Ma dernière sortie en neige remonte au 23 février 2020, avec un couloir de neige à Vallter, je prenais alors de l'assurance, j'osais. Ce devait être un nouveau départ, la pandémie fut là, avec ses restrictions, ses angoisses, ses terreurs. Je plongeai non dans la maladie mais dans une détresse profonde, une angoisse, beaucoup de souffrance psychologique. A 70 ans, je réalisais que si cela durait trop longtemps, je perdrais mon entraînement, mes forces, et serais incapable de repartir. Ce glas du trop tard me hantait. La maladie vint après, interminable alternance d'épuisements et de forme. J'orientai mes randonnées autrement, proximité car j'étais incapable de partir, découvertes d'une grande richesse, ce fut ma résilience. Je tentai et réussis un 3000 m, ne sachant pas si j'en aurais la force.
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Croix des Bastiments En fond, Canigou et mer |
Mon plus grand frein était devenu le froid, la neige, la haute montagne, j'étais incapable de les affronter. Des doutes, des angoisses. Alors je laissai faire le temps. Un jour, très récemment, je commençai à rêver à la neige : le booster fut la nuit audoise à moins 4°, à 400 m d'altitude. Je sus que j'étais prête à affronter le froid. Comble d'ironie...il fit beaucoup plus chaud en montagne! Une semaine d'impatience folle....
Samedi 29, me voilà à Vallter 2000 petite station de ski familiale et sympathique, juste de l'autre côté de la frontière, avec vue sur mer, le bonus, très peuplée par les catalans. Les français la boudent, celles du département sont plus enneigées, car échappant au climat méditerranéen. C'est ma station de coeur, non pour le ski mais pour de nombreuses raisons dont l'atmosphère n'est pas la moindre. Ces nuits à Vallter, haut perchées à 2150 m... Déception ! Mon parking de coeur est interdit la nuit. Le charme s'envole d'un coup.
Cette nuit là, privée de mon décor, mer, pistes et sommets, j'eus quand même la chance de retrouver le sempiternel vent violent qui berce mon sommeil. Une nuit à 2130 m, fin janvier avec 5 ° de température positive, porte ouverte sur la forêt, c'est impensable !
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Dimanche 30, 8 h 15, les parkings étagés se remplissent et je marche sur la piste, sac encombré de matériel, tenue vestimentaire allégée, je remonte en solitaire le ruban blanc, lisse et doux. Hier soir j'ai nourri un projet, face à ma chambre je vois le pic et juste en dessous une longue langue de neige bien redressée, tout à fait dans mes possibilités, bordée de terre et rocs, échappatoires à tout moment en cas de peur ou de difficultés.
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Le trajet convoité |
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En piste ! |
Hélas, les doutes m'assaillent : première sortie, chemin ardu, je choisis plus sage et je le regrette vite, le chemin me paraît trop facile. Toutefois ce sera un chemin musclé, je dois m'acclimater, à l'altitude, à la neige.
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Je vais tracer ma route dans cette pente |
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ça grimpe pas mal et ce n'est pas encore le mur |
Ce sera une montée plaisir, je prends le temps pour ces retrouvailles, j'ai le temps de le prendre; je regarde, je fais de courtes pauses en plein mur, un peu plus longues à la faveur d'un buisson ou d'un rocher sur les rives.
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La pente et les Gra de Fajol non enneigés |
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Très haut la sortie ! |
Je contemple la mer alors que j'approche les 2500m, c'est fabuleux. La station s'éveille, avec sa musique, le silence des skieurs dévalant les tapis blancs; seule sur mon balcon de neige, je déguste chaque coin de paysage, entre mer et cimes. Tenue presque estivale, tee shirt et mains nues.
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J'adore ce sport |
La neige est un peu molle, mes crampons et piolets s'enfoncent, je suis en propulsion et non en traction, dommage. Et puis la pente se redresse et la neige devient ferme, dure, glacée, je peux enfin "piocher" et me tracter en cadence; j'adore. Sous ce blanc manteau dort un immense pierrier agressif et pâle, version été. Je remets mon pull, un vent léger et glacé vient bousculer cet hiver estival.
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Il faut tailler une petite terrasse pour l'appareil photo |
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Presque en haut : les pyramides |
La sortie se découpe sur un bleu intense, déjà je l'atteins, c'est une vaste "lande" de neige et d'herbe rase, qui s'étend à perte de vue. 2528 m. Derrière moi, le Pic de la Dona, devant moi les Bastiments, j'ai parcouru la moitié du dénivelé et la moitié de la distance. J'ai franchi "el pla de la regalissa" (réglisse je crois).
