samedi 2 novembre 2019

Les Esquerdes de Rotja par La Preste et les Conques (66)


Je dédie ce billet à ma "grande soeur de coeur", Marcelle que j'ai accompagnée au lendemain de cette balade, en sa dernière demeure. sa pensée m'a accompagnée au fil du sentier, elle qui aimait tant la montagne...Repose en Paix, Marcelle...

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Préambule : Les Esquerdes de Rotja sont une dorsale rocheuse séparant la vallée du Tech, (Haut Vallespir) de la vallée de la Rotja (Conflent); ces deux rivières coulent en parallèle à la petite chaîne des Esquerdes de Rotja. Que signifie Esquerdes de Rotja ? Une Esquerda (catalan) signifie (entre autres) entaille, fente, ou écharde. Les Esquerdes sont aussi "une crête rocheuse abrupte et rectiligne, cisaillée d'entailles" (Lluis Basseda).

Voilà à quoi elles ressemblent :




En vue aérienne (Géoportail):

  C'est un cordon rectiligne de 2 km de long, d'une faible hauteur, à 2250 m d'altitude, dont la particularité géologique est qu'elle est composée de remarquables blocs de quartz laiteux, que je présenterai ultérieurement.

Vue aérienne
La randonnée :                                               ....................................................
Pour se rendre aux Esquerdes, plusieurs accès sont possibles
Par l'Espagne et le village d'Espinavell, ou la station de ski de Vallter
Par la France : soit par Mantet et les hauts plateaux, versant nord
                         soit par La Preste, versant sud / est

Je choisis La Preste, parce que je ne connais pas ce chemin-là et que j'ai besoin de nouveauté. C'est plus court aussi je pense.
Je ne regretterai pas mon choix : 66 km de route, le final dans une sublime forêt parée des feux de l'automne (voir article précédent) et ensuite, un parcours pédestre des plus agréables et varié.
Ancienne piste de ski

Sentier dans la hêtraie

Il est 9 h 25 lorsque je quitte la station de ski désaffectée des Conques, 1580 m; une fois n'est pas coutume, je n'ai pas dormi en montagne. Et je déteste partir tard. Je le regretterai amèrement. Mais je n'avais pas le choix.
Un petit sac léger, une tenue estivale en ce 30 octobre, un beau soleil, et c'est parti pour un court passage dans une hêtraie flambante, je suis déjà à découvert au col Baix, 1691 m. Croisement de chemins, le mien est bien balisé c'est  le GRT 78. La montée va se faire en forêt de pins uniquement, à peine un ou deux hêtres maigrichons, étouffés par cette marée vert foncée et sombre. Mais encore si parfumée.

A intervalles, une trouée dans la masse permet de voir le Pic de Costabone, vraie pyramide, à 2465 m. Des chiens de chasse crient au loin, sinon c'est le parfait silence. Un chasseur croise mon chemin, ce sera un des deux humains du jour. Sa gibecière est vide, aucun lièvre à l'horizon.


Le Costabonne et la forêt  dans laquelle court le sentier

Détail: les prairies de l'Ullat

Ce versant sud est constellé de sources, un tuyau suit mon chemin comme un fil d'ariane.
J'émerge de cette forêt très odorante, dans une clairière, le Pla de las Eugues (Egua = jument) 1841 m, j'en profite pour une petite pause et une mauvaise manip' va perturber mon appareil photo. Je passerai le reste du trajet jusqu'au sortir de la forêt à tenter en vain de le configurer. Par chance j'ai toujours un de secours en mon sac. Mais je vais perdre beaucoup de temps, ce temps me manquera au final.
Je replonge donc en forêt pour une sévère montée, où je rencontre un petit col joliment gardé par une tête de mort gigantesque et une grande baie non vitrée bien cachée dans ce chaos granitique. Avec le pin, le granit est l'autre élément du décor. Et le granit sait prendre de jolies formes.




Le col (1954 m) franchi, la montée reprend, la forêt s'estompe doucement et une pelouse d'altitude, fort inclinée, comme un couloir me ramène dans une forêt clairsemée (où enfin je réussis à reconfigurer  mon APN). J'aborde aux étendues dénudées de l'immense Ras del Garber (Garber = gerbe ou gerbier) (2100 à 2200 m). C'est un plateau d'altitude, en pente douce, où le granit en gros blocs cède le pas au blanc et brillant quartz laiteux. Géologiquement, cette formation de quartz qui émaille les immensités de ces plateaux date de - 270 millions d'années. Le socle granitique s'est fracturé et s'est injecté de quartz. Plus résistant que le granite - au fur et à mesure de l'érosion le granit disparaît - le quartz émerge, en aiguilles et en relief déchiqueté. Le bleu du ciel s'est rapidement fait dévorer par la grisaille et je n'aime pas .
Ce plateau est constellé de sources, certaines captées par les bergers.



Arrivée au ras del Garber (gerbes, meules)
Quand on voit ce qui y pousse....

La pierre d'ici : granit et quartz (à gauche)


Source captée

Un des ruisseaux nés un peu en dessus



Quelques vaches encore en altitude, et Costabonne


Esquerdes, au zoom


Taillé et poli par l'érosion



C'est saisissant de marcher sur un sol blanc couleur neige, au milieu de rochers si bien taillés, polis et lustrés comme marbre qu'il paraît impossible de croire que seule l'érosion en est le maître d'oeuvre!

