Mon enfance a été bercée de lectures d'aventuriers (ères) et après des décennies de "femme rangée", je deviens "aventurière" : avec mon regard d'enfant, mes rêves d'adolescente et mes jambes de vieille femme.
L'idée de cet accès improbable au Pech de Bugarach m'est venue le 4 avril 2021 après que j'aie un peu exploré cette face dont l'accès est lié au "Bufofret", l'entrée d'une galerie de 5 km de long, ascendante, dans le massif calcaire déjà doté de plusieurs originalités apparentes ou utopiques.
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Ici court un chemin secret |
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Image 4 avril 2021 : mon trajet d'aujourd'hui |
Une incursion dans de sombres forêts, en louvoyant entre des corniches, cascades et autres rochers surprenants m'a donné envie de faire un tout droit dans la pente jusqu'aux crêtes coiffées de la Pique Grosse et hérissées d'arêtes plus ou moins tourmentées mais de couleur claire. Ici c'est calcaire.
Départ à 9 h, en bord de route, (600 m) au pied du sentier qui conduit directement aux échelles, 10 barreaux de via ferrata pour franchir le saut d'un ravin. Le sentier a été relooké et présente de belles marques rouges mais à hauteur du grand arbre tourmenté je lui fausse compagnie pour retrouver le cours du ravin. Voilà déjà les échelles, 670 m, une formalité à bout de bras et ensuite, évitant le Bufofret et son couloir harassant, je préfère me hisser sur les falaises et le ravin. La 1ere cascade (730 m) est sèche mais il y a toujours un goutte à goutte conséquent qui vient à point me rafraichir, il fait déjà très chaud.
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Le départ le long de la D45 direction St Louis |
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Ici je bifurque dans le ravin |
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Les échelles |
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Ah les échelles...j'adore |
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Montée en rocs dans le ravin vers la petite cascade |
Pour l'heure je n'ai rencontré que cailloux et sous bois. A présent cela va changer, une folle farandole de fleurs multicolores va m'accompagner. Sitôt après la première cascade sèche et large, la seconde cascade fine, haute et sèche m'accueille, 750 m; ses eaux vont rejoindre le Bufofret, quand elles coulent. Si elles coulent...
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La petite cascade dotée d'un goutte à goutte |
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La grande cascade |
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La grande cascade |
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Bouleau noir ? Je ne connaissais pas |
Après la cascade, je suis toujours en terre sauvage mais connue: 25 m de courte et raide cheminée boisée, un passage en sous bois frais, un croisement de ravin sec et moussu (celui du Bufofret encore) et enfin la petite prairie à 790 m où tout est permis : détente, repos, contemplation, admiration d'un vrai jardin et même petit dej' rapide. Rien n'a commencé encore malgré le puissant et rapide dénivelé. Les lointains sont verts, les à pic sont verts, comme les hauteurs, les sous bois, le tapis de sol, une orgie de vert.
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La petite prairie et un échantillon de fleurs |
Je profite du dernier sous bois, ombre fraîche et odorante à savourer intensément, et enfin je débouche au soleil, attendue par quelques immobiles rognons rocheux transformés en jardins de rocaille. Je suis à 861 m d'altitude, le panorama porte loin, quoique un peu estompé par une brume légère d'évaporation, et le plus "romanesque" reste à faire puisque dans peu de temps ce sera terre inconnue. Terre ? Euh...roches verticales striées de couloirs ou longées de bandes de "terre" étroites et en dévers...l'aventure va commencer. Un petit passage en sous bois vert glauque, une courte cheminée de roche à grimper avec les mains, et j'arrive au terminus de mon ancien parcours.
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Et ici poussent des jardins de rocaille |
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Je viens de tout en bas, vers la vallée |
Là je suis le petit sentier, plutôt une sente, et les anciens coups de sécateur resteront les indices du jour. Quand je les perdrai, je mettrai tout en oeuvre pour les retrouver. La sente plonge au bas d'un couloir et c'est juste le couloir que je comptais remonter si j'avais du inventer le sentier : droit dans la pente jusqu'en haut, au choix couloir végétal ou varappe facile en falaise. Le doute m'assaille, je perds le sentier, je le retrouve et il part latéralement à 900 m, suivant la falaise juste à sa base. Dilemme : mon instinct ? Ou le sentier ?
