Cela se passe dans les Pyrénées Orientales, entre Lesquerde et St Paul de Fenouillet, au-dessus de la Clue de la Fou. Où coule l'Agly.
Il fallait bien que j'y retourne, pour essayer sinon de la finir, du moins d'en parcourir un morceau supplémentaire. Je n'aime pas l'inachevé, les points de suspension.
Vue du ciel (enfin de la montagne d'en face) 22 décembre 2020 |
Face nord |
Sachant que la difficulté, donc le danger, monterait d'un cran, j'ai mis le casque. Certes cela ne protégerait qu'une petite partie de ma personne...mais l'essentielle, fallait espérer!
Face sud |
En tout cas, j'en suis revenue puisque je raconte; ce fut à la mesure de mes craintes: très compliqué. Ce fut à la mesure de mon imaginaire, je ne suis pas allée trop loin, les dents se sont refermées sur moi, cela allait au delà de mes compétences, le danger dépassait mes capacités, la prudence m'invita au demi tour. Je suis venue, j'ai vu, je n'ai pas vaincu, mais j'essaierai encore une fois, pas par cette extrémité là.
Et depuis le fil, en jaune le lieu où j'ai du m'arrêter |
On me dira (et on me dit déjà): "qu'est ce que ça peut t'apporter d'aller grimper des murs de roche au risque de te rompre les os?". On me dira aussi : "C'est de l'esbrouffe ? Tu veux te faire remarquer ?" Certes là où je vais je ne rencontre personne et si je le partage, ce n'est pas par forfanterie mais pour le plaisir de dire à un lecteur virtuel que je me régale car dans mon entourage proche, personne ne peut comprendre, ni même m'entendre. Et j'ai gardé une âme d'enfant, ce que j'aime, qui me plait et me passionne, et bien je veux en faire profiter mon entourage, fut il virtuel.
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Dans ce récit je décrirai très peu la montée en varappe, car, en escalade ou en varappe, il y a peu à raconter : c'est lent, c'est le nez dans la roche et "pauvre" en récit.
Par contre, faire découvrir l'univers fascinant de ces reliefs où personne ne va, c'est plaisant, car c'est un véritable paysage, que l'on ne voit que dans un ensemble dénudé, agressif, monotone, sans fantaisie, vu d'en bas. Vu de l'intérieur....ah....quel décor !
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Donc ce matin, petit créneau météo, la pluie est annoncée, je file vers ma falaise, 56 km plus loin... 10 h 27, je démarre à pied, 13 h 07, je suis de retour, la passion m'a faite partir à jeun et faire tout mon périple sans boire, ni manger, ni même en ressentir le besoin. Pourtant c'est physique et épuisant....Mais j'étais dans un autre monde. Celui où le corps est un instrument, un moteur, désincarné...Celui où le mental est le carburant.
Un après midi de décembre, en attendant mes amis, j'étais partie en reconnaissance et avais grimpé la muraille jusqu'à la crête. Donc ce chemin m'est facile à retrouver. J'avais découvert un petit escalier de bois, tout vermoulu, dont je ne comprenais pas la présence, à présent je sais. De même pour le petit sentier qui le prolonge. Ce panneau, un peu rigolo, me l'explique.
Arrête ou arrêté? Moi, je ne compte pas arrêter d'arêter |
Mon escalade à moi, au sortir du sentier sera un long mur de roche, plus ou moins incliné, que je choisirai de préférence au long ruban d'affreux éboulis. Me voilà en haut, 357 m, je suis un peu moins leste qu'en décembre, peut être suis-je davantage lestée...Quelques kilos de trop !
Le défilé de la Clue de la Fou creusé par l'Agly |
Le mur que je grimpe, l'Agly et mon véhicule |
Montée du long mur facile |
110m de dénivelé et 29 minutes : j'arrive sur l'arête effilée. Temps maussade, hélas
En face, Serre de Maury. Village, St Paul de Fenouillet, 66 |
L'arrivée là haut est toujours une émotion, non pas pour le vide brutal mais pour la beauté du site. Pour refaire le même trajet, je pars d'abord à droite, je veux me percher sur l'éperon, revoir le "salto del caballo" si effilé . J'ai oublié cette brèche si étroite que je franchis prudemment, un pied de chaque côté avant que de me tourner à 180° pour grimper l'autre face. Me voilà au bout. Dans mon dos, la grande via ferrata, face à moi, la grande via non ferrata qui m'attend. Et à ma droite, le grand vide brutal et magnifique, sans qui une arête ne serait qu'une douce crête. C'est que je l'aime par dessus tout, le vide.
