mercredi 13 mars 2019

Le marbre "griotte" du Coronat, par Jujols

Préambule : j'ai essayé de rendre cet article le plus concis possible mais au vu de cette richesse patrimoniale, il était difficile de faire mieux sinon tomber dans une simple énumération, sans âme...et le petit supplément d'âme est ce qui peut inviter à la visite. Et à la lecture.
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M'intéressant depuis peu au(x) marbre(s), après celui d' Uchentein, Ariège et celui de Caunes dans l'Aude, il était logique que j'en trouve un non loin de chez moi, à 64 km de route. Un marbre griotte donc très rouge. Il en est un bien plus proche, remarquablement blanc, à Céret, que j'irai revoir, car je l'ai déjà rencontré. Pourquoi le marbre ? Par pur hasard, par amour de la roche au sens large.
Et puis griotte, ça attire non ? Gustativement, déjà ça parle.

Détail du marbre griotte (brut)

Il s'agit du marbre griotte du Mont Coronat, carrières situées sur la commune de Serdinya, 66

Renseignements pris sur internet, carte à l'appui, me voici partie pour une rando que j'imagine relax, destinée à me reposer des hauts sommets, des efforts physiques et de la montagne. Là je me cantonnerai à près de 1700 m, du repos, évidemment....Croyais-je...

Samedi, je m'installe à Jujols un remarquable petit village où on ne passe pas, on y va, c'est un terminus, on n'entre même pas dans le village. Tout vaut par le somptueux décor, face au Massif du Canigou, le pic en lui même et ses amis bien alignés, prolongés par le Coma Mitjana, le Malaza, le Cambre d' Ase, mes "copains" en somme, que je regarde depuis mon lieu de détente. A bonne distance. Jujols un village de charme avec sa petite église du XI eme, époustouflante .

Eglise St Julien  Ste Baselisse XI eme

Dimanche matin, après 11 h de sommeil face au Canigou, porte ouverte sur une nuit noire et étoilée, je prends le départ à 7 h 35.
Ce sera une randonnée magnifique, que je n'imaginais même pas aussi plaisante. Monter aux carrières est un long trajet, ma carte est vieillotte, mon sens de l'orientation est bien meilleur.  Et me remettra sur le bon chemin après une erreur de parcours.

Sur le sentier, paysage magnifique

D'abord, une fois traversé le village et sous la protection de la Ste Famille au dessus du bassin, le sentier me conduit dans des sous bois de chênes verts qui masquent l'ancienne vie agricole du village : parcelles (feixes) en terrasses, murettes de schiste noir, un bassin de captage des eaux, aujourd'hui comblé, des rigoles d'arrosage, c'est la vie agricole vivrière de toute une commune qui s'étage à flanc de rivière et de montagne. Cela me rappelle ma petite enfance dans un village au pied d'une autre montagne. Puis, dans le lit élargi d'une rivière, les hommes avaient construit des murs pour créer des parcelles qu'arrosait la rivière. Système en vigueur dans les pays secs.
Le sentier et les murs des anciennes "feixes" cultivées




Le sentier monte gaillardement dans les chênes verts et genévriers, mais une montée régulière et pas pénible, faite par les travailleurs d'antan, par eux et pour eux, donc à l'économie.







Vue aérienne 1960: les cultures
en "feixes", terrasses
En rouge, vue d'ensemble de la
photo ci -dessous





Cette capture d'écran des années 60 montre le ruisseau et tout ce qui était cultivé autour : aujourd'hui les bois ont envahi ce paysage et les murettes ruinées sont le témoin de cette économie vivrière

Le ruisseau : peu d'eau mais autrefois
bien plus garni

Murettes jouxtant le cours du ruisseau


Détail


Le paysage actuel

Altitude 1200 m : enfin Jujols dans son ensemble (alt 950 m)
Plus haut je quitte le sentier pour rejoindre la piste venue du hameau de Flassa, piste DFCI (défense contre les incendies), piste qui fut jadis le chemin de descente des marbres. Les marbres ? Je ne les vois pas encore. Je les croyais dans ces amas rocheux, la carte dit : non !



 Les chênes verts ont cédé le pas aux chênes pubescents qui vont à la rencontre des pins, vers 1400 m, les hêtres sont les grands absents. Là se dévoile une ancienne économie pastorale : des jasses (pâtures), des cortals (bergeries) en ruines, un vaste espace est consacré, aux environs de 1300 m, à ces vestiges. Je le parcourrai à loisir au retour. Pour l'heure j'ai hâte de parvenir aux carrières et je suis la piste, un peu monotone comme parcours, cela manque de déclivité. Je suis entourée de chants d'oiseaux dont les rossignols, des papillons jaunes volettent et le parfum des pins se fait puissant; le soleil est chaud et je suis en tenue d'été, me préparant au rationnement de boisson.

Quelques cortals (bergeries) dont el Soler (haut gauche) et El Draper (bas gauche)
Tous ont vue imprenable sur les montagnes  (ouverts au sud)
 1480 m : pause casse croûte , les carrières se dévoilent enfin alors que la première est à peine à 1 km, haut perchée. Dans l'intense vert des pins où affleurent des rocs gris, une belle coulée rouge brique tranche le décor. Une maison en ruines, haut perchée attend ma visite. 25 minutes plus tard je suis devant les murs, faits de blocs de marbre rouge non poli, curieusement granuleux, tel un conglomérat.