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Là où mon chemin va se faufiler |
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Il fait encore frais dans les sous bois de buis odorants |
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En longeant les falaises |
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Attention aux glissades ! |
La curiosité me pousse vers le sentier et je longe donc la falaise, c'est facile, grandiose, mais écrasant de chaleur. Il y a les oiseaux et moi, les fleurs en massifs, en couleurs, en bouquets et des coussins de thym odorant. Il y a la curiosité, l'envie de tout voir et la peur de voir se perdre le chemin , de faire le demi tour indispensable. Ici je n'y tenais plus mais je savais au bout du trajet l'arête féroce et verticale.
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Sur le sentier |
Altitude 935, je piétine un peu, dans les buissons quand je retrouve les traces, la sente tourne à angle droit vers la droite, fuyant l'arête, je remonte un couloir étroit et boisé et je débouche à l'étage supérieur, superbe belvédère surmonté par le dernier étage de l'arête, infranchissable .
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Trouver son chemin relève d'une grande attention |
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Le bout de l'arête ouest se profile, superbe belvédère, arête infranchissable |
Voici cette arête vue d'en bas
Et cette vue saisissante: la même arête vue d'en bas, impressionnante, et vue d'en haut, invisible tant le surplomb est immense
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Et vue d'en haut ! |
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Vue d'en bas |
Dans mon dos s'étale le cirque grandiose que je viens de parcourir entre végétaux et rochers, d'un étage à l'autre.
A présent, pour la suite, j'ai saisi la technique, longer la muraille, en mode sanglier, puisque j'ai perdu le tracé; je le retrouve très vite, et à 984 m je m'extirpe des sous bois, cela monte ferme mais le terminus se devine dans la fragrance (oui on dit fragrance et non fragance) du thym. 1007 m, je suis sur la crête, le vide est sous mes pieds, 400 m de vide dont 200 très abrupts, et un point de vue magnifique sans oublier le Canigou dans mon dos, flottant dans une brume bleue. Et, enfin, un vent frais, vivifiant, qui se boit comme une récompense.
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La technique c'est raser les murs : à présent je le sais !! |
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La délivrance est proche |
Le sentiment que j'éprouve : avoir réalisé encore un rêve, un beau rêve bien musclé, avoir réussi , même si rien n'est gagné le chemin le plus long m'attend. D'abord, explorer l'arête. Puis tenter la Pique Grosse. Et revenir pas le Pech et la fenêtre. Joli programme mais qui me demande encore de monter plus de 200 m. Alors, d'abord, explorons ce secteur qui m'est inconnu.
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La récompense est là : 1007 m et le vent frais venu d'en bas |
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Village de Bugarach |
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Là où j'irai : le Pech, 1231 m en haut à droite |
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Là d'où je viens |
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Là où je vais de suite : au bout de l'arête, plein ouest |
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Là où je suis, au bout du bout, 1018 m |
C'est une longue arête orientée est/ouest, pâle et effilée ou alors faite de gros rognons insurmontables, mais attirante au possible. Je vais vers l'ouest, juste en bout d'arête, 1018 m, telle qu'on peut la voir ainsi d'en bas. Impressionnante. Un tronçon de cette arête est si effilé qu'il peut impressionner et si je l'évite à l'aller, je le suivrai sur le fil au retour l'ayant apprivoisé et ayant apprivoisé le vide Un rapide repas au restau, je suis si fatiguée que je n'ai pas faim Et puis j'ai hâte...
La Pique Grosse, voyons.
Alors savourons cette arête si spectaculaire et si boudée !
La voici vue d'en bas, avec l'imposante Pique Grosse, redoutable vue du plancher des vaches.
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Impressionnante et si facile à grimper par la face opposée |
Et maintenant je vous laisse découvrir cette longue arête pâle et féroce à la fois.
