A la maison je préparai le travail avec Géoportail: azimuts à la boussole, distances, repérage minutieux du départ, et superposition du cadastre où ce chemin est marqué de deux fines lignes.
La seule chose surprenante c'est que pour un droit dans la sévère pente sur près de 300 m de dénivelé, le chemin était rectiligne; généralement des zigzags sont dessinés. Sur la carte de 1950, à un moment donné, le sentier rectiligne est en pointillés et une branche en zigzags démarre de lui et le suit légèrement à côté.
Je décide soudain de partir du bas, je recalcule les azimuts en fonction et c'est ainsi qu'en ce dimanche matin glacé, je prends la piste de Fort Libéria que je préfère au sentier pour un échauffement en douceur. Le soleil me rejoint, bientôt Nina sera au soleil dans le camion, ça me rassure.
Montée d'un bon pas, un nouvel orri découvert comme s'il avait poussé dans la nuit, un nouvel essai en vain pour "ma" grotte qui continue à tirer sa langue blanche, Fort Libéria dort, le sentier s'élève en lacets et enfin je consulte mes plans, attentive au terrain.
je trouve quelques rocs n'ouvrant sur rien mais je suis sûre de mes calculs, alors je bifurque sur ce "rien". Une des bornes, N° 140 (je sais où est la 110), typiques du Conflent, me tourne le dos.
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Borne fréquente en Conflent |
Il n'y a pas de sentier, je monte un peu à l'instinct et tout de suite mon regard est attiré par un gros tesson de céramique creuse et vernissée : de quelle poterie provient cette forme inhabituelle? Voilà que d'autres tessons gisent au sol, dans une sorte d'alignement et je saisis vite qu'il s'agit d'une canalisation d'eau.
Je n'ai plus qu'à suivre comme le Petit Poucet ces tessons brillants et ocres, mêlés à une sente d'éboulis. Une ligne droite dont je comprends qu'il s'agit du chemin souterrain de la canalisation recouverte d'éboulis. Creuser une tranchée dans ce terrain ? Admiration ! Et exaltation pour moi. Un trésor...
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Comme un fil d'Ariane |
Un peu plus haut (729 m), je découvre un bassin creusé dans le sol et, attenant au bassin, un bâti avec une plaque, et une sorte de robinet, c'est une citerne. Tout est quasi comblé d'éboulements. Y a t'il une source ? Je glisse ma lampe entre les dalles qui coiffent la citerne, ce n'est pas grand mais un tuyau est logé dans la paroi de la citerne, l'eau vient de plus haut.
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La citerne et le bassin comblés |
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Prière de fermer SVP. LMC 1914 |
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Je n'ai pas su déchiffrer sauf 1925 |
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Ecoulement de l'eau dans le bassin |
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Arrivée d'eau dans la citerne |
Donc j'oublie le sentier que je cherche, je vais suivre le chemin de l'eau. Tout en m'interrogeant : pas une seule culture, de plus, pour arroser, il faut que l'eau soit à l'air libre et ici elle est souterraine et prisonnière d'un tuyau.
Pour l'heure, le terrain est modérément escarpé, encombré d'arbres et de roches, dans une végétation épineuse pas trop compacte ce qui me permet de suivre le sillon où je retrouve les tessons. C'est mon fil d'Ariane.
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Le paysage dans mon dos |
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Face à moi, l'aléatoire chemin |
Je dois parfois louvoyer à droite ou à gauche, tant le terrain est impénétrable et escarpé, le sérieux a commencé. Je finis par trouver en plus des tessons, à 764 m, quelques débris de briques et de tuiles, aucune ruine, quelques terrasses et...les tessons. Je franchis l'ensemble et tout devient inextricable, plus question de suivre l'eau, il faut juste garder le cap, merci la boussole. Dès que je vois une trace d'éboulis je me jette sur l'opportunité. J'ai perdu le chemin de l'eau, je le sais à ma droite, ou à ma gauche, proche, mais l'urgence est de grimper, d'avancer. Le paysage est magnifique et Fort Libéria reste dans mon axe parfait.