A présent, Col de la Geganta, 2600 m, dans un paysage ouvert sur les cimes, les lointains français et les catalans, j'ai le choix de la route : soit la pelouse jaune et les roches sombres, soit le fin tapis blanc et lustré sur la crête de la pente brutale avec belle vue. Je garde les crampons, je fais le choix de marcher ainsi jusqu'au sommet, c'est possible à condition de franchir quelques passages exposés...mais bien sûr ! ainsi je vais pouvoir rejoindre mon projet initial et en parcourir le passage final, très relevé.
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Sortie sur le plateau: côté France, Coma de Bacivers et Serre Gallinera (2670 m) |
Tandis que je marche sous un vent qui forcit et m'oblige à mettre le pull, je contemple les Gra de Fajol tristement nus et agressifs, les pistes où s'égaye la foule, la mer et le Canigou dans mon dos, Montserrat qui flotte comme un lointain navire bleu, mes yeux non pas dans les nuages de ce ciel pur et profond, mais dans ce décor qui m'est si familier et toujours retrouvé avec Bonheur. Oui, de mes yeux je caresse le ciel et le Bonheur et de mes crampons, je croque le présent et mon futur retrouvés. Le Bonheur aussi.
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En fond, Pic du Géant ou Bastiments (2881 m) |
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Gra de Fajol desséchés, je ne reconnais pas mon couloir de février 2020
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Montagne de Montserrat |
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Esquena d' Ase |
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Faut pas dévisser ! |
Quelques passages obligés en roche, à minima, sur la dorsale de "l' Esquena d'Ase" et j'aborde la fin de cette longue langue de neige de 300 m de dénivelé que je n'ai pas osée . J'ai gardé le meilleur pour la fin, la pente est bien redressée et suffisamment gelée pour bien planter les piolets qui croquent à belles dents, d'un coup de poignet énergique. Les crampons griffent et mordent, je pourrais grimper très vite si la fatigue de cette reprise ne se faisait sentir. Oui fatiguée je le suis, mais comme je vis dans l'intense et le physique en bas comme en haut, je baigne dans l'énergie dépensée au quotidien. Mon âge accuse bien le choc, mais il ne faut pas nier que je dois composer avec.
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Parcours final |
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la pente sévère où je cramponne |
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Sans crainte, je me régale |
Altitude Canigou : 2784. Symboliquement, comme toujours, je l'immortalise. Le Canigou ne me sera jamais accessible l'hiver, trop d'approche, trop de dénivelé, je garde pour mon âge les sommets facilement élevés, ma vie de sénior active est un perpétuel compromis....Je redoutais le coup de frein de la pandémie, c'est déjà une victoire de pouvoir toucher la Croix du Bastiments, 2858 m, de retrouver la haute altitude dans les conditions où je me trouve; aussi bien météo que perso. Le Bonheur a la forme d'une grande croix...et des 360° qui l'entourent, entre mer et chaîne de montagnes, entre terre et ciel.
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Canigou en fond |
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Détail, avec la mer ! |
Et l'inverse vu par Ludo, la veille
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Extraordinaire, la veille, Ludo, perché au sommet du Canigou a pris l'inverse de ma photo |
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Mais que fait elle ici, plus haut que le Canigou ! |
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Accueil...hommage à Rosa |
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Côté sud, Catalunya, pénible montée ; en fond, Coma de Freser
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Côté nord, France, Serre Gallinère (2670 m) et Coma de Bacivers et son étang sous la neige |
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Dernière ligne droite |
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Et l'arrivée |
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Sur le toit de mon monde
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C'est une tempête intérieure qui m'anime et a pour écho le vent violent qui siffle lugubrement, comme dans ces films d'antan, glaçant tout ce qu'il frappe. Je remets vite le kway au milieu de quelques sportifs emmitouflés, je rajoute le bonnet et j'entame la traversée qui, passant par le sommet, 2881 m, conduit à l'extrémité de la crête glacée nommée le Piolet, 2880 m. Proue d'un éperon où le froid est intense, moins 1° et un vent violent. Froid qui m'oblige à ganter mes mains glacées, gants mouillés, ils sècheront à la chaleur du Bonheur.