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Là où je m'amuse, entre 200 et 400 m de vide en dessous. Aïe, l' app photo ! |
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Vers la Pique (là bas à gauche) et le Pech tout en haut, débonnaire |
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Oh le gros gendarme ! |
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Equilibristes: l'app photo et moi |
1081 m. Cette tête d'oiseau qui me fascine vue d'en haut.
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La pique Grosse, un oiseau aux ailes déployées
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Pour ce faire, je suis l'arête au maximum sur le fil mais certains imposants gendarmes s'évitent. Pour accéder à la Pique en venant de l'ouest le passage est très facile, sur un mur incliné, en dévers, mais si la glissade y serait fatale, faut vraiment jouer de maladresse pour se l'offrir. La Pique est alors accessible à tous, du haut de ses 1081 m, une simple formalité que je signe sans effort.
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Pour la Pique ce sera dans ce dévers |
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C'est un vrai couloir |
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Et où j'irai, là je suis en haut de la Pique Grosse ; je vois au loin les premiers humains |
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Je viens de tout au bout là bas |
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Depuis le sommet, le panorama est splendide |
Je redescends donc et continue l'arête vers l'est quand soudain ! Je me sens incapable de descendre : c'est là le point clé dont m'a parlé Ludo. Je suis en surplomb et ne peux en rien apprécier la difficulté de la désescalade; fatiguée et prudente, je refais un retour en arrière, refranchis le dévers et tente de retrouver le sentier. Je descends trop bas, je remonte, deux fois, terrain croulant, chaleur affreuse, végétaux agressifs, je désespère mais retrouve le tracé et je n'ai plus qu'à filer vers le Pech, quelques 200 m de dénivelé à franchir les plus durs assurément. Bien que confortables, mais j'ai fourni de violents efforts.
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Grosse galère pour retrouver le sentier |
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D'en haut je ne pouvais apprécier la difficulté de désescalade; d'en bas...euh...pas simple |
Plus question de tutoyer de l'arête si c'est encore possible, le sentier aseptisé et pentu me suffira amplement; je rencontre les premiers humains du jour, qui suivaient mes évolutions depuis leur restaurant, ici c'est à peu près la limite des lieux habitables ! Justement j'y vais par le sentier classique, égayé de fleurs et de "déjeuners sur l'herbe". La montagne vit .
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Versant nord |
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Versant sud |
Quelques coups de tonnerre accompagnent mon trajet; la fatigue est là mais je m'octroie un petit séjour sur l'arête nord qui n'a d'arête que vue d'en bas car en haut c'est marche sur une douce colline entrecoupée de redoutables canines !
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Même là haut le sentier est fleuri
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La crête du Bugarach, douce et arrondie |
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Ses brutales échancrures et à pics vertigineux |
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Mon parcours se déploie dans toute sa splendeur |
Des canines au sommet, le Pech de Bugarach, 1231 m, cela ne manque pas ! Un visiteur demande "Est ce une antenne de la SPA?", en effet 5 chiens occupent l'espace avec leurs quatre jeunes maîtres.
Les premiers coups de tonnerre venus de l'ouest sur un ciel gris sombre pommelé de noir et un voile de pluie noyant les bleus lointains fait fuir les badauds: ne restent que les 5 chiens, les 5 humains dont moi.
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Côté est, encore un peu de soleil |
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Côté ouest, déjà la pluie |
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Quelques animaux au sommet |
Cet orage n'est pas sans me déplaire, il fait frais et cela appose une belle signature à cette intense matinée. Ma peur terrible de l'orage en montagne s'est enfuie un jour de retour du Canigou, je me verrais même descendre seule dans la tourmente. Mais le groupe s'est formé et la cavalcade commence. Les humains se sont dispersés tous vers la face nord, à nous la face sud ouest, escarpée, glissante, torturée, grandiose. Chiens et maîtres forment un convoi magnifique fait d'attentions, de confiance, de prévenances dont je suis le témoin émerveillé. Je vois les chiens d'un autre oeil depuis que la montagne les a réhabilités peu à peu à mon regard méfiant.
