lundi 23 octobre 2017

Le dernier village de France (1ere partie)

Tout au sud de la France, les Pyrénées terminent leur course dans la mer Mediterranée. Elles prennent pour cela une morphologie de terres sèches et de roches qui s'habillent,selon la lumière, de bleus, de mauves, voire de rouille. C'est du schiste , celui qui donne à cette côte rocheuse le joli nom de côte Vermeille. Plus sombre ou fauve que rouge, assurément.
Les villages de cette côte qui commence au Racou (le coin), ancien village de pêcheurs, sont Collioure , Port Vendres et Banyuls sur Mer, à une encablure les uns des autres. Et puis, tout seul, à 9 km de Banyuls et presque accolé à la frontière espagnole se trouve Cerbère, le dernier village de France.


Cerbère octobre 2017


Bien sûr on pourrait croire à un chien méchant et hargneux , comme dans la mythologie, qui garderait la porte des Enfers pour empêcher l'âme des morts de regagner le monde des vivants.
Mais on est loin de l'étymologie qui ferait même de Cerbère un lieu où abondaient les cerfs.
ou de celle de Lluis Basseda (Toponymie Historique de catalogne nord ) qui donnerait à Cerbère la source :  Ker ou Quer, la roche (Kervaria).
Et qui fit écrire au géographe Romain Pomponius Mela (1er siècle):  "un lieu peuplé de cerfs".

Pomponius Mela 
L'Europe au 1er S selon Pomponius Mela (source web)

Cerbère fut mentionné  en 981 dans un acte du Roi Lothaire : le hameau était né.
Pour en terminer avec l'histoire de ce hameau, Cerbère devint une commune autonome en 1889.

Cerbère
Je pourrais vous conter Cerbère de façon plus intimiste, mon ressenti à dormir dans les nuits d'automne sous le vent qui emporte les premières feuilles et réveille le silence de fin de saison. mais ce ne serait pas comprendre Cerbère si on ne connait pas son étonnant passé. Alors je vais conter ce passé pour mieux vous transporter (j'allais écrire transborder) dans le présent, en un prochain billet.

Cerbère depuis ma chambre en bord d'eau

Quoi qu'il en soit, ce petit village devenu grand et en bout de France , je me plais, du haut de mon perchoir, à l'imaginer à ses débuts, ce qui est assez facile bien qu'il ait pris un essor foudroyant et ait changé radicalement de "look".
Une petite anse bien lovée entre les collines fort pentues, un ruisseau qui serpente au fond et aboutit à une petite plage de galets, toute arrondie entre de noires falaises et des cabanes de pêcheurs posées là, bien souvent malmenées par les gros coups de mer ou les colères sans nom du ruisseau dévalant les montages. Une vie abritée des vents du nord et du sud. Mais pas des "coups d'est". Des barques que l'on tire haut sur la plage, les filets que les femmes en noir remaillent...Les chats faméliques qui rôdent...Je pense à tout cela, je l'imagine encore, couchée dans mon camion, portes ouvertes, à deux pas de la mer.

Cerbère au début XX eme

Mais au dessus de ma tête le sourd roulement d'un train dans la nuit d'automne fait fuir mon imaginaire. Et me renvoie à la réalité de Cerbère.

Tout là haut...les trains

Trains de nuit









Car Cerbère fut un immense bouleversement avec l'arrivée du train.



Une longue et difficile histoire que cette arrivée du train.
Le train, depuis 1867 arrivait à Port Vendres, son terminus. (Comme la voie rapide aujourd'hui...lol).
Entre temps, des accords franco espagnols avaient été signés pour faire la jonction entre les deux pays.
1869 : Décision est prise de créer le tronçon manquant depuis Port Vendres.
1870: début des travaux.



Pour ce faire, à Cerbère , il fallut des travaux d'envergure (8 années), en même temps que ceux de la ligne depuis Port Vendres, dans un paysage très tourmenté.
A Cerbère les travaux sont titanesques pour les moyens de l'époque :

                     - Dompter et détourner la rivière "Le Riberal"
                     -Araser une colline
                     -Soutenir les terres
                     -Percer le tunnel transfrontalier, 5 ans de travail manuel pour 1064 m

Station ferroviaire internationale de Cerbère
A gauche les rails convergent vers le tunnel

Le paysage dans lequel fut édifié l'ensemble 

1878 : première liaison internationale , le 23 janvier.

Mais ce n'était pas terminé : commença alors la construction de ce mur exceptionnel et pharaonique , en partie caché aujourd'hui par les maisons, fait de lloses et de cayrous (Schiste et briques rouges).
550 m de long, 20 m de haut, une double rangée de 24 arcades, 500 ouvriers espagnols, italiens et portugais, la construction dura 4 ans.

le mur 


















1903




Sous la gare, voie routière et rivière confondues

1886 : Cerbère avait pris le visage d'aujourd'hui.
Son essor pouvait commencer.

