vendredi 19 février 2021

Nyer (66), le sentier oublié des Moreries par l'Eirola

 Nyer :j'y ai effectué quelques balades et il restait un projet en suspens, à faire entre amis. Ce triste dimanche gris,  je me décide sur un coup de tête, et je file vite "là haut", avant le couvre feu. Il nous empoisonne la vie celui là! Ce sera balade solo, lundi. 

Dans ce décor, un improbable sentier


Dans ce décor : plan large

Nyer est un petit village que 6.7 km séparent de Mantet à vol d'oiseau mais, par la route, il y a environ 35 km et pas des plus commodes. En pleine construction, la route directe est tombée à l'eau des crues en 1940 et les sentiers "directs" nécessitaient un grand nombre d'heures. Bref, tout y est compliqué. J'ai beaucoup crapahuté dans le secteur et il me manquait ce sentier oublié des Moreries qui se perd quelque part dans un relief tourmenté. Comme il s'est peut être perdu sur le terrain? Qui le connaît encore, hormis les chasseurs ? Existe t'il toujours ? Allons voir....La brume est très présente, une ouate qui devrait disparaître. 

Départ altitude 724 m. J'ai passé beaucoup de temps à chercher ce début de sentier, un soir, donc mon départ ce matin est aisé. A quelques mètres de mon camion en plus. Le sentier attaque dur sur une pente ardue, qui était autrefois façonnée de cultures en terrasses. D'où ce nom d'Eirola (= petit terrain plat sur une pente ). Le sentier est bien tracé et les premières terrasses font leur apparition. 863 m (0.68 km). Je m'enfonce en forêt, le sentier est bien moins lisible, vaguement cairné, les terrasses sont nombreuses, pourvues de jolis murets, envahies d'arbres et de broussaille. Il fallait "en vouloir" pour travailler ici. Les bruits de Nyer montent à moi, c'est la seule vie d'ici et j'ai bien compris que je n'en rencontrerai pas d'autre.

Montée d'Eirola en images:

Nyer, le château, 16 ieme siècle

Nyer dans la brume, vue générale



Autrefois c'était cultivé




Les terrasses de l'Eirola
La végétation de l'Eirola


Côte 974, je perds le sentier. Je vais passer de longues minutes et des aller retour pénibles à le chercher. Bénéfice, je débusque un joli cortal aux solides murs, cadeau à mon errance. 


Anciens murs
Ancien cortal d'en Brial




Jeux de brume et lumière
En désespoir de cause je décide, au vu de la carte, de faire un tout droit en forêt que je balise de 3 rubans avant que d'atteindre une série de bornes, signe de "civilisation". Et je découvre le sentier. 1033 m, 1.89 km. Où était il donc passé ? 
Signalisation

Le sentier part résolument à gauche mais dans la ouate je ne vois rien; je sais que je me trouve à flanc de falaise dans un site escarpé; aucun danger de vertige, je ne vois rien mais dès que le voile se déchire, c'est grandiose: au dessus de moi ce ne sont que falaises colorées et escarpées. Le sentier est étroit et glissant, tout est mouillé, il passe au milieu des bois de chênes dès que la roche le permet. Ancien sentier d'exploitation agricole, il est étroit mais bien soutenu par des murs grandioses. C'est sauvage. Dans la ouate, je n'entends que les bruits de chantier du village, en bas et la rivière, je domine les gorges. Que je ne vois pas.

Un aspect du sentier

Entrée dans la réserve naturelle

Les premières violettes (1000 m)



Un sentier escarpé et pas très carrossable




Ancien mur, vu d'en haut

et vu d'en bas




















Le sentier quand il devient boulevard


Mon décor de rando, sauvage et grandiose


Très vieux chêne vert

1121 m, (2.81 km), je rencontre les premiers murs du site du Ravin dels Horts (ou als Ors). C'est le premier site anciennement cultivé du parcours. Un ravin plonge vers le Mantet, ici toutes les pentes ne sont que plongées raides et arborées. Brume ou pas, on ne voit rien. Mais avec l'hiver, les arbres dénudés me permettraient quelques coups d'oeil.  Juste à côté du ravin un ancien cortal présente de beaux murs élégants et incurvés. Son petit voisin, un orri, ne peut accueillir qu'une personne et encore, toute recroquevillée! Le ravin ne coule pas ou si peu, la source l'alimente. Y avait-il jadis des jardins comme l'indique ce nom d'Horts? Quelques murettes le laissent à penser, il doit y avoir aussi des vestiges de petits canaux.

