mercredi 8 février 2023

Albères : tempête au Sailfort, 981 m

 Ce dimanche soir, lorsque j'ai enfin entré ma voiture au garage et gravi mon escalier, il n'est pas un morceau de mon corps qui ne me fasse mal. Les articulations grincent, le genou hurle, les cervicales brament, les muscles renâclent et les yeux brûlent. J'ai les poumons desséchés, le corps déshydraté, et je suis épuisée. A part cela tout va bien et surtout, je suis heureuse ! Et ce n'est pas une reprise de "y a la rate qui se dilate", tube de 1932 chanté par Gaston Ouvrard !

Je n'ai pas gravi l' Everest, je n'ai pas fait un 3000, je n'ai pas marché sur 30 km, j'ai juste "avalé" un petit dénivelé de moins de 700 m et 10 km de sentier balisé. Et pas encore 90 ans au compteur. Et alors ? 


Entre mer et ciel

Et bien "je me suis farci" une tempête de tramontane, pour monter au Sailfort ou Sallfort, à moins de 1000 m d'altitude. Oui mais....au sommet c'est pire; je ne tiens pas debout !

Mais revenons au départ...

Col de Banyuls, 43 km de route. La dernière partie, qui remonte la vallée de la Vallauria est superbe avec ses hameaux , ses vignes en verticales terrasses, comme de géants escaliers, tandis que le soleil allume les crêtes. Les mimosas essaient leurs premiers bouquets et la tramontane commence à secouer le tout, pas très bon signe.






Le Sailfort peut être

Col de Banyuls 355 m

Au col, barré par "les rochers de la colère" pour éviter le passage transfrontalier, il fait froid. Il n'est qu'à 355 m pourtant. A peine un peu moins vêtue que dimanche dernier j'attaque la montée agréable, elle restera agréable jusqu' en haut à 981 m. Agréable parce que c'est joli, que je suis seule, que je vois la mer sur ma droite...et ensuite sur ma gauche, côté Catalan, parce que je suis en crête et que la vue porte loin. 




Sur les crêtes, la neige attend



 5 mn à l'abri


Mais le vent est d'une rare violence, crêtes obligent. Je tangue comme un bateau ivre. Les arbres sont comme des récifs que l'écume ferait vibrer dans un océan en furie. L'océan, son vacarme, avec son flux et son reflux puissants,  c'est l'air. Je marche juste en dessous de la crête est c'est tant mieux. Le moindre passage découvert, en ligne de crête, le moindre petit col, est une épreuve : tiendrai-je debout ? vais je m'envoler, tomber ? J'ai arrimé mon serre tête avec une ficelle, le vent parvient à défaire les noeuds,  je ne devrai de récupérer ma protection qu'à une plante épineuse bienveillante. L'appareil photo est nanti d'un cordon passé autour de mon cou, j'ai rarement connu pareille violence, sinon à Vallter ou en montant au Puigmal, en altitude tout de même! Mais ici...500m, 600m, ..Je recule parfois et suis prête à abandonner. Et pourtant, qu'est ce que je me régale ! Je suis fille de la Tramontane, élevée dans ce pays où elle fut reine avant le chambardement climatique. Mon corps sait les gestes, les postures, qui permettent de s'y mesurer et la braver. Alors oui, c'est une vraie bravoure que de continuer son chemin.


Précaire équilibre

Par chance, ceux qui ont construit ce sentier semblent l'avoir fait par grand vent et ont choisi les passages les mieux protégés, tantôt face est, tantôt face ouest, sous le couvert végétal, presque en ligne de crête, le presque étant la différence. Lorsqu'un petit  col se présente, alors il faut s'arc bouter. Sinon, dans le sous bois, cela redevient calme, pourtant la montagne tremble, vibre, crache, hurle, vocifère, comme soumise à un séisme.

La montée est rude. Après quelques drôles d'excavations dans le schiste fauve dès le départ, il semblerait que cette montagne appartint jadis à des "llosers" soit des tailleurs de dalles de schiste. 

Une des excavations


Le schiste




On peut en voir encore au bord du chemin, comme empilées et prêtes au départ. Sur le chemin, un passage lisse et luisant, poli, indiquerait, peut être, le passage de charrois étroits. Oui la montagne essaie de me parler.

Côté catalan, de molles ondulations couvertes de végétation enserrent des vallées étroites et fermées au regard; des chemins se perdent sous le couvert, quelques pistes se devinent, l'envie d'explorer se dessine.


Côté catalan


Côté français, c'est plus sec, plus dénudé, plus tranché, plus lisible aussi, avec cette mer étale qui noie le regard.

