d'un paysage plutôt dénudé, austère, aride, sauvage en un mot.Le temps était maussade et des plaques de neige parsemaient le paysage, ce à quoi je ne m'attendais pas. Et qui pouvait compromettre ma rando. Arrivée à Sansa (1444 m)dans la grisaille, la neige, le froid glacial, le gel en flaques vitrées sur le sol, l'air mordant, je sentis fondre mes résolutions. La piste que je devais prendre était impraticable et aucun sentier ne part du village pour la Pelade curieusement plus dénudée que le village . Normal me dit une habitante, toute la neige a été transportée au village par le vent. La montagne n'était pas aussi nue qu'elle paraissait, des buissons la recouvraient et faire un "tout droit" de 900 m en terrain aussi malaisé ne me tentait pas. Je marchai un moment dans les rues désertes et plus le froid intense me saisissait plus je pensais à ma cheminée. D'autant que je redoutais la neige pendant la nuit. Alors l'appel de la maison douillette devint lancinant et sans tergiverser, je repris la route à l'envers dans la nuit glacée. Je mis plus de 6 heures à me réchauffer.

Je rentre !

Mes ardeurs ne s'étaient pas refroidies pour autant et le lendemain matin, en voiture, je refis le chemin à l'envers, pour "l'itinéraire bis", autre sujet de rando plus paisible et abrité : suivre le Canal désaffecté d' Oreilla, un projet que j'ai depuis longtemps et que je ne déflorerai pas davantage...On verra par la suite...
Le décor du jour : Oreilla, les landes au dessus du village et en bas la vallée d' Evol
Oreilla, 874 m (De Villa Aurelia, issu de auréanum=or)
J'arrivai à Oreilla, 874 m, accueillie par un vent tiède. Je me préparai rapidement et filai bon train à l'autre bout du village où un sentier pique tout droit vers les hauteurs sur lesquelles passe le canal. Oreilla a deux canaux, je croisai le plus ancien, en service alors que le nouveau est désaffecté. Arrivée sur le haut de la colline, un vent fou et froid me sauta au visage, j'étais sur les rivages d' Ana. Ce que je redoutais se présenta à moi : la chasse au sanglier le long du canal. L'envie de finir en civet ne me taraudant pas particulièrement, je choisis "l'itinéraire ter", qui n'eut "sans ça" jamais eu ma faveur.

Le décor où je devais randonner 

J'avais pour compagnes statiques, inquiètes et emmitouflées dans leur pelage d'hiver de belles vaches à la robe fauve.
J'entamai sans le savoir la plus désolée et la plus courte des randos de ma vie et, curieusement, celle qui devait me laisser une des plus intenses sensations. Peut être à cause de sa désolation...Plus encore je crois.
Paysage au dessus d' Oreilla, typique des Garrotxes


Imaginez un paysage quasi monochrome, brun à souhait, moucheté de vert sombre, les genêts qui renaissent du brûlis, car toute cette lande fut incendiée. Une végétation rase mais austère où il ne fait pas bon s'aventurer, inextricable (ce que je redoutais pour la Pelade). Vu d'un peu loin cela paraît lisse et nu, un jeu d'enfant de s'y déplacer. Vu de près c'est un fouillis agressif et épuisant. J'ai marché longuement sur cette lande désolée, au milieu des bourrasques de vent, sur un sentier bien tracé, un sentier de chasseurs, peu pentu, ouvrant sur de magnifiques points de vue entachés par la grisaille.
Aucun animal ne s'aventurait dans les parages et pour cause, quelques chasseurs patrouillaient.




Le chemin de Celra

La lande brûlée et la repousse des genêts






J'ai marché d'un pas lent, prenant le temps de regarder, de scruter, prête à aller affronter les vents plus violents des crêtes proches, celles du Pla de Diagre, d' Ocelles et de Palmes, (1330 / 1400 m). Plus loin peut être...selon mon envie.

J'ai pris le temps de me poser, de boire une tisane chaude à l'abri d'un cairn d'ardoises, j'ai pris le temps de profiter de cette escapade en terre austère. Et d'écrire sur mon cahier gris.


Et qu'ai je vu sur mon chemin ?