La maison des ingénieurs, en marbre brut

Détail du marbre et ses fossiles 

Vue imprenable sur Canigou

Des ouvertures béantes ouvrent sur un fabuleux paysage, c'est magique. Ma carte me met sur la voie de la carrière et 500 m plus loin j'arrive à Roca roja, accueillie par de grands blocs comme jetés là. Un petit couloir en roche (travers-banc) conduit à la carrière, un petit espace quasi fermé entre des hauts murs sanglants, que le vert des pins intensifie, des blocs posés au sol, un traîneau en fer boulonné (d'avant la soudure) , et un peu de neige, bizarre à cette altitude. On dit "la froideur de marbre", serait-ce vrai? Je virevolte dans cet espace clos, je touche la roche, je cherche d'invisibles fossiles, je prends de la hauteur et je découvre un magnifique orri en balcon face à la vallée et aux sommets : sublime!



Arrivée à la carrière de Terra Roja
(le personnage donne l'échelle)

Intérieur de la carrière

Vue d'en haut

Le traîneau et la neige, l'un ne servant pas pour l'autre 
L'orri (en marbre! )

Et son ouverture sur Canigou















Je m'arrache à la carrière et je reprends la piste vers celle de Rocafumada, tout au bord de la piste : la plus grande. Deux véritables montagnes de débris m'accueillent, avant que je ne découvre le très long " couloir" , nommé travers-banc dans le jargon des carrières, qui mène au ventre de la carrière, elle aussi quasi enfermée dans de très hauts murs incarnat. Où veille un blanc névé. En fait la première montagne de débris, longue, qui se nomme une halde, est le dépôt des débris arrachés lors du creusement du travers-banc. C'est sur cette longue banquette que se faisait le travail sur les blocs arrachés à la carrière. Emprunter ce long couloir sombre et frais et se trouver dans la carrière, c'est comme entrer dans un sanctuaire, enveloppé de silence feutré. On se sent tout petit, tout seul là dedans.
La roche, comme tout calcaire est grise, altérée par l'oxydation des ans, mais l'intérieur est rouge sang, quel contraste !


Vue d'en haut


A gauche le couloir nommé travers-banc qui y conduit
A droite détail du "plan de travail", la falaise

Drôle d'animal de neige

Les déchets de taille


Alors que sont donc ces marbres griottes si déroutants par rapport au marbre traditionnel ? C'est un calcaire rouge violacé, ou orangé, noduleux; comme fait de conglomérats séparés par des lignes de fracture ou par des filons de calcite blanche. Des fossiles y sont logés, emplis de calcite aussi. Il peut y avoir également un lacis ferrugineux, très sombre et luisant. J'ai appris qu'il pouvait y avoir des jaspes verts, des nodules roses, verts ou gris etc...D'ailleurs, dans la coupe des falaises, parfois, le marbre prend une coloration plus pâle ou plus jaune. Ces marbres, nés de la période moins 360 millions d'années, furent exploités au 19 eme et 20 eme siècles,  mais on en trouve dans des murs d'églises du 11 eme siècle ce qui montre une exploitation très ancienne. Ce fut surtout la carrière de Belloc (Villefranche) qui connut une grande exploitation. Je ne vous ferai pas partager ce que j'en connais, ce serait trop long !

Fossile en calcite, église de Jujols

Style conglomérat


Calcite, fer, fossiles, la texture et la morphologie du marbre griotte





























Et où trouve t'on ce marbre ? Au Château d' Aubiry, par exemple, près de Céret. Image internet :

Les marbres du Coronat au château d' Aubiry, Céret


Je continue ma balade non pas vers une autre carrière mais cette fois vers les cimes, dans une forêt de pins silencieuse et odorante; les ruines d'un bâtiment minier me saluent au passage.

Ensuite plus rien, jusqu'à la ligne de crête. Que le silence de la forêt et son calme immense. Je poursuis mon chemin jusqu'à la tartera dont je ferai mon terminus, 1790 m, par curiosité car une tartera en catalunya est un long couloir à forte pente. Ici c'est surprenant : la rondeur de la colline est comme coiffée par une éruption de roches grises, d'aspect de lapiaz, coulée entaillée de saignées et creusée d'opercules, au gré de l'érosion: on dirait qu'un volcan y a déversé une lave solidifiée mais c'est du calcaire. Du sommet je crois entrevoir une 3 eme carrière, rouge brique; je m'y rends, cela paraît une prospection vite abandonnée.

Si je devais résumer ce site je dirais "peau grise et coeur saignant"


La tartera 1790 m

Structure du sol
Ce sommet de 1790 m, borné, modeste, offre des vues à 360 ° sur la vallée de Nohèdes, le Madres, sans compter les vues plongeantes sur des abîmes hérissés de rocs,  revêtus de pins et ornés de rochers calcaires pointus qui ont pour noms Espatllat (abîmé), del'Os (ours), Emboquidor , dels llosars ,  Trencalós (casse l'os)etc..
Dans le ciel volent deux immenses oiseaux, qui me font penser aux Gypaètes, mais que je suis incapable de photographier : et à la maison j'apprends que "Trencalós" n'est autre que le gypaète !