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Altitude 767 m |
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Droit sur Libéria. On voit que le terrain est difficile |
Je rencontre un drôle de caillou : il s'agit d'un petit bac en pierre taillée, sorte d'évier, cassé en deux , il y a donc "de l'eau d'antan" sur mon trajet.
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Un morceau d'évier ? Les tessons de briques et tuiles ne sont pas loin |
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Autre vue de l'objet |
Il serait temps de prendre un peu de carburant. Au pied d'un petit mur qui n'a d'usage que coupe éboulis, semble t'il, à 886 m, sur un rocher, j'installe mon restau et mon vestiaire, ce sera tenue allégée, il fait chaud. Et je contemple, je me sens seule au monde, loin de tout, qui peut imaginer qu'un humain est dans ce coin où même les chasseurs n'ont pas retracé le sentier !
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Repas en mode Cromagnon |
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Décor du restau |
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Le terrain est "facile"...je viens de là dedans |
Départ pour le tronçon final, 114 m D+ dans le plus éprouvant du parcours: la jungle végétale, des petites barres rocheuses, assurément l'eau a du faire un ample virage. Les sentiers d'animaux sont d'un grand secours: si le buste peine à s'y frayer passage, les jambes bénéficient d'un cheminement assez propre; il faut jouer des bras pour écarter les branches et buissons.
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que progresser dans ce fouillis mais je n'ai pas le choix ! C'est au menu du jour. |
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Escalader le mur est plus simple |
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Altitude 960, petit mur protecteur |
Virage que je vais donc faire, un peu au jugé, en vérifiant le cap et soudain !! Et soudain je reconnais le paysage qui s'ouvre sur une lande assez rase, anciennes cultures, je reconnais le piquet blanc de l'autre jour, la citerne est proche.
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J'émerge ! |
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Douce pelouse ! |
Citerne qui s'avèrera ressembler à celle d'en bas, mais là je ne peux rien voir, même en glissant ma lampe. Plus tard je comprends que l'arrivée d'eau devait être invisible sous cet angle de vue. Dans mon esprit, il s'agit de la source qui approvisionnait la pente. Mais une idée commence à germer. Certes je n'ai pas retrouvé le chemin...mais cette ligne droite de l'eau et ce chemin rectiligne ne faisaient peut être qu'un autrefois. (Ce que confirmera la carte).
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Vue extérieure de la citerne. 1000m |
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Et vue intérieure |
Et si c'était l'approvisionnement en eau de Fort Libéria ?? L'idée germe et grandit, je vérifierai tout à l'heure.
Le mystère de la source demeure : la carte porte une source captée dans un proche torrent sauf qu'à l'aplomb de cette citerne, l'eau est bien en contrebas.
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Mon trajet en bleu. C et C2 sont les citernes |
Plus tard, en bas, un sacré personnage rencontré au détour de la piste m'apportera de précieuses informations : oui, c'est le chemin de l'eau pour Fort Libéria; les canalisations d'origine étaient en bois , remplacées par de la céramique, non les paysans ne l'utilisaient pas. Ces citernes au nombre de 3 (il m'en manque une) étaient des points relais, le manquant étant à Roca Roja. Et l'eau provenait d'une source captée dans un ravin. Le mystère de la déclivité reste entier. Ce sera la carte et ses courbes de niveau qui me donneront la solution et ainsi, il me reste encore à aller sur place chercher la partie manquante : un vrai travail de détective ! Effectivement la source est celle qui est sur la carte et le tracé de l'eau, pour bénéficier de la courbe de niveau fait un détour par Roca Roja, passe en dessous de la chapelle et va rejoindre la citerne. Schéma ci-dessous. Pour me parler, la montagne a parfois besoin d'un intermédiaire, fut il rogue et bougon !
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Ce qui me reste à explorer : la source, la 3 eme citerne et le chemin de l'eau : tessons ? Cette hypothèse s'avèrera fausse et bien plus simple sera le parcours |
La civilisation est revenue avec l'église Saint Etienne...et le sentier. J'ai grimpé 300 m hors sentier en terrain affreux. Très pentu, le terrain affiche 603 m pour ce dénivelé de 291 m mais j'en ai parcouru davantage avec mes recherches et mes détours. A présent, j'ai l'impression de marcher sur du velours !
