mardi 16 novembre 2021

Fuilla - 66- Pas à pas à Sant Père, entre terre et eau

 Conflent : Chapitre 4

Quand on connait le secteur de cette montagne austère et aride on imagine mal qu'elle soit dans la commune de Fuilla si agréable, riante et douce. Fuilla, 3 villages en un, des rivières, de l'eau, des champs de pommiers, rien à voir avec ce relief. Et pourtant, à partir du Ravin dels Horts, en direction de Villefranche du Conflent, c'est Fuilla.

Murettes et terrasses

Sant Père, ça y est, j'y fais mes premiers pas, selon la méthode d'exploration que j'ai adoptée.



Le secteur visité cette fois sur le versant Sant Père (en bleu le mas point de de départ)

D'abord, en cet après midi gris et tristement automnal, je vais essayer de trouver la suite et la fin du Rec Nou, donc je me rends directement là où je lui avais faussé compagnie au Chapitre 2 de mon "voyage". Au lieu de tourner à gauche direction le ravin , je vais à droite, je pensais trouver un sentier, rien du tout : tout est démoli, encombré, éboulé, mais le tracé est visible car il suit un beau mur sans fin; il n'y a plus qu'à suivre le mur et ouvrir les yeux, en se faisant piquer bras et jambes à souhait. 

La déception fait vite place à l'exaltation : il faut fouiller le terrain, quelle aubaine.

Dans ce mur, il y a un abri, qui ouvre direct sur le canal, se faufiler à 4 pattes, ignorer les draperies de toiles d'araignées et contempler l'oeuvre d'art qu'est la coupole en pierres. On ne tient pas debout, il y a juste de la place pour deux, le paysan en faisait son abri par averse soudaine ou orage brutal.


Verso

Recto



La coupole du toit



Espace restreint

Porte d'entrée qui ouvrait sur l'eau

 Un peu plus loin, un éboulis a enseveli le jumeau de cet abri. Je le vois parce qu'un orifice dans la terre me permet de passer ma lampe, je suis au niveau du faîte de la coupole, tout est plein de terre. Je m'étonnais de l'absence d'abris...Et bien il y  en a.


Cet orifice dans cet éboulis

Cache le sommet d'un abri : on devine la coupole

Soudain le canal disparaît et pour cause, il n'y avait plus rien à arroser: la zone cultivable stoppe net dans roches, falaises et éboulis. Alors le vaillant petit canal faisait un coude à angle droit et distribuait ses eaux dans les terrasses au dessous par une série de conduits en pierres et de sauts de terrasse en terrasse jusqu'au moment où des terrassements modernes l'ont détruit.

Le tracé du canal au pied du mur

La fin du Rec Nou

Vestiges : un broc





De terrasse en terrasse


                                                                                          
Chemin d'eau toujours, en terrasse





Et il se perd à l'aplomb du mas


Avant de l'abandonner à mon tour je reviens par son chemin d'eau au ravin dels Horts, où il franchissait à gué le torrent juste pour admirer ses derniers vestiges remarquables. D'abord ce morceau de son cours originel encore visible, ensuite la falaise au flanc de laquelle il dut passer : falaise entaillée par les hommes, ruisseau étayé de murs de soutènement splendides; hauts, solides, une vraie architecture de montagne. Je ne m'en lasse pas.


Le seul tronçon originel visible


Le ravin coule entre ces deux falaises

La falaise rive droite


La falaise rive gauche qui reçoit le canal 
On remarque une résurgence en falaise (et une grotte ?)


                                 
Passage en falaise

                                                               
Mur de soutien, immense et superbe



Le gué, en provenance de Pomerjana



Petit clin d'oeil venu de la vallée

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A présent je peux me consacrer aux terrasses: en dessous du canal les 5 ou 6 étages recevaient l'eau et abritaient des cultures de fruitiers et sans doute de végétaux ayant besoin d'eau . Les sols sont pauvres mais devaient être fumés aux matières animales. Des squelettes de fruitiers et des oliviers sont encore visibles. Et la vigne, indispensable, où était elle ? Je n'ai pas vu de vestiges, pourtant c'est vivace. Sauf si elle était en "plant direct" donc détruite par le phylloxéra.


Ancien fruitier

Le passage du ravin vu des terrasses du bas

Vestiges d'oliviers


Les terrasses du dessus, sur 5 ou 6 étages, recevaient des cultures dont il ne reste nulle trace. Céréales sans doute.



Quelques effondrements

Le point commun, c'est l'édification des terrasses, leurs murs, les accès remarquables de l'une à l'autre. Ne serait ce le sol érodé qui a enlevé la planéité au bénéfice d'un sol bombé, caillouteux, revêtu d'une végétation agressive, il est très facile de remonter vers le haut. Les terrains ont été colonisés par des chênes verts, des térébinthes et des buplèvres, des ajoncs épineux, tous végétaux des sols pauvres calcaires. J'ai un vrai plaisir à parcourir ce sol ingrat qui me raconte le passé et je vois des terrasses plates, propres, bien étayées, au sol généreux. Il n'y a par contre aucun témoin de la gestion de l'écoulement des eaux pluviales comme on peut le voir à Banyuls sur Mer. J'arpente ce paysage, il vit sous mes pas et devant mes yeux. Je suis, comme toujours, admirative.

