jeudi 22 septembre 2022

Aude : les vignes de la Pierrelys

 Si vous allez au Défilé de Pierrelys, vous rencontrerez des tas de choses, mais certainement pas la moindre vigne malgré la modeste altitude entre 300 et 400 m. Vous n'en verrez même pas la moindre trace. Dans ce relief austère, sur ces sols arides couverts de végétation, sur ces pentes caillouteuses à l'envi, même s'il vous prenait l'envie d'aller y rôder, vous ne cueillerez pas le moindre raisin et pas une bouteille de vin ne se profilera à l'horizon.


Une partie du site

Autrefois

Et pourtant...un jour il y eut des vignes et des vignerons fiers de leur vin qui paraît il fut bon. Oh il y a des décennies, peut être même un siècle. Ou davantage.

Si la vigne disparut, ce fut à cause du célèbre insecte ravageur nommé phylloxéra, et si pas une trace de cep ne subsiste c'est que c'était avant la greffe sur plant dit "américain". On plantait alors un sarment et la vigne poussait. Mais où plantait on dans ce sol pauvre en terre, riche en cailloux, et en calcaire ? La vigne est tenace, coriace et vaillante. C'est là son secret.


Les vignes aujourd'hui et crêtes de Cap de Fer

Ici les hommes ne furent pas des bâtisseurs cultivateurs, point de terrasses, de murettes, de canalisation des eaux de pluie ni autres cabanes vigneronnes. Ces dernières n'avaient guère de raison d'être, les vignes sont proches du village. Sur ces pentes abruptes, le vigneron pouvait voir couler l'Aude, entendre tout en bas le vacarme des débardeurs et grumiers et sonner les cloches comme je les entends en ce matin flamboyant de fin d'été. Les moteurs de voitures et de motos qui grondent en ce dimanche n'existaient pas, et le couvert végétal qui me cache la moitié du paysage non plus. La pente sévère était découpée en triangles comme un éventail au graphisme multiple, les langues d'éboulis calcaires n'avaient qu'une idée, chasser les ceps échevelés et les hommes patients érigeaient des murettes dans les éboulis pour les calmer, les endiguer. Les hommes d'alors étaient tenaces.


Une rare murette


In "Portraits et Histoire des Hommes Utiles" 1839


C'est au retour d'une 2nde et non ultime exploration sur "le chemin du bois" qui a cassé mes assertions et bousculé mes hypothèses, que je profite, à la côte 519, pour filer en courbe de niveau vers les falaises et le haut des vignes. 

J'ai traversé d'anciens champs fruitiers dont les vestiges me parlent de champs de cerisiers. Il ne reste de cette époque que le porte greffe sauvage de "Cerisier de Sainte Lucie", ou "prunus mahaleb", variété rustique supportant des sols pauvres, calcaires et arides. J'imagine sans peine ces pentes couvertes de bouquets blancs puis de fruits rouges, descendant rudement vers le chemin endigué des grumes. Et grimpant haut vers les falaises sévères. La vigne échevelée prenait le relais alors que je naviguais au jugé entre éboulis, pentes arides où croît une végétation austère et bosquets de chênes verts dissimulant le paysage.

Ancien champs fruitiers  : quelle pente !




Prunus mahaleb

De la griffe humaine ne restent que de basses murettes découpant la pente, limites de propriété ou protection des sols. Nulle trace ici des épierrages en tas, propres aux causses. Je me demande si chaque pied n'avait pas été planté au hasard d'un petit coin un peu plus riche en terre. 


Je ne verrai qu'un joli paysage environnant, devenu très familier et puis les végétaux : lavandes, lavandin, thym, pistachiers et les plants d'asperges sauvages, etc...qui grifferont mes jambes et parfumeront mon parcours. Mon objectif est la falaise, j'y sais quelque chose de bien caché. La pente de ces vignes est redoutable, les bâtons n'y sont pas un luxe.



Saint Martin Lys
Ancien mur enfoui dans le bosquet

Belle falaise proche.






Sur le paysage se lit la période de l'abandon, plus ou moins lointaine



Les murettes sont peu élevées

La végétation arbustive gagne du terrain

La montagne décharge ses détritus

J'en profite pour m'offrir une collation en roche


La pente peut y être impressionnante

Je parviens à la falaise, après avoir traversé un vertigineux éboulis, la pente du sol  est impressionnante en éboulis comme en falaises et des arbres ont élu domicile, collés à la paroi, gênant la progression mais très vite ce que je cherche est là, sous mes pieds : un mur. 

Sévère pente d'éboulis
Vers le bas


Emplacement de l'ancien Monastère ruiné au 16 eme S


Magnifique ce mur qui n'a pas bougé. Si j'ai lu le récit d' Eric Teulière, je ne l'ai pas assez approfondi pour peaufiner mes recherches : du site de ce qui pourrait être un ancien village disparu (porté sur la carte de Cassini) ou d'un groupe de bergeries, je ne verrai que ce qui est évident au regard, pas ce qui peut être dissimulé dans les arbres. Et un outil inconnu abandonné là, presque neuf, forgé main, qui ne saura pas m'expliquer.


