mercredi 11 janvier 2023

Massif du Canigó : la boucle des 3 P


 Il s'agit de la boucle au départ de los Masos de Valmanya passant par Pinateil, Prats Cabrera et Patriques.


Le Puig Sec, 2665 m

Dans un sens ou dans l'autre, c'est une balade classique et très belle, de plus de 13 km avec un dénivelé raisonnable d'un peu plus de 700 m. Ce parcours se partage en trois tiers, de distance assez  équivalente, celui du milieu est en Balcon du Canigou avec vue sur mer et vue sur le  cirque du Puig Sec, la crête de Serra du Roc Nègre, la Crête du Barbet et son prolongement. Autrement dit une très belle rando par temps lumineux.

Il m'était annoncé une mauvaise fenêtre météo, mais j'ai fait fi de l'info et je suis partie quand même.

Une pleine lune magnifique se leva dans la noire nuit du parking, puis je m'enfermai dans mon cabanon; la pluie sur le toit me réveilla dans la nuit, suivie d'un grand silence : la neige ?? Je ne voulus rien savoir et me rendormis. Au matin la pleine lune brillait toujours, il y avait de l'espoir dans l'air. Et une humidité glaçante, ponctuée de rafales violentes de vent.




Je partis à 8 h 06, 1030 m, moins 1°, avec le jour; j'attendais depuis un grand moment. Le premier tiers de mon parcours étant nouveau, je voulais bien en profiter et bien m'en prit, il est superbe. 

                                                  ---------------------------------------------

Il s'agit de Los Masos / Abri de Pinateil.

Je quitte le parking et très vite je glisse : les rochers qui affleurent sont verglacés, il faudra les éviter. Je franchis la Lentilla sur la passerelle et j'entre en forêt. Ce jour je remonte la vallée de la Lentilla en rive droite, exposée au nord, l'ubac et tout de suite, c'est la hêtraie; l'étage des chênes n'existe pas. Une vaste hêtraie faite d'une armée de troncs superbes, de fond de vallée empli de murets et de places charbonnières, l'exploitation fut intensive. Le paysage de sous bois impeccables est  un livre ouvert sur le 19 eme siècle. Beaux fûts, tapis de feuilles: le grand vent du Nord souffle par bourrasques, amplifiant le froid; la forêt clame, geint, craque et mugit, des petits oiseaux frileux essaient leur chant printanier, j'ai les mains gelées dans les gants. La Lentilla gronde, elle est loin déjà.


Charbonnières dans la hêtraie


Sentier pavé


Le soleil se lève sur les hauteurs de Patriques



Vers l'est

Les sapins font leur apparition à 1130 m, 200 m plus bas que en rive gauche. C'est l'ubac. 

1164 m, deux vestiges de rondes cabanes et quelques murets évoquent des abris charbonniers tandis que le chemin monte un peu en montrant sous les feuilles ses côtes pavées. 

Socle de cabane


Un des nombreux murets


 A 1220 m, le sentier vire sur la gauche tandis qu'une branche, un sentier de chasseurs s'enfonce vers la vallée de la Lentilla. Ce circuit ne perd rien pour attendre ma prochaine visite. Je suis trop curieuse. Il y avait autrefois un chemin, sur la rive opposée, près de la rivière, qui remontait très haut dans la vallée vers des pâtures et des cortals; j'en ai retrouvé le départ mais il semblerait que plus rien n'existât, emporté sans doute par les crues de l' Aiguat de 1940.

Le sentier taillé dans la falaise

Je vais donc poursuivre mon chemin vers le Pinateil et ce sera un chemin magnifique que je vais arpenter. Je vois certes le soleil recouvrir peu à peu mon sentier de dimanche, alors que l'ombre froide m'enveloppe de son souffle glacé.


Versant adret ou soulane : Bois de Patriques


Même chose

 Une douce chaleur due à la marche m'envahit: je stoppe souvent, pour prendre des photos ou souffler mais peu de temps, sinon le froid, ce premier froid de l'année, me congèle. L'envie de rentrer chez moi m'a taraudée un long moment. Le chemin qui fut muletier, à n'en pas douter, monte régulièrement au prix de quelques beaux lacets et les nombreux passages d'éboulis en portent une belle facture : rien n'a bougé au fil des ans.