Je baguenaude en touriste sur les hauteurs : Saint Etienne est peuplé, Roca Roja et ses escarpements déserts. Une belle grotte est invisible du haut mais ne me tente pas.
Depuis Roca Roja, le paysage est fabuleux
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Saint Etienne |
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Deux vallées : Cady et Rotja |
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Comme un navire, Villefranche |
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La mer, tout au fond |
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Les deux vallées |
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Au sommet de Roca Roja,1052 m |
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Massif de Badabany |
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En fond les hauteurs de Mantet, Pla Segala |
Je descends rapidement par le sentier Vauban revisiter mon point de départ, côte 712. Et explorer jusqu'au bassin.
Une surprise, un tuyau non brisé émerge du chemin, bien coincé; pas une seule fois, à mains nues, je ne pourrai dégager un quelconque tronçon de canalisation. Près de la citerne, quelques bornes numérotées , comme auprès de son homologue d'en haut.
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Intact mais bien enfoui dans le sol |
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L'étude des bornes serait intéressante... |
Il me reste à vérifier, car je l'ignore encore, que c'est bien le chemin de l'eau pour Fort Libéria. En effet, les tessons continuent leur fil d' Ariane vers le bas, je les retrouve à la faveur des lacets qui coupent leur trajectoire. Par contre, le fameux sentier Vauban, avec ses murs de soutènement ne possède aucune inclusion de tuyaux pour la traversée: aurait il été construit plus tard ? Il ne figure pas sur la carte 1821 mais sur celle de 1950. Que de questions sans réponses...De 1850 à 1856, Napoléon III fit entreprendre des travaux considérables pour fortifier le château. Le sentier daterait-il de cette époque ? Je vais programmer ma visite du fort pour en savoir davantage.
Sur le site du Fort Libéria, j'ai trouvé ces explications :
"Fort Libéria ne possède pas de source. A l'origine, une garnison de 100 hommes y vivait et une citerne stockait l'eau venue des hauteurs. L'intendant du Roi (Louis 14) annonce "au mois de février 1681 que l'on pourra conduire jusqu'au château l'eau de la source que l'on a trouvée dans les montagnes" .
Plus tard, les eaux de pluie furent récupérées dans deux citernes de 70 000 et 50 000 litres (sources internet).
Cela signifie aussi, que en ce février 2022, 341 ans plus tard, je foule ce chemin de l'eau comme en une symbolique commémoration....
J'abandonne le sentier de l'eau qui n'est plus sur mon chemin, il est arrivé quasi à destination, moi pas encore, les questions valsent dans ma tête et c'est là que me sourit la chance , la rencontre avec le personnage qui va ...apporter de l'eau à mon moulin !
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Villefranche du Conflent |
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Le verrou de Villefranche |
C'est avec des courbatures en cascades, sous le ruissellement de toutes ces informations que mon cerveau bouillonnant et mon corps moulu rejoignent une Nina sereine, endormie dans les polaires.
Je reviendrai compléter ma visite avec l'eau des hauteurs. Je ne peux en rester là.
A suivre....
En chiffres :
Dénivelé cumulé : 650 m
Distance parcourue : 12km
La route : 100 km AR
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Caillou rencontré sur le sentier |
Bonjour, Les "citernes" le long du chemin de l'eau ne sont pas des citernes destinées à garder de l'eau mais des bassins destinés à casser la pression qui pourrait se former dans les tuyaux. Comme le dénivellé est fort, une mise en pression du tuyau lui serait fatal. C'est très courant. Alexis
RépondreSupprimerEt il devait y avoir beaucoup d'autres bassins de ce type vu le denivellé de plusieurs centaines de mètres... Alexis
RépondreSupprimerAlexis, il n'y en a que deux, car j'ai suivi intégralement le chemin; d'ailleurs Pierre Méné (Fort Libéria) m'a donné une copie du plan de ce "chemin de l'eau", donc j'ai la certitude. Ces citernes ne servaient pas à stocker l'eau en effet, mais elles se nommaient relais et servaient, j'ai cru comprendre, à purger et nettoyer le circuit. Les connaissez vous ? Elles sont facilement accessibles , une par le sentier et l'autre en haut, par la piste. Merci de vos commentaires
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