11 h 30, je bats la semelle sur un altiplano battu des vents, mais par chance, fort serein aujourd'hui sous un ciel bleu intense et un soleil automnal, doré. Pendant une heure je vais ainsi arpenter un petit territoire à la recherche d'une pierre que je ne retrouverai pas. Justement parce que les pierres ne manquent pas et que, forcément, je manquerai la cible. Mais comme je cherche aussi et avant tout, si d'autres roches ont ce caractère là, j'ai de quoi aller venir, monter, descendre, en me fixant pour limites la trajectoire que j'ai suivie voilà deux ans et demi et qui m'a faite passer juste devant cette roche.
Le site se partage entre quartz laiteux et granit, donc, déjà, j'exclus tout ce qui est quartz, malgré son éclatante beauté. J'ai lu quelque part que des sites néolithiques pouvaient se trouver sur ce plateau, donc je cherche d'autres "vestiges", soit d'autres roches aussi étonnantes. Ma quête est semi récompensée car je trouverai d'autres roches mais pas aussi "travaillées", j'en conclus que le néolithique n'y est pour rien et que sans doute l'érosion des glaciers en est le facteur. Quant aux yeux caves de ma roche si savamment taillés, peut être un lointain berger y a t'il trompé son ennui en les recreusant...Allez, rêvons donc, je ne suis pas archéologue .
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A la recherche de la pierre aux yeux caves |
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Tout a commencé ce matin à 8 h 03 précises ! Altitude 1560 m. Mantet. Je quitte ma roulotte à moteur, petite mais douillette, pour m'enfoncer dans un matin blême et froid dans une vallée (Vallée du Rec dels Clots) dont je sais quatre choses : elle est sauvage, isolée, glaciale et profondément déserte, aucun touriste n'y va, sinon un ou autre berger l'été. Je l'ai parcourue en un matin encore hivernal, le sentier est peu tracé. Je me trompe cette fois encore au départ, traverse un minuscule enclos où un cheval solitaire pourrait me gratifier d'une ruade, il n'y a quasi pas de place pour nous deux, mais il est sympa, sinon accueillant, je traverse un grand pré ou paissent de blancs équins, en me glissant sous les clôtures et enfin, après avoir escaladé deux ou trois terrasses abandonnées je retrouve le chemin, une piste qui conduit à la station de pompage. Un joli écureuil noir croise ma route dans les noisetiers, j'ai froid dans cette ombre sombre, je ne verrai le soleil qu'à 2140 m j'ai donc le temps de me geler .
Le départ du "vrai" sentier est invisible, je le connais et je le cairne. Là je n'ai plus qu'à suivre, cette fois ce sera balisé jusque très loin, les chevaux ont dévalé le parcours au pas de course et déposé un tapis de crottin moelleux et sec, c'est donc le Sentier du Crottin. Ce sentier austère traverse une première jasse dont je verrai sur Geoportail qu'elle héberge un vaste cortal (je reviendrai).
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Rares trouées paysagères |
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la première jasse: 1685 m et 2.08 km |
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la jasse et son cortal |
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Vue d'en face (retour de rando) |
Puis le sentier oscille en forêt, zigzague, sur des moraines, en traversant des cours d'eau (Correc del Ferrador, Correc dels Orriets, Correc sans nom), en grimpant allègrement, sur 3 km et 475 m de dénivelé. J'en dresse le portrait très précis sur mon carnet. A 1778 m, le froid devient plus vif, la gelée blanche décolore le sol, un oiseau de proie s'envole à grand bruit.
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Dis qui es tu ? Si beau, on dirait un palmier |
Quand je rencontre le Rec dels Clots, petit ruisseau bondissant, le sentier prend une orientation nouvelle et va le suivre, remontant son trajet et sa pente sévère. Le croisant, le suivant, il fera partie du paysage jusqu'à la grande jasse où il est quasi à sec. Un ruisseau "inversé", plus on s'élève plus il est sec.
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Rec dels clots, le sentier tourne brusquement (1800m)et va grimper très fort, désormais ce sera l'axe du torrentjusqu'au cirque à 2140 m |
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Rec dels Clots |
La grande jasse, à la Mala Girada, est la dernière, où on voit encore la trace du chemin qui conduisait le bétail à l'enclos.
