Je piaffais d'impatience à l'idée de retrouver ce chemin dont j'avais entrevu une esquisse dimanche. Profitant d'une fenêtre météo, je filai vite là bas, 55 km de route, une broutille. Mon projet était d'y accéder par le haut, que j'avais trouvé, mais une intuition subite me fit changer d'avis, ce serait en bas, là où j'avais échoué. Cette fois j'avais avec moi l'outil indispensable : les relevés altimétriques sans qui je n'eusse rien pu faire.
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Au bord du chemin |
Ciseaux viticoles en main, j'attaquai la pente de murettes embroussaillées; je repris mon approche de dimanche mais j'allai moins haut et cherchai la donnée altimétrique sans risquer l'accident. Cela me valut quand même quelques belles grimpes en murs et en roches, au milieu même d'un gisement de marbre "fleur de pêcher" et enfin, il était sous mes pieds, lisible à souhait. Le bonheur !
Le départ est le passage clé; c'est de lui que dépendra ou non ma réussite, donc je me dois de le soigner au maximum.
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Au départ, le seul endroit accessible |
Se frayer un passage aux sécateurs
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Tout ressemble à un chemin, seul l'altimètre confirme
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Franchir des murettes aux cailloux branlants, en s'agrippant aux végétaux
Grimper quelques barres rocheuses avec prudence
Et voir s'amenuiser le paysage d'en bas, en grimpant un éboulis de marbre "fleur de pêcher"
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Gisement de marbre rose |
Consulter le viatique dans mon smartphone, préparé à la maison
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Superposition de la vue aérienne, du cadastre avec le chemin et de l'altitude, repère indispensable |
Et enfin, à la côte annoncée, le voilà, avec ses terrasses supérieures
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Je pourrai ranger les armes |
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Il n'y a plus qu'à suivre |
S'élever promptement dans les falaises
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Côte pavée |
Et savourer le moment le plus aérien du chemin . Et n'être pas déçue. D'abord voir le travail des anciens qui ont tracé ce chemin, dans cette falaise escarpée.
Ce chemin avait deux buts : voie de communication avec Ria, mais surtout Conat, par le biais de Sainte Croix, et en même temps desservir les étages de vignes de part et d'autre sur plus de 300m de dénivelé. Quelques bifurcations permettaient d'aller à l'étage inférieur. C'est le cadastre qui confirme "vignes".
Dans la falaise, le chemin fait des lacets, il reste encore des traces de pavage afin de stabiliser le sol. Une grotte protégée par un mur, semble minuscule.
Arrivée au col, 500m, il ne faut pas se tromper, cela vire en sous bois, donc les traces disparaissent, je vais suivre une sente animale. Le chemin se partage en deux, je ne trouve pas la branche de gauche, dans le fatras végétal, je reste au plus près du ravin, je ne peux me tromper. Ce ravin sans nom s'appelait en 1810 "Ravin des Escaillers".
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Sa physionomie dans la végétation après le col. Alt 500 m |
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Végétation ? C'est peu dire, ce furent des terrasses |
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Passage du 1er ravin des Escaillers |
Je quitte le ravin et m'éloigne dans "les vignes", un cairn me dit "c'est bien !". Que fait-il ici ?
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Petit arbre devint très grand depuis antan |
Je n'ai plus qu'à me laisser guider, ce sera très facile. Malgré la dégradation, l'assise du chemin et ses murs sont bien visibles. Une ou autre infidélité pour visiter une cabane, grimper un escalier ou bavarder avec les chèvres curieuses, presque familières. Le ciel est tourmenté, orageux, le Canigou se dévoile par bribes.
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Voilà l'assise du chemin |
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Assise du chemin |
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Un joli cabanon vigneron en dessous du chemin |
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Le fil d' Ariane |
Le paysage environnant est escarpé, semé de murettes et un site, en particulier, attire mon regard, ces vignes suspendues où il faudra qu'un jour j'aille voir. Bientôt.
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Site remarquable |
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le site sur le cadastre 1810 Vignes et rochers |
Je croise le ravin suivant, nommé "Ravin des Escailliers" (lui aussi). Le calcaire cède le pas au schiste lisse et c'est pour cela que le ravin fait des escaliers. Des petites parcelles y évoquent d'anciens jardins . Il pleuvait davantage autrefois.
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Mon paysage ambiant |
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L'art d'inclure les rochers en murs ou en cabanons |
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Le schiste coloré en alternance avec le calcaire |
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Aspects du chemin |
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Même lieu |
Le passage de ce ravin est également borné. A présent le chemin change de physionomie, il sera enserré entre deux solides murs et son trajet demeure visible sur les photos aériennes. Murs cyclopéens mais comme le terrain est schisteux, il sera fragilisé en maints endroits. Je vais être parfois obligée de passer au dessus car de gros arbres occupent le chemin, preuve en est de son très ancien abandon. le phylloxéra ruina les vignes en fin 19 eme et d'autres voies de communication supplantèrent ces chemins : les routes. Celle de Conat /Nohèdes fut créée en 1912, assez tardivement, donc l'abandon du chemin date de plus d'un siècle. les arbres ont eu le temps de pousser !
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Après le passage du ravin |
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Jardins dans le ravin |
Regardons les, ces arbres, intrusifs et superbes.