Un des lacets

Ce versant résolument à l'ombre n'est plus qu'une sapinière dès1250 m. De magnifiques sapins qui ont donné le nom au versant : le Pinateil. Comme partout dans le Massif, les versants sont incroyablement abrupts ! Les éboulis, dont il semble qu'il n'y en a qu'un voire deux, très voisins sont surprenants : le sentier les coupe plusieurs fois, à différents étages, je les nomme l'éboulis du kilomètre tant il semble être allongé dans la pente. En réalité il ne mesure que demi kilomètre. Une immense langue de rochers pâles, victimes sans doute d'un passé de froid, de pluies et de gel, alors que la rive en face, au soleil,  est un hérissement de rocs bien campés sur leur socle. 

Le grand pierrier vers le haut


Et vers l'aval : plongée brutale


La crête du Barbet


En forêt

Ombre sombre en forêt







Renaissance dans le pierrier



Les étages de végétation





Le sentier a été construit de main de maître

A peine sortie du tapis lumineux du pierrier, avec un paysage ouvert sur la mer, j'entre dans l'antre sombre et glacial de la forêt. Tantôt silencieuse, tantôt secouée de furieuses rafales. Pas un animal ni un être humain ne se profile, il est vrai que le jour n'est pas clément; une fine poussière de neige recouvre les montagnes, rançon de la pluie de la nuit. A 1500 m cette poussière étoile mon chemin, sauf en forêt, à présent j'y suis bien plongée. 

Le Pinateil, la forêt de sapins haute densité

Le chant de l'eau m'a bien faussé compagnie et le soleil me nargue sur l'autre versant. Et j'avance. Le chemin révèle la prouesse  des hommes qui l'ont construit et étayé de murs, dans ces pentes à la déclivité effarante. L'altitude se grignote, soudain le soleil vient frapper mon visage à la sortie d'une courbe, je ne vais pas me réjouir longtemps, me voilà au refuge du Pinateil. Je prends le temps de le visiter, au cas où, un jour...et je constate, navrée, que la fontaine est tarie.


Quel point de vue ! Le Puig Sec et ses couloirs



Enfin ! Le soleil


Abri du Pinateil


Une petite halte grignotage, aujourd'hui j'y veille, et c'est parti pour le second tiers.

Pinateil / Prat Cabrera .

C'est un tronçon du long Balcon du Canigou (11km) qui provient du Col de la Cirera, secteur Batère. Je l'ai parcouru en mai pour une balade fleurie et enchanteresse. Aujourd'hui, immédiatement je replonge dans l'ombre de la forêt; le sentier (muletier) est facile, saupoudré de quelques poussières blanches de neige, mais pas glissant; je marche d'un bon pas, pour me réchauffer; l'arrêt au refuge m'a gelée, fut il au soleil. 

Je n'entends aucun bruit d'eau, le ravin de la cascade est sec. (Correc del pla de la Feda). C'est bien mauvais signe cette sécheresse hivernale. Et ce faible enneigement en est bien la preuve. La neige de cette nuit est une pâle mascarade. La forêt omniprésente est une pente toujours aussi vertigineuse, les torrents importants qui la fendent en sont la preuve : vrais couloirs d'avalanches et glissements de terrain.

Poussière de neige

La cascade, vue d'en face

En forêt



Les murs extraordinaires



Le paysage le plus beau ! 
Et pas que lui...hêtres, sapins et rhododendrons. En mai, un ruissellement de couleurs





L'orri de Clot de Baix

Le cortal: l'eau est toute proche



Le temps est tourmenté

Mais je me repais de ces paysages superbes quand la forêt veut bien se pousser un peu. Tous les ravins du parcours sont secs, il me faudra attendre les trois de la Carnisseria qui donnent naissance à la Lentilla, notamment la Congesta Grossa, qui coule sous ses rochers. 


La Carnisseria

Il me vient une idée, parce que je veux toujours explication à tout et partout. La carnisseria, la boucherie: ce ravin qui y coule même en grande sécheresse, n'était ce pas le site où les chasseurs de gros gibier auraient dépecé leurs captures ? Il y a de l'eau, de vastes pierres plates...pourquoi pas, avant le long trajet les menant au village ? En mai j'avais une autre explication. Je n'aurai jamais la vraie, assurément. Mais enfin, voilà de l'eau !

De la glace aussi, sous la poussière blanche du sentier: je manque m'étaler au premier glaçon, je redouble de prudence et marche à côté; ce serait idiot, dans telle sécheresse, d'arriver à chuter sur de la glace. J'en connais un qui grince déjà dans ce froid mordant ! Le genou, bien sûr. Je vais traverser les trois ruisseaux dont celui que je déteste et qui demande quelques acrobaties au printemps; le voilà amaigri et assagi. Le Correc del Prat del Prior (du pré du prieur). 