De part et d'autre de la brèche qui plonge ensuite dans le vide |
Le vide |
Le mince salto del caballo donnant sur 200 m de vide |
Le voilà, le vide, à la verticale du "salto" Les bâtiments ? Les anciens thermes rénovés |
Arête effilée du "salto" |
Joie au sommet, dans mon dos, la via ferrata |
Et dans mon dos, là où je veux aller |
Retour sur mes pas. Le nez dans la désescalade je fais des découvertes. Dans les petites fentes des rochers, je découvre des plumes, des escargots et des ossements de petits cadavres : oiseaux ? mammifères ? C'est riche !
Petit cimetière dans les fentes |
Plume de vautour ? |
A présent le parcours nouveau va commencer. Je ne suis pas très à l'aise sur mes deux pieds, ce matin, mais cela passera vite. Le trajet, dans ce type de terrain, n'est qu'une longue et lente approche. Il faut chercher la voie, rebrousser chemin parfois, scruter pour choisir, évaluer, s'engager, cela met en mouvement toute une batterie de capacités, et j'aime ça : calculer, réfléchir, choisir, s'aventurer. C'est difficile. Plus facile que l'escalade, en apparence, puisqu'il n'y a pas la verticalité de la falaise, ni la cotation des difficultés de l'escalade. Il suffit juste de trouver les prises et, comme en escalade, tirer sur les bras, se propulser avec les pieds, répartir le poids de son corps en souplesse et délicatesse pour ne pas trop peser sur une prise, enfin c'est instinctif. Donner aux mouvements quelque chose de félin. L'extraordinaire c'est que malgré mes kilos, mon corps devient léger, léger....Ce n'est pas le cas en randonnée.
Prise |
Varappe |
Fine prise |
Ce qui est plus difficile qu'à l'escalade, c'est que je ne suis pas assurée, donc, la seule chose d'assurée, c'est la chute sans appel, sans freinage, et cela il faut à tout prix l'éviter. Les prises peuvent lâcher, parfois il faut "nettoyer" la paroi, enlever un ou autre roc instable, la vigilance est le N°1 de ce type de sport. J'aime cette concentration intense, j'aime loger mes doigts dans de fines fentes ou cavités, tirer dessus pour éprouver la solidité, je me sens un mental solide, cela fait du bien à toute ma personne. Je trouve cette activité très complémentaire à la randonnée, cela permet à mon corps vieillissant de garder du tonus, à mes articulations de conserver une grande mobilité; il me faut faire des enjambées parfois très hautes, des grands écarts, ce que mes 70 ans passés ne permettent généralement pas.
Posture en souplesse |
Je ne ressens aucune douleur, toutefois mes tibias portent des bosses aussi indélébiles que les bosses de cette falaise! Une friction d'arnica de ma fabrication et ça repart! La peau des mains est abrasée par ce calcaire mais pour rien au monde je ne mettrais les gants, il me faut ce toucher de la roche.
Erosion creusée et alvéolée |
Calcaire abrasif |
Dans les alvéoles, boues du Sahara |
Et les ongles...ah les ongles....ils sont passés au ciseau avant mon départ, j'ai laissé seul le pouce avec sa parure : il n'a pas fait long feu, en pleine ascension, j'ai tiré les ciseaux du sac et passé le malheureux à la toise. Les ciseaux sont indispensables à telle acrobatie.
Et le décor ?
Altitude 314m qu'est ce qui a pu le rendre si biscornu ? |
Se frayer un passage là au milieu |
Toujours surprise de rencontrer ces grands arbres (chêne vert) |
Pas difficile à monter, multiples voies |
Celui ci j'ai du le traverser |
Mon préféré, style bonzaï |
Une rencontre: une grotte! Au moment où je me disais "peut être personne n'est venu ici" je découvre cette grotte qui me répond "Faux !!" En effet un tube de métal gît sur le sol. |
Mais on trouve aussi des couloirs encombrés de terre, rocs et arbustes, ils sont utiles quoique peu carrossables. Ensuite il y a des "cheminées", saignées dans la muraille, qui servent aux ruissellement des pluies et sont une bonne voie pour grimper si elle est en bon état. Ici, c'est catastrophique : encombrées de rocs instables, de terre , voire de végétaux, elles sont plus dangereuses qu'un bon mur bien solide. Aucun "randonneur " n'est passé ici et ne les a "nettoyées". C'est une cheminée qui aura raison de mon parcours. Ces reliefs furent déforestés au 19 eme siècle, je raconterai comment à la faveur d'une autre escapade.