Après la pause : congelée, version yéti rose
D'abord les ruines de Celra : Celra était un village à 1050 m d'altitude, au dessus d'Oreilla, juste en face du château d' Evol tout en bas dans la vallée. Celra disparut pour plusieurs raisons dont celle qui s'imposa à la mémoire collective : la peste. De Celra ne restent que les emplacements des quelques maisons au dessus de l'église et les pâtures en dessous. L'église tend ses moignons face au fier massif du Canigou . Cette église mentionnée en l'an 1020 était fortifiée, elle servait encore en 1596 mais fut détruite par les Huguenots au siècle suivant.
Au retour, quand je prendrai mon en cas à l'abri de ses murs épais comme des murailles, je regarderai avec attention les appareillages de pierres et je penserai aux mains de ces bâtisseurs ...il y a 11 siècles ou davantage. Quand les pierres savent parler...elles m'ont raconté...et tout en les empilant de façon parfaite, ces hommes d'un autre âge regardaient comme moi ce magnifique Canigou.


La voûte de l'église de Celra


Les vestiges de l'église


Et son décor




Face à elle, dans la vallée, le château d' Evol 13 ème S (au zoom)
Construit en 1260 sur la ligne frontière définie
par le traité de Corbeil 1258


Sur mon chemin j'ai vu des murettes émergeant de la broussaille, une bergerie, un orri, qui m'ont conté que cette lande désolée bruissait de vie, de travailleurs et d'animaux. J'ai cru entendre le son clair des llosers qui débitaient l'ardoise avec leurs outils, carrières éparses et vieilles de tant de siècles, mentionnées en 1223 déjà.
Murettes de parcelles

Ardoisière

Déco d'ardoise (lichens)

Bergerie

Orri ou cabane de berger


Et toujours le château d' Evol, dans la vallée
Quadrilatère de 40 m de côté
Sur mon chemin je ne suis pas allée jusqu'à la source que j'ai devinée, dommage elle est ferrugineuse.

Sur mon chemin j'ai rencontré quelques arbres rabougris et nus, entrevu des ravins nommés "Comalls" dont l'un porte ce nom surprenant "d'eaux rouges". Sans doute de la couleur de la terre.

De mon chemin j'ai admiré des paysages somptueux.





Pic du Canigou


Souanyas et le Massif du Canigou


Sur mon chemin j'ai sans doute manqué plein de choses : des pierres écrites ou gravées de cupules, il y en a mais plus haut sur les crêtes, je les verrai un jour en cherchant bien. Les dolmens aussi !

Sur mon chemin il paraît qu'il y avait des sarcophages enfouis, j'ai bu mon infusion près d'eux, c'est peut être pour cela que j'étais si bien malgré le froid ? Mais je ne le savais pas.
Il y en a des choses sur un si court chemin....

Sur mon chemin dans la lande désolée, battue des vents et que nulle lumière solaire ne réchauffait, j'ai entendu, sur les crêtes proches, des cris furieux, des sons de cor et des aboiements excités , voilà que la chasse au sanglier me rattrapait ! Partagée entre mon désir de continuer et mon non moins grand désir de ne pas finir en terrine, j'ai attendu que mon altimètre atteigne la côte 1300, symboliquement, pour faire demi tour. Si près des cimes.


Avec quelques regrets. mais je me disais en trottinant d'un pas vif que cette même lande, au printemps, serait un enchantement. Un tapis doré par les genêts avec ce cadre amplement enneigé, lumineux et tiède. Alors oui, je reviendrai. Et je savourerai. A présent que j'ai appris à aimer le parfum répugnant de ces genêts purgatifs, autant en profiter

Genêts et ardoisières.



Un chat m'attend à Oreilla, me fait un brin de causette curieux de toutes ces odeurs de chats (mes chats) que je trimballe sur mes vêtements.
Puis il acère ses griffes , soucieux de marquer son territoire.
Non nous ne te le disputerons pas !




En image : mon trajet vu depuis Souanyas:


Mon trajet : environ 5 km, petite balade
Dénivelé 426 m





3 commentaires:

  1. Ah, la pelade que j’admire tous les jours lorsque je suis Aux Angles, elle est majestueuse et bien singulière.
    C’est notre montagne pelée... très accessible depuis le col de Sansa nous y avons souvent vu des hordes d’isards. La route des Garotxes est pleine de belles surprises avec ses vieilles pierres. Tu as fait un très beau reportage, bravo d’avoir bravé ANA... très belles photos. Les chasseurs t’on épargnée tu l’as échappé belle.... bises Amédine et câlins à tes chats.

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    1. J'aime beaucoup ces Garrotxes et j'avoue que si j'aime très fort la montagne à partir de 1800m, il y a de très belles découvertes à faire plus bas et parfois des circuits ardus qui n'ont rien à envier à l'altitude. Bises à vous deux

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  2. Une belle balade très pittoresque merci beaucoup je me suis régalée j'aime aussi les Garrotxes il faudra y retourner et peut être nous faire la balade 5 kms au printemps c'est faisable . Un beau projet non . Bonne continuation à bientôt dans tes récits en attendant les beaux jours ...bisous

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