dimanche 26 juin 2016

La Tour d' Eyne et le Cambre d' Ase : altitudes 2831 et 2750




Après avoir différé mon escapade dans les airs la semaine passée, escapade qui en valait bien la Peyne (clic) par ailleurs, me voici cette semaine fin prête au décollage pour la Tour d' Eyne.


Couleur de saison: le rhododendron

J'ai dormi au parking de la station de ski d' Eyne (1776 m) où une petite tempête d'éclairs tonitruants et de grêle mêlée de neige a cherché à déranger mon sommeil. Mais tout cela battit vite en retraite , pressé d'ennuyer le monde ailleurs.
Oui le temps est incertain c'est ce qui me fait quitter mon abri à 6 h15 du matin pour m'enfoncer dans la forêt endormie et non silencieuse, les oiseaux ne s'y taisent jamais.
Le Pla de Cambre 1935 m : personne sur les pistes et pour cause mais à ma droite le Cambre majestueux et à ma gauche le ciel rivalisant de majesté.


Pla de Cambre : 1939 m



J'attaque dès lors la montée en sentier et jamais je ne l'ai trouvé aussi ardu : jusqu'au sommet du Cambre, 2750 m, ce sera marche lente dans une forêt déserte et fleurie puis dans une pente rocailleuse et battue des vents où force me sera de me revêtir.

Gentianes alignées comme des éoliennes
et genêt purgatif


Le Cambre, comme des orgues, apparaît une seule fois, en forêt,
 à la Roca Roja 2080 m

Je chemine lentement, trop à mon goût, ce qui me permet d'admirer un paysage dont je ne me lasse pas bien qu'il me soit familier : du Capcir je ne vois qu'un tapis mouvant d'une brume qui sera tenace tout le jour, mais le Madres, tous les pics du massif du Carlit, s'offrent à mes yeux. A présent ils ne sont plus d'illustres inconnus. Arrivée en crêtes, c'est alors le sud qui me saute au visage mais un sud tourmenté, crénelé, festonné, creusé de profondes vallées, la Coma Amagada qui ne l'est plus (combe cachée) et puis celles que je ne vois pas mais que je sais.

Coma Amagada, au fond vallée de Planès, le Malaza et la tour d' Eyne depuis 2700m d'altitude

Le sommet à 2750 m est battu des vents et si je suis derrière la croix cette fois, je me tiens à elle car il y a juste dans mon dos un à pic de 250 m vertical : les couloirs.


Pic de Cambre d' Ase 2750 m
















De là le paysage est grandiose et déjà je reluque ma Tour d' Eyne qui doit être le plat du jour puisque le reste je l'ai déjà parcouru. Elle n'est pas loin, et guère plus haut, juste 81 m de plus , au terme d'une crête qui monte et descend pendant 2 km, au gré des morsures du temps mais cette tour d' Eyne couronne un solide éperon rocheux et sombre qui m'a toujours mise en appétit.
Je ne m'attarde pas alors que j'en aurais envie, je danse un peu sur les crêtes du Cambre, bien affûtées,

Crête du Cambre d'Ase: à gauche les couloirs, à droite la Coma Amagada

Je veux voir la cheminée ou grand couloir que j'ai descendue 2 fois en hivernale juste pour voir si elle est carrossable en été. Au cas où l'envie me prendrait de rentrer par le plus court chemin.

Grand couloir : été et hiver
 Rassérénée,  car je le peux malgré la forte déclivité, je pars d'un pied léger sur les crêtes couronnant la vallée de Planès. Ce seront 2 km oscillant autour des  2700 m qui dominent la vallée d' Eyne et celle de Planès.

Les crêtes  en direction de la Tour d' Eyne : 2700 m 

Des tapis de couleur

 Je commence à ourdir un plan, descendre directement dans la somptueuse vallée d' Eyne que j'entends mugir,  et tout en marchant, je calcule quelle sera la meilleure trajectoire pour la rejoindre.
Il suffira juste de se lancer dans la pente pour un 600 m de descente en ligne directe, hors sente, sur éboulis, pelouse ou..? .Restent toujours des parties cachées qu'on ne voit qu'au dernier moment.




Le Malasa et le Roc del Boc 2774 m ainsi que le début du Serrat dels Llosers (droite)

Le vent d'ouest me fouette toujours, la chaleur est très modérée et les sommets  sud et est me dérangent fort car les nuées commencent à les envahir ce qui peut présager de l'orage ou de la brume.