Chatons de saule
La drôle de végétation du Ravin dels Horts



Murettes dels Horts

Cortal dels Horts

Le même vu de dessus

Minuscule orri

Atmosphère...

Je poursuis mon chemin, c'est envoûtant et sinistre, mal carrossable malgré la faible pente, une succession de montées et descentes glissantes : l'herbe, le mauvais état, la roche, tout y contribue. Je vais lentement, ajoutant des repères ponctuellement. Le schiste cède le pas au granit.

Houx


1149m (3.76 km) je croise un second ravin, bien différent, presque effrayant! Je vais en chercher un moment la sortie. C'est un boyau glacé, encombré de blocs de granit moussus, tout est moussu ici. Enserré entre de hautes falaises rocheuses, large de quelques mètres, humide et glacé, avec un filet d'eau qui se perd dans le sol, de grands arbres sombres et austères, il me tarde d'en sortir en même temps que je suis fascinée.  


Atmosphère du ravin sans nom



Je le remonte sur une centaine de mètres, des cairns sont là et enfin, un passage dans la falaise, presque en escalier permet de s'évader de ce ravin sans nom.  J'entre dans le secteur des Tailladetes, dont le nom signifie escarpements rocheux, précipices. Sur le terrain on ne peut que s'en apercevoir! C'est une série de falaises transversales à mon chemin, le sentier les traverse par de petits cols entaillés peut être même par l'homme et se fraie un passage dans un décor que le soleil réveille; je marche au dessus de la brume qui s'effiloche, c'est magnifique. Je découvre tous mes décors familiers des précédentes randonnées. J'adore cette façon multiple de voir les lieux.

Collection de mousses
La sortie !


Les Tailladetes sont incultes mais boisées, elles aussi plongent vertigineusement vers le Mantet qui louvoie dans les gorges. C'est un lieu stérile qui m'interroge : que les hommes d'autrefois allaient donc loin pour cultiver quelques arpents de terre dans cette caillasse omniprésente!


Du rocher, des petits cols et des arbres



Atmosphère sulfureuse



Un sentier parfois bien marqué

Des lointains cotonneux 


Le Madres 2465 m



La rive droite émerge



Relief escarpé

Austérité

Et douceur printanière

Aspect des Tailladettes

Insensiblement, j'ai quitté les Tailladetes pour Prunedós (pruniers) : le sentier y est davantage perdu, juste sous de grandes falaises tourmentées, il me faut vraiment beaucoup de concentration pour le retrouver, le cairner,  et y retrouver une trajectoire cohérente ; ça glisse plus que jamais, un épais tapis de feuilles de chênes masque le sol caillouteux et manque m'expédier au tapis plus d'une fois. Je suis d'une lenteur prudente. Pas âme qui vive sinon des oiseaux. Je me sens bien, détendue, à l'aise, ce travail d'orientation me plait. Mes sens sont en éveil. Je "travaille" carte et smartphone (google maps) en main. Bien sûr pas trace du moindre prunier !! Ce parcours ressemble étrangement au "Cami Carboner" de la Carança. Qui lui aussi, se perdait dans les bois. Et plongeait dans les gorges.


Paysage de Prunedós...des chênes



Moreries est à présent mon parcours : des muriers ! avec un peu d'imagination on peut penser qu'il y en eut, voilà très longtemps, du temps du cadastre....En guise de murier je vais trouver....Une source, deux petits ruisseaux en pointillés, et aussi...

Une succession de montées et descentes entrecoupées de petits cols rocheux et me voici tout à coup dans un paysage tout nouveau, totalement différent qui, peut être justifiait à lui seul ce sentier : je suis abasourdie! J'entre dans une immense hêtraie, magnifique, pas abîmée, aux longs fûts gris pâle grimpant vers le ciel, alors que le sol est tout noir, couvert d'une terre meuble où gisent des morceaux de charbon. C'est une immense charbonnière, en pente brutale, dans laquelle devaient être façonnées des terrasses et où se faisait le charbon de bois qui alimentait les forges de Nyer. Une forge existait déjà en 1563, une seconde vit le jour, la Farga Nova à peine plus tard. 

Ce n'est pas une table d'orientation mais un  champignon

Paysage des Moreries: la hêtraie

Sources sur le sentier : font
del bac de Moreries


Le site de la source sur le sentier
(elle sort de la roche)



Places charbonnières


Cette immense forêt était sans doute LE site majeur de cette rive gauche escarpée avec une vie intense de charbonniers et de déforestation. Et là je prends conscience de cette similitude que je trouvais entre Cami Carboner de la Carança et ici, le transport du charbon ne pouvant se faire par la rivière, il n'y avait que le demi tour possible donc une fin au sentier. On ne s'ennuie pas dans ces lieux perdus, en décodant le terrain qui raconte si bien son histoire ! le sentier se perd sur le terrain, impossible de le retrouver, pourtant, à mon avis il n'a pas dit son dernier mot, la carte le dément. Alors, à vue, je fais un tout droit dans la pente jusqu'à la crête et j'arrive juste sur un cairn. 


