mardi 13 juin 2023

Aude - "l'os de la Pierrelys"

 L' histoire du jour se situe exclusivement sur la commune de Belvianes et Cavirac, Aude, qui partage avec Saint Martin Lys le Défilé de la Pierrelys, une des gorges de l' Aude. 




Ce défilé, je l'ai déjà conté, ne fut entièrement ouvert à la circulation qu'en 1781, avec le percement du "Trou du Curé" par le fameux abbé Armand qui fut à l'origine  de cette route. Avant le percement d'un petit tunnel devenu grand,  dans cette immense falaise qui plonge abruptement dans l' Aude, un chemin permettait de franchir l'obstacle, le cadastre en porte la trace indélébile. Ce chemin prenait naissance dans un ravin et filait quasi rectiligne sur les hauteurs, passant par ce que l'on nomme "le Belvédère du Diable".



Percé en 1781


Le départ de ce chemin est  sur le cadastre (double trait)


Habituée à rechercher les "chemins de l'impossible", il manquait à mes 72 km à pied parcourus dans le secteur, ce chemin là, ou plutôt une fraction de ce chemin, quelques centaines de mètres à peine, portion dont je connaissais le départ, impossible d'accès à présent, et l'arrivée, devenue chemin de randonnée.

Mais sur le parcours intermédiaire, j'étais "tombée sur un os", autrement dit, la difficulté était gigantesque.

J'ai fait deux tentatives, séparées par le temps, mais je ne voulais pas m'avouer vaincue. La troisième serait la bonne ou la dernière, c'était dimanche, 11 juin. 

Mon départ eut lieu de Belvianes, puisque depuis le défilé c'est impossible 

En effet, le chemin démarre dans un abrupt ravin, un coupe gorge devrait on dire, et la construction puis l'élargissement de la route l'ont rendu inaccessible. Il faudrait escalader en varappe sévère le ravin, au vu et au su de tout le monde, discrétion non assurée et danger potentiel vu le relief. J'ai donc écarté cette option. D'ailleurs l'arrêt y est interdit.



Le ravin depuis la route : un toboggan
La photo écrase un peu la pente




Sur la rive du ravin passait le chemin



On peut encore voir son soubassement en pierres taillées

Je n'avais d'autre alternative que partir d'en haut, de Belvianes et retrouver le chemin. Belvianes est un petit village tout en hauteur.

Jusqu'au Belvédère du Diable, c'est facile, devenu chemin de randonnée. Le Belvédère du Diable est élément d' une longue arête calcaire terminant sa course dans l' Aude, celle là même qui fut percée du Trou du Curé. Ce sont 2 km d'un chemin assez large, bordé de murs. L'arête du Belvédère est percée d'une tranchée taillée dans la roche.


De Belvianes au défilé : vestiges



La muraille du Diable

Le paysage se dessine 



Depuis le belvédère : l'Aude et la route, le Défilé et la muraille du Diable


Après ce Belvédère où une belle vue sur la Muraille du Diable et le Défilé vaut le "voyage", le chemin continue, soutenu par un haut mur de pierre, ce qui prouve bien que le passage était ici. Ensuite il se perd allègrement au passage d'un ruisseau et un autre sentier de rando et de trail prend le relais vers les hauteurs.

Passage du chemin taillé dans l'arête



Le mur de soutien du chemin, vu d'en haut et vu d'en dessous



Ma recherche les fois précédentes fut d'essayer, à partir du ruisseau, de retrouver le chemin. La première tentative fut décourageante, je n'avais pas assez travaillé la topographie et je m'abîmai dans des broussailles dont j'eus du mal à m'extirper. La seconde tentative fut plus modeste, je cherchai juste la cohérence du passage après le franchissement du ruisseau, minutieusement, mes pas me ramenèrent à ma première tentative et je découvris un muret qui pouvait être le départ du gué puisque c'est la seule faille dans ce ruisseau aux rives devenant encaissées mais non rocheuses. 


Le site  de mon ancienne exploration



Et je vais tracer une diagonale là dedans, facile à dire !


Mes vestiges


Dimanche,  munie de vues aériennes portant le cadastre, dont la projection n'est pas d'une grande justesse,  (un GPS est inutile puisque le sentier n'est sur aucune carte), de précieux calculs (qui furent inutiles) et de mon GPS me permettant de me repérer en vue aérienne avec les vues du cadastre, je parvins à faire le trajet. Mon trajet. Avec ses erreurs et ses ébauches.


Le départ au ravin (il y a toujours une petite erreur de projection)

Source : Géoportail

Je parviens à me repérer en faisant correspondre la vue aérienne de mon GPS, donc ma position, avec les détails portés sur le plan de Géoportail (un arbre, une barre rocheuse, un détail du paysage), ce qui rend très lente ma progression, mais la plus proche possible de la réalité même si l'emplacement du trajet est inexact sur Géoportail. Par contre mes repères altimétriques et d'azimuts ont été peu utiles.

Source : Géoportail


Je n'ai rien retrouvé du chemin, pas un mur, pas une assise, pas un indice : je me suis cassé les dents "sur un os". D'ailleurs même pas un os animal ni une trace humaine ne jalonnent le parcours.