Morphologie actuelle des terrasses



Profil d'une terrasse...ou d'une pente



Un des habitants d'ici : chêne vert


Pistachier térébinthe


Quelques terrasses s'éboulent un peu, et pour accéder de l'une à l'autre il y a des rampes, des escaliers et même quelques passages ponctuels plus larges pour les animaux portant leur charge.




Joli mur s'appuyant à un gros rocher

Escalier

également



Aure style de marches, pierres plates
fichées dans le mur




                                                                                    
Le même vu d'en haut

Escalier en murette




Passage large, ou chemin muletier 

Soudain, à la côte 600 m, les terrasses agricoles stoppent net, c'est le domaine des falaises, rochers et éboulis qui commence. En pente sévère. Mais de petites terrasses ont été érigées à des endroits si étonnants que je comprends vite : leur rôle était de casser les éboulements, les freiner ou les stopper, les contenir. Ancêtres des filets actuels. Tout était pensé, l'eau, l'érosion, les tourmentes, rien n'était laissé au hasard dans ces montagnes exploitées par les hommes. J'ai la chance de recevoir cela comme un cadeau, un legs de mémoire, pour moi qui suis de la plaine.


Le paysage vu depuis les éboulis



La roche a pris le pas
L'éboulis est omni présent


Le Roc Campagna

Juste au dessus de moi, oui, mais inaccessible : 400 m D+



Mur de protection

Cette montagne de Sant Père recèle des coins insoupçonnés habillés aussi de terrasses. L'autre jour, par gros temps et pluie battante, je suis allée à la rencontre du ravin dels Horts pour voir la cascade, celle que j'avais escaladée. Elle n'avait qu'un filet d'eau, le relief karstique est une véritable éponge. Pourtant je fis une belle découverte : je rencontrai un sentier de chasseurs qui me conduisit direct dans le ravin, au sommet de la grande cascade d'escalade et de l'autre côté du ravin, dans une combe sombre et cachée, une série de murettes remontait le cours du ravin. Surprise totale ! J'irai à leur rencontre, assurément. Tout est diversité ici, bien qu'obéissant à une parfaite unité : exploiter le moindre morceau de terrain. Ici, si le site est bien conservé, je pense que le maître mot sera l'exploitation de l'eau du ravin, les cultures maraîchères devaient prédominer. Et des vestiges de canaux devraient se deviner. Sauf que la végétation énorme, aidée par la fraîcheur du site risque de compromettre ma recherche.

Cette balade sous la pluie donnait à cette montagne austère un aspect magique, hors du monde, comme à l'autre bout de la planète. Il n'y avait personne d'autre que moi, ce qui n'avait rien de surprenant. J'aurais pu me trouver nez à groin avec un sanglier assoiffé ! Mais seul le silence habillait les bois et la petite musique irrégulière des gouttes sur les feuilles et les cailloux. Marcher sous la pluie dans un pays sec a quelque chose qui rejoint parfois l'enchantement. Avec un petit frisson d'inquiétude, non pas pour le sanglier mais c'est tellement perdu et isolé ...

Images de ce petit retour en arrière, sous la pluie

Cascade sous pluie, peu d'eau mais tout luisait sous la pluie battante

Le ravin en amont de la cascade
Etonamment plat et large

Endigué, le ravin, en un lieu invraisemblablement perdu !
Tout ce site est à visiter

Pluie battante, mais que c'était beau, odorant et silencieux, hormis la pluie. Impression
d'être dans la jungle. Le ravin est tout au fond

C'était sinistre et envoûtant à la fois


Me restera t'il assez de mes dernières belles années pour détricoter cette montagne et lui donner la parole ? Lui prêter vie à partir de celle écrite dans ses pierres et  sa terre ?

En tout cas chacune de mes sorties est un court voyage dans l'espace, un long voyage dans le temps et une usure sans nom pour mes articulations, mon dos et mes jambes; je reviens rompue, moulue.

Je terminai ma balade par une visite au petit oratoire perché sur un talus, au dessus de la N 116 : ce furent là encore deux belles trouvailles, dans les épines et les folles herbes. Un canal ! Encore un, délabré, oublié, maltraité, explosé mais bien présent, dont j'ai suivi le cours mais ce sera une autre histoire et une large chaussée, bordée de superbes murs dont un de soutènement puisque à flanc de pente, j'ose imaginer que c'est l'ancêtre de la 116 et que sur mon impossible parcours, nombre de diligences ont du se croiser (il y a la largeur pour) protégées par le petit oratoire qui a perdu sa statuette, son Saint ou sa Sainte.  

Le petit oratoire

Mur de soutien de la large voie (ancienne route ?). Roc Campagna en haut

et mur au dessus, donc la route entre ces 2 murs

Autre aspect

De l'autre côté des 4 voies

Le petit canal perdu et pendu

Autre aspect, mais ce sera un prochain récit

Oui, tout murmure, ici, à qui sait écouter. Et le curieux comme moi meurt de soif d'en savoir davantage.