Côté français ; Banyuls sur mer


Après avoir longé un reboisement datant de 1971, conifères magnifiques, j'entre dans la forêt de chênes verts, à la lumière si particulière heurtant les troncs graciles typiques du déboisement et quelques beaux spécimen que les détrousseurs de forêts protégèrent Dieu sait pourquoi. ça grimpe dur, la roche devient très présente et le sentier s'insinue entre des castelets de pierre, du gneiss, voire un peu de granite et de calcaire s'y mêlant, avec quelques veines de quartz immaculé, oui si le végétal est un paysage, le caillou sait l'être aussi.

Plantations de conifères


Les chênes verts

Parlons en du paysage, celui qui est d'exception : les sommets, modestes et rocheux, la longue ligne qui s'étend vers le pic Neulós, que je briguais mais que le vent m'interdira, et la mer qui dévoile ses ports, Collioure, Banyuls, Port Vendres,  le Cap Béar aux terribles tempêtes, et puis la Tour de Madeloc, le Fort Saint Elme. La baie de Rosas, joyau étincelant, les lointains bleus, tout est beau. Le regard se grise.

Les crêtes en direction du Neulós

Même chose

Banyuls

Au zoom

Tour de Madeloc


Un abri en pierres

Et une étroite construction attenante



Côté catalan

Passage en roche  dans le sentier


Le Sailfort m'est inconnu, je le cherche, je ne sais pas que c'est ce grand roc en ligne de mire. 


Le paysage : col de les Eres et le couvert végétal omniprésent

Je vais le comprendre quand je quitte le sentier balisé pour suivre une trace, que se dessinent quelques cairns au pied d'une forteresse, que je vais enfourner les bâtons dans le sac et, qu'à pleines mains, je vais empoigner la roche. Je vais suivre le passage, ne pas m'aventurer dans les falaises bien que je sois sous le vent, ne soyons pas téméraire, mais sitôt arrivée sur la cime, il faut se cramponner, gérer son centre de gravité , s'accrocher aux murs, assurer avec des cailloux l'appareil photo pour le selfie. C'est hallucinant, la fille de la Tramontane a perdu toute stabilité. Et continue à se régaler.

Les flancs du Sailfort



Au zoom on distingue Port Vendres

Ascension du pic

Je ne tiens pas debout


Du sommet : Collioure de toute beauté

La tourelle du sommet, faut s'accrocher

Vue d'en bas au zoom

Je redescends et vais m'aventurer vers cet éperon qui conduit au belvédère nanti d'une grande croix. Le trajet est superbe  : rochers en tas et en feuilletages, arbres sculptés par le vent et par une race de vaches propre aux Albères, la Fagina. Ce serait trop long de raconter cette particularité mais vache et "faitg" (hêtre) sont indissociables. En tout cas elles on donné à la végétation un visage particulier.


Le travail des Fajinas sur les arbres (ici du houx)


Le travail de l'érosion

Il existe, caché au pied d'un monticule rocheux "le plus petit refuge du monde", qui derrière ses vitres ne peut accueillir que deux personnes minces et bien serrées. J'en ramène une bosse sur ma carrosserie frontale!


Ce n'est pas la Bête du Gévaudan

La mascotte du Sailfort, qui l'a sculptée ? Les vaches ? 



Sculpture de Tramontane




Un étonnant petit refuge


Et là, je vois se profiler un troupeau, une meute, une horde, de randonneurs : 29 humains conduits par un guide que je connais. Retrouvailles sur fond de tempête.
Il y a plusieurs sentiers pour accéder au Sailfort, le classique est celui par le col des Gascons, peut être plus abrité de la tramontane et, plus court mais plus "bousculé", celui du Col de Banyuls et de la crête, mon choix. Un autre également provenant du Rimbau et rejoignant celui de la crête.


Depuis l'intérieur

Un randonneur entre en mode contorsionniste


 Quelques éléments s'essaient en guise d'apéritif à rejoindre la croix, nous nous envolons tous, une haute lutte pour tenir debout. J'évalue les rafales à 140 km /h.

Le paysage y est sublime toute fois...

Tout au bout de la crête, près de la croix

La croix du Sailfort

Mais comment fait il ??




Elle a du mal à ne pas s'envoler



Collioure tout en bas

Port Vendres


Le Neulós et le Canigó


Hameau du Rimbau et anciennes vignes


Vignes façon moderne


Je vais me terrer dans une sorte de grotte derrière laquelle mugissent des flots impétueux alors que ce calme plat est désorientant. Joli restaurant d'altitude, à deux places aussi, avec vue sur mer.


Mon refuge


Le gardien de mon refuge


Décor du restau

Même chose


Après le repas, il est un peu difficile de se jeter dans la tempête; je fonce si vite que je perds le sentier, cette fois je contourne le Pic de Sailfort, je ne tente pas sa désescalade.
Cette neige poudreuse qui perdure, j'ai toujours entendu dire dans mon enfance, par les anciens, "elle en attend une autre". Encore une fois cela s'est vérifié deux jours après.