Rives de la tartera donnant sur un à pic de centaines de mètres
Et le Madres


Nohèdes, au zoom


Et l'inverse, photo de 24 mars 19

Barrage de Vinça, la plaine et la mer

Côté sud au zoom, une belle arête : les Racó ?

Je pense : Bastiments, Freser, Infern, mes "vieux copains" de rando



A présent, je me restaure dans ce superbe paysage, face à la mer, car on voit aussi la mer sans quoi le panorama serait incomplet et et je n'ai plus qu'à prendre le chemin du retour. A coeur défendant car je suis si bien...Mais la route est longue.
Un dilemme : vais je  continuer la piste ou non ? Continuer la piste me ramènerait sans doute à Jujols mais c'est aléatoire, ma carte est trop vieille . Sage décision, à postériori, ç'aurait été très long !

Ainsi, chemin faisant et en étoffant mon trajet de deux variantes qui me conduisent l'une au refuge ONF et au Cortal d' en Soler, et l'autre à travers une jasse et 4 cortals en ruine, je reviens à Jujols sous un ardent soleil, riche d'une belle et solitaire randonnée "patrimoniale", juste comme je les aime.

Vue imprenable

Que j'ai essayé de prendre !


Et dire que c'était juste une journée de repos !
Mais ma forme est olympique alors pourquoi se reposer ?

En chiffres
Dénivelé positif cumulé : un peu plus de 900 m
Distance parcourue : 17.5 km
Temps de marche et de visites : 6 h 30 environ


Au sujet des marbres : sur mes blogs
-Le marbre d' Uchentein, Ariège
- Le marbre de Caunes, Aude

Au sujet de Jujols 
- Une nuit à Jujols sur mon 2 nd blog








6 commentaires:

  1. Nous avons fait cette rando il y a un an ou deux en faisant une grande boucle en partant sur la piste à gauche de Jujols et en revenant par ton point de depart. Très joli village, c’est un belvédère exceptionnel ! Des couleurs vives, des ruines, du marbre, d’inombrables murettes, un beau cocktail pour une belle rando. La vie devait être rude à Jujols, mais que c’est beau. Un récit intéressant et de belles photos. Il neige un peu sur Les Angles, nous finissons de soigner notre grippe... bises, câlins à ta tribu.

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    1. Justement , si j'avais continué la piste à la tartera, mon terminus, c'est ce qui me serait arrivé mais avec plus de 20 km au compteur; j'aurais pu couper par le Col de Diagre en passant dans les rochers que l'on voit depuis Jujols, ce que je compte faire une prochaine fois, parce que ce relief rocheux me tente. Je sais le chemin; avec mon pied, j'ai eu du mal à rentrer, bien que mes nouvelles chaussures soient plus adaptées. J'ai du faire un bain glacé en rivière. Tu vas voir, je publie un article sur Jujols qui devrait te plaire; bises de nous tous

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  2. Infatigable baroudeuse. Très intéressant reportage, belles photos, dépaysement garanti. Ta liberté vaut tous les trésors du monde.

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    1. C'est comme une boulimie : de marche et de découverte. Quant à ta dernière phrase c'est ce que m'a dit un jour mon avocat et j'en suis consciente, j'en profite car elle peut s'arrêter d'un coup...j'ai une mère âgée. Bisous

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  3. onjour Amedine/Lison, Jujols est un village que j'ai toujours adoré et où j'ai beaucoup de souvenirs car il fut un temps où j'y allais marcher assez souvent et puis enfin, il a servi de ligne de départ et d'arrivée à Mon Tour du Coronat effectué en solitaire et en 6 jours en 2007. A l'époque, j'avais rencontré des gens très sympas qui résidaient au village et leur côté accueillant m'avait marqué. Le village aussi d'ailleurs. Je comprends que tu prennes plaisir à y aller. J'ai lu ton reportage à propos du marbre rouge et je me suis régalé. D'abord parce que tu parles très bien de la géologie et que ça m'intéresse mais aussi parce que je me suis revu quelques années en arrière et marchant à nouveau dans tes pas. Superbe reportage avec des photos qui m'ont donné envie d'y retourner. Amicalement. Gilbert.

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    1. Tour du Coronat en 7 jours solo, ce doit être intéressant; je ne le ferai pas mais je le lirai, ar ça m'intrigue et puis tu racontes bien.Jujols comme tous ces villages de l'adret, en cOnflent, me plait énormément; d'abord par la vue, ensuite le terrain de randos est plaisant mais surtout il y a des traces de vie ancienne à chaque pas. je ne suis pas apsséiste mais j'aime les lieux qui parlent, qui ont une histoire, surtout une histoire à découvrir et à étoffer de retour à la maison avec de longs moments de recherche. La rando de haute montagne est d'un autre style, bien sportif mais plus muet souvent. Bonne journée

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