Ce fut musclé, escarpé, brutal, saignant, griffant, épuisant mais exaltant : ici personne ne va, pas même un chasseur. La rumeur de la route et de l' Aude tout en bas, et les chants d'oiseau furent les seuls signes de civilisation. On est bien loin de 1781. 242 ans que ce chemin fut désaffecté, cela laisse des traces dans le paysage, traces invisibles au profit de la végétation, de l'érosion, dans un site où tout n'est que brutalité et adversité.

J'ai taillé des branches, escaladé des murs de roche, savouré jusqu'à l'usure la beauté farouche du site et la puissance végétale, sué à grosses gouttes, de l'eau dans les yeux, sous le soleil, foulé prudemment un long pierrier afin de n'y pas rouler, respiré le parfum de la garrigue et des sous bois en alternance...

Il était presque fou mon pari.

En images :


Le secteur  carrossable


Un peu moins carrossable




Et plus du tout ! Et pourtant...

Presque pas carrossable


Le pierrier que traversait le sentier

Aucun vestige ne subsiste...242 ans ont passé


Le pierrier vu de la voie ferrée : 


Dans son décor austère



Au zoom

Et sur site : sportif



Sportif aussi


Et j'ai traversé

Approximativement, une esquisse du trajet


En navigant un peu au jugé, beaucoup à l'intuition, je suis parvenue à la grande falaise dominant le ravin de plusieurs dizaines de mètres, où justement avait pris naissance le chemin. Mais par où avait-il atteint la crête sur laquelle j'étais juchée contemplant un paysage aussi muet que somptueux? Y eut il des gradins ? Un sentier taillé dans le roc ? Ou une seule et unique faille dans la crête reptilienne permettant un passage ? Pour ce faire il eut fallu pouvoir remonter le ravin depuis en bas, mission quasi impossible  (discrétion oblige).




La grande falaise en rive gauche du ravin le surplombe de plusieurs
dizaines de mètres




Le ravin dans ce creux et la route en bas, dans le Défilé




Zoom : la route et l' Aude




Le Trou du Curé



Paysage vertigineux

Incessant ballet


A présent, forte de mes essais, de mes non trouvailles, et de mon approche du site, il me fallait revenir en étudiant au plus près la cohérence du tracé de ce chemin.



Ce fut assez facile; là où j'avais escaladé, je trouvai un passage cohérent, là où j'avais ramé dans le pierrier, je trouvai une cohérence de traversée et de cohérence en cohérence, c'est un cheminement assez facile, excepté la végétation, qui s'ouvrait à moi, comme une évidence. Je retombai vite sur mes balisages précédents, sur le muret du passage à gué et je retrouvai le chemin de rando, quelque peu égratignée, le short en loques, morte d'usure et de douleurs, mais heureuse de ma "conquête de l'inutile".


L'unique vestige





Le chemin devenu sentier de randonnée, quel repos !



Il reste la question cruciale : pourquoi ce départ dans ce ravin, véritable gorge à la quasi verticalité ? Alors que le vallon suivant n'a rien d'escarpé. Ce n'était certes pas par masochisme ; je suppose simplement que la falaise longeant le ravin devait plonger dru dans le fleuve et ne laissait aucun accès possible en dehors de son cours escarpé. Un examen minutieux des lieux corrobore mon hypothèse.

Bien sûr tracer le sentier dans ce vallon eut été la cohérence même, mais....



Mais une redoutable barrière rocheuse plongeait dans l' Aude, rendant inaccessible le vallon par le bas, telle qu'on peut la voir depuis le chemin de fer en face.






Ce qui donne, à l'aplomb de la route, cet aspect de barrière infranchissable: 





Encore plus saisissant


Et vu d'en bas, c'est criant !


Ma voiture donne une idée de la configuration du lieu
aujourd'hui et tel que ce devait être avant l'ouverture de la route


C'est la seule cohérence que je peux trouver dans l'incohérence de ce départ.

On ne peut même pas étudier le site depuis la rive opposée de l'Aude puisque les Murailles du Diable sont inaccessibles. 

Mais une part de mystère concluant une histoire n'est pas un point négatif, bien au contraire, cela laisse une porte ouverte à l'imaginaire, et, un jour, peut être, la réponse me sera donnée.

Il en va ainsi de ce mur qui garde son mystère en un endroit où un mur semble une aberration.








4 commentaires:

  1. Trou du curé, muraille du diable, à pics vertigineux... tout pour dissuader le visiteur des lieux.... sauf une "irréductible gauloise catalane !" Comme ce sont des lieux qui me tentent peu, merci de nous y avoir virtuellement conviés, nous qui pratiquons régulièrement l'étroite route qui serpente tout en bas et qui osons à peine lever les yeux vers ces crêtes si minérales !!

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    1. C'est pour cela que je me dis que mes visites se font dans la discrétion assurée ! Les conducteurs dont je suis aussi n'ont guère le loisir de regarder ailleurs que devant leur volant. Alors je leur offre le voyage virtuel dans les airs le temps d'une lecture

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  2. une belle exploration. Ce site est déjà splendide vu d'en bas. Alors d'en haut ... Bravo Amedine. Encore un beau moment de lecture. Et c'est tant mieux, car je ne ferais pas ça tous les jours. Jamais d'ailleurs. Bizzz
    GV

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    1. Je pense à toi quand je fais ces balades, je te les offre, non mais c'est vrai ! Je sais que tu serais curieux de ces choses là, peut être moins intensément que moi, mais le prochain récit est dans tes cordes ! Voyons si ce sera vrai...Amitiés

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