De mon perchoir terminus , la rive droite et le Canal de Nyer

Le canal
Le veilleur
              

 Un petit col bascule le sentier de l'ombre sombre au grand soleil et aux chênes, mais je m'oblige à en faire mon terminus. 1280 m (5.4 km). Pourtant il me manque si peu....Pourquoi ? Pour garder de la curiosité, avoir envie d'y revenir, y rencontrer de nouvelles choses, je n'aurai plus ce travail d'orientation. Parce que le terminus n'est pas loin et que là bas, il y a des cortals auxquels je voudrais consacrer du temps. Moreries n'a pas dit son dernier mot. Le chemin se perd dans un cortal, sur la carte. D'ailleurs, un autre moyen de lire le paysage ancien est d'avoir une carte des parcelles cadastrales, là c'est imparable! Je ne l'omettrai pas pour de prochaines recherches!


Presque à jeun, après tant d'énergie dépensée, je me restaure  un bref instant puis je reviens sur mes pas.

Repas au petit col terminus, 5 km au compteur

 Le paysage, délesté de sa brume, est tout nouveau, un autre charme. Ce sera la nouveauté du parcours, voir enfin le décor. Et il est grandiose ce décor ! Je  n'aurai qu'une surprise de taille, suggérée par Google maps, à Prunedós : il m'était impossible de le voir à l'aller mais bien en contrebas, je finis par voir un ensemble architectural de belle facture qui sera au menu de la prochaine sortie ici : j'ai repéré une ébauche de sentier, peut être y trouverai-je en prime les pruniers ? Ah oui, il fallait en vouloir pour travailler là, mais quelle paix, juste au-dessus des gorges, isolé de tout et de tous....

Ancien cortal Ricard (carte 1950). Sous la brume coule le Mantet


au zoom



L'enclos à bétail



Le retour se fera sans encombre, scruter les repères, en rajouter, ne pas glisser, perdre et retrouver le chemin, j'arriverai tellement fatiguée au terme de cette pourtant petite randonnée (mais énorme par la concentration) que 11 h 1/2 de sommeil me seront nécessaires. Et à Nyer, on dort bien.

Le paysage dont j'ai été privée au matin.


Rive droite des Gorges de Nyer

Détails

détails du relief

Les gorges et le tracé de la route engloutie

Château carolingien de La Roca dans les gorges
Le village primitif de Nyer aurait été là



Nyer


Vraiment une rando rare. Avec un grand parfum de revenez-y....

En chiffres:

Dénivelé positif cumulé : 650 m minimum

Distance : 9.81 km

Temps de marche : 4 h 37

Arrêts (balisage entre autres) 2 h 47

Et la route...128 km AR

Cartes : en pointillés rouge le parcours
1) de Nyer aux Tailladettes


2) Des Tailladettes à Moreries  (la croix rouge, mon terminus)








20 commentaires:

  1. Avec toi tout devient épopée, Michel ne résistera pas à m'entrainer dans cette aventure...c'est tout ce qu'il aime ! Tes photos sont splendides...l'atmosphère mystérieuse, les mousses, les vieux murs et ruines dans cette ambiance cotonneuse rendent cette découverte encore plus belle.

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    1. Oh oui il faut que vous y alliez, c'est le genre de sentier qu'il devrait adorer au vu de ses reportages. Le point de départ n'est pas marqué mais je lui ferai un plan, je crois avoir mis un cairn, d'ailleurs. Tu sais , ces sentiers oubliés, devenus muets, ont tant de choses à dire qu'ils attendent quelqu'un pour les écouter. Et ça , j'aime, et aussi faire partager donc...tout est réuni...

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    2. oui c'est sur mais si Michel que je ne connais pas vous y amène il faudrait continuer le sentier qui rentre dans une petite vallée où dorment quelques orris (plutôt quelques cabanes)

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    3. Michel Prats, je pense que j'irai seule, je comptais y aller en mai si le confinement se défait, et j'aimerais bien le suivre votre petit sentier !!Cela se trouve sur le terminus aux moreries ? Au besoin, si vous lisez ce com, vous pouvez me contacter à amedine.mas@orange.fr. Merci

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  2. Randonner et découvrir avec toi est toujours une belles aventure. Je sais, je ne fais que te lire mais j'y suis, le souffle court en moins. Merci Amedine. Bizzz

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    1. Mon but est d'amener tous ceux qui ne peuvent pas avec moi, par le texte et les images. Et donner envie à ceux qui peuvent! Bises

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  3. Un site perdu qui a brouillé les pistes . Il ne voulait pas de toi et tu y as laissé ton âme. Tu lui as rendu vie et retrouvé ta liberté.......magnifique trésor découvert dans son écrin de verdure. Bravo AH.