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La grande jasse sous la gelée blanche: 1950 m |
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Ancien chemin de bétail |
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La ligne du chemin des animaux : vue aérienne Géoportail |
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Le sentier vers le cirque |
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Le sentier, toujours visible, marqué par des coupes à la tronçonneuse arrive enfin près de son terminus; le cirque ensoleillé en partie, devient tangible, je grimpe pour le fun l'escarpée moraine frontale et peux enfin m'asseoir au soleil pour prendre des forces
Le cirque de Pomarola version géoportail
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plan large du cirque de Pomarola |
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Le cirque de Pomarola, vue aérienne |
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Version hivernale |
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Premier aperçu ce matin, je suis toujours dans l'ombre sombre |
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Première et unique couleur |
Car à présent, je ne veux plus de sentier, je veux grimper le mur de plus de 150 m qui me fait face. Je fais mon "marché" : où grimper ? Mon mur de neige de 2019 est un infâme chaos de goulottes et blocs, un fouillis minéral rébarbatif, si doux en neige...
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Version printemps |
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Version été : quel fouillis! |
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Version hiver
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La muraille est inabordable, un couloir caché derrière une diagonale sera mon choix mais sitôt sur le terrain : faut l'oublier ! Les massifs de rhododendrons logés dans le chaos rocheux sont autant de pièges. Une voie royale s'offre à côté, un long et escarpé couloir d'herbe et dalles, facile techniquement mais énergivore. Je n'en voulais pas pour le mystère du passage caché. Je vois diminuer rapidement ma terrasse au soleil et pas davantage qu'en bas ne verrai de trace de la Cabane de Pomarola. La photo aérienne est peut être plus explicite.
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Ce sera donc ce couloir: vue vers le haut |
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Vue vers le bas, tout en bas au centre le roc où j'étais perchée |
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Vers la sortie |
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Entre les murs |
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Massif du Canigou |
En haut, 2304 m, c'est le versant pente douce du plateau, émaillé de rocs et de sapins rabougris; forcément, là haut, c'est une "toundra" en hiver!
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Sortie du couloir: la vallée d'où je viens |
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La Toundra catalane |
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Gra de Fajol montrant son nez |
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Gra de Fajol |
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Pic du Geant, comas de la Dona et de Bacivers |
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Pic du Géant |
Un léger mouvement en coin de ma vue m'attire, c'est un cerf qui m'a vue ou sentie, le vent léger joue en sa faveur. Image médiocre, il se cache vite. Mon but est à présent de retrouver "les yeux caves de Pomarola".
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Bien à l'affût |
Je me souviens d'une grande barre rocheuse de quartz qui avait abrité mon repas surgelé en mai 2019.
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Que j'avais froid !! |
Je me trompe de barre, ne reconnais pas les lieux mais je cherche et trouve de nombreuses dalles de granit émaillées de cuvettes.
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La première barre de quartz |
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Sur la toundra automnale |
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Les cuvettes |
La 2nde barre, "la mienne" est une magnifique arête de quelques mètres de haut, étincelante, mais je n'ai pas envie de manger de l'arête ce matin, mes jambes sont lourdes et lasses. Je vais donc passer une heure pleine à chercher, tout en me repaissant du silence, de la solitude et de la beauté du paysage, beau même si fait de douces et moelleuses collines qui conduisent à des bassins de réception de nombreux ruisseaux.
En images : je la trouve splendide
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Bloc de quartz |
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Granite |
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Même chose |
De guerre lasse, je me dirige vers le bassin de Campmagre, ou de nombreux ruisselets frangés de glace conduisent à former le Rec de Campmagre, ravin bondissant et cascadant.
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Bassin de Campmagre |
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Très vite un conséquent ruisseau se forme : el Rec de Campmagre |
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le cours du ruisseau |
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Cours du ruisseau vers l'aval |
C'est là où je pensais la recherche finie que je vais faire mes plus belles trouvailles : ce "visage" que je regarde droit dans les yeux va enfin m'expliquer, par son regard, le mystère des yeux caves du site. Corroborée par la présence immédiate du ravin, l'explication tient en deux mots, érosion glaciaire et eau, sur une morphologie granitique faite d'inclusions plus ou moins dures...Ce que je trouverai ensuite confirmé par un texte publié en 1975.
Cet ouvrage consacré à la Limagne, bien loin d'ici, contient la clé de ce "mystère " géologique.