 Le plus étonnant c'est que mon village à 2000 m en contrebas et à  41 km de distance à vol d'oiseau est doté d'un énorme spécimen dont une infime partie émerge du sol. Comment ce monstre minéral a t'il atterri ici ? Par quelle puissance a t'il été propulsé ? On le nomme "Pedra Lluina" (la pierre luisante) et des légendes venues de la nuit des temps s'accrochent à ce rocher.

En 1er plan vaste bloc de quartz

Là je rencontre le second humain de la journée; ma présence le surprend, il me prend pour une farfelue irresponsable, je le vois bien, je suis en tenue d'été! Il me met en garde contre la brume qui rôde sur le Costabonne, ses dangers, ma vêture trop légère (il est engoncé dans des couches de vêtements et a un énorme sac) et me répète "Ne vous attardez pas, couvrez vous, avez vous une boussole ? Cap 120, n'oubliez pas, la brume arrive!". Il me file le "bourdon". Je trace jusqu'au col des Ayets 2234 m, un coup d'oeil sur les Esquerdes, un coup d'oeil sur la vallée de Mantet et je fais demi tour. Le temps est vraiment scindé en deux : bleu au nord, noir au sud.


Portella des Ayets :déformation d'avets ?( sapins)
2234 m
Vue plongeante au nord sur l'automne en Conflent

 Puis je me ravise, la brume ne bouge pas, le vent léger la contient, je mets mon léger coupe vent et je file aux Esquerdes. Certes je ne les parcourrai pas en entier, mais au moins un morceau, aller me colleter à ces roches blanches et effilées que j'aime tant.

En route vers les Esquerdes : Cami ramader (chemin de transhumance) de Campmagre
au Pla Guillem, je vais grimper sur cette crête. En fond, Costabonne

Et c'est parti pour le moment ludique du jour, de la varappe sur l'arête. Oh elle n'est pas bien haute, juste quelques mètres de part et d'autre, mais c'est si amusant ! Qu'il y ait 10 m ou 500 m de chaque côté ne change rien à l'histoire, la chute serait aussi brutale et aussi brève dans ce relief fait de blocs et la peur du vide, je ne la connais pas, donc je m'amuse avec prudence. En regrettant le vide que j'aime par dessus tout.


Morphologie de l'arête



Mon coupe vent est assorti à la roche : soyons à la mode !



Assise sur le fil 

Et le fil ici, c'est ça ! Oh le confort...


Les esquerdes, ce sont des brèches




ou des aiguilles
Petite cette arête, je veux dire pas haute, mais bien accidentée quand même


Le Costabonne fait grise mine, au sud le ciel est noir, au nord, grand bleu, je suis sur une frontière, zone blanche où je me ris de tout. Mais je reviendrai, un jour,  par le même chemin. Je reconnais tous ces paysages aimés et familiers, ce vaste espace privé de végétaux ..euh, presque !


Féerique côté nord !
J'y étais cet "hiver", sous un froid sibérien dans la plus vaste des solitudes et le plus parfait des bonheurs.

Un printemps au goût d'hiver, mai 2019
Comme c'est étrange...c'est bien le bonheur parfait qui m'habite encore, ici. Pourtant je suis triste, ma "soeur de coeur", mon alter égo avec 20 ans de plus, Marcelle, que j'aime tant, vient de mourir. Demain j'irai l'accompagner et le chagrin m'habite, mais il trouve du baume dans cette vastitude désolée où je n'ai pas froid  Je suis obligée de descendre, la brume c'est quand même ma hantise et je prendrai mon repas sur le GR où je serai en sécurité.

La brume m'a laissé le temps





La forêt reprend ses droits 

Etonnant rocher, étonnant sapin
voisin sde la tête de mort





Justement je mange en compagnie: ma grosse tête de mort me contemple de ses yeux caves et dans mon dos, bien cachée (il faut de la curiosité pour la débusquer) une fenêtre veille sur le monde. Un monde figé, qui attend la pluie ou la brume ou l'orage, et où soudain, des oiseaux de printemps se mettent à siffler et chanter. Une forêt enchantée assurément. La brume;là haut, habille les Esquerdes, j'ai bien géré mon temps, au final.













Le retour est une formalité, je vais juste varier le chemin et descendre la piste de ski depuis 18 ans désaffectée (Je conterai sa brève histoire).


Au bord de la piste de ski



Comme dans un match, je vais jouer les prolongations, prolongation de montagne et prolongation de repas. Sur une piste peu carrossable, normalement interdite, mais comme aucun panneau ne le précise et que la barrière est ouverte, j'y vais. Pourvu qu'un individu bien intentionné ne m'enferme pas ? Cela ne me coupe ni l'appétit, ni les jambes. On verra... Et tout se termina bien...Puisque me voilà!


La piste et ma voiture dans la fenêtre
ouverte vers l'est (ou une entrejambe de granit)
En chiffres : 
Distance 8 km AR
Dénivelé : 665 m
Route: 130 km AR

Trajet aller retour 




4 commentaires:

  1. Mais quel beau paysage! Un resourcement garanti et tu as gardé ta mine radieuse.Didier.

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    1. Merci Didier ; sais tu que de temps en temps je relis notre périple à Troumouse, j'en ai besoin pour le rêve. Tu m'avais dit que j'y penserais longtemps. heureusement il me reste cette trace écrite. Ah ma mine radieuse...La montagne est ma source de vie. Bises, Didier..et tu le vois : ça gazouille

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  2. on oublie trop facilement la beauté des paysages de la france merci pour ce beau voyage

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    1. Je sais et je m'en repais de cette beauté simple, à chacune de mes sorties, à pied ou en voiture

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