Serrat dels Llosers

Bien sûr ...j'ai peur. mais je me raisonne et dans ma tête cela valse fort : évaluation du circuit de descente si la brume envahit tout, pour y échapper ou en sortir indemne (souvenir cuisant de ma descente de l' Enfer ) mais aussi la raison qui me souffle que tant que le vent est là, il retiendra ces nuages. Bref j'étudie le paysage en pressant le pas.
Le seul habitant des lieux
 Une halte pour échanger quelques propos avec l'habitant du coin et je suis au pied du "château", véritable forteresse brun sombre très facile à franchir il est vrai. A ses pieds un monde noirâtre d'éboulis n'invite pas au voyage et enfin j'atteins mon sommet convoité.
Dans ma tête, en grimpant , passe en boucle la comptine "Malbrought s'en va t'en guerre" comptine de 1709 mise à la mode à la cour de Louis XVI en 1781.

"Madame à sa tour monte
Mironton mironton mirontaine
Madame à sa tour monte
Si haut qu'elle peut monter (bis)
Elle voit venir son page
                                                                                       Mironton mironton mirontaine,
                                                                                       Elle voit venir son Page
                                                                                      Tout de noir habillé(bis)" etc...


Sommet et sa croix : 2831 m


Dernière crête



Vallée de Planès  et le massif du Malasa, à droite

Petit passage à grimper avec les mains
Oui Madame à sa tour monte et a failli s'arrêter à la porte de la tour ! car ces nuées sur le Puigmal descendent impitoyablement . Je tourne les talons et puis : "Au Diable, on n'est pas en Enfer !!" et je monte . Un petit passage avec les mains et enfin la dernière crête.


 Là on a envie de se poser et de contempler ! C'est rocheux, déchiqueté et cette vue ! De tous les côtés...époustouflant. Personne ici.




Le sourire de la Tour d' Eyne qui me souhaite la bienvenue
Vallée de Planès


Coma d' Infern, Pic Rodo, Pic d' Anyella et au loin peut être les Pics Raco
Vallée de la Riberole
Si je pouvais je dessinerais, remplirais des lignes sur mon cahier. Au lieu de cela, j'invective les nuages, je trace un cap à la boussole et je trace tout simplement comme si j'avais le Diable aux trousses. Quelle froussarde !



 Là où tout à l'heure il n'y avait rien, on dirait un volcan !!

 La Coma Amagada l'est encore plus, disparue sous la brume. 
heureusement je vais lui tourner le dos.

Je bénis le vent d'ouest qui frappe mon visage et contient le brouillard.






Alors, je choisis ma trajectoire dans le tout droit et je file comme le vent. Je me régale, je sais que je ne risque  -presque - plus rien car je ne peux que rencontrer la rivière d' Eyne que j'entends chanter et donc le sentier bien marqué. Je reste prudente pour chevilles, genoux. Je ne suis plus assez jeune pour les excentricités, donc les risques, en solo !


La vallée d' Eyne tout en bas ; j'ai déjà parcouru un bon morceau de pente


La rivière tout en bas








Je file dans les éboulis ou les pelouses semées de toutes les couleurs de fleurs, même noires !


 Je m'arrête enfin, affamée, devant cet orri que je découvre sous un repli de terrain, "l'orri de dalt", posé là comme un miracle.


Il est magnifique, on ne peut y entrer qu'en biais mais en cas d'orage je sais que je serai à l'abri. Bon j'en fais mon restaurant en terrasse.


Le dernier volet de la descente est caché : je pourrais  remonter vers l'amont , la "route" est aisée, je choisis l'aval dissimulé sous un balcon : c'est une pente abrupte de genêts purgatifs en fleurs. Moi qui apprends à peine à les aimer, je serai servie, je descends à la manière des troupeaux sous le regard surpris  des spectateurs alignés le long du torrent  qui regardent arriver cet extravagant humain surgi de nulle part, dévalant comme un ours dans des craquements végétaux ce mur jaune. Ils me diront "vous devez connaitre le coin pour descendre là ?"...Et non, leur dis-je,  je découvre...


Mais arriver "là" et tomber sur "ça", quel cadeau ! Oui une journée riche.





La Vallée d' Eyne est un joyau dont je ne soupçonnais pas la beauté. Se trouver là c'est basculer dans le monde enchanté des contes où tout est beau, riant, lumineux, fleuri, enchanteur. Oui, enchanteur.



On marche en silence comme pour écouter les couleurs et les fleurs tellement il y en a. 
En tapis, en coussins, en tentures, posées sur l'eau, sur les troncs d'arbres. Une beauté éphémère mais qui attire un monde fou.








En résumé une extraordinaire randonnée faite d'un bel effort physique, très soutenu, faite de paysages aussi différents que possible, de sensations et émotions intenses, de grande solitude puis de son contraire, deux mondes juxtaposés qui font de ce périple quelque chose de rare.