Limagne : plaine au centre de l'Auvergne
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Oups, tu me donnes mal à la tête avec tes histoires !! |
Mais il n'y a pas que des yeux caves, voilà que je trouve un appendice bien cylindrique, de style tenon alors que les yeux pourraient être mortaises.
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Style tenon |
Bon la montagne ça fait réfléchir parfois !!
A peine plus loin, je tombe sur les vestiges d'une forge à bras médiévale (elles sont 12 eme ou 13 eme Siècle), ma 5 eme ou 6 eme de ce type en des lieux différents. Altitude 2288 m, ce qui signifie qu'outre les quartz blancs et les granits il y a aussi du fer, mais bien discret celui ci car je n'en vois pas la moindre trace.
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Sur bloc de quartz débris de cuisson de la forge |
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Echantillons ramenés |
Ma journée est fructueuse. La prochaine forge, sur ce sentier, je la sais à 2078 m, mais d'autres ont du échapper à mon regard fureteur.
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La suivante |
Il n'y a aucun sentier et la descente de ce Rec de Campmagre est assez escarpée, le ruisseau cascadant à souhait. Je ne veux pas finir ainsi ...
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Panoplie bovine incomplète |
Alors je louvoie, j'ai déjà emprunté ce tracé, et j'arrive à la confluence avec le "rec" voisin, la Ribera del Callau, ensemble ils vont en direction de Mantet, cueillant au passage à 1950 m les eaux vives du Forquets pour se réunir en un nouveau nom : le Ressec. Qui à Mantet, encore enrichi d'eaux, venues de tous ces bassins de réception des hauts plateaux, deviendront le Mantet. Banale et riche histoire d'eaux de montagnes...
En attendant dès que je rencontre le sentier "civilisé" non balisé, ni cairné et si peu fréquenté, je fais la pause repas, il est 13 h.
Abritée du vent glacé, je fais face à un énorme sabot rocheux, in-grimpable, qui héberge un vieux et maigre sapin et un vestige d'abri.
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Le sabot de granit, vase à fleurs du sapin |
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Inscriptions anciennes euh... végétales |
Ensuite ce sera une descente tranquille de 6,35 km, paisibles, 475 m de dénivelé, déserts ...ben voyons !...si ce n'est un énorme taureau solitaire dont j'essaie de ne pas attirer l'attention.
Descente en forêt, agréable, sympathique, avant de rejoindre le Mantet et sa nouvelle passerelle, de glaner au passage deux cèpes, avant d'attaquer la souple montée finale, Mantet clôturant toujours ses randos par une grimpette...
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C'est l'automne |
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Entre ces deux lignes de montagne, la vallée que j'ai parcourue ce matin : Rec dels Clots |
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Vallée du Rec dels Clots, bien cachée |
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La passerelle a été refaite |
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Eglantier nain des montagnes |
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Cèpes |
Et alors !! A la maison en regardant mes photos de 2019, je comprends tout et surtout ma bêtise : la pierre aux yeux caves était...ailleurs, juste AVANT ma barre rocheuse, en dessous du Cim de Pomarola, et non APRES... Sotte que je suis, et bien je reviendrai....Voilà ce qui arrive quand on fonce sans réfléchir....
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Carte postale de Mantet |
En chiffres
Distance : 16 km
Dénivelé positif cumulé : 950 m
La route :150 km AR
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En rouge, trajet En jaune, zone de recherches En bleu, le site de la pierre |
Merci pour ce merveilleux voyage, encore un de plus BB
RépondreSupprimerEt pas le dernier assurément; il me reste encore u n chemin hors du monde à faire à Mantet
Supprimerjolie balade. La quête... c'est joli, bien raconté (comme d'habitude) et plus à ma portée d'où un réel intérêt. J'aime beaucoup le secteur où s'enfoncent quelques unes de mes racines. Quel courage, seule dans cet univers. Bravo Amedine.
RépondreSupprimerCe n'est pas du courage, j'ai du être un enfant sauvage dans une autre vie car je me sens chez moi dans ces lieux perdus et désolés au charme certain; ils me donnent simplement froid dans le dos à postériori, bien peinarde chez moi. Mais j'en redemande, alors c'est ça, ce doit être mes racines. Pour faire écho en clin d'oeil aux tiennes. Allez à de prochaines aventures dans tes racines. Décidément ce Conflent me plait
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