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Le chemin vu d'en haut |
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Arbre témoin de l'abandon loin dans le temps |
Les cabanes vigneronnes se trouvent dans les hauteurs, loin des villages, faites pour quand il était difficilement possible de rentrer rapidement chez soi. Elles offrent toutes une porte
très étroite, non exposée au nord ou bien protégée par une avancée, deux niches à l'intérieur, un bâti tronconique clôturé par une pierre faitière plate, le toit en lauzes, ou recouvert de terre, voire de cailloux. L'intérieur peut être très exigu, ou spacieux (rarement), incluant un rocher, base de la construction, (ou non), la base à plan ovale, circulaire ou quadrangulaire, plus rarement. Chacune est un bijou d'architecture. Isolées ou incluses dans un mur, elles ont un charme fou et sont le miroir, souvent brisé, d'une époque révolue. Il faut juste s'y introduire, s'assoir sur la pierre/banc et regarder, écouter, se poser. On n'en partirait jamais...On verrait la pluie tomber, la neige se poser, on entendrait le vent hurler...je crois que dans ma 4 eme vie, j'en adopterai une...Celle ci dessous est très vaste, 3m de diamètre x3m hauteur, environ.
Son escalier de 8 marches est beau et un troupeau de chèvres vient à ma rencontre, non je ne les dérange jamais, elles me suivent !
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Point de vue au zoom |
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Dans celle là (Alt 641 m) je compte aller passer une nuit Elle est très spacieuse et propre |
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Les escaliers y sont attenants |
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Au dessus de la cabane un troupeau me regardait |
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Une autre belle cabane sous le chemin Alt 632 m |
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L'intérieur, assis sur un rocher, est ovale |
Par rapport à des terrasses, lorsqu'on a enfin l'oeil un peu exercé, on parvient à différencier les murs des chemins de ceux des murettes. La hauteur, la longueur, sont lisibles; souvent les murettes s'abaissent sur les extrémités, le mur reste constant. Ce n'est pas toujours visible dans les reliefs très escarpés. Alors le doute s'installe plus souvent que la certitude. Cependant un tout petit indice est toujours une indication. Un véritable puzzle.
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Mur de dessus et de dessous, très dégradés; alt 633 m |
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Assise du chemin entre murs |
Je pourrais m'offrir quelques vagabondages à droite ou à gauche, mais mon temps est un peu compté et j'ai très hâte de voir où je vais arriver.
Justement j'arrive ! Surprise et stupéfaction, pas sur le chemin borné de dimanche, mais exactement à la cabane incluse dans le grand mur que j'ai trouvée dimanche. Une goutte de très grande joie, celle de la réussite.
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Et oui, me revoici ! 659 m |
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Panorama depuis le sommet 677 m |
Le reste sera la part de gâteau supplémentaire...
Je continue en courbe de niveau, croisant mes traces ainsi que le sentier des chasseurs, je traverse le Ravin de Rocamenera qui va bientôt se jeter dans le vide et je parviens ainsi à un roc haut perché; côté vide, des dizaines de mètres, de mon côté seulement 11 m que j'escalade. Ainsi, du haut, le panorama magnifique se dessine, surtout je l'étudie minutieusement, ça peut être inspirant. C'est un rocher gris couvert de thym, mais au coeur de marbre "fleur de pêcher", une merveille.
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Le chemin, la borne, et le marbre "fleur de pêcher" dont est constitué le roc |
De là je vois mon chemin qui file plein est, ses murs et une borne m'y invitent.
J'y suis, il file en sous bois, c'est une véritable avenue de crottes, celles des chèvres. Il descend en douceur et je m'arrête à la borne 56, un peu plus loin, il se termine dans la cour de la grande bergerie, celle des patous. Merci ne tentons pas le diable, le chemin fut il d' Enfer.
Alors je décide de revenir en suivant le bornage.
A la borne 62 se profile le chemin en creux de dimanche, sans chèvres cette fois.
Les bornes s'égrènent juste au dessus de mon trajet aller. A la 75, au lieu de grimper sur le sentier militaire je pique droit dans la pente, et la jungle m'absorbe. Quelques traces, murs et bornes puis je me perds dans un indescriptible fouillis.
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Enfouie dans la jungle |
J'ai perdu le chemin mais je sais que je dois me rendre au ravin à la côte 500. Je navigue alors entre les deux ravins des Escalliers, à l'écart du chemin, en suivant les sentes animales; bien sûr je m'écharpe et je saigne, mon leggin est en loques, mais ce fouillis me plait. J'ai perdu le chemin mais pas ma route et après quelques acrobaties, je retrouve borne, chemin, murettes, ravin, ma boucle est ainsi bouclée, le retour sera sympathique, en falaise sous un ciel devenu gris, dans un après midi qui touche à sa fin.
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L'exploration c'est aussi cela : ramper, déchirer ses vêtements et sa peau. J'aime! |
Me revoici au petit col entre rochers .
La grotte m'invite à aller la saluer et je découvre avec surprise un boyau étroit d'où jaillit la lumière. Alors curieuse comme les chèvres, je grimpe, contourne le piton rocheux pour voir la sortie; quant à s'y glisser...c'est un boyau luisant d'infiltrations. Laissons lui sa lumière bleutée, sa brillance et son mystère.
Refaire le trajet à l'envers avec ce paysage dans les yeux est un cadeau des cieux ou des Dieux. Cette fois je ne désescaladerai pas les murettes mais j'irai au bout du chemin.
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Il n'y a plus qu'à redescendre, le sentier est dans la falaise |
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Plutôt confortable le sentier |
Une chèvre jaillit des fourrés, remontant du canal. Interdite, elle me fixe puis se lance à l'assaut des falaises, minute d'envie...
Ne réussissant pas à descendre, je conviendrai sans peine que le chemin de la chèvre est le plus adéquat. Escarpé, je m'aiderai de la corde, juste par prudence et confort.
A présent je connais l'accès "le plus aisé" et le plus direct. Adieu les terrasses.
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L'accès rapide des chèvres |
Quant au chemin il perd par miracle son qualificatif d' Enfer.
Trajet approximatif: environ 6 km
Cadastre napoléonien Villefranche du Conflent, 1810
En rouge le chemin, en bleu emplacement du Fort Libéria
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