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Toute la crête sommitale dépasse les 2880 m |
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Extrémité : le Piolet, 2880 m |
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Les Pyrénées à perte de vue |
J'échange quelques mots avec ce randonneur catalan, ce sera ma seule sortie du silence ce week end !
Sur ces hauts où hurle le vent, je ne prendrai pas de repas, d'ailleurs je ne mangerai ni ne boirai pratiquement rien de la journée : comment je tiens quasi à jeun ? La passion est mon moteur.
Retrouvailles disais-je. Oui, surtout avec moi même, avec cette femme que la pandémie avait endeuillée d'elle même, de sa vie et surtout de son insouciance. Je mesurai longtemps ce que j'avais perdu dans ce deuil de moi même et de ma vie, je mesurai à petits pas ce que je retrouvais au fil des jours, aujourd'hui je mesure ce qui m'est rendu, par ma force physique et surtout ma force intérieure. Ces 2881 m en crête frontière sont un vrai symbole. J'ai été un temps à la frontière symbolique de me perdre, je me devais de me retrouver sur une frontière bien réelle pour repartir d'un nouvel élan si le Diable Covid le veut.
Le froid intense et le vent sifflant, lugubre et violent me propulsent vers la sortie, ce sera même chemin sur la lande déserte, je ne veux pas du bruit, de la foule, de l'artifice d'en bas. Je dois encore me retrouver dans ce monologue avec mon environnement. Dans cette communion.
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Retour |
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Non je n'aurai plus peur de cette pente ; j'ai des regrets |
Mais j'ai encore une étape à franchir et non des moindres. Lorsque je quittai la montagne en février 2020, j'avais une thérapie à y entreprendre. Vallter est pour moi le domaine des thérapies !
Autant les grimpes sévères ne me font pas peur, autant les descentes neigeuses en pente moins raide me terrifient. Il n'y a pas toujours un Ludo à qui je suppliais "reste avec moi, ne me laisse pas, j'ai peur", un certain jour de descente du Cambre d'Ase.
Alors, prenant mon courage à deux mains, bâton dans l'une et piolet dans l'autre, je choisis mon terrain c'est celui du skieur qui a dévissé. La descente va se faire en trois paliers. Je pense zigzaguer, ça me rassure, et pourtant je me lance pleine pente, droit devant. Ce n'est pas très raide, c'est l'acte 1, un bon 30°, de neige tantôt poudreuse tantôt glacée, vigilance de rigueur.
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Et je vais plonger ! |
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Quel miroir ! |
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Quels veilleurs ! |
Arrivée en bas, l'acte 2, sévère, m'attend. Bien plus redressé, je le descends sans peur, petit pincement au coeur au départ plongeant, puis je croise la trace profonde du skieur, et me voilà en bas. Reste l'acte 3, plus bref, qui me permet de rejoindre la piste et au terme de près de 300 m de descente sans crainte, je sais que ma thérapie est réussie.
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Plein pot dans la pente |
Ce sera un retour serein, aussi bien au parking, entre des skieurs heureux, qu'au bout des 100 km de route de montagne où les ors du soir qui tombe n'auront qu'un écho, ma fatigue saine, auréolée de joie.
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Rouge, trajet aller Bleu trajet retour Pastille jaune, situation de Vallter en Catalunya |
En chiffres :
Dénivelé : 760 m
Distance AR 8.52 km
Temps de marche : 4 h
Arrêts : 3 h
La route : 200 km AR
Très belle sortie Amédine, merveilleusement bien contée. Tu as astucieusement évité le col de la Marrana pour jouer avec les murs de neige. Et oui, je me souviens de cette descente du Cambre qui te terrifiait. Tu es autonome à présent aussi bien pour grimper que pour descendre.
RépondreSupprimerJe te dois beaucoup dans l'autonomie. Le Col de la Marrana j'en ai un peu marre ! Et j'ai gardé un mauvais souvenir de ma 1ere montée en raquettes aux Bastiments car, tout bêtement, je ne savais pas utiliser des raquettes. Toutes mes autres montées ont pris des routes différentes. Les murs ont l'avantage d'être déserts et silencieux...lol. En tout cas Vallter est mon lieu d'apprentissages.
SupprimerUne bonne et belle thérapie, bravo ! Toujours bien raconté, et documenté, merci de nous offrir cette journée de bonheur. Bises.
RépondreSupprimerVous m'offrez aussi de belles journées de bonheur en images, de l'autre côté de la frontière. Bises sans oublier ma nièce
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