jeudi 8 avril 2021

Aude, les sentiers secrets du Bugarach


 De ma rencontre de la veille avec le site du Bufofret est née une drôle d'envie. J'étais partie pour monter au pic par l'arête sud est, peut être dangereuse avec vent, mais ce matin est serein, bleu et calme. J'ai ourdi un plan saugrenu, partir dans le massif, sans autre but qu'aller jusqu'où je pourrai arriver. C'est vague, vaste, imprécis, curieux, je veux suivre les fameux points roses, qui filent vers le haut, vers où ? Sentier de chasseurs ? Chemin de spéléos ? Mes papilles salivent de curiosité.

Le site de ma randonnée


8 h 20, je suis au point de départ, 598 m, des nuages roses courent sur les crêtes, une rumeur sourde vient à moi, il doit faire du vent en haut.

J'ai adopté la tenue "clochard des montagnes", legging troué, vieux sac et de plus, mon coupe vent s'est brusquement déchiré hier au contact rapproché d'un buisson. Il reste encore de la surface à trouer!

Dans mon sac, une frontale, une corde, un casse croûte et de l'eau, un bon couteau. Et de l'arnica !

Au départ

Le trajet est celui d'hier, facile : sentier, lit du ruisseau, petit pas difficile, échelles, Bufofret, 100m de dénivelé, 600m de trajet et 23 minutes, je ne suis pas encore en terre inconnue. J'attaque la grimpe du petit couloir, les buis me servent de piolets traction !


Ce matin je n'écraserai pas les violettes
comme hier dans le petit pas difficile!
                                                   
         


Dans le petit couloir, tellement raide que je m'assieds
pour être sur la photo. C'est là que coule la cascade.

 Me voilà au petit col, j'escalade un éperon racheux et je prends le temps d'admirer, altitude 747, une vraie vue d'avion ! Je plane...prudemment.

Altitude 747 en "mode avion", juchée sur mon éperon

La chaîne des Pyrénées enneigée, la route tout en bas, mon petit camion, la vallée de la Blanque, et puis les murailles de roche dans lesquelles je suis entrée pour ce voyage pas commun.

Premier point de vue qui se dévoile: monts d'Ariège


A présent j'arrive à la toute proche "cascade sèche" et sa traînée crayeuse, verticale sur quelques dizaines de mètres. En fait son trajet plonge tout droit dans le petit couloir que j'ai monté, on n'imagine pas de prime abord que si un jour on avait l'idée saugrenue de venir voir cette cascade en eau et bien on ferait depuis la route un trajet aquatique et même agrémenté d'une bonne douche sur les échelles !!

2) l'eau se précipite
dans ce couloir

En images, le trajet de cette cascade, pour comprendre:

1) la cascade venue du haut
de la montagne
                                      


Le couloir vu d'en haut...ensuite il plonge dans les échelles 
et finit sa course dans La Blanque

Et plus bas...!! Trajet de l'eau

Après la cascade, le terrain m'est encore connu, toujours ponctué de marques délavées du plus beau rose, enserré dans des haies de buis, puis cela devient l'Inconnu.

Alors l'inconnu va devenir mystérieux, à la fois par sa monotonie  et par cette chappe verdâtre dans laquelle on est enserré.

La majeure partie du trajet est dans l'ombre: enfin le soleil !


Partout, autour et au dessus, c'est de la végétation, des murailles de buis, des voutes de branchages, ponctuées d'un ou autre hêtre, une terre sombre, des rochers moussus, et des fleurs, seule touche lumineuse dans cette quasi monochromie d'ambiance. C'est un silence, dont on ne sait si la sourde rumeur qui le borde est due au vent là haut ou au bourdonnement du sang dans les veines. Ce n'est pas angoissant, c'est hors du monde, hors du temps. Les formes tourmentées du massif se glissent entre les branches, vêtues de gris bleu, un air parfois fantomatique.

Le printemps dans l'ombre


Les buis repoussent
Aucune variété dans les sentiers


Rencontre du ravin principal
affluent de La Blanque




Des hêtres comme ci, élancés


ou des hêtres comme ça, rabougris



Les hauteurs vers la fenêtre


Soudain un immense cri, une sorte d'aboiement résonne dans les bois. Est ce un chien ? Un chien avec un chasseur ? Est ce un chevreuil ? Ne voulant pas me faire "plomber" je pousse un cri et je siffle, l'aboiement disparaîtra à perpétuité.

Je me sais seule et mon seul souci est de ne pas perdre l'esquisse de sentier. Les traces roses me conduisent dans une clairière, puis au travers d'un beau ravin, le même qui va jusqu'à la route et récolte les eaux de la cascade, mais les traces roses s'éloignent trop de mon but, je les quitte à regret, je reviendrai un jour pour en savoir davantage. Retour sur mes pas, mon but est de monter. Il y a des signes cabalistiques partout, sur les arbres, sur les branches tronçonnées, des marques au feutre que j'essaie de décoder. 

Des signes cabalistiques partout


Le seul vrai cairn !