                                                                                               

                                                                                                                                A bientôt........

En chiffres
Distance 4.3 km
La route : 110 km AR

Carte1 pour la partie terrasses et Rec Nou



Carte 2 pour la partie oratoire et vieille route (ainsi que le vieux canal)











8 commentaires:

  1. Amédine, aventurière de talent, tu me régales avec tes images, Tes descriptions, tu me fais découvrir des endroits auxquels je n'ai pas accès. C'est un hommage magnifique à tous ces hommes courageux et vaillants qui ont magnifiquement assemblé ces pierres pour canaliser l'eau, pour s'abriter ou abriter leurs bêtes. Merci de partager tout ça

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    1. Oh quel plaisir de te savoir arpentant tout ça avec moi ! Tu vois mes jours sont remplis et presque mes nuits car ça me poursuit dans mon sommeil. Je y'embrasse très fort, chère Passionnée car tu l'es aussi

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  2. Avec leurs mains dessus leurs têtes
    Ils avaient monté des murettes jusqu'au sommet de la colline
    Qu'importent les jours, les années
    Ils avaient tous l'âme bien née, noueuse comme un pied de vigne
    Merci Amedine

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    1. ça tourne en boucle dans ma tête en arpentant ces collines. Frissons de te lire et le voir écrit. Merci mon ami

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  3. Bonjour, ce lieu fut pour partie propriété de l'abbé Cazes. L'un des lieux que vous décrivez est l'objet de l'activité sportive dite "canyoning sec". La plupart des grottes et trous de la zone avaient été recensées par le club speleo de Villefranche. Enfin, toujours l'abbé Cazes, avait relevé dans des archives concernant les ermites de la proche Notre Dame de Vie, qu'il y avait effectivement une culture de céréales sur cette zone. Sinon, en plus des oliviers, il y a aussi des cognassiers que les villefranchois viennent "dépouiller" de leurs fruits depuis plusieurs générations. Merci pour votre partage de ce lieu méconnu,sauf des isards entre autres (peu de sangliers).

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    1. Déjà vous me rassurez au niveau des sangliers, un sanglier n'est pas foncièrement agressif sauf si blessé ou avec des petits, mais bon....chez moi, en bas, il y en a à profusion. C'est un détail. Je scrute la partie visible de la montagne et vais au devant des parties cultivées; ainsi un autre sentier monte à ND de Vie en suivant le ravin et des terrasses. Il est prévu. J'ai pour la suite de mes investigations un très fouillé travail de recherche sur les grottes et leur corrélation avec les anciens niveaux de la Têt, ce sera aussi l'objet de reportages, en simplifiant au maximum, mais la grotte de ND de Vie fut le faut de la Têt voilà 5 millions d'années, l'eau avait creusé un dédale de galeries (comme à En Gorner où on en recense 26 km) et les chercheurs ont publié un remarquable travail . Une jeune femme a soutenu un thèse de Doctorat sur ces sites mais hélas la partie consacrée est en anglais. Pour remonter plus loin, j'ai trouvé le remarquable ouvrage sur les canaux, de Jaubert de Passa en 1821. Cela m'aide après mes visites sur le terrain. Ah les cognassiers je n'ai pas vu de vestiges, mais je débute mes arpentages de terrain. Ni d'amandier non plus. (Je suis paysanne moi aussi). Bon je vais aller me documenter à propos de l'abbé Cazes dont je connais l'existence mais pas au delà. Si vous avez d'autres renseignements , n'hésitez pas. Et mes 3 articles précédents sont aussi consacrés à ce secteur. Merci de votre passage

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  4. Dommage que cette œuvre faite à l’issue travail très dur et ingénieux se dégrade au fil du temps, ne pourrait-on pas redonner vie à cet endroit ? On parle beaucoup du retour à la nature mais il manque de nos jours le courage nécessaire à une telle entreprise… Tes recherches dévoilent des petits trésors enfouis dans la végétation, tu nous mets l’eau à la bouche ! Merci pour tes photos et ton texte intéressant sans oublier ta pointe d’humour. Tu marches autant avec les jambes qu’avec le tête, Bises.

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    1. Pour redonner vie à cet endroit, il faudrait soit qu'on n'ait plus rien à manger sur la planète, soit qu'une bande de fous aux muscles d'acier ait la passion chevillée au corps et encore...il faut un entretien constant. Par contre, faire de 400 m2 une sorte de petit musée incluant des pièces fortes, ou un sentier historique comme le nôtre, mais pour que les gens puissent y accéder, vu la difficulté du terrain, des chemins d'accès adéquats et sécurisés devraient être mis en place; oui sauver un morceau pour le faire connaître, bonne initiative; mais c'est une histoire et un rêve...Ces balades me font marcher beaucoup avec la tête et le clavier, et depuis que j'ai entrepris cette montagne mes "préoccupations" sont passées au 2nd plan; même ma mère aime que je lui parle de ça !!ça lui rappelle sa jeunesse. Bises.

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