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Descente endiablée |
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Et joliment noyée de pluie : bref orage |
Pendant les pauses obligées, je regarde intensément le site de ma montée, déployé comme un papillon, noyé de la fine averse . Il est bien abrupt et sauvage ce site là, c'est un peu comme s'il n'appartenait qu'à moi, un joyau dans un écrin peu regardé et que je vais garder jalousement. Un rêve....pas un exploit.
Passées les difficultés la meute dévale, au milieu des fleurs ; je suis le sentier et je retrouve l'ensemble posé comme papillons sur des tapis colorés. Jouant des canines. Je poursuis mon chemin solitaire, dans une débauche florale; l'orage a disparu, les arbres s'égouttent dans la forêt. Si j'avais le temps je m'allongerais ici même ... Le bref orage a exacerbé les parfums et dissipé la chaleur du jour.
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Débauche florale |
Mais une petite Nina m'attend depuis longtemps.....
Je bifurque sur la piste équestre, un joli chemin qui ne peut que me conduire, mais oui, c'est évident, à mon camion où une jolie Nina se réveille à grand peine.
En chiffres
Distance : 7.6 lm
Dénivelé positif cumulé : 600 m env
Difficulté : assez élevée
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Le trajet (sens inverse des aiguilles d'une montre) Montée en rouge et blenc |
Exceptionnelle découverte. J'ai adoré l'orgie de verdure, et l'on frémit à te savoir sur un pareil terrain. Heureusement que l'APN n'a pas le vertige...hihihi Tu peux être certaine de détenir des clés du Bugarach que personne n'a, ou si peu. Tout paraît simple en te suivant. Mil Enhorabuenas.
RépondreSupprimerJ'ai bien aimé ce commentaire avec sa pointe d'humour. Il est vrai que l'orgie de verdure n'y dure que ce que durent les roses, comme disait Ronsard, "que du matin jusques au soir". Un peu plus longtemps au Bugarach, certes...car il n'y a pas de roses. Il n'y a que des épines. Un parcours épineux mais tellement original...je n'ai qu'une envie, le refaire, débarrassée de la recherche du sentier. Et profiter davantage de cette arête si spéciale. Gracias por tu halago...hihi...c'est juste pour te donner un mot nouveau.
SupprimerDe belles images pour un parcours atypique comme tu sais les choisir. Je t’ai suivie avec plaisir dans ce dédale de roches et ces jardins fleuris. Le texte et son un grain de fantaisie nous tient en haleine, bravo, c’est de l’art ! Rien ne te résiste ! Bises, Josy.
RépondreSupprimerMerci Josy, un terrain qui rend au Bugarach son authenticité que mille délires ont pu lui ôter. Finalement c'est ce parcours qui est extra terrestre. Un parcours à ne pas mettre entre toutes les mains, ou les pattes plutôt. Mais ça vaut le détour. Et je le referai , débarrassée que je suis du fait de chercher le chemin. D'ailleurs il reste là bas un petit mystère apparu sur une photo : une grotte ! Eh, Claude....Bisous
SupprimerAlors là, s’il y a une grotte à explorer Claude sera partant… et peut-être moi… hier soir il regardait encore les photos de la grotte de Villefranche. Il est beau ce Bugarach !
SupprimerJe l'ai fait bien des fois ce Bugarach mais avec toi il devient terra incognita, on le découvre sauvage, mystérieux, sévère tellement il monte à pic, puis tout en douceur avec des fleurettes. Tu racontes trop bien la difficulté, l'énergie et cette passion de la découverte qui te pousse ... J'ai un an de plus que toi et mes genoux flanchent dans les rocailles, ne me restent plus que les voies classiques. Je te souhaite de continuer longtemps à nous emmener sur tes voies aériennes, c'est un plaisir de t'y suivre. Roberte
RépondreSupprimerSais tu pourquoi mes genoux ne flanchent pas ? Parce que à l'heure où j'ai commencé à faire de la rando, tu avais déjà usé les tiens . J'ai commencé à 56 ans et me suis bien rattrapée depuis mais il me manquera toujours une immense tranche de vie. Alors j'essaie de compense en faisant émerger mon esprit aventurier avant que je n'aie plus que les sentiers bien nettoyés. Je vous embrasse à tous deux
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