Voilà un signe "normal" un gros cairn, le sentier se divise, direction le haut. ça monte, vaguement cairné, je crois qu'un GPS serait souhaitable pour le retour, je doute un peu, le sentier sent la perdition à plein nez; j'enregistre le moindre détail, je pose un ou autre caillou, puis je me résous au demi tour, c'est étouffant, et je ne vois rien. Altitude 914, je n'irai pas plus haut. je veux de l'air, du paysage, du rocher. Le défi du jour est l'orientation ; je cultive cette faculté avec un flair de plus en plus aiguisé. Je n'utilise aucun instrument volontairement. Je ne veux pas laisser s'étioler cette faculté naturelle que j'ai depuis l'enfance. Ce sont mes mots croisés !!

Retour sur le gros cairn, d'où part un autre sentier . 

Celui ci fonce droit vers l'air libre, le paysage s'ouvre, enfin je vois autre chose qu'un univers glauque.


Enfin de l'air !!


En marchant je me dis que je suis la preuve vivante qu'on peut évoluer à tout âge: j'avais peur des bois et forêts,  ils m'ont apprivoisée. Je n'aimais pas randonner en sous bois, je me suis prise à découvrir  et aimer cet univers, je n'aimais que les horizons dégagés et les hauts sommets, je me plais à adorer les hors pistes, les lieux cachés, discrets, mystérieux. Oui, plus je m'enfonce sous le couvert, plus mon horizon s'élargit, j'aime cette évolution qui me garde vivante et enthousiaste. Plus je m'enfonce dans l'âge et plus une force de vie m'habite, me stimule, m'emporte dans un drôle de voyage où, hélas, le covid rogne mes ailes à intervalles trop fréquents. Non je n'ai pas peur dans ces lieux, je suis comme envoûtée. A l'aube du grand âge, je retrouve mes désirs d'enfant.

Donc, je suis sur une pente entre des barres rocheuses, un peu à l'air libre mais très vite envahi de ces buis omniprésents et là aussi je trouve des départs de sentes. Faciles à reconnaître aux signes et aux coupes de branches aux sécateurs. Je me rends d'un pas vif au pied de la falaise , les piolets traction (les buis) en action. Et enfin, enfin, me voilà au pied du mur, c'est grandiose, j'en ferai mon terminus. 901 m. Un perchoir.



Au pied des falaises

Le gardien du site


Ouverture: Madres et sommets ariégeois au loin


C'est une falaise en surplomb, type corniche, comme dans les Causses, striée de couleurs, étoilée d'inclusions de quartz, mais non de fossiles. Des traces indiquent les ruissellements. De l'humidité, voire de l'eau, sourd de la roche. Je m'assieds et déguste : le paysage, lointains, forêts, vallées, Canigou, Madres. Le ciel bleu où volettent les hirondelles des cavernes que je semble gêner. Le soleil, les formes tourmentées du massif, le calme, la douceur, la solitude. Mon casse croûte aussi, soyons pragmatique.

La pause bienvenue




Ruissellements



Le site vu d'en bas



Au zoom depuis la route



Quartz

Quartz



Ruissellements et mousses

Le décor

En plan rapproché, le Canigou


Je musarde dans le secteur, ainsi je vois que la jolie cascade blanche et sèche n'est qu'un simple ravin venu du haut, que peut être on peut remonter à pied pour gagner la crête 100 m seulement au dessus. Du vagabondage qui me tenterait...Des projets un peu fous s'ourdissent. Hors sous bois, tous les rêves sont permis.

Je vagabonde dans les parfums du thym que j'écrase et dans la débauche de couleur des fleurs printanières. Je ne verrai plus grandir le printemps en montagne, comme je n'ai pas vu le printemps dernier, ni l'automne. Les reverrai-je un jour ? Ce soir je rentre, demain je fais partie des 60 millions de condamnés au rayon de 10 km. Une petite nostalgie me prend, brève, je préfère savourer la descente!

Il me tente

Mais il est indomptable ou presque
je n'insiste pas


Printemps ensoleillé



Vers les hauteurs de la fenêtre et du pic



Au zoom, mon camion sagement rangé 
dans l'ouverture du rocher



Au retour, depuis les échelles


Je suis venue, j'ai vu et j'ai entrevu des possibles, tant que j'ouvrirai des portes, je serai vivante!


Mes vagabondages

En chiffres pour cette balade grandiose

Dénivelé positif cumulé: env 400 m

Distance parcourue: 4.8 km

Temps de marche hors arrêts: 2 h 18






4 commentaires:

  1. J'ai l'impression que cet endroit cache bien plus que l'on imagine, il est réellement mystérieux. Outre son antre interdite aux publics. Tu en auras découvert une bonne partie déjà Bravo

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    1. Et oui, la suite sera à venir, j'ai bien envie de gagner directement l'arête, j'ai deux possibilités en vue, je pense prendre la seconde, là où je me suis arrêtée et faire un tout droit . Bien sûr c'est le type de rando inutile! Mais ça m'attire...

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    2. Inutile pour les autres, mais ça ouvre les portes sur l'imagination et la curiosité, c'est un peu comme les pics qd on en gravit un, on a vraiment envie d'en gravir d'autres. Tu as tout pour comprendre et donc tu cherches 😉 Bises

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    3. Tout à fait, c'est une quête perpétuelle; en fait chaque sortie ouvre des curiosités sur autre chose. Alors j'attends la suite mais chaque coupure finit par me démotiver. Bises

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