Altitude 900



Je descends si vite que je perds le sentier balisé du contournement, mais je le retrouve en grimpant et en pataugeant dans des flaques de neige. Cette descente sera magnifique : le vent n'est devenu qu'une classique brise, que d'aucuns nommeraient vent fort. Je vais profiter de l'accalmie pour m'approcher du vide côté catalan, chercher du regard des chemins, une ruine, et surtout je vais essayer de retrouver un sentier transversal qui évite les crêtes, porté sur la carte française (côté catalan) mais enseveli dans les broussailles, désaffecté, semble t'il. 


Le sentier serait dans ce décor, je le situe mais il est introuvable


La mer va s'estomper, bientôt quasi disparaître du champ visuel, je me repais de la Baie de Rosas, je salue le Cap Béar qui détient les records de violence du vent.

La splendide Baie de Rosas



Le Cap Béar


Me voilà en vue du Col de Banyuls: une furieuse envie d'aller me restaurer à Espolla, premier village catalan, me taraude. A pied ? Trop loin. Ce village a une salle très particulière, comme je les aime, atypique. C'est plus que la faim, qui me pousse là bas. C'est le côté original.




Alors, je tente, j'ose, non je ne pousse pas les rochers, mais ma voiture est étroite et ...quina sort ! (quelle chance!) me voilà en Zone Interdite.


Il n'y a plus qu'à rallier Espolla, 10 km quand même, époussetée par le vent glacé, et gagner le café de la Fraternal, Société de Secours Mutuels créée en 1927. Là bas, on sert à manger à tous moments. Ce sont deux grandes salles au décor très vieillot mais authentique. Point de petites tables: de grandes tables où tout le monde prend place, en un bruyant mélange (on est en pays catalan) lieu de convivialité s'il en est, propice aux échanges, au partage.  Loin des échanges et partages des réseaux sociaux. Mais oui, même à 15 h 30 on me concocte un petit repas. 


Espolla et son café

Le café et "mon festin"


En chiffres
Point culminant : 981 m
Distance : 9.6 km
Dénivelé positif  cumulé : 650m
La route : 86 km AR






10 commentaires:

  1. Magnifique reportage bravo 👌🤗🤗🤗

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  2. La beauté de l'écriture n'a d'égal que la rudesse des éléments et l'âpreté du Sailfort par influence tempétueuse ! Des panoramas et des clichés à couper.... le souffle ! Bon, j'exclus la table de l'auberge espagnole qui a néanmoins dû rassasier tant le corps que l'esprit ; j'imagine un retour, le soir, auprès d'un bon feu de cheminée où l'auteure aura pu méditer sur le fait de se confronter aux éléments et d'en tirer une satisfaction doublée d'un soupir : "quelle journée" !! Félicitations et.... admiration !

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    1. Merci beaucoup pour ce résumé efficace et poétique dont l'auteur n'a rien à m'envier côté verbe, peut être m'envie t'il côté gestes et confrontation à la tempête ? Il est des jours où se confronter à la tempête est un délice, d'autres un enfer...quand on taille la vigne immobile par exemple...

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  3. Encore bravo pour ce récit d'épopée. Le "côté catalan " en opposition au "côté français" m'attriste beaucoup tout de même.
    Le travail de sape de la RF est d'une efficacité redoutable lorsqu'une Catalane élevée par la tramontane nomme "Pays catalan" l'Alt Empordà et "côté francais" le Rosselló. Deux comarques voisines et Catalanes toutes deux.
    Ce n'est point une critique Amedine mais la constatation de la persistance d'un déni français dont les rochers de la discorde ne sont qu'un mépris de plus de ce que nous sommes.

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    1. Je ne fais aucune politique dans mes récits et je n'en ferai pas dans mes commentaires. Mais géographiquement parlant, pour situer aux yeux des lecteurs qui ne connaissent pas ce sujet, il faut bien que je donne une indication. De plus je ne suis pas du tout certaine que les catalans du sud nous reconnaissent à nous comme des leurs...Et pourquoi chaque fois qu'on aborde, qu'on esquisse, ce sujet, les catalans ont ils le poil qui se hérisse ?

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  4. très beau texte et magnifiques photos d'un site que je connais un peu. J'y suis monté trois fois depuis le coll des Gascons dont deux fois avec cette sacrée tramontane. Merci Amedine. GV



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    1. Et bien une prochaine fois est indispensable par le col de Banyuls pour les vues sur mer et les vues de part et d'autre de la ligne frontière.

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  5. Quel beau reportage ! Le souvenir d’un certain premier de l’an s’impose… nous avions renoncé à cause de la tramontane. Bravo de l’avoir affrontée cette fois. Le Saifort est magnifique quel que soit le sentier que l’on emprunte pour le gravir. Merci pour ce récit et ces photos, j’ai adoré. Bises et bon vent. Josy.

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    1. Je souris à ce souvenir, qu'est ce qu'on s'était régalés ! Je dois remonter là haut pour explorer le versant sud et un jour je tenterai par une autre approche. Tout est beau là haut. Bises

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