Qui en valait bien la P'..Eyne !!!
(clin d'oeil à mon précédent article)


En chiffres :
Cumul des dénivelés positifs : environ 1250 m
Distance totale : environ 16 km
Trajet faisant une boucle intéressante avec retour par la rigole d'arrosage allant de la rivière à la Station de ski d' Eyne et au delà.

NB : La randonnée promise dans le Cirque de Mourèze (34) sera au prochain menu

21 commentaires:

  1. Excellent ....quel récit !!! Et quelle épopée +!!! Époustouflant tu l'as écrit mais bien réel. ..et les gentianes bleus j'adore les rhododendrons rouges aussi les genêts les blanches ce petit ruisseau la cascade j'entendais le roulis de l'eau magnifique. ..la nature le silence tout y est serein ...merci pour ce beau voyage ...bises et bonne nuit 💖💖💖💖💖

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    1. je me suis régalée tu l'as bien ressenti. J'y retournerai, autrement, j'ai l'avenir devant moi pas vrai ??

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    2. Je compte sur toi pour me faire vibrer dans mon fauteuil car les sommets aussi sont magiques. .et je ne pourrais jamais le vivre en vrai ...MERCI..courageuse et téméraire randonneuse ..

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    3. Je compte sur toi pour me faire vibrer dans mon fauteuil car les sommets aussi sont magiques. .et je ne pourrais jamais le vivre en vrai ...MERCI..courageuse et téméraire randonneuse ..

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Toujours l'excellence. On a envie d'y être. Non, pas tout à fait. Mais cette vallée d'Eyne, que l'on m'a souvent vantée, alors oui. Un jour sans doute....Tes récits mériteraient d'être publiés.

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    1. Mes récits ne seront peut être pas publiés mais j'espère les condenser dans un ouvrage. Offre toi la Vallée d' Eyne, par Eyne, plutôt facile et enchanteresse.

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  4. Merci Amédine C est comme si on Y était :) Les Rhododendrons Nous renvoient à La Bannière de Votre Blog :) Vous êtes Infatigable :) A Bientôt Calinous aux Minous Bisous à Vous ��

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    1. Fatiguée mais infatigable car je fais parfois des efforts au delà de moi même. Profiter avant qu'il ne soit trop tard de ce monde qui me fut donné si tard dans ma vie; je vous embrasse

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  5. Et tu ne te perds jamais ? Moi je crois que je serais incapable de retrouver mon véhicule (mais de toutes façons, je serais incapable de faire de telles randonnées sans avoir le cœur prêt à exploser, les jambes tétanisées et les poumons asphyxiés ;-) )
    Du coup, merci de nous faire un peu partager tes aventures :-)

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    1. Non, je lis bien une carte, je me repère très bien, et puis c'est quand même des sentiers balisés. mais au début je faisais comme toi, il me semblait que je ne retrouverais jamais mon chemin. j'ai des centaines de km ) mon actif à présent et une bonne compréhension du terrain aussi. par contre en cas de brouillard tout le monde peut se perdre sans problème !Je suis réfractaire au GPS. Bisous

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  6. Que vista linda!! Um lugar tão lindo e pouquíssimas pessoas tem o privilégio de admirar. Obrigada por compartilhar.
    Beijos
    Adri

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    1. A montanha é um paisagem maravilhoso, até si ficas perto do teu carro ! exacto o que dizes : poucas pessoas tem o privilegio de admirar. Eu tenho medo do mar, debaixo de agua somente...Nao tenho ete privilegio de admirar o mar assim. beijos

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  7. Magnifique balade ... je ne me lasse pas de tes récits !!!
    Beau w-e, Bisous et Câlins aux Félins

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    1. Coucou, je suis un peu débordée en ce moment et ne peux me consacrer autant aux récits et balades. hélas... Bisous

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  8. Incroyable et intrépide Amédine ! (sourire) Merci pour tes billets de qualité dans lesquels il y a tant de beauté ! Quel paysage ! Il est magnifique. Merci à toi. Gros bisous.

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    1. Tu es trop gentille, mais c'est plein de vérités; gros bisous et bon 14 juillet

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  9. merci Lison, nous sommes en juillet 2019, je suis à la recherche de ma prochaine escape pour continuer de ressentir la douceur de l'instant, tel Heidi gambadant dans les prairies au milieu de ces mastodontes rocs et respirer cette joie de toute cette beauté au naturelle.
    Votre plume est merveilleuse à souhait.
    Ghislaine

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    1. Joli commentaire Ghislaine; des escapades merveilleuses, mon département et même les voisins n'en manquent pas, je pense à l'Ariège ses lacs magiques et ses montagnes impressionnantes. Régalez vous !

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