Des couloirs, des cheminées, des vires, des taillis inextricables des arbres cramponnés aux murs |
Mon chemin n'est pas rectiligne, il me faut chercher la voie, celle où je passerais si j'avais 20 ou 30 ans de moins et qui m'est interdite, je dois donc en trouver une autre, mon âge est une limitation certaine, hélas....Je rebrousse chemin et tente ma chance à côté. Des chemins de chèvres, marqués par leurs traces, sont de bonnes voies, elles suivent les arbres, d'étonnants arbres, énormes, dans ces murailles. Parfois, comme elles, je dois les traverser, incapable de les contourner. Finalement, de demi tours en ébauches de parcours, une cheminée aura raison de mon périple, trop sale, trop délitée, en un mot, danger ! Je ne suis pas déçue, je suis allée au bout de mon possible. Je fais donc demi tour, à environ 430 m,
Je désescalade la paroi rocheuse, peinant à reconnaître mon chemin aller. L'ai-je vraiment emprunté? Vers le bas, je réalise que je ne peux continuer. Alors je remonte, je sors la corde du sac, la passe en double autour d'un solide genévrier incrusté dans la roche et je descends. C'est plus compliqué que je ne le croyais, en fait c'est la plus difficile de toutes mes descentes, elle eut vraiment nécessité un rappel mais tant pis, on fera sans et si l'atterrissage est un peu brutal, il sera sans dommage.
J'ai essayé plusieurs voies et suis arrivée à la cheminée (rond jaune) Descente par la vire pointillée puis à la corde sur 8 m, atterrissage au pied des arbres |
J'aime, descente sans rappel. 8 m |
Puis je vais m'offrir une bonne crise de fou rire : j'emprunte un couloir rocheux et végétal pour descendre, vierge de mon passage aller. Je m'accroche à un arbuste sans remarquer qu'il est mort et me voilà catapultée au sol, le casque résonnant de la chute de l'arbre, coincée sur les fesses entre des rochers, le dos confortablement calé par mon sac empli de corde, sous un couvert végétal épais, entre deux murs de roche, incapable de me relever, à la manière d'une tortue ! Vais je devoir me dévêtir ? Je ris en gesticulant avant que de réussir à re devenir bipède. Le reste ne sera plus qu'un jeu d'enfant, je peux à nouveau m'intéresser au paysage, laisser courir mon regard au loin, abandonner la concentration mais pas la vigilance: les éboulis , en descente, sont des vauriens : soit ils vous propulsent trop vite, soit ils vous expédient un gros roc dans les tibias. Comme dans un torrent liquide, il faut choisir la force du courant.
Descente en désescalade |
Descente comme on veut et comme on peut |
A propos de courant, à peine arrivée sur la route, je m'aperçois qu'un ruisseau dévale très vite, consécutif aux dernières pluies. Je plonge mes mains, j'en suis sûre, l'eau est chaude ! Ces falaises calcaires, brutales et violentes sont un réservoir d'eaux thermales et, de ce pas, je m'en vais à la rencontre de toutes ces sources sauvages que mousses, algues et joncs signalent, en plus de leur mélodieuse chanson de ruisseaux pressés de rejoindre les eaux glacées de l'Agly. Fascinante Clue de la Fou dont je ne sais me détacher...Et comme, en bas, tout finit en eau, sitôt arrivée au camion, l'eau du ciel se précipite à ma rencontre. Je vais pouvoir manger tout mon soul, en musique. Je m'aperçois que je suis à jeun. Il est 14 heures.
Courant d'eau chaude |
L'Agly à la Clue de la Fou |
Quelques chiffres
Altitude mini : 247 m
Altitude maxi : 430 m
Distance totale avec la balade des sources :2.56 km
La route : 56 km aller
Toujours un plaisir de lire tes articles.....un dépaysement, une légèreté , une sensation de manger un bon gateau.... merci merci et surtout continue à nous faire voyager ...
RépondreSupprimerMerci cher(e) inconnu(e) fidèle toutefois à ma prose et ça donne envie de continuer. J'adore conter !
SupprimerJe sens que tu te régales dans ces falaises aussi belles qu’escarpées, un décor qui fait rêver, un récit pétillant et des photos toujours bien cadrées tout est réuni pour passer un bon moment en te lisant. Merci.
RépondreSupprimerPendant ce temps, enfin le temps de ton message sans réponse, j'étais déjà dans d'autres falaises. A Nyer.
Supprimerbon ,c'est pas les dents de la Mère , mais presque ! blague mise à part , superbe
RépondreSupprimerque dis tu...c'est pas sot, ma mère fut très mordante jusqu'à il y a peu et j'y ai été très confrontée à son mordant, elle a 91 ans bientôt. Et c'est marrant je lui disais ce matin "je crois que tu m'as donné le goût de la grimpe, tu m'as tellement portée sur ton dos, petite, dans ces sentiers escarpés pour aller aux jardins de la montagne"... Alors tu as vu juste !!
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