Et cet essor tenait à une particularité qui perdure de nos jours : l'écartement des voies espagnoles est supérieur à celui de la France : 1.67 m contre 1.44 m.
Alors l' Espagne, qui exportait ses agrumes, se trouva devant une obligation; transborder les oranges dans des wagons français et ainsi naquit une profession : "transbordeuses d'oranges" , profession féminine . Elles portent des paniers de 15 à 20 kg d'oranges de 6 h à 23 h et, en 1906, n'étant pas suffisamment payées elles font la 1ere grève féminine de l'histoire, allant jusqu'à se coucher sur les voies! Où le train s'arrêta à seulement 2 mètres de leurs corps.

Transbordement entre deux trains





wagon musée

Statue de transbordeuse à Cerbère


Cerbère fourmillait alors de vie ; il y avait 35 transitaires, une profession qui vit le jour, c'était les intermédiaires qui facilitaient les opérations douanières et la réexpédition vers les pays européens importateurs. Une légende (ou réalité) dit qu'ils allumaient leurs cigares avec de gros billets. De leur "règne" restent à Cerbère de magnifiques maisons de maître. Il y avait aussi douaniers et gendarmes dans cette fourmilière.


Hôtel particulier

Détail de façade
























Cerbère était aussi un important trafic de voyageurs, obligés de changer de train pour les raisons sus nommées. Alors des hôtels virent le jour dont le plus célèbre et toujours magique et majestueux : le Belvédère, navire fendant les flots...



On ne peut quitter Cerbère sans parler des douaniers et de la contrebande : Cerbère était aux premières loges pour la contrebande maritime avec l'Espagne le long des crêtes escarpées des noires falaises. En 1820 elle s'initia et en 1841 le poste douanier vit le jour (sans compter le Sentier des Douaniers en haut des falaises). Ce poste douanier qui perdura jusqu'à l'ouverture récente des frontières. Et n'est plus qu'une ruine taggée de nos jours.

La Douane de nos jours
 Toutefois en 1936/1939, Cerbère écrivit encore une page douloureuse cette fois de son Histoire avec la Retirada, cet exode massif de réfugiés espagnols (guerre civile  de 36/39). Et des centaines de milliers d' Espagnols qui franchirent les Pyrénées de toutes parts. Cerbère était l'un des passages, avant le camp d' Argelès. Mon oncle Camille Massina, cerbérien,  fut médecin du camp d' Argelès.

La Retirada à Cerbère
Frontière : Monument à la Retirada


Cerbère...Aujourd'hui...Disparus les transitaires et les transbordeuses d'oranges, dans les années 1960, parce que les essieux des trains furent capables de s'écarter pour changer de voies, et que le transport routier prit le dessus.

Cerbère  doucement entra dans la vie qui est sienne aujourd'hui...et que je vous conterai en balade découverte au fil des rues...(à suivre...)






PS : des cerbériens qui lisent mon blog m'envoient sur Fbook des compléments .
En voici un concernant la Cité Chocolat   du nom de la couleur de la barre d'immeubles autrefois
Pas de lien, taper Cité chocolat Cerbère sur google
Une très jolie nouvelle...à lire


10 commentaires:

  1. Bonjour Amédine, je n'ai pas encore tout lu mais de suite un souvenir qui remonte à la surface. En juin 1960, lors de notre balade à Collioure avec mon ami Tonio, nous sommes allés jusqu'à Cerbère. Et là, avec je ne sais qu'elle idée, nous avons pris un sentier en haut des falaises. Et bien sur, nous nous sommes fait refouler gentiment par une patrouille de douaniers...

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    1. Et bien Pierre en voilà une anecdote d'autant que ce sentier des douaniers, rebaptisé sentier littoral, du Racou à Cerbère est un haut lieu de tourisme et de promenade; h'en ai conté 2 tronçons en mon blog, le 3 eme, Banyuls / Cerbère, 7 km sera lorsque j'aurai retrouvé "l'intégralité de mes jambes" ...

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  2. Tu nous as bien "transbordés" dans ce bout de France où le passé ressurgit à tous les coins de rues. J'aime bien y arriver par le magnifique sentier du littoral. Les crêtes qui l'enserrent sont un beau belvédère et un véritable jardin botanique au printemps. Bel endroit, nous attendons l'épisode 2 avec impatience.
    Bises Amédine.

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    1. Tant mieux si j'ai réussi mon transbordement et n'ai pas sabordé l'esprit que je voulais donner à mon article. Oh dès que je retrouve ma motricité je vais sur le sentier littoral (ou des douaniers). D'ici le printemps j'ai le temps pas vrai? A bientôt

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  3. CC... Merci pour cette page d'Histoire... une découverte !!!
    Douce soirée, Bisous, Câlins

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    1. Histoire à suivre mais mon ressenti personnel cette fois. Bisous

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  4. Ce sentier des douaniers j'irai bien le découvrir avec toi . Je connais la douane de Cerbère et un peu ce village. Ton article incite à s'arrêter pour mieux le connaître . Que d'histoires dans ce village .les transbordeuses étonnant comme mėtier et sans doute pénible. Tu nous a encore instruit .Merci. .

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    1. Et bien lors d'un de vos prochains séjours on peut aller le parcourir si tu veux . Avec grand plaisir ! Bises.

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  6. Bonjour Amédine, Je retrouve ton article en fouillant dans mes "souvenirs". Superbe ! Quelques essentielles informations que j'avais perdues de vue ont refait surface à mon grand plaisir. Merci encore pour cette belle évocation de mon village. ASP

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