Premier mur


Un étage plus bas


La main donne la taille de l'outil


Ce mur est un pare éboulis

Un petit étage supérieur sera juste effleuré par mes pas fatigués, je suis harassée de la balade entre rocs et broussailles que je viens de faire bien plus haut que vignes et cerisaies, je suis ici en fin de parcours et à bout de forces. Mais....je reviendrai, évidemment ! Je n'ai fait qu'effleurer le secteur, deux visites s'imposent toujours au curieux.

En gagnant l'étage supérieur


Là dedans se cachent les ruines de ce qui pourrait être bergeries ou "village"

Par contre, une grotte qui se love dans la paroi au pied d'un des murs requiert toute mon attention. Je m'équipe de la frontale et je pénètre dans la galerie murée naturellement, ancien passage d'eaux. J'ai l'habitude à présent, la grosse araignée paisible ne bronche pas au passage de l'intruse, les insectes s'écartent un peu et si mon coeur bat un peu plus vite c'est que le sous terre n'est pas vraiment mon dessert préféré.

Entrée de la grotte


Quand je rejoins les pierriers et que le paysage s'ouvre, je peux contempler la montagne en face, où j'ai fait des km en sous bois, Fond de la Fago, Barbofino, Serre de Casteilles et ses 697 m, et puis l'Aude, tout en bas, paisible et silencieuse. L'été est fini....


En face 

L'Aude

Redescendre une telle pente demande des jambes sûres et un équilibre parfait. Même si j'en suis loin, c'est sans encombre que je rejoindrai le sentier, qui devient chemin bordé d'un beau mur : normal c'était l'ancienne voie issue de l'ancien pont qui aurait servi jusqu'en 1889 mais très endommagé alors. Par un tronc d'arbre trop pressé, raconte l'histoire.

Rive droite, la pile du pont

Rive gauche, départ du pont de bois

Le circuit du jour :  Ainsi j'ai bouclé mon 71 eme km à pied dans le secteur

Trajet approximatif du jour (4.5 km)
en rouge "chemin des grumes"
en blanc: chemin des vignes





11 commentaires:

  1. Merci de me faire découvrir les alentours de mon Fenouillèdes Nicole

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    1. Ton Fenouillèdes me réserve bien des surprises, la pente couverte de végétaux entre St Paul et Caudiès m'attire; j'y sais un chemin, j'y sais une ancienne tuilerie, et des ruines. J'irai un jour y fouiner, mais c'est terriblement austère

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  2. Récit bien vivant sur un site agricole agonisant. Toujours agréable de te lire. Merci Amedine. Guy

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    1. je ne pensais jamais qu'un lecteur s'intéressât à ce récit, j'ai de belles surprises. merci Guy

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  3. Un voyage dans le temps dépaysant mais... pas tant que ça, en définitive ! Nos ancêtres nous y invitent mais à condition de nous dépouiller de nos oripaux du 3ème millénaire et à laisser vaquer notre imagination, guidés par ces rares vestiges. Dures et frugales existences, quels furent donc leurs bonheurs ? Voyageons dans le temps et... imaginons. Merci "Lison" ! P.DS.

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    1. Quand tu parles de se dépouiller de nos oripeaux je souris car au sens figuré, oh que oui ! au sens propre par contre je mets la tenue vagabondage qui est un champ de ruines percé de trous car j'avance souvent en mode animal. c'est en quittant les chemins du 21 eme pour entrer dans les sentes animales que l'on perçoit mieux le paysage. Je pense en marchant, à ces vies : je les vois, je les entends tous ces gens, je recolore le décor, je redécore ces friches, je réinvente leur vie dans le secret de mon chemin solitaire et bardé d'épines et j'éprouve à la fois un respect immense, un bonheur indéniable et le fugace regard que je porte sur moi en ces sites en me me disant un instant seulement "mais tu n'es pas un peu cinglée de te trouver là dedans ?"

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  4. Très intéressant. Combien de villages disparus ? La nature gagne toujours.

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    1. Dans le secteur ils seraient deux, mais dans d'autres secteurs , en 66 par exemple, il y en a quelques uns, allant du simple pan de mur au village mutilé mais debout (els Horts). La nature est plus vivante que nous tous

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  5. Toujours un grand plaisir à te lire. Je passe à un autre de tes récits et ainsi de suite....Bonnes balades encore ! Et merci ! ASP

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  6. Une nature hostile qui témoigne de la rude vie des vignerons de l’époque, difficile de progresser dans ce lieu envahi par une végétation dense, une pente abrupte et des éboulis… je peinais en te lisant. La grotte plairait à quelqu’un… Tu es un vrai sanglier pour dénicher des endroits aussi perdus, quelle endurance ! De belle falaises ! Je comprends qu’elles t’attirent. Bises, Josy.

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    1. J'ai l'épiderme du sanglier mais notre but est différent..hihi. Ce secteur est beau, j'en connais à présent 70 km. Et c'est pas fini....Bisous. a bientôt pour de nouvelles aventures.

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