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    1. Je crois qu'il m'attendait...peut être il m'en voudra de n'être pas allée au bout, de garder une part de mystère, mais il a trop à raconter à la curieuse!! Alors on s'attend. Et tu sdais que je sais aussi attendre les terres promises... Merci DR

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  4. un vrai plaisir de parcourir ce chemin oublié...tres bel ambiance, et beau recit...on y est...merci amedine

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    1. Je crois que tu aimerais, certes il n'y a pas d'arête au menu, mais le menu est aussi copieux !! Et appétissant...A bientôt sur d'autres chemins

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  5. Je suis époustouflée par ces commentaires . C'est comme si nous faisions le chemin ensemble tellement le récit vous tiens en haleine . J'ai adoré . Merci

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    1. Merci Hermione, cela me fait plaisir, votre commentaire, j'ai toujours envie d'emmener mes lecteurs avec moi...par mots. Parce que sur le terrain, c'est un peu plus difficile

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  6. je pense que tu y retourneras , ne serait-ce que pour la confiture de prune et de mûre ,mais restera t-il quelques fruits ?

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    1. Je pense vraiment que côté fruits j'irai "pour des prunes", espérons que je ne me prendrai ni une prune ni un pruneau de chasseur , mais quoi qu'il en soit j'irai au joli mois de mai.

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    2. oui, pour les fruits ce sera un peu juste pour Mai , mais pas trop de végétation pour bien voir les chemins et paysages et avoir du temps , que tu peux gagner aussi en dénivelé en partant de En et la prise d'eau et tu trouves l'ancien chemin des Eaux et forêts de facture assez récente et après 4 ou 5 lacets tu plonges dans les entrailles des gorges (terrain connu pour toi )nous emmèneras_tu jusqu'as Mantet dans ton prochain récit ?

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    3. Ah faut que j'étudie ton tracé, j'avais pensé monter par En mais sur la carte il n'y a aucune communication entre les deux sentiers. Passer par le sentier d'Erola n'est pas pénible , il est bien balancé et plus direct. Ce que j'aimerais c'est une fois arrivée à Moreries, descendre à la rivière. rallier Mantet reste un rêve...C'est long, ave le retour, et ces sentiers là ne permettent pas de la vitesse, surtout que je n'ai plus l'âge de marcher vite. Quand j'aurais pu l'avoir je ne randonnais pas, j'ai commencé trop tard. Mon nouveau récit devrait te plaire aussi, c'est de l'inédit

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    4. Hier nous avons fait une reconnaissance jusqu'à Prunedous, nous n'avons pas été déçus. Admiration pour Amédine qui se lance sans filet sur cette trace oubliée ou ne se rencontre aucune âme qui vive. Attention au faux pas. Heureusement le relais du Coll de la Llose assure la couverture 4G. J'ai utilisé le GPS en haut de Leyrole, car effectivement la trace y est incertaine. J'ai fait un repérage, aucune difficulté pour rejoindre le sentier qui vient d'En, il est à quelques dizaines de mètres un peu en contrebas.(Le sentier d'En fait 3 épingles la plus proche est celle du milieu a la cote 1000m, il y a une borne 10m au dessus vers laquelle il faut monter). Ceci étant, Amédine a raison, le sentier de Leyrole est plus direct et finalement assez bien cairné. A moins de monter en voiture à En, mais c'est en principe interdit ???

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    5. Donc vous êtes arrivés où ? Si tu as la trace j'aimerais la voir; en tout cas vous ne pouviez qu'apprécier, on a le même état d'esprit !! C'est sauvage et beau, j'ai hâte d'y revenir pour arriver au bout! Bravo à vous deux, rien que d'être attiré par ça c'est surprenant

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    6. On est arrivés au petit collet juste après les Tailladetes. Il manquait a peu près 1 heures pour arriver à Moureries. Je t'envoie la trace par mail.

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    7. Et je vais la rajouter et la garder car elle est super bien; moi au point 20pour le moment, peut être on fera ensemble le final ? On a des granges pour nous héberger au cas où...hihi

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