Sous ce voile blanc, la glace


Correc del Prat del Prior


Le Pasquer ruisselle aussi, décidément la lettre P habille et habite bien ce balcon. Un vent violent balaie le versant au soleil, tord les arbres et buissons...et inviterait au demi tour ! 

Le vent mugit dans les arbres et le ciel

Je vais faire enfin la rencontre du jour : une jeune fille qui fait le même parcours que moi, en solo, mais en sens inverse. Chacune est surprise de rencontrer l'autre. 

Je continue mon chemin, un très joli tronçon jusqu'à Prats Cabrera : en balcon, sans forêts, dénudé, couvert de bruyères et genêts, de vestiges de la vie pastorale et minière, chemin que surplombe la cabane double, les sommets neigeux, les couloirs filiformes et qui ouvre sur la vallée bien découpée entre ombre et lumière, sur la plaine et la mer. C'est époustouflant. Je savoure ce paysage et même si je connais, je me dis que l'essentiel est d'avoir à chaque passage un regard neuf : les couleurs, les saisons, les lumières, la musique de la montagne tout est toujours neuf.

Vallée de la Lentilla



Serra du Roc Nègre


A ses pieds de belles courbes  de la Font de la Portella




Les gardiens du sentier : 3 bouleaux



Relief pommelé des hêtres



Crêtes menant au  Barbet : situation de la cabane double

Mon double coup de coeur


Le sentier

Vue sur la plaine et la mer



Mon village au premier plan

Et l'inverse le lendemain...


Arrivée à Prats Cabrera, je me loge entre deux rochers pour manger un peu, mes doigts ne sentent plus que la morsure du gel. Je ne m'attarde pas. Je compte me rendre au Pic de Bessis, juste 1.5 km plus loin et à la même altitude. J'ai tout mon temps mais faut bouger, trop froid ici.

Prat Cabrerta / Bois de Patriques et retour

Me voilà donc partie pour me réchauffer, en perdant un peu de dénivelé, jusqu'au Ras de Prat Cabrera, ce bel espace de pelouses où dort un joli refuge, le tout bucolique et paisible. Entamant ainsi le troisième tiers du parcours, connu dimanche dernier. Mais que se passe t'il ? Un vent violent m'assaille et me fustige, me glace au passage s'il reste encore à glacer davantage, un vacarme venu du Nord : en y posant mon regard, je vois arriver, loin encore, mais plus bas que moi, un mur ondoyant de nuées blanches, opaques : la neige. 

Le mur de neige

Déjà dans mon dos les sommets se voilent, le ciel a blanchi, faut pas traîner. "Ne va pas au Bessis" me hurle le vent, "dépêche toi de descendre". " Et je dirais mieux, file !", me souffle la montagne. Alors je ne demande pas mon reste, je presse le pas, j'ignore le croisement tentant  et je plonge dans les Bois de Patriques où la couverture végétale enfin mouillée ne glisse plus, où le silence est redevenu immense, comme si j'avais rêvé.

Déjà les sommets se voilent

Mon parcours du matin, cette face dans l'ubac; avec ses pierriers




Dans les Bois de Patriques

Le hêtre qui marche

J'arrive au parking, j'ai presque chaud, j'ai enfin ôté les gants et je m'offre un petit repas, assise à ma table par un froid de 2 °. Je me retourne vers les sommets, tout est voilé de blanc. 

Il neige !



Au moment où je me lève pour aller regarder si c'est de la neige qui les habille,  un voile de pluie et de neige m'enveloppe, je suis à 1030 m, la réponse est venue à moi. Et j'ai bien fait d'écouter le vent et la montagne tout là haut. Ils ne connaissent guère la plaisanterie. Je peux reprendre la route, chauffage à fond, ce n'est pas un luxe ! J'entame la décongélation.

Le lendemain le Massif du Canigou a à peine pris un nouveau voile de fine dentelle blanche, décidément jamais il n'a autant tardé à se vêtir. Quand y consentira t'il ? 


Le lendemain...


En chiffres
Distance : 13.5 km
Dénivelé : 700 m environ
Temps de marche : 4 h 20
Et la route  : 118 km AR

Le trajet 






12 commentaires:

  1. je connais cette magnifique balade, mais en juin quand les rhododendrons recouvrent le balcon. J'aime cet endroit. en février peut-être...Bravo pour le texte et les photos.
    GV

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je me souvenais que tu m'avais parlé de ce circuit, je redoutais alors la montée de Patriques et tu m'avais dit l'avoir fait en sens inverse. En février tu risques de trouver une belle couche de neige, le Balcon est en général bien enneigé. Ce n'est pas une chance s'il ne l'est pas, c'est alors sécheresse absolue. Bises

      Supprimer
  2. Belle balade contée dans les frimas de l'hiver ! Et encore du végétal entrecoupé de minéral. Les sols glissants m'auraient rebuté et il faut avoir la passion chevillée au corps pour pousser encore d'avantage sur ce parcours intrigant. Mais j'imagine encore plus l'attrait de ce site par temps printanier/estival. Merci pour cette rando virtuelle, magnifiée par de belles photos de sous-bois (les hêtraies), pour le lecteur assidu que je suis et RDV est pris pour le deuxième trimestre pour une virée en ces lieux ! P.D.S.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il est évident qu'au printemps frôlant l'été, entre l'eau, les oiseaux et les fleurs, cette balade un rien austère devient enchanteresse. Mais j'aime aussi la montagne avec ses faiblesses, ses duretés, ses rugosités et ses grimaces. Elle livre alors un autre visage plus sobre et moins festif, c'est peut être celui de mes préférences. Mais nous irons la découvrir quand elle rit, cela enjolive la vie et le parcours.

      Supprimer
  3. Superbe histoire en 3 actes, c'est exactement ça. Que dire sur ton oeil expert à retrouver les charbonnières ? Que dire sur ton abnégation à affronter le froid ? Que dire d'autre qu'une grande et profonde admiration.
    Pour la carnisseria, je préfère la version pour bucolique des rhodos en fleurs en juin, c'est très parlant. La photo sur le Puig Sec et ses beaux couloirs est une merveille. Qu'ils sont beaux ces couloirs ! Ils se méritent.
    Quelle tristesse de ne pas voir plus de neige, mais un jour viendra où il ne neigera plus ici hélas.
    Et pour finir, géniales les photos sur les 3 gardiens et le hêtre marcheur.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En voilà une 3 eme version que mon âme non poétesse n'a su voir: pourquoi pas ? ça me plait...Le Puig Sec est celui que je vois face à face depuis 72 ans et je ne m'en lasse pas. J'ai longtemps (et plus encore mais je n'ose le dire) cru que la Canigou c'était lui ! Tu as la chance de le connaître de l'intérieur, enfin par un couloir, vu la distance, ils ne sont pas courus ! Merci pour les arbres auxquels j'ai rendu hommage, ils ont apprécié ton commentaire

      Supprimer
    2. Il faut retourner sur le balcon fin mai ou début juin lorsque la flore illumine et sentier et qu'il y a encore de l'eau en abondance dans les torrents. Cet endroit est merveilleux, au autre charme que le versant Ouest du Conflent. Le Puig Sec semble écrasé par ses voisins Barbet et Roc Négre, pourtant il a une prestance sans égale.

      Supprimer
    3. Justement je l'ai parcouru le 21 juin, je te cite même dans le blog car tu m'avais dit "au moins arrive à la Carnisseria" tu sais bien que souvent tu m'inspires...hihi. Quant au Puig Sec il est ma préférence avec ses sillins convergents

      Supprimer
  4. très beau voyage et j'ai appris qu'il y avait l'orri de Baix que je ne connais pas et pourtant nombre de fois où je suis passé par là !!! Ce pourrait être ma 525ème cabane ! Peut-être !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et dire que je voulais aller le visiter sur Wikipedra ! Je n'ai pas eu le courage d'y arriver, il est bien en contrebas du chemin, en aval des ruines du cortal. Et puis il semble que tu n'en aies pas trouvé 2 qui sont à Villefranche près de la carrière et du grand dépôt de pierres. Allez, au boulot ! Tu monterais alors à 527 ! Chapeau bas et admiration pour ton travail passionnant

      Supprimer
  5. Quel beau récit, d’une bien belle rando, les photos sont superbes, j’ai adoré celle des hêtres givrés. Je grelotais en te lisant, tu as de la chance de ne pas craindre le froid, pour ma part je préfèrerais la période de rhododendrons. Bravo, je me suis régalée de te lire. Bises, Josy.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non les hêtres n'étaient pas givrés mais leur ramure accroche la lumière, incroyable !Je ne crains le froid qu'immobile, en marchant, je pourrais aller en t shirt partout! La période rhododendrons est superbe là bas sur ce balcon du Canigou. A faire en mai/juin. Bises

      